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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Hogo, assis devant son grand bureau de bois blanc richement sculpté d’ours, jouait nerveusement du bout des doigts avec sa courte barbe grisonnante. Ses yeux gris cendré, encadrés de fines rides qui témoignaient de ses longues heures de travail, étaient fixés sur un en particulier parmi des dizaines d’autres qui attendait également son attention. La lueur tamisée de la chandelle apposée sur le bois verni éclairait délicatement le parchemin qui reposait sur un tapis d’un bleu céruléen brodé de fil d’or, représentant les armoiries de la famille. La flamme oscillait faiblement au rythme des crépitements du feu dans l’âtre, créant des jeux d’ombre et de lumière feutrée. Pourtant il distinguait parfaitement les lettres minutieusement calligraphiées qui formaient des boucles parfaites, conférant une prestance officielle à ce contrat de mariage.

Lorsqu’il prit la feuille au creux de ses mains, il ressentit un poids peser sur ses épaules, comme si une charge lourde lui incombait dorénavant. Il la lut et relut un nombre incalculable de fois, malgré cela, la solution ne semblait pas venir d’elle-même.

Prenant une profonde inspiration, une douce odeur de miel que dégageaient les bougies disséminées tout autour de lui s’insinua dans ses narines. Troublé par cette fragrance sucrée, il détourna son attention du document et la reporta sur l’immense tableau qui trônait majestueusement au-dessus de la large cheminée de pierre. Un sourire heureux se peignit sur ses lèvres quand ses yeux croisèrent ceux de sa femme, dont le peintre avait su parfaitement retranscrire leur clarté naturelle, tandis que le bois pailleté du cadre ravivait leur intensité.

Un soupir d’aise s’échappa de sa poitrine, alors qu’il admirait le charme de son visage harmonieux et de ses traits délicats. Sa femme était véritablement la plus belle qu’il n’ait eu jamais la chance de rencontrer. Il se sentait véritablement heureux de vivre avec elle un amour fusionnel, bien que leur mariage ait été arrangé sans qu’ils aient vraiment leur mot à dire.

C’était la raison principale qui le faisait douter sur le choix de l’un de ses fils. Reportant son attention sur le plus grand des trois, son esprit se mit à tourner telle la roue d’un moulin.

- Mency, murmura-t-il pour lui-même.

Il était de loin le plus apte à prendre son rôle de gendre de la famille royale. À 16 ans à peine, il le savait déjà apte à devenir le chef de famille. Il n’y avait pas meilleur épéiste, ni archer dans tout le royaume. Il était l’un des meilleurs combattants au corps à corps, ce qui faisait de lui un adversaire redoutable.

Alors pourquoi doutait-il autant ? Peut-être justement à cause de cet aspect de sa personnalité. Il n’y avait que son devoir qui comptait et Hogo craignait qu’à cause de cela, il rende la princesse malheureuse. Cela, il en était hors de question.

Reportant son attention sur son benjamin, de nouveaux questionnements s’immiscèrent en lui.

- Tehod, prononça-t-il à mi-voix.

Il était fait du même bois que son frère, bien qu’il ne fût pas le meilleur en activité physique, il avait un talent certain pour l’analyse des situations et pour les stratégies. Malheureusement, sa passion des livres et des études le rendait solitaire et peu enclin à communiquer avec les autres. Il serait peut-être un atout important pour le roi, mais un mari ennuyeux.

Il refusait que cette princesse, dont son suzerain lui faisait l’honneur d’offrir sa main, soit triste et malheureuse à cause du comportement égoïste de ses fils.

À cette pensée, son regard se reporta sur le portait de son cadet.

- Ferdan, souffla-t-il emplit de doute.

Il était celui qui égayait leur journée, il était toujours de bonne humeur, bien que parfois il pût être espiègle. Il était le plus apte à donner un sourire permanent à la princesse. Mais ce qui le faisait douter sur ce choix était qu’il n’avait aucune motivation pour les activités physiques et intellectuelles. Un tempérament qui faisait de lui le maillon faible dans cette famille de chevalier depuis plusieurs générations.

Un soupir de frustration s’échappa de ses lèvres, lorsqu’il reporta son attention sur le parchemin, où l’emplacement de l’époux restait désespérément vide. Il n’arrivait vraiment pas à faire le choix adéquat. Et à mesure que l’arrivée de la famille royale approchait, son inquiétude était grandissante. Il devait donc à présent faire un choix.

Alors qu’il reposait la feuille sur le tapis, pour prendre sa décision, un cri perçant attira son attention. Il remarqua un grand oiseau à l’étrange plumage cuivré et argenté qui était venu se poser sur le perchoir à pigeon. Les yeux écarquillés, il réalisa qu’à cause du froid hivernal aucune des grandes fenêtres n’était ouverte. Alors comment cet animal avait-il pu pénétrer dans cette pièce ?

En observant méticuleusement sa silhouette, il réalisa que sa queue de plumes argentés qui brillait d’un éclat féerique sous l’ondulation des flammes. Elle était tellement longue qu’elle jonchait le sol de pierre. Sa tête aux couleurs d’or lui conférait une allure divine avec ses longues plumes rouges torsadées qui tombait en cascade autour de ses yeux et de son bec fin.

Hogo comprit alors qu’il ne s’agissait pas d’un simple oiseau, mais du légendaire messager des dieux. Surpris par l’honneur qu’on lui accordait, l’homme se leva de sa chaise et traversa la pièce à pas feutrés, de crainte de le faire fuir. Inquiet de découvrir la teneur du message, il pouvait entendre son cœur résonner dans ses oreilles.

