Aldna, assise à côté de sa mère, dans l'immense salle du trône, observait du coin de l'œil son père qui donnait les dernières instructions à ses ministres et aux domestiques, avant le grand départ.
Les longues draperies d'un rouge carmin qui encadraient l'estrade offraient une allure théâtrale à sa stature royale. Tandis que les candélabres fixés sur les colonnes de marbre venaient illuminer ses traits carrés, accentuant son charisme et sa prestance. La tête haute et le regard perçant, il fixait avec assurance ses vassaux qui, remplis d'admiration, s'étaient mus dans le silence.
Aldna, bien que toujours furieuse vis-à-vis de son attitude détestable envers Dallenan, était fascinée par la perfection avec laquelle il tenait son rôle. Les mains soigneusement jointes devant son ventre, elle balaya la salle des yeux, remarquant, dans chacun des regards des personnes présentes, l'admiration qu'ils éprouvaient pour leur souverain.
Reportant son attention sur son père, elle déglutit difficilement quand il tourna brièvement sa tête dans sa direction, lui adressant un sourire furtif, mais plein de tendresse. Ce qui eut pour effet de faire vaciller ses résolutions de rester enfermé dans son mutisme en sa présence.
Elle ne comprenait pas, comment pouvait-il mettre à mal ses résolutions quand il agissait avec une telle gentillesse ? Elle s'était pourtant juré de le punir jusqu'à ce qu'il se comporte mieux à l'égard de Dallenan.
Serrant nerveusement les doigts contre les pans de sa robe, elle sentait la frustration grandir dans son cœur. Car ce n'était pas qu'elle détestait son père, bien au contraire, mais elle cherchait à comprendre pourquoi il ne voulait pas s'excuser.
Cela avait été pourtant si simple pour elle, de se faire pardonner son mauvais comportement envers Thiemos, à la suite de leur dispute puérile liée au mouchoir d'Hérais. Heureusement pour elle, il les avait tout de suite acceptés et tout comme elle, il avait été capable de reconnaître ses torts. C'était pour cette raison qu'il avait tenté de recoudre le mouchoir. Bien que son travail fût maladroit et sans expérience, elle l'avait tout de suite accepté, comme symbole de leur réconciliation.
Alors pourquoi ce père qu'elle avait toujours admiré, ne pouvait-il pas demander pardon à Dallenan ