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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Yana, confortablement installée, dans un sofa de velours turquoise, brodait avec minutie un mouchoir de soie. La douce chaleur du feu dans la cheminée venait caresser ses doigts habiles, tandis que son crépitement rompait le silence pesant de la chambre. Les yeux rivés sur son ouvrage, elle échappa un long soupir, tant l'inquiétude qui la rongeait rendait sa tâche fade et sans saveur. C’est donc sans le moindre remords qu'elle s'empara d'une paire de ciseaux et découpa un à un les fils. Exaspérée que ses nombreuses heures de travail ne lui aient pas apporté le calme de l'esprit, elle décida de tout abandonner. Après avoir tranquillement posé son cercle de bois sur son petit guéridon de cèdre, elle se dirigea vers l'une des grandes fenêtres, où à travers les carreaux, elle pouvait observer le ciel. Elle réalisa alors que les sombres nuages responsables de puissantes tempêtes de neige étaient peu à peu en train de disparaître, dévoilant une multitude d'étoiles.

N'étant que peu passionnée par l'astronomie, Yana reporta plutôt son attention sur l'immense forêt de cérulea qui telle une muraille naturelle protégeait leur domaine. Les premiers rayons du soleil apparaissant à l'horizon effleuraient les feuilles turquoise qui brillaient de mille éclats, ne faisant qu'accroître les incertitudes de la dame.

Il y avait de nombreuses heures déjà que son fils et son époux étaient partis précipitamment à la recherche de la famille royale. Elle était d'ordinaire habituée à leurs longues absences, mais cette fois-ci, elle ressentait une étrange sensation qui venait ronger son cœur. Ses doigts s’implantèrent nerveusement dans les pans de sa jupe de satin, alors que l'aube commençait à recouvrir le ciel d'encre d'un manteau rouge orangé. La gorge nouée, elle ne pouvait faire cacher son inquiétude, tandis qu'elle avait conscience qu'ils n'avaient d'autre choix que de traverser la plaine de Morkog pour ne pas perdre la moindre seconde. Elle les savait pourtant tous aptes à affronter les skuggis, mais les souvenirs du passé étaient bien trop ancrés en elle, pour taire cette peur qui l'habitait.

Comment pourrait-elle oublier ce jour où, pour la première fois, elle avait mis les pieds dans cette région dont elle ne connaissait absolument rien ? Le froid lui-même était une température qui lui était inconnu, du fait que son duché se situait près des côtes sud-ouest de la capitale, où les hivers étaient tempérés. À cette période de sa vie, elle n'avait que 16 ans. Et la raison pour laquelle son père et elle étaient rentrés à l'intérieur des terres, était pour qu'elle fasse la rencontre de son futur époux Hogo de Vedmid. Tout ce dont on avait bien voulu lui dire sur cet homme était son statut de fils unique du duc de Vedmid. Pourtant elle aurait tant désiré en apprendre plus sur lui, savoir les choses qu'il aimait ou tout simplement connaître son âge. Mais aucune de ses informations ne lui avait été accordée.

N'ayant ainsi malheureusement pas la possibilité de donner son avis sur ce mariage arrangé, elle était entrée dans le carrosse, le cœur empli d’inquiétude et de peur. Elle s'était donc abandonnée à son destin qui lui paraissait sombre et sans joie.

Alors que cela faisait des jours qu'elle n'était pas sortie de son véhicule, n'ayant pour seule vue sur le monde qu'une simple petite fenêtre, une étrange obscurité froide les enveloppa soudainement. Le chant des oiseaux qui l'avait accompagnée durant tout le trajet semblait s'être tu, laissant un lourd silence le remplacer.

La gorge nouée d'appréhension, elle avait nerveusement glissé sa main dans celle de son père qui lui avait adressé un sourire apaisant, lui rappelant avec sérénité qu'après celle du roi et de du duc de Vedmid, leurs soldats étaient les mieux entraînés du royaume. Néanmoins, cette bulle de certitude, dans laquelle elle s'était enfermée, éclata brusquement, lorsque son carrosse s'était arrêté soudainement, suivit par d’innombrables hurlements d'agonies qui s'étaient évanouis dans le lointain. Son sang s'était figé dans ses veines, alors que des sifflements retentissaient à ses oreilles, l'obligeant à venir les obstruer de ses mains, tentant ainsi de fuir la réalité. Bien que les gémissements résonnaient faiblement, elle n'avait pu s'empêcher de garder les yeux ouverts, cherchant à comprendre quelles étaient ses choses qui s'en prenaient à eux.

Un cri strident s'échappa de sa bouche, lorsqu'après de multiples échos de sifflements une gigantesque mâchoire aux crochets acérés se planta dans la vitre, ne laissant entrevoir qu'une longue et fine langue qui s'agitait avec empressement. Prise de panique, ses muscles s'étaient contractés tant et si bien qu'elle n'arrivait plus à faire le moindre mouvement. Même sa voix paraissait s'être éteinte et seules ses larmes roulant sur ses joues rendaient son corps encore vivant.

Un battement de cœur régulier s'était de nouveau manifesté contre sa cage thoracique, lorsqu’une étrange lumière vacillante était apparue au-delà de l'horizon. Celle-ci semblant se rapprocher d'eux rapidement, elle avait l'illusion que l'espoir renaissait au creux de sa poitrine. Pourtant, elle ne sentait toujours pas en sécurité, parce que les crochets plantés dans la vitre commençaient à en éprouver sa solidité, car des fissures de plus en plus grandes lézardaient la fenêtre. Alors que celle-ci était sur le point de se briser, un éclat argenté rompit l'obscurité pour venir s'abattre sur la nuque du monstre.

Son souffle reprit son rythme normal, lorsqu'elle avait réalisé que la tête qui l'avait paralysé de peur était tombée lourdement au sol, ne laissant à la place que deux trous vides d'où elle pouvait distinguer la silhouette sombre d'un beau jeune homme. Grâce à la torche qu'il maintenait près de son visage, elle put discerner sur ses traits juvéniles une barbe brune naissante. Elle sentit immédiatement son cœur marteler contre sa poitrine tant sa posture et son port de tête assuré la gratifiait d'une présence rassurante et de confiance.

S'apprêtant à le remercier, elle n'en eut pas le temps, car déjà sa voix grave et impérieuse avait résonné dans l'obscurité, intimant l'ordre de quitter les lieux. Elle avait aussitôt senti son corps être projeté en arrière, tandis que ses chevaux les avaient entraînés jusqu'à ce qu'un nouvel éclat de lumière et que le chant des oiseaux apaise ses craintes.

Un hoquet de surprise s'était échappé de ses lèvres, lorsque le jeune homme avait ouvert la porte pour se présenter devant elle. Fascinée par ses yeux d'un bleu cristallin, elle n'avait pu se détacher de lui, admirant avec minutie chaque ombre et chaque courbe de son visage. Dès qu'un sourire se dessina sur sa bouche charnue, elle n'avait pu empêcher son rythme cardiaque de résonner dans ses veines. Bien sûr, elle avait conscience que l'apparence ne faisait pas tout, mais cela avait été plus fort qu'elle, elle s'était éprise de ce jeune homme dont elle sut quelques instants plus tard qu'il n'était nul autre que son fiancé.

L'une de ses paumes posées sur la vitre gelée, elle esquissa un rictus en songeant à son mari qu'elle avait aimé au premier regard. Certes, ce jour était empli de tristesse qui hantait parfois ses nuits, mais chaque réveil était une délivrance lorsque son corps était enveloppé de ses bras puissants. Bien entendu, leur couple vivait de temps à autre des disputes, mais cela ne faisait que renforcer le lien qui les unissait.

Quant à son fils, il était le premier né de leur amour, un cadeau venu du ciel. Alors la simple idée de le perdre à cause des skuggis, rendait ses craintes encore plus viscérales. Elle ne connaissait que trop bien cette douleur et ne voulait surtout pas revivre cette terrible épreuve.

Son regard rivé dans celui de son reflet sombre, elle s'empressa de repousser son chagrin et ses larmes d'un revers de la main. Il fallait qu'elle soit forte et confiante.

Prenant une profonde inspiration, elle redressa la tête et se détourna de ses inquiétudes, avant de s'emparer de son ouvrage et de reprendre place devant l'âtre de la cheminée. Levant ses yeux sur le tableau qui ornait le mur, un sourire resplendissant se peignit sur ses lèvres.

- J'ai confiance en vous, murmura-t-elle à l'encontre des portraits de son mari et de son fils, avant de reporter son attention sur le mouchoir entre ses doigts.

Elle reprit donc avec espoir sa broderie, prenant grand soin d'y placer tous ses sentiments.

Elle ne sut pas vraiment combien de temps, elle avait passé sur sa tâche, mais lorsqu'elle noua enfin le dernier fil à son travail, un long soupir de satisfaction s'échappa de ses lèvres. Devant ses yeux apparut un taureau, signe de force et de courage dans sa région natale, ornée de fleurs d'Esperastra, symbole d'espoir.

Elle savait pertinemment que ni Hogo ni Mency n'en avaient vraiment besoin, mais c'était une manière à elle de rester à leurs côtés, même quand ils étaient loin d'elle. Alors qu'elle allait s'attaquer à un second mouchoir, elle entendit de petits coups secs résonner contre le battant de la porte. Surprise, elle releva la tête et fut aussitôt éblouie par les rayons du soleil qui filtrait à présent par sa fenêtre. Elle réalisa soudain que le jour s'était levé depuis déjà plusieurs heures.

- Entrez, invita-t-elle pleine d'espoir de recevoir enfin une bonne nouvelle.

À ses mots, elle reporta son attention sur une jeune fille aux cheveux blonds qui s'était approchée d'elle, avant de s'incliner respectueusement.

- Quelle est donc la raison de votre présence ? interrogea-t-elle le cœur battant.

- Madame. Le seigneur et le jeune maître sont de retour, annonça la domestique le sourire aux lèvres.

Yana qui venait d'accueillir cette information avec bonheur se leva soudainement sous le regard surpris de sa servante, abandonnant négligemment son nouvel ouvrage sur l'un des coussins de velours. Sans prononcer le moindre mot, elle s'engagea dans le couloir avec pour seul vêtement sa chemise de nuit blanche et sa robe de chambre de satin rouge. Le cœur battant et les pieds nus, elle se lança dans les escaliers recouverts d'un tapis en lin noir, l'empêchant de ressentir le froid de la pierre.

Dès son arrivée dans le grand hall, elle sentit immédiatement tous les regards interrogateurs des gens de maison et des soldats restés pour leur protection se poser sur elle, mais ceux-ci bien trop respectueux, ne pipèrent aucun mot et s'inclinèrent devant elle.

Elle avait conscience que sa tenue n'était pas des plus appropriées, mais elle s'en moquait. Tout ce qui importait pour elle, était de retrouver les hommes de sa vie. C'est donc empli d'impatience qu'elle fixa avec intérêt les deux immenses portes de bois.

Les bras croisés sur sa poitrine, elle déglutit difficilement lorsqu'un filet d'air froid vint doucement caresser sa joue, avant qu'une brise plus puissante fasse virevolter sa longue chevelure de jais qu'elle n'avait pas pris la peine de nouer.

Un large sourire illumina son visage, quand apparut la silhouette singulière de Mency. Celui-ci écarquilla de grands yeux ronds en découvrant la présence de sa mère qui accourut sans un mot dans sa direction.

Les petits bras de Yana enlacèrent avec force le corps de son fils, se moquant bien de la neige fondue sur son vêtement et du froid qui engourdissait légèrement ses doigts.

- Mère ! Vous allez attraper froid, s'inquiéta Mency qui la repoussa délicatement.

- Qu’importe, sourit-elle en posant doucement sa main sur sa joue gelée. Je suis si heureuse de vous savoir à la maison, assura-t-elle en caressant sa pommette de ses pouces.

- Merci pour votre accueil, soupira-t-il en fermant les yeux, profitant de la chaleur réconfortante de sa mère.

- Quelque chose ne va pas ? interrogea-t-elle en observant avec soin les traits de son fils qui ne dissimulait en rien sa peine. Il est arrivé quelque chose à votre père, se soucia-t-elle brusquement.

- Non, affirma-t-il en posant sa main contre la sienne. Je suis désolé, si mon attitude vous a fait croire le contraire. Je ne voulais pas vous inquiéter ainsi, ajouta-t-il en portant ses doigts à sa bouche pour l'effleurer d'un baiser plein de tendresse.

Un nouveau sourire illumina son visage, bien que les lèvres gelées de son fils frôlèrent sa peau, car à travers elles, elle ressentait toute la chaleur de son amour. Malgré cela, l’anxiété restait ancrée au fond de sa poitrine, du fait que son mari ne les avait toujours pas rejoints.

Un frisson glacé vint caresser son épiderme, provoquant chez elle un effet de chair de poule qui se propagea jusqu'à sa colonne vertébrale, dès lors que les portes s'ouvrirent à nouveau. Un faisceau clair de lumière brouilla aussitôt sa vue jusqu'à ce que la silhouette sombre et imposante de son époux fasse son apparition.

Son cœur se mit immédiatement à battre frénétiquement de soulagement, la poussant à aller à sa rencontre, mais sa mine bizarrement fermée la stoppa dans son élan. Reportant un bref instant son attention sur le visage de son fils, elle put distinguer un surprenant chagrin qui venait de voiler ses yeux.

Tournant sa tête dans la direction de son mari, elle chercha à accrocher ses iris, mais elle réalisa que ceux-ci étaient fixés sur un petit corps enveloppé par l'une de leur fourrure. Intriguée par leur étrange attitude, elle s'empressa de réduire la distance qui la séparait d'Hogo pour lui apporter le réconfort dont il semblait avoir besoin et également pour découvrir l'identité de cette personne. Les sourcils froncés, elle posa légèrement ses doigts fins sur son épaule, avant de la caresser dans un geste délicat. N'obtenant aucun mot de sa part, ses yeux curieux suivirent les courbes dissimulées sous le tissu, jusqu'à ce qu'une peau blanche et une chevelure blond foncé, presque châtain se démarquèrent du manteau noir.

C'est avec effarement qu'elle comprit qu'il s'agissait d'une petite fille. Comme mû par son instinct de mère, elle repoussa de sa main les mèches barrant son visage. Son sang se figea dans ses veines quand elle réalisa que la température de son corps était anormalement basse et que sa vie ne tenait qu'à un fil.

Elle savait à présent ce qui lui restait à faire. Les questions qui se bousculaient dans son esprit attendraient que la sécurité de cette petite soit assurée.

- Suis-moi, ordonna-t-elle à l'encontre d'Hogo qui se mordait nerveusement les lèvres. Sif ! Fais venir l'apothicaire. Nous serons dans la chambre à côté de la mienne, indiqua-t-elle à sa domestique, tout en entraînant son mari dans les escaliers.

Le cœur battant et le souffle court, elle fixait droit devant elle, priant pour que cette petite fille survive.

Arrivée devant l'une des portes, elle l'ouvrit dans un fracas assourdissant, après avoir fait demander à ce qu'on lui apporte plusieurs couvertures. Elle s'approcha aussitôt du grand lit à baldaquin en bois de cérulea, dont elle repoussa les longs rideaux tissés de fils bleu et noir, permettant à Hogo de déposer la fillette sur les draps blancs. Yana qui venait de la débarrasser du large manteau de fourrure, réalisa avec horreur qu'elle était simplement vêtue d'une longue chemise blanche en coton.

- Où sont ses vêtements ? interrogea-t-elle en tournant sa tête vers l'homme qui toujours enfermé dans le silence, avait prit place sur l'un des fauteuils. Est-ce qu'on l'a touché ?

Un frisson parcourut son échine, imaginant le pire en arpentant de ses doigts chaque parcelle de sa peau, à la recherche de traces ou d'ecchymoses.

- Non, répondit laconiquement Hogo.

- Tant mieux, souffla-t-elle en massant frénétiquement ses muscles et ses articulations pour favoriser la circulation de son sang et ainsi la réchauffer.

Après plusieurs minutes de palpation, un fin sourire de satisfaction se dessina au coin de sa bouche, bien que sa température ait augmenté que très légèrement. Un tant soit peu rassurée, elle plaça une bonne couche de couverture sur elle, avant de caresser avec tendresse sa joue froide.

- Ça va aller, murmura-t-elle en observant les courbes rondes de son visage. Tu es en sécurité à présent. Nous allons prendre soin de toi, affirma-t-elle en effleurant doucement son front.

À peine prononça-t-elle ses mots qu'elle entendit frapper à la porte. Reportant son attention sur celle-ci, un homme d'une vingtaine d'années apparut. Son visage pâle était dissimulé derrière une grande étoffe de tissu de marron. Ainsi que par une longue capuche tombant jusqu'à la cambrure de ses reins qui recouvrait sa courte chevelure rousse dont quelques mèches en désordre couvraient son front. En pénétrant dans la chambre, la lumière des bougies disposées de part et d'autre de la pièce vint éclairer ses joues, dévoilant ses yeux aux couleurs disparates qui étaient vides et sans expression.

Yana qui faisait régulièrement appel à ses services, était comme chaque fois fascinée par la fluidité de sa démarche, malgré la cécité dont il était atteint. C'est sans la moindre hésitation qu'il rejoignit la fillette, pour doucement effleurer de son pouce la base de sa chevelure. Il laissa échapper un souffle étouffé par la bande de tissu, tandis que l'une de ses mains vint se perdre au fond d'une des sacoches de cuir qui enveloppaient sa taille et qui agrémentaient son long manteau vert. Celui-ci témoignait de nombreux raccommodages de par la présence de morceau de tissu aux teintes dégradé.

L'apothicaire stoppa soudainement son geste et tourna sa tête dans la direction du couple. Bien qu'il ne prononçât aucun mot, Yana comprit immédiatement sa demande. C'est donc dans le silence qu'elle s'empara de la main de son mari, pour l'entraîner en dehors de la pièce.

Dès qu'ils se retrouvèrent dans le couloir, elle reporta son attention sur son époux qui restait enfermé dans le mutisme. Les questions qu'elle avait remisées dans un coin de sa tête lui revinrent en mémoire tel le flot d'un torrent. Alors que les yeux d'Hogo étaient imperturbablement fixés sur la porte de la chambre et que son silence commençait à devenir pesant, elle s'approcha de lui et posa sa main sur sa joue. À travers ses doigts fins, elle ressentait la contraction des muscles de sa mâchoire. De son pouce, elle effleura avec tendresse l'os saillant de ses pommettes, cherchant à le rassurer et à lui prouver qu'il ne devait pas affronter ses sentiments seuls. Car bien qu'elle le sache capable de faire face à n'importe quelle situation difficile, elle savait que les doutes et les incertitudes le rendaient parfois fragile et vulnérable. Son regard ancré dans le sien, elle lui adressa un sourire tendre et apaisant.

- Le roi est mort, déclara-t-il la voix chevrotante, après avoir pris une profonde inspiration. La fillette qui se trouve dans cette chambre n'est autre que la princesse Aldna. Seule survivante du massacre.

À l'évocation de cette nouvelle, les doigts de Yana cessèrent tout mouvement et ses yeux s'élargirent d'effroi. Elle ne comprenait pas comment une telle situation avait pu se produire, alors que la famille royale était protégée par des gardes d'élite.

- Mais que c'est-il passé ?

- Je ne sais pas. Quand nous sommes arrivés sur place, les corps étaient répandus sur le sol, tandis que le roi agonisant est mort entre mes bras, avoua-t-il en posant sa main sur celle de sa femme. Je n'ai rien pu faire pour lui, annonça-t-il le regard voilé. J'ai failli à ma mission, je n'ai même pas été capable de la protéger, ajouta-t-il en reportant son attention sur la porte fermée de la chambre. Elle risque de ne pas s'en sortir, s'inquiéta-t-il alors que sa respiration se faisait de plus en plus erratique.

Yana comprenait que son caractère d'ordinaire calme et sûr de lui était en train d'être altéré par les préoccupations qui le submergeaient. Ne souhaitant pas qu'il se morfonde, elle prit une profonde inspiration et réduisit la distance qui les séparait, laissant son parfum musqué envahir ses narines. La main à plat sur son torse, elle releva son regard vers lui.

- Garde espoir, murmura-t-elle en une douce caresse, venant lentement enlacer son corps large et musclé. Ai foi en l'apothicaire, il sait ce qu'il fait. Je suis sûre que grâce à lui, elle s'en sortira. Après tout, elle est la fille du feu roi Renmisle, assura-t-elle en posant sa joue sur l'un de ses pectoraux.

- Je l'espère vraiment, soupira-t-il en resserrant l'étreinte de ses bras, tandis que ses lèvres effleuraient sa chevelure en un délicat baiser d'affection.

À mesure que ses mains dansaient sur les muscles tendus de son dos, elle pouvait les sentir se détendre, tandis que ses battements de cœur qui quelques secondes plus tôt suivaient un rythme précipité se calmaient doucement.

- Car j'ai peur de trahir ma promesse envers le roi. Il m'a fait jurer de la protéger. J'ai même du faire face au dieu Shinjù, pour avoir le droit de prendre soin d'elle.

À l'annonce du nom du dieu protecteur de la famille royale, Yana stoppa aussitôt ses caresses, craignant que le bruissement provoqué par ses vêtements ne lui ait fait mal comprendre les dires de son époux. Cherchant à s'assurer de sa bonne compréhension, elle releva sa tête et fixa avec intensité le regard azur de celui-ci.

- Le dieu Shinjù ? répéta-t-elle espérant ne pas avoir rêvé.

Son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine, dès qu'il lui adressa un hochement de tête positif en guise de réponse. Elle savait que la situation, dans laquelle il se trouvait actuellement, était des plus incertaine et des plus compliquée, mais cette nouvelle emplissait sa tête d'une curiosité sans nom. Personne dans ce royaume n'était pas sans savoir qu'elle était l'importance de cette divinité, mais personne depuis près de mille ans n'avait eu la chance de l'apercevoir.

- Comment est-il ? Est-il aussi beau que le décrit la légende ? Et comment l'as-tu rencontré ? demanda-t-elle les pommettes rouges d'excitation.

- Je te retrouve bien là, rien ne peut empêcher ta curiosité, sourit Hogo qui glissa sa paume sur sa joue brûlante. Et bien, comment décrire cet instant ? réfléchit-il en cherchant ses mots. Dès que je me suis retrouvé en sa présence, une douce chaleur réconfortante s'est emparée de moi. J'avais l'illusion que plus rien de mal ne pouvait nous arriver. Je me sentais vraiment en sécurité. Son regard qui certes brillait tel un feu ardent, n'avait rien d'effrayant, bien au contraire. Quant à son pelage d'un blanc immaculé, il était encore plus étincelant que lorsque les rayons du soleil viennent frapper la neige fraîche matinale, songea-t-il avec nostalgie.

Yana qui écoutait avec attention chaque instant de sa confrontation sentait une pointe de jalousie s'immiscer dans son cœur, car elle avait un jour rêvé de faire la rencontre de cette divinité, pourtant elle n'en voulait pas à son mari. Elle était fière de lui, car elle considérait que c'était un grand honneur pour lui d'avoir eu la chance de faire sa rencontre. De plus en observant chaque détail de son visage, elle se sentait rassurée de voir ses doutes disparaître petit à petit. Pourtant, elle savait que ce ne serait pas suffisant.

- Tu sais, reprit-elle en effleurant sa main de la sienne. Tu ne devrais pas t'en vouloir à ce point. Les choses étaient peut-être inscrites ainsi. Ton rôle n'était pas de sauver le roi, mais bien d'être présent pour cette enfant. Je suis persuadée que s'il te l'a confié, c'est par ce qu'il connaît ta valeur et tes compétences. Hogo, tu es un chevalier hors pair, un mari et un père aimant, un chef que l'on admire, mais derrière tout ça, tu es surtout un homme avec des failles. Alors malheureusement avec toute ta volonté tu ne peux pas tout régler. Alors, s'il te plaît cesse de t'accabler et soit fort pour elle. Ton rôle à présent est de la protéger, conclut-elle en portant sa paume à sa bouche pour déposer un baiser.

En relevant sa tête, un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres quand elle vit apparaître un sourire léger sur ses lèvres. Apaisée de le voir reprendre confiance en lui, son cœur se mit à battre fortement contre sa poitrine. Malgré cela, l'inquiétude restait gravée dans son cœur, car l'incertitude de la santé de la petite princesse lui rongeait les sangs. Pourtant, il fallait qu'elle croie en l'apothicaire, car il avait de nombreuses fois su trouver les problèmes de santé de ses enfants. Pourtant, il y avait une fois, et une seule, où malheureusement la science fut complètement inefficace.

Sa gorge se noua nerveusement, en songeant à ce triste souvenir, pourtant il ne fallait pas qu'elle se laisse aller. Les yeux clos, elle prit une profonde inspiration, cherchant ainsi à recentrer son esprit. Perdue dans l'obscurité, son ouïe fut soudainement attirée par le cliquetis d'une poignée qui l'obligea à rouvrir ses paupières. Ses iris se contractèrent aussitôt, afin de s'adapter à la nouvelle luminosité, lui permettant de distinguer les yeux vairons de l'apothicaire qui la fixait d'un regard sans vie. Pourtant malgré son opacité, elle savait que son attention était rivée sur elle.

- Vous pouvez entrer, invita le jeune homme de sa voix étouffée par le bout de tissu qui recouvrait ses lèvres.

C'est dans un silence total que Yana et son époux se jetèrent un regard inquiet, avant de suivre l'apothicaire dans la chambre qui avançait avec une telle grâce qu'il donnait l'illusion que ses pieds glissaient sur le sol. Arrivée à hauteur du lit, Yana ne put s'empêcher de poser son regard sur le visage endormi de la fillette. Déglutissant difficilement, elle serra nerveusement sa main dans celle de son époux qui tout comme elle ne semblait pas vouloir prononcer le moindre mot. À travers ce contact, elle pouvait sentir son pouls résonner au même rythme que le sien, tant leur inquiétude était équivalente.

- Comment va-t-elle ? osa enfin demander Hogo qui de par sa voix grave rompit le silence pesant qui régnait autour d'eux. Est-ce qu'elle va ?

Yana, dont les yeux suivaient du regard ses courbes juvéniles, put immédiatement constater que sa peau bien que d'une blancheur laiteuse, était parsemée de petit grain de beauté qui la rendait tout aussi jolie que sa défunte sœur. Ses longs cheveux châtains ondulant autour d'elle, lui donnait l'illusion de retourner dans des souvenirs d'enfance, faisant face à la mer dont les vagues dansaient sous les rayons du soleil.

- Non, répondit laconiquement l'homme dont les longs doigts fins suivaient avec légèreté les joues rondes de la princesse qui s'était teintée d'une coloration écarlate. Bien que son corps soit fort. Son esprit fragile l'a plongé dans un sommeil artificiel, tandis qu'il a réduit drastiquement sa température corporelle.

- Et que nous conseillez-vous ? intervint Yana dont la crainte venait de quitter son corps. Va-t-elle un jour quitter cet état ?

- Oui, répliqua-t-il dans un murmure. Bien que je ne connaisse pas la raison de cette armure mentale. Je suis totalement sûr que la chaleur sera le meilleur des remèdes. Bien sûr, je vous parle de celle du cœur, affirma-t-il en posant sa main contre sa poitrine.

Bien que surprise par sa réponse, Yana échappa un long soupir de soulagement, tout en reportant son attention sur le visage de son mari. Un léger rictus vint se peindre sur ses lèvres tandis qu'elle constata que les rides de son front étaient en train de s'adoucir.

- Mais peut-être sauriez-vous me dire quelle pourrait être la raison de son état ? reprit l'apothicaire qui retira ses mains du visage de l'enfant tout en reportant son regard vide sur Hogo.

Celui-ci prit une grande inspiration, alors qu'il fermait ses paupières, comme s'il cherchait à faire le point sur les événements passés. Laissant réapparaître ses iris d'un bleu glacials, il s'approcha du lit pour s'y installer. Dans un geste qui se voulait le plus délicat possible, il s'empara de sa petite main qu'il caressa de son pouce, alors que la tendresse se lisait dans son regard.

- Je crois que cette pauvre enfant a vu sa famille se faire massacrer sous ses yeux, déclara-t-il d'une voix douce à peine audible tant son inquiétude était grande.