Arrivé à proximité du perchoir, il observa plus attentivement l’oiseau qui bien qu’il fît osciller son cou, gardait une allure majestueuse. Déglutissant avec peine, il prit le courage de tendre sa main vers l’oiseau qui tel un animal domestique nicha sa tête au creux de sa paume. Submergé par la douceur sans pareille de ses plumes, il y glissa machinalement ses doigts. Cette sensation était si agréable qu’il ne prit même pas conscience que l’un de ses yeux vert-cyan s’était fixé aux siens, avant de s’insinuer dans son âme.

Pourtant cette délicieuse plénitude s’effaça pour faire place à l’horreur et au carnage. Il ne savait pas comment expliquer ce qu’il venait de voir apparaître dans son esprit, mais il venait de comprendre la gravité de la situation. Il ne distinguait que les visages pleins d’effrois de la famille royale, faisant face à de sombres créatures informes. Des cris d’agonies venaient résonner à ses oreilles, alors que sa vision était en train de se teinter d’un rouge sang, avant que celles-ci ne cessent subitement.

Retrouvant soudainement sa place au milieu de sa bibliothèque, il tomba à genoux, reprenant péniblement son souffle, alors que la sueur perlait sur ses tempes. Relevant son regard vers l’oiseau, il remarqua qu’une larme unique s’échappa de son œil qui finit sa course sur son poing serré. La rage s’insinua profondément en lui en observant les larges ailes du messager se déployer, avant de le voir s’envoler avec grâce au-dessus de sa tête. Sa trajectoire circulaire fit soudainement apparaître un éclat magique d’où il disparut instantanément, laissant son cri perçant résonner comme un écho.

Plein de rage envers lui-même, Hogo se releva et se dirigea vers son râtelier, où il se saisit de son épée bâtarde. La tenant vigoureusement en main, il ouvrit la porte dans un grand fracas et s’élança à l’extérieur. Il fit face à une sentinelle qui alertée par le bruit, accourut aussitôt.

- Donne l’ordre aux hommes de se tenir prêt. Nous partons sur l’heure, ordonna-t-il de sa voix la plus grave et autoritaire. Préviens Mency et fais sceller mon cheval, ajouta-t-il avant de laisser l’homme remplir sa tâche.

Sur ses mots, il se dirigea vers sa chambre où il s’empara de sa brigandine, qui bien que rigide à cause du cuir, était beaucoup plus légère qu’une armure de métal. De plus, il pouvait ainsi se couvrir d’une tunique en lin bleu nuit, arborant les armoiries de sa famille sur la poitrine tissée de fils noir, or et bleu-turquoise.

Il était sur le point d’attacher son épée à sa taille, lorsque la porte s’ouvrit brusquement. Le regard d’Hogo se posa sur le visage inquiet de son épouse. Ses yeux qui d’ordinaire étaient pétillants de malice s’étaient voilés d’incertitude.

- Que ce passe-t-il, mon ami ? interrogea-t-elle en s’approchant de lui.

Arrivé à sa hauteur, un délicat parfum de fleur blanche, lui fit se rappeler les promenades dans les jardins réchauffés par le soleil de printemps. Sa douce main posée sur la sienne l’aidait à calmer la colère qui le consumait.

- J’ai reçu la visite d’un messager des dieux, expliqua-t-il posément. La famille royale est en grand danger, répondit-il à sa question silencieuse. Et je me dois d’aller lui porter secours.

Le regard effrayé que Yana porta sur lui confirma sa résolution de partir les retrouver. Le sourire aux lèvres, il y porta sa main pour y déposer un baiser.

- Ma dame, je vous promets que je les ramènerais sain et sauf, jura-t-il en resserrant l’étreinte de ses doigts contre les siens.

Se détachant à regret de son visage charmeur, il attrapa son carquois et son arc qu’il glissa sur son épaule. Prenant une profonde inspiration, il laissa ainsi son épouse derrière lui avant de quitter la chambre.

Le cœur battant d’appréhension, il descendit le long escalier de pierre, au pied duquel l’attendait déjà son fils aîné. En posant son regard sur lui, un sentiment de fierté gonfla sa poitrine.

Mency était vraiment son digne héritier, avec sa taille haute et ses yeux cristallins qui ne laissaient rien paraître de ses sentiments. Il avait face à lui le soldat parfait qui ne craignait en rien d’aller se battre pour protéger les faibles.

Dès qu’il descendit la dernière marche, il posa vigoureusement sa main sur son épaule. À travers ce geste, il voulait partager son courage, bien qu’il ne semblât pas lui en manquer.

- La garnison est prête, informa Mency qui se tenait debout la tête haute. Et votre cheval vous attend dans la cour.

- Parfait, souffla-t-il en poussant vigoureusement les deux lourdes portes de bois.

Son visage fut aussitôt frappé par une bourrasque gelée, qui tout comme des aiguilles, venait transpercer sa peau. Étant habitué par la rugosité de l’hiver, il referma d’un coup sec sa cape de hermelijne, avant de grimper sans difficulté sur son cheval.

La tête haute, il tapota l’encolure de son odinstreit où sa main s’enfonça dans son épais pelage noir. Faisant glisser ses doigts jusqu’à sa longue crinière grise qu’il ajusta sur le haut de ses cuisses pour protéger ses muscles du froid intense, durant le trajet.

Les rênes bien au creux de ses paumes et ses pieds parfaitement calés sur ses étriers, il encouragea sa monture à faire face à la dizaine d’hommes qui se tenait prêt pour le grand départ.

