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Feng s’apprêtait à monter dans le fourgon qui allait emmener les joueurs pour la finale du tournoi, mais s’arrêta pour regarder autour d’elle avec la désagréable sensation d’être observée.

- Jiějiě, tu ne montes pas ?

- Excuse-moi, Tsao Wu.

Il la gratifia d’un sourire et prit place dans le véhicule. Feng s’assit à son tour, puis sortit son téléphone et envoya un message à son premier fidèle, Vitali, ainsi qu’aux autres membres de son organisation, Valia, Sacha et Arkadi, pour les mettre en garde contre une possible menace.

- Est-ce que ça va ? lui demande-t-il.

Tsao Wu était un joueur très expérimenté, ce qui le rendait plus mature et calme que ses coéquipiers. Il jouait depuis douze ans et avait reçu le titre de meilleur joueur du monde peu de temps avant l’arrivée à Feng.

- Tout va bien, le rassura-t-elle alors que le chauffeur prit la route.

Le trajet jusqu’à l’aréna fut rapide, laissant peu de temps aux joueurs pour se concentrer et se préparer mentalement, mais Feng avait confiance en eux : ils s’étaient durement entraînés pour cette finale. Le chauffeur se gara devant l’entrée où des fans brandissaient des pancartes en signe de soutien et en hurlant le nom de leur joueur préféré. Feng se leva, regarda chacun des joueurs et donna les consignes.

- Ne vous arrêtez pas, marchez jusqu’au bâtiment sans vous soucier des fans.

Les gardes du corps se mirent en place et l’entraîneur put sortir, suivi de près par les joueurs, puis par Feng et enfin le PDG Zhang Heng qui assistait à chaque match de l’équipe. Ils entrèrent rapidement dans l’aréna et elle en fut soulagée. La foule était un excellent moyen pour agir en toute discrétion et elle n’était pas à l’abri d’un coup de couteau.

Un membre du personnel les accueillit et les accompagna jusqu’à leur loge. Les joueurs déposèrent leur affaire et s’installèrent autour de la table pour discuter stratégie avec l’entraîneur.

- Nous devrions aller nous installer, suggéra le PDG à Feng.

Ils rejoignirent le cœur de l’aréna tamisées aux couleurs des équipes et s’installèrent au premier rang. Une dizaine de minutes plus tard, un homme et une femme s’avancèrent sur le devant de la scène, acclamés par la foule.

- Bienvenue pour la finale du tournoi ! Je suis votre commentateur : Yang Xun.

- Bonjour à tous, je suis votre commentatrice : Lu Yi-Ze.

- Veuillez accueillir sur scène les deux équipes : Dragon et TYLOO !

Les joueurs et leur entraîneur entrèrent vêtus de leur maillot et s’alignèrent à côté des commentateurs en saluant le public hystérique. Les capitaines furent interrogés sur leurs ressentis pour cette finale, puis les deux équipes se mirent en place derrière les ordinateurs.

Le public se mit soudain à hurler et instinctivement Feng empoigna son couteau dissimulé dans son dos. Le mouvement de la foule attira son attention sur l’entrée où Shi Shu-Fang était assaillie par les flashs des appareils photo et les micros des journalistes. Une femme repoussa la foule et indiqua à l’idol les deux sièges à côté de Feng.

- Пиздец ! jura-t-elle en russe.

- Liu Feng ?

- Veuillez m’excuser, PDG Zhang Heng, dit-elle en s’inclinant.

Elle garda un œil attentif sur les journalistes et les spectateurs qui s’étaient approchés pour espérer obtenir un autographe ou une photo de l’idol.

- Shi Shu-Feng, quelle surprise de vous voir ici ! Dites-nous : quelle équipe soutenez-vous ? Vos fans seraient ravis de le savoir.

Les yeux de Shi Shu-Fang balayèrent rapidement la foule et s’attardèrent quelques instants sur Feng qui redoutait sa réponse et les conséquences que celle-ci aurait sur le futur.

- Je suis venu soutenir Dragon : c’est pour moi la meilleure équipe et je serais plus qu’honorer d’un jour pouvoir contribuer à sa réussite.

Feng avait eu raison d’appréhender, surtout lorsque le journaliste tendit le micro dans sa direction.

- Vous êtes Liu Feng, la manageuse de Dragon. Qu’avez-vous à répondre aux propos de Shi Shu-Fang ?

- Aucun commentaire.

Il fut déconcerté par sa froideur, mais conserva son sang-froid pour lui poser une nouvelle question. Heureusement pour elle, les commentateurs choisirent ce moment pour annoncer le début du match : les lumières se tamisèrent, Shi Shu-Fang put s’asseoir et le jeu fut lancé. Feng suivit la manche avec beaucoup de concentration et sans grande surprise, Dragon gagna. Les commentateurs annoncèrent quinze minutes de pause, Feng et le PDG Zhang Heng en profitèrent pour retrouver les joueurs dans la loge.