À la révélation de son époux, elle ressentit une vive douleur traverser sa poitrine. Comme pour tenter de la soulager, elle posa sa paume au-dessus de son sein, à travers celle-ci elle ressentait les battements précipités de son cœur. Elle avait conscience que son époux l'avait trouvé au milieu de cadavre, mais jamais elle n'aurait pu imaginer que cette petite fille y avait fait directement face. D'une certaine manière, bien que ce soit leur première rencontre, elle avait l'illusion d'être proche d'elle de par leur expérience commune face à la mort d'un proche. Au fond d'elle, elle se demandait si cet amour maternel perdu ne pourrait pas les aider à se reconstruire mutuellement.

- Je vois, souffla tristement l'apothicaire qui reporta ses yeux éteints sur la fillette comme s'il la voyait distinctement. Je ne peux malheureusement plus rien faire pour l’aider. À présent, cela ne dépend plus que d'elle et surtout n'hésitez pas à suivre mes recommandations, ajouta-t-il en rangeant ses onguents dans ses petites sacoches de cuirs.

- Merci pour votre aide, salua Yana qui l'observa quitter la chambre dans une démarche tout aussi légère qu'à son arrivée.

Les yeux rivés sur la porte qui se referma devant elle, elle n'osa pas prononcer le moindre mot, alors que la respiration sifflante venait résonner à ses oreilles.

- La guerre est pourtant mon lot quotidien, déclara soudainement Hogo, obligeant sa femme à faire volte-face. Mais faire face à la mort du roi et aux cadavres de sa famille me fait bien plus de mal que n'importe quel massacre. Alors imaginer cette pauvre petite voir la mort en face, rend cela encore plus douloureux, admit-il en caressant la joue de la princesse.

Yana, touchée par la sensibilité de son époux, s'approcha de lui et posa délicatement sa main sur son épaule.

- Je suis vraiment désolé de te faire subir une telle contrainte, alors que j'ai conscience que ton cœur est encore endeuillé. Mais je te supplie humblement de me laisser prendre soin d'elle, implora-t-il en posant ses yeux sur elle, tout comme sa main sur la sienne.

- Nul besoin de me demander ma permission, car ma décision est déjà prise. Il est hors de question que j'abandonne notre princesse à son triste sort. Et surtout, il n'est pas question que je la confie à ses vieux séniles de ministres, s'agaça-t-elle en songeant à eux. Et je ne veux pas imposer une charge supplémentaire à notre nouveau roi, ajouta-t-elle en pensant au poids qui incombait désormais sur ses épaules d'à peine 17 ans. D'ailleurs ne serait-il pas temps de lui annoncer la nouvelle ? Il doit attendre avec impatiente une lettre de la part de ses parents. Nous ne pouvons pas ne pas le lui annoncer.

À peine prononça-t-elle ses mots qu'un hoquet de surprise s'échappa de ses lèvres quand elle sentit les doigts de son mari se refermer nerveusement contre les siens. Intriguée par sa réaction, ses yeux vinrent se poser sur les muscles de son visage qui se contractait si durement que ses pommettes en devenaient proéminentes. Inquiète de le voir réagir ainsi, elle tendit sa main libre sur sa joue, où elle pouvait sentir sur la pulpe de ses doigts, le poil rugueux de sa barbe, pourtant cela ne l'empêcha pas de caresser sa peau nue avec délicatesse.

- Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle curieuse. Tu sais que tu peux tout me dire.

- Pardonne-moi, sourit-il en déposant un baiser au creux de sa paume qu'il avait porté à ses lèvres. Je songeais aux derniers mots que m'a adressés le roi. Il m'a fait une étrange requête. Je crois que je ne dois pas lui annoncer sa survie. Mon devoir n'est pas que de prendre soin d'elle et de la protéger, mais aussi de la cacher. Et de plus, il ne semblait pas accorder la moindre confiance à l'égard de son fils.

- Effectivement, c'est très étrange, songea-t-elle en fronçant nerveusement les sourcils. Dans ce cas, nous n'avons pas d'autre choix que de répondre à ses attentes,conclut-elle en reportant un regard intrigué sur la fillette qui dormait toujours profondément.


Texte publié par Lolie, 30 septembre 2023 à 17h21
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