- Noble chevalier, clama-t-il pour porter sa voix au-delà du souffle venteux qui sifflait à leurs oreilles. Notre roi et sa famille courent un grave danger. En tant que noble chevalier de la couronne, il est de notre devoir de lui porter secours. Je vous sais assez vaillant pour affronter cette tempête. Je ne peux malheureusement pas vous promettre que vous rentrerez chez vous, mais votre nom sera glorifié et sera gravé sur la pierre de Nådestele, lui permettant de rejoindre les dieux. Êtes-vous prêt ?

Leur réponse ne se fit pas attendre, car une clameur exaltée résonna dans la pénombre du soleil couchant. Hogo se sentait fier d’avoir une telle confiance de la part de ses soldats. Il les savait capables d’affronter mille dangers pour accomplir leur devoir, c’est pour cela que la perte de l’un d’entre eux était comme un déchirement. Mais comme chaque fois, il priait le Dieu Tyrvald, le Protecteur des chevaliers qui même après leur mort, trouverait leur place à ses côtés.

Galvanisé par leur courage et leur loyauté, il talonna les flancs de son cheval qui se lança à vive allure à travers les bois sinueux de son domaine. Malgré leur course effrénée, il pouvait entendre leur pas lourd craquer sur la neige fraîche, alors qu’ils slalomaient entre les grands arbres blancs aux feuillages turquoise. Un vent glacial s’infiltra à travers les branches, venant faire virevolter leurs cheveux et leurs capes. Hogo, ne pouvant plus supporter cette glace qui commençait à se former sur ses oreilles, rabattit sa capuche doublée en poil d’ours sur sa tête.

Ses yeux, la seule partie de son corps mise à nu, fixaient péniblement le chemin, alors que des flocons de neige venaient se coller à ses cils. Pourtant, malgré ce fin brouillard blanc, il aperçut enfin les éclats argentés du lac Innsjø. Un fin sourire effleura son écharpe de laine, alors que l’arcade se profila devant eux.

Chaque fois qu’Hogo devait passer par cette arche, il était fasciné par le talent des artisans célestes. Elle avait une forme demi-sphérique qui se reflétait dans l’eau tel un miroir réalisant un cercle parfait.

Il réduisit l’allure de son cheval qui releva l’une de ses pattes, comme une chorégraphie légère. Avec la même lenteur, il la reposa sur la surface de l’eau qui se troubla. Aussitôt, elle se mit à bouillonner, éclaboussant le pelage de l’animal, tandis qu’une plateforme émergea.

Les chevaux, bien qu’habitués à cette magie, émirent à l’unisson des soufflements. Les hommes les guidèrent aussitôt sur la dalle de pierre, jusqu’à atteindre l’arche où un voile trouble apparut.

Hogo s’engagea à travers, laissant le halo translucide caresser son corps d’une chaleur réconfortante. Il ouvrit les yeux en grand quand le froid ambiant s’atténua, découvrant un paysage à couper le souffle. Un profond ravin s’étendait devant eux, où en contrebas serpentait une rivière d’un bleu cristallin, enveloppé d’une végétation endormie.

Connaissant cette vue par cœur, Hogo s’en détourna et lança sa troupe sur le chemin sinueux. Il rebâtit sa capuche, réalisant que la tempête qui s’était levée au-dessus de ses terres avait complètement disparu. Il lui permit d’observer son fils qui galopait à ses côtés. Il avait une fière allure avec ses longs cheveux châtains qui flottaient sous l’effet de la vitesse. Ses yeux ne rencontrant pourtant pas les siens, il ressentait parfaitement sa détermination. Ses doigts étaient fermement sur ses rênes, alors que sa mâchoire carrée se contractait nerveusement.

Hogo, tout aussi déterminé que son fils, poussa sa monture dans un galop périlleux, frôlant le bord de la falaise. Heureusement, ils connaissaient, chaque virage, chaque rocher qui se dressait devant eux.

Pendant plusieurs heures, le trajet se passa sans encombre, jusqu’à ce que leur troupe se stoppe devant une plaine noircie par la nuit. La boule au ventre, Hogo observa les ombres mouvantes des étendards déchirés qui flottaient au vent. Un frisson glacé coula le long de son dos, lorsqu’un sifflement résonnant en écho parvint jusqu’à ses oreilles.

Se tournant vers ses hommes et son fils, il pouvait lire l’angoisse sur leur visage. Chacun d’entre eux connaissait la réputation de cet endroit, y étant passé à de nombreuses reprises. Pourtant, ils n’avaient d’autre choix que de la traverser.

- Que Tyrvald nous protège ! murmura Hogo brandissant une torche qu’il venait d’allumer.

Galvanisé, il poussa son odinstreit vers l’avant écrasant des herbes mortes qui crissaient sous les sabots. La flamme, dirigée vers l’avant, illuminait faiblement son trajet, le rendant encore plus incertain qu’en plein jour. Déglutissant fébrilement, il entendait clairement des mouvements inquiétant tout autour d’eux.

Il savait à présent que leur présence avait été perçue.

Si au contraire d’Hogo et de ses hommes, on ne connaissait pas les lieux, on avait vite fait de prendre une mauvaise décision, en partant au galop. Mais eux, qui passaient régulièrement par cette plaine, avaient pris l’habitude de faire marcher leurs chevaux au pas, pour faire le moins de bruit possible.

Réalisant qu’en ce jour, leur prudence n’avait pas porté leur fruit, Hogo retint son souffle lorsqu’un craquement sinistre résonna à leurs oreilles. Stoppant son cheval, un nouveau silence se répandit autour d’eux, les obligeant à se rapprocher les uns des autres. Ils étaient à présent en formation de manière à être à la fois le bouclier et l’épée de leur camarade.