- Félicitations !

- Merci Jiějiě !

Elle ne pouvait s’empêcher de sourire chaque fois qu’ils l’appelaient « sœur » : ils la considéraient comme l’une des leurs alors qu’ils ne connaissaient rien à sa vie. La confiance qu’ils plaçaient en elle était grande, peut-être même trop, car son avenir n’était pas auprès d’eux.

- Vous partez Liu Feng ? lui demanda le PDG.

- Je dois aller aux toilettes, je vous rejoins après.

Elle laissa l’équipe discuter de la stratégie qu’ils allaient mettre en place pour la deuxième manche et rejoignit les toilettes. Lorsqu’elle en sortit, Shi Shu-Fang l’attendait, appuyé contre le mur. Elle tenta d’abord de l’ignorer : ils ne devaient pas être vus ensemble dans un lieu où les murs pouvaient avoir des yeux et des oreilles.

- Pouvons-nous discuter ?

Elle avança sans répondre, mais il la retint par le bras et elle réagit immédiatement en sortant son couteau. L’idol retira sa main en voyant la lumière du néon se refléter sur la lame aiguisée.

- Liu Feng…

- À quoi jouez-vous ? Vous rendez-vous seulement compte des conséquences que vos mots peuvent avoir ?

- Bien sûr ! s’agaça Shi Shu-Fang. Je ne suis pas stupide.

Feng soupira, agacée, puis rangea son couteau et remonta sa manchette sur son bras. La tension diminua et ils reprirent leur échange plus calmement.

- Sachez que je n’avais pas le choix, c’était la seule manière de faire passer le message, avoua-t-il.

- J’avais donc vu juste, j’étais observée.

- C’est certain, votre arrivée a été remarquée et maintenant ils attendent patiemment.

Il regarda autour de lui et se pencha pour qu’elle seule puisse entendre.

- Je suis intervenu en tant que maître des encens de la Triade Huo.

Feng avait étudié la composition des Triades chinoises et avait découvert que le maître des encens était chargé du recrutement de nouveaux membres au sein de l’organisation. Il avait donc une position qui lui conférait un certain pouvoir.

- Vous prenez position sans même une entrevue ? releva-t-elle suspicieuse.

- L’entrevue ne sera qu’une formalité. Sachez que vous bénéficiez déjà de notre protection.

Shi Shu-Fang s’écarta et remit son masque d’idol au regard charmeur.

- Vous n’avez pas répondu devant les caméras : accepteriez-vous que je devienne l’image de Dragon ? demanda-t-il lorsqu’un membre du personnel passa à côté d’eux.

- Non, je n’accepte pas.

Feng lui tourna le dos et rejoignit sa place au premier rang. Elle savait qu’il avait posé la question simplement pour ne pas attirer l’attention.

- Liu Feng, vous m’expliquez ? lui ordonna le PDG Zhang Heng en reprenant sa place.

- De quoi parlez-vous ?

- De Shi Shu-Fang. Vous l’avez offusqué devant la caméra et à l’instant vous venez de lui manquer de respect dans le couloir. Bon sang ! Pourquoi vous acharnez-vous à refuser son offre ?

- C’est vous qui ne comprenez pas, monsieur.

- Expliquez-moi alors !

Il y avait deux raisons à son refus et l’une d’elles concernait son autre activité. Elle était peut-être à présent sous la protection de la Triade Huo, mais mêler sa couverture à celle de Shi Shu-Fang serait prendre un trop gros risque. La deuxième raison était purement liée à son ancienne couverture.

- Shi Shu-Fang souhaiterait être l’image de Dragon…

- En quoi est-ce mal ? la coupa le PDG Zhang Heng.

- Laissez-moi parler ! s’agaça-t-elle. Si j’acceptais, reprit-elle en sentant l’idol reprendre sa place, son nom ne serait plus qu’un visage sur des bannières à l’effigie de Dragon, seules son image et sa notoriété compteraient.

- C’est ce qui fait de lui une célébrité, intervint le PDG.

- Vous ne comprenez toujours pas. Je ne veux pas le considérer uniquement comme un beau visage sur une bannière ou comme un objet. Shi Shu-Fang est une personne à part entière, il a des envies, des rêves et sa propre vision du monde. Je refuse catégoriquement de détruite tout ce qui fait de lui un être humain. Tant que je travaillerais pour Dragon, ça n’arrivera jamais ! Vous pouvez me renvoyer si ça ne vous convient pas, mais alors vous serez comme eux et à vos yeux les joueurs ne deviendront plus que des chiffres. Vous perdrez votre humanité au même titre que Shi Shu-Fang.

Les commentateurs reprirent la parole et annoncèrent le début de la deuxième manche, empêchant le PDG Zhang Heng de faire un commentaire. Feng espérait qu’il allait réfléchir à ses propos et prendre la bonne décision pour Dragon et surtout pour son propre business.