- Restez bien groupé ! ordonna Hogo qui n’avait plus aucune raison de rester silencieux.

Sa torche réunie avec les autres forma un halo de lumière, leur offrant plus de visibilité. Posant leur main libre sur la garde de leurs épées, seul leur souffle saccadé résonnait dans l’air, car même les animaux nocturnes s’étaient tus.

Hogo, son corps tendu de nervosité, sortit son arme qui s’entrechoqua à deux immenses crochets. Grâce à la lumière vacillante qui les enveloppait, il fit face à une mâchoire disloquée qui tenta de lui avaler le bras. Heureusement pour lui, sa dextérité et son habileté, lui permirent de contrer la créature dont le corps et la tête tranchés tombèrent lourdement au sol. Déglutissant péniblement, il attendait avec inquiétude la prochaine attaque qui viendrait sur lui, tant l’agitation ambiante était pesante sur ses nerfs.

Une douleur vive frappa son cœur quand le hennissement plaintif d’un cheval et le cri agonisant de l’un des siens atteignirent son ouïe. Inquiet de découvrir qui pouvait être la malheureuse victime, il tourna vivement sa tête en direction de sa troupe. Un faible soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres quand il vit la silhouette guerrière de Mency. Il était toujours là à ses côtés, combattant vaillamment les skuggis qui les encerclaient, protégeant ses alliés et lui-même. Malheureusement, il ne put que constater qu’à regret que deux jeunes nouvelles recrues venaient de disparaître dans la sombre obscurité. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de partir à leur recherche, mais il savait qu’il n’y avait plus aucun espoir pour eux. Il devait rester là au côté des vivants pour s’assurer qu’il n’arriverait pas un autre malheur.

Le hennissement plaintif de son cheval qui se cabra, lui fit apercevoir une silhouette visqueuse et sinueuse qui glissait entre leurs pattes, suivit par de nombreux autres, lui donnant l’illusion qu’une créature plus grande encore s’attaquait à eux.

Il contracta ses doigts, maintenant fermement son épée et sa torche, ses seules planches de salut, alors qu’il pouvait entendre son sang frapper contre ses tempes. Décidément, il détestait vraiment ses créatures, elles étaient vraiment vicieuses et attaquaient quand on ne les attendait pas.

Un écho de sifflement se fit entendre, lui signifiant que plusieurs serpents géants allaient se jeter sur eux. Se moquant bien de la prudence dont il avait fait preuve jusque là, il talonna son cheval qui galopa à vive allure.

- Fuyons ! cria-t-il de tout son souffle, intimant l’ordre à sa troupe de le suivre.

Il savait que cela était l’apanage des chevaliers, mais c’était la meilleure décision à prendre, car bien que les skuggis eussent une vitesse impressionnante, il ne rivalisait pas avec celle de leurs chevaux. En prenant cette décision, il ne pensait qu’à une chose, garder le maximum de personne en vie, car s’ils restaient statiques leur fin serait imminente.

La respiration haletante, Hogo fixait droit devant, alors que sa monture se dirigeait vers l’orée de la forêt. Pourtant son ouïe s’était focalisée sur le pas des chevaux de ses compagnons qui de temps à autre, étaient interrompus par le sifflement des épées. Lui-même à plusieurs reprises dut échapper aux mâchoires immenses qui se jetaient sur lui.

Fermant les yeux, en un bref recueillement, Hogo talonna plus fort les flancs de son cheval qui intensifia sa course. Enfin, il arrivait en sécurité. La forêt de Tidlovar était une terre d’asile, où aucune créature monstrueuse ne pouvait fouler le sol. Stoppant la course de son cheval, il tourna son regard sur la plaine, où des torches vacillantes brisaient l’obscurité. Priant intérieurement pour qu’aucune autre ne s’éteigne, il les fixait à tour de rôle jusqu’à ce qu’une silhouette équestre lui parvienne enfin.

La boule d’angoisse qui contractait son ventre s’amenuisait à mesure que ses compagnons arrivaient à ses côtés. Pourtant, celle-ci ne se résorba pas instantanément, car Mency manquait toujours à l’appel.

- Mency ! cria-t-il inquiet de voir sa torche immobile.

Le manque de réponse de sa part ne faisait qu’accroître son angoisse. Le cœur battant et malgré les protestations de ses gardes, il s’engagea à nouveau dans la plaine. Dépourvu de son arme qu’il avait rangée dans son fourreau, il trottina avec lenteur, balayant son environnement de son regard.

Les lèvres nerveusement coincées entre les dents, l’inquiétude grandissait dans sa poitrine, appuyant lourdement sur son cœur. Pourtant, il ne voulait pas abandonner sa recherche et cela même si les mouvements sinueux des skuggis se rapprochaient de lui.

Ressentant à présent une aura sombre l’envelopper, il regrettait d’avoir été aussi imprudent. Il avait conscience que la créature qui se tenait debout sur ses anneaux ne lui laisserait cette fois-ci aucune chance de sortir son épée. C’est donc avec beaucoup de regret et la tête haute qu’il attendait l’attaque finale.

- Père ! entendit-il subitement hurler, alors que la course effrénée d’un cheval se rapprochait de lui.

Une silhouette sortie de la noirceur de la nuit se plaça entre lui et le serpent géant. La lame argentée de son fils brillait avec un faible éclat sous la lumière de sa torche. Pourtant, elle emplissait son cœur de joie, surtout lorsque la créature trop impatiente s’empala sur elle, la ternissant de son sang.

- Venez père. Ne perdons pas de temps, encouragea Mency qui voyant son inactivité s’empara de ses rênes.

Hogo qui retrouvait ses esprits adressa un large sourire à son fils, avant de reprendre le contrôle de sa monture.

Dès qu’ils furent en sécurité, il descendit de son cheval et accourut vers Mency qui avait fait de même. Ses bras s’enroulèrent le plus naturellement autour de son corps, le serrant fermement contre sa poitrine.

- J’avais cru t’avoir perdu, souffla-t-il en caressant doucement le haut de son crâne. Où étais-tu ? interrogea-t-il en l’écartant de lui, fixant avec intensité les courbes de son visage.

- L’un de ses monstres a fait tomber ma torche, expliqua-t-il en présentant la plaie ouverte sur son avant-bras. Leur crochet est puissant, ils ont même réussi à déchirer mon manteau. Heureusement pour moi qu’ils ne sont pas porteurs de venin, souffla-t-il en jouant avec le tissu en lambeaux. C’est grâce à ta voix que j’ai pu retrouver le chemin, sourit-il en serrant la tunique de son père entre les doigts.

Hogo, tapotant délicatement l’épaule de son fils, se retourna aussitôt vers la plaine. Entendant toujours le sifflement des serpents, il s’agenouilla et posa son front sur l’herbe verte et vivante de cette terre d’asile, aussitôt imité par ses compagnons.

- Ô dieu Tyrvald, nous t’implorons de prendre sous ton aile, ses guerriers qui sont morts avec honneur. Qu’il reçoive votre bénédiction. Idittnavn, prièrent-ils en cœur, avant de se relever.

Sans un mot supplémentaire, les hommes remontèrent à cheval et s'engagèrent sur un chemin bordé de fleurs. La douce chaleur printanière s'insinua sur eux à travers les branches des arbres couverts de feuillage. Ils déposèrent leur cape sur le dos des animaux, alors que les lucioles aux couleurs multiples flottaient dans l'air, éclairant leur route. À mesure qu'ils s'éloignaient des sifflements, ils avaient l'illusion d'entendre des murmures qui ressemblaient à des pleurs.

Déglutissant péniblement, Hogo resserra nerveusement ses doigts autour de ses rênes, alors qu'il prenait peu à peu conscience que son aide ne serait peut-être plus de rigueur. Pourtant, il croyait en son roi et sa garde d'élite qui saurait faire face à n'importe quelle menace.

Alors qu'ils continuaient leur avancée, une petite boule de lumière attira l'attention d'Hogo. Celle-ci se posa sur le crâne de son cheval, faisant apparaître une magnifique petite créature au corps élancé, dont les quatre ailes translucides brillaient comme des diamants. Ses cheveux blonds, noués dans une tresse fleurie, tombèrent à ses pieds nus quand elle lui adressa une révérence gracieuse.

- Gardiens, protecteur fidèle à l’élu des dieux. Nous rendons grâce à vos compagnons perdus. Nos prières sont avec vous, murmura la voix douce et chaleureuse de la petite fée.

- Je vous remercie infiniment, répondit Hogo qui inclina sa tête. Que puis-je pour vous ?

- Notre roi est furieux que sa forêt sacrée ait été profanée. Il vous demande humblement de retrouver les responsables. Vous qui avez été choisi par lui.

- J’accepte avec plaisir, affirma l’homme qui s’inclina honoré de la confiance accordée par ce roi millénaire. Puis-je en contrepartie, vous transmettre ma requête ?

La petite créature qui descendit avec grâce le long de la crinière faisait papillonner ses ailes en une délicieuse mélodie. Hogo émerveillé par sa beauté enchanteresse tendit sa paume vers elle, où elle monta. L’homme ressentait une douce caresse effleurer sa peau à chacun de ses pas.

- Pouvez-vous simplement me guider à travers votre demeure ? Je suis à la recherche de notre roi.

Un regard triste apparut sur le visage juvénile de la fée qui ferma les yeux, avant de quitter la paume d’Hogo. Son absence de réponse ne dissuada pas l’homme de poser son regard sur la boule de lumière qui virevoltait dans les airs, avant de s’engager sur le chemin.

Hogo et ses soldats lancèrent leurs chevaux au galop, suivant la créature qui les guidait. À chacun des pas précipités de l’animal, il sentait son cœur résonner à ses oreilles, priant pour qu’il ne soit pas trop tard. Suivant toujours la fée des yeux, il remarqua devant lui une étrange clairière qui baignait dans l’obscurité. Il réduisit sa course sous la désapprobation de sa monture, avant d’en descendre.

Prenant une profonde inspiration pour calmer ses inquiétudes, il y pénétra. Dès qu’il posa le premier pas, des flammes bleutées, vermillon et jaunâtres apparurent soudainement. L’ambiance sombre laissa place à une atmosphère triste, mais enchanteresse.

- Vos amis sont venus pour vous accueillir, expliqua à voix haute la petite fée qui n’avait pas pénétré dans cette terre profanée.

Hogo, ouvrant de grands yeux ronds de stupeur, observa l’une des flammes vaporeuses et remarqua une forme à ses côtés. S’approchant avec prudence, il réalisa qu’il s’agissait d’un corps dont les organes internes avaient totalement disparu. Étant habitué aux batailles sanglantes, il ne réagit pas, mais ce ne fut pas le cas, pour ses jeunes recrues qui avait suivi son exemple, déversant ainsi le contenu de leur estomac sur le sol.

- Cherchez Sa Majesté ! ordonna-t-il en se relevant après avoir clos les paupières du cadavre. Il faut les retrouver, murmura-t-il pour lui-même.

À son tour, il s’empressa de rejoindre chaque flamme qui comme il le supposait, représentait l’âme des défunts. Les rejoignant les unes après les autres, il tomba avec effrois sur le haut du corps de la princesse Hérais. Il tendit sa main vers sa longue chevelure blonde qui d’ordinaire si éclatante, était assombrie par le sang. Son teint de pêche avait laissé place à une pâleur cadavérique, pourtant sa beauté naturelle transcendait la mort. Une larme roula doucement sur sa peau, venant se perdre dans sa barbe, tandis que du bout des doigts, il referma ses yeux.

Ne pouvant malheureusement rien faire de plus pour elle, il la laissa se reposer, jusqu’à ce qu’un cri attirât son attention. Il reporta aussitôt son regard sur deux de ses hommes qui le fixaient empli de chagrin.

La gorge nouée, il avança vers les deux corps fermement entrelacés et découvrit avec horreur le jeune prince Thiemos dont la peur était gravée sur ses traits fins. Alors que le second corps était difficilement reconnaissable, à cause de l’absence de tête. Hogo reconnut immédiatement la reine Arnfried qui comme la mère qu’elle était, avait protégé son fils.

- Avez-vous trouvé la princesse Aldna, ou bien même le roi ? interrogea-t-il en balayant la plaine du regard.

- Non, seigneur, répondirent les soldats les un après les autres.

Le chagrin qu’il ressentait en ce moment se mua en une colère sourde. Les poings serrés et la mâchoire contractée, il arpentait, d’une démarche lourde, le sol jonché de cadavres. Continuant à les observer, un écho vint résonner à ses oreilles. Se tournant pour en découvrir l’origine, il découvrit la silhouette de Mency qui sortait d’un petit chemin de terre, dont il n’avait pas remarqué la présence.

- Suivez-moi, père, imposa le jeune homme qui le souffle court attrapa sa tunique.

Hogo, bien que surpris, se mit à suivre son fils à grande enjambée dans les méandres de la forêt. Au bout de quelques minutes de course, ses yeux s’écarquillèrent en grand devant la scène qui s’offrait devant lui.

- Majesté, prononça-t-il syllabiquement en s’adressant à l’homme avachit devant une tombe où reposait une femme d’une grande beauté.

Il reçut pour seule réponse un souffle éraillé, où tentait de s’échapper un fragment de voix. Son cœur se mit à battre précipitamment au rythme de ses enjambées. Arrivé à côté du roi, il s’agenouilla pour relever délicatement du bout des doigts la tête de son souverain. Il déglutit péniblement lorsqu’il croisa son regard dont ses iris d’ordinaire rayonnants d’un bleu azur s’étaient voilés d’opacité. Il se mordit la joue d’impuissance quand un sourire ensanglanté s’adressa à lui.

- Hogo, prononça Renmisle la respiration sifflante.

- Ne parlez pas ! ordonna-t-il en attrapant fermement la main faible qu’il lui tendit. Mency! Va chercher des bandages, cria-t-il resserrant l’étreinte de ses doigts.

Hogo, dont l’attention était brièvement captivée sur son fils, reporta aussitôt ses yeux sur le buste du roi. Relâchant fébrilement sa main, il la fit la poser délicatement sur la plaie ouverte dont on pouvait distinguer les entrailles. Il laissa ainsi son gant absorber le liquide aqueux qui se déversait inlassablement hors de son corps.

- Mon ami, articula péniblement Renmisle, tandis qu’il laissa tomber sa tête sur l’épaule d’Hogo. Je sais que ma fin est proche, toussa-t-il difficilement. Ne m’interromps pas, je te prie. Tu es à la fois un ami fidèle et un général de talent, sourit-il alors qu’un filet de sang s’échappait de ses lèvres. Je te confie mon bien le plus précieux. Ma fille Aldna.

- Elle est encore en vie ! s’exclama-t-il surpris, alors que son regard était à la recherche de l’enfant.

- Oui. Et je veux qu’elle le reste. Alors, cache-la et protège-la, implora-t-il les larmes se mêlant à l’hémoglobine. Tu es le seul en qui j’ai réellement confiance.

- Et Dallenan ?

Hogo qui ne comprenait pas cette absence de réponse, plongea son regard sur son visage pâle et vit un sourire empli de tristesse se figer sur ses lèvres.

- Promets-le, demanda-t-il alors que le souffle commençait à lui manquer.

- Je te le promets, sanglota-t-il tout en observant son faible bras se tendre indiquant une ultime direction, avant de lourdement s’écrouler.

Les yeux clos et les lèvres pincées, il ne pouvaitm pas accepter cette situation. Mille et un scénarios fusaient dans sa tête. Pourquoi n’était-il pas arrivé plus tôt ? Pourquoi n’avait-il pas fait le trajet avec eux ? Aurait-il seulement été capable de les protéger ?

La gorge nouée, il était furieux contre lui-même. Martelant avec colère son poing contre le sol, il recevait des éclaboussures de sang qui atterrirent sur son visage ruisselant de larmes.

- Pourquoi ? cria-t-il pour expulser son chagrin.

Une douce chaleur réconfortante se propagea en lui, tandis qu’une tête se posa délicatement sur son épaule. Tournant son visage, il découvrit les yeux d’encouragement de son fils, auxquels il répondit par une tape affectueuse sur son avant-bras. Il se releva aussitôt, essuyant du revers de sa manche son visage humide. Sans un mot, il s’écarta de son roi et se dirigea vers l’emplacement qu’il lui avait indiqué dans un ultime effort.

- Que faites-vous père ? interrogea Mency, le suivant de près.

Sans un mot, Hogo traquait le moindre signe qui lui révélerait la présence de la princesse. Son rythme cardiaque pulsant contre sa poitrine, il n’avait qu’une hâte, retrouver cette enfant qu’il protégerait au péril de sa vie.

À mesure que ses pas le rapprochaient de sa destination, il eut la sensation qu’une douce chaleur réconfortante les enveloppait. Une étrange forme blanche attira particulièrement son attention. Avançant à tâtons vers celle-ci, il eut l’étrange surprise de découvrir la fillette dormant paisiblement sur un tapis d’herbe verte. Elle était enveloppée par plusieurs queues immaculées avec pour seul motif de couleur, une pointe aussi noire que la nuit sans étoiles. Leur propriétaire n’était nul autre qu’un majestueux renard dont la tête reposait tel un gardien sur le corps de l’enfant.

Ses yeux s’écarquillèrent de stupeur lorsque l’animal releva la tête, le fixant de ses pupilles d’un orange flamboyant, aussi intense qu’une flamme. La sensation qu’il ressentit à ce moment lui fit à nouveau prendre conscience qu’il faisait face à une divinité et l’une des plus importantes de ce royaume. Il comprenait à présent pourquoi ce lieu n’était pas plongé dans l’obscurité. Il s’agissait tout simplement de l’aura du dieu Shinjù qui agissait tout autour de lui.

Hogo, posant un regard entendu à l’encontre de son fils, s’agenouilla avec déférence devant l’être suprême qui avait d’après la légende, foulé cette terre il y a plus de trois mille ans.

- Ô dieu de miséricorde. Nous nous inclinons humblement devant vous. Votre présence nous honore et nous emplit de joie. Veuillez nous accorder votre bénédiction et ainsi nous confier la sécurité de cette enfant. Il en va de la promesse faite à son défunt père.

Le regard toujours rivé sur le sol, Hogo attendit patiemment le moindre signe du renard Céleste. Ce fut le bruissement sur l’herbe fraîche qui attira son attention, pourtant il n’osa pas faire le moindre geste. Il n’eut pas d’autre choix que de relever son regard, lorsqu’il ressentit une légère pression sur l’une de ses mains. Les yeux écarquillés, il constata que le dieu venait d’y poser l’une de ses pattes, alors que sa tête se balançait par intermittence de gauche à droite, tandis que ses yeux venaient accrocher les siens. Hogo le cœur battant, vit la divinité réduire la distance entre leur tête, avant que la douce chaleur de son pelage ne vienne effleurer sa joue.

Comprenant que sa confiance venait de lui être accordée, il observa du coin de l’œil la fourrure blanche du renard qui étincelait de mille éclats. Un sourire se peignit sur ses lèvres, en réalisant que Mency avait eu droit au même gage.

Avec la plus grande des délicatesses, il se leva tout en observant les queues se soulever une à une, laissant apparaître le corps de la fillette, simplement vêtu d’une longue chemise blanche. Son cœur se mit à battre précipitamment, lorsque ses doigts vinrent effleurer ses joues rondes où sa chaleur de vie irradiait.

- Mency, va me chercher un manteau ? Demanda-t-il tout en glissant ses mains sous le corps de la princesse pour la soulever. Tu en trouveras un dans l’une des sacoches accrochées à mon cheval.

- J’y vais, indiqua-t-il en s’éloignant à grandes enjambées.

Observant son fils jusqu’à ce qu’il disparaisse, il reporta son attention sur Aldna dont le souffle lent et régulier était la preuve d’un sommeil profond. Il préférait d’ailleurs qu’il en soit ainsi, car il craignait sa réaction, après le traumatisme qu’elle avait subi. Dans un geste paternel, il repoussa ses longues mèches brunes qui venaient barrer son visage. En l’observant avec plus d’attention, il constata qu’elle avait hérité des traits de son père et de la beauté de sa mère. Elle n’avait certes pas la beauté angélique de sa sœur Hérais, mais elle dégageait une aura éclatante.

Un petit couinement résonna à ses côtés, attirant aussitôt son attention sur le dieu Shinjù. Lorsque ses yeux croisèrent à nouveau les siens, il inclina légèrement sa tête.

- Je vous remercie humblement pour la confiance que vous daignez m’accorder.

Sur ses mots, il reporta son attention sur le renard qui à son tour inclina sa tête, avant de se retourner, tout en faisant danser ses huit queues dans un ballet aérien. Hypnotisé par leur fluidité, un brouillard l’enveloppa, lui faisant perdre tous ses repères.

Cherchant à reprendre pied dans la réalité, il cligna frénétiquement des paupières, jusqu’à ce que le voile se dissipe. C’est avec stupeur qu’il constata que le dieu venait de disparaître, laissant derrière lui des objets éparpillés sur le sol. En les observant avec plus d’attention, il les reconnut tous. Il s’agenouilla devant eux, libérant l’une de ses mains, il attrapa délicatement le ruban bleu dont il connaissait le propriétaire qui n’était autre que la princesse Hérais. Le déployant sur le sol, il y déposa les deux alliances d’or du roi et de la reine, ainsi que la dague sertie de diamant qu’il avait offert au prince Thiemos. Le cœur lourd et la gorge serrée, il enveloppa précieusement les objets dans le tissu, avant de les porter à ses lèvres.

- Que les dieux vous accueillent en leur sein et que vous reposiez en paix, souffla-t-il, avant de reporter son attention sur la princesse endormie. Je vous jure que je vous protégerai, lui signifia-t-il en déposant les objets sur sa poitrine.

Il ressentait contre sa poitrine le souffle chaud de l’enfant qui s’était pelotonné tout contre lui. Alors qu’il redressait sa tête et son corps, il resserra l’étreinte de ses bras autour de l’enfant. Ses yeux se posèrent péniblement là où se trouvait le corps du roi. La surprise fut sa première réaction quand il réalisa qu’il avait disparu, tout comme les traces de sang qui jonchaient le sol. Il n’eut pas l’occasion d’approfondir ses questionnements que Mency se trouvait de nouveau à ses côtés. L’étonnement se figea sur ses traits en constatant que son fils enveloppait la princesse avec une douceur inhabituelle.

- J’ai peur qu’elle ne survive pas à ce froid, déclara Mency en relevant son regard inquiet sur lui, tout en repoussant une mèche brune de la fillette qui lui tombait sur le nez.

- Je sais, souffla-t-il inquiet, tout en s’engageant sur le petit sentier pour rejoindre la clairière. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre la moindre seconde. Il faut que nous fassions à nouveau face aux skuggis, annonça-t-il froidement pour cacher ses craintes à son fils.

À cette annonce, un lourd silence s’installa entre eux. Hogo avait conscience que son fils ressentait les mêmes angoisses que lui. Car bien qu’il fût un soldat aguerri, il se retrouvait avec un handicap supplémentaire, avec pour seul moyen de défense son épée. Pourtant une lueur d’espoir brilla en lui, lorsque Mency posa sa main sur son épaule, le faisant stopper ses pas.

- Père, n’ayez aucune inquiétude. Je serais à la fois vos yeux et votre bouclier, annonça-t-il fièrement.

- Je compte sur toi, sourit Hogo, tout en libérant l’une de ses mains pour venir la poser sur celle de son fils.

Hogo sentait son cœur battre à mille à l’heure tant la confiance que lui accordait son fils lui était précieuse. Bien que les angoisses tiraillassent son estomac à mesure que la distance entre lui et ses hommes s'amenuisait, l’espoir se frayait de plus en plus de place dans sa tête et dans son corps.

De retour à la clairière, il ne fut cette fois-ci pas étonné de retrouver les lieux immaculés et baignés de lumière. Plus aucun cadavre n’était présent, ni les flammes multicolores signes de la présence de leur âme. Il pouvait même entendre le chant des oiseaux et les fleurs ouvrirent leurs pétales, laissant les abeilles et les papillons venir les butiner. En voyant la beauté renaître devant leur regard, Hogo comprit aussitôt que ce miracle venait d’être accompli par le dieu Shinjù. Après tout, il n’était pas le dieu gardien de la terre et des hommes sans aucune raison.

Il était certes fasciné par cette magie Céleste, mais il se devait de conduire la princesse en sécurité. C’est pour cela qu’avec l’aide de son fils, il grimpa sur son cheval, reposant la longue crinière de son odinstreit sur la fillette plutôt que sur ses cuisses, lui offrant ainsi une protection supplémentaire contre le froid hivernal.

Les rênes dans l’une de ses mains, il fixa ses cavaliers qui tout comme lui avaient grimpé sur leurs chevaux. Il observa un à un chacun des visages, les gravant pour l’éternité dans son esprit. Il savait que tout comme lui, ils avaient la peur au ventre, pourtant il pouvait lire dans leurs yeux, leur détermination.

Pour la princesse Aldna, scanda-t-il le cœur battant, tout en talonnant les flancs de son cheval.

Alors que celui-ci s’élança à travers les bois, il put entendre ses hommes répéter ses mots avec ferveur, avant de sentir leur présence à ses côtés. Le sourire aux lèvres, il se laissait envelopper par la chaleur bienveillante des murmures de la forêt et des encouragements diffus des petits habitants qui accompagnait leur pas. Cela avait pour effet de lui donner du courage jusqu’à ce qu’ils arrivent à la frontière magique, où la lumière éclatante faisait place à l’obscurité froide.

Les yeux rivés devant la pénombre, il déglutit péniblement, alors que le crépitement des flammes venait résonner à ses oreilles. Fermant furtivement les paupières, il prit une profonde inspiration, comme pour se donner du courage. En relevant ses cils, il regarda son fils qui tendait la flamme vers l’avant, s’engagea devant lui.

Alors qu’il s’apprêtait à le suivre, un grognement sonore résonna tel un écho à travers toute la plaine. Hogo et ses soldats entendirent aussitôt des sifflements multiples et des mouvements précipités s’éloigner d’eux.

C’est la bouche ouverte de stupeur qu’il réalisa qu’un chemin bordé d’âme était en train de se former devant eux. Leur lumière dégageait une aura protectrice et chaleureuse, ne leur laissant aucun doute sur le trajet à suivre.

Sans la moindre crainte, ils s’engagèrent sur le sentier, ne prêtant pas attention aux squelettes qui jonchaient le sol, ils prirent tout de même soin, à ce que leurs chevaux les enjambent. N’ayant pas à affronter cette épreuve, Hogo se sentait soulagé, pourtant son ouïe était attirée par les bruits qui les entouraient. Il réalisa alors qu’un affrontement violent était en train de se dérouler loin d’eux. Tournant sa tête pour tenter de l’apercevoir, tout ce qu’il put distinguer dans l’obscurité était une étrange lueur brillante qui dansait, accompagnée par une grande silhouette noire.

- Père ! Nous sommes en sécurité, s’exclama Mency qui interrompit sa contemplation.

Hogo qui réalisa que le plus dur était derrière eux échappa un long soupir de soulagement, avant de reprendre leur route jusque chez eux.


Texte publié par Lolie, 30 juillet 2023 à 17h14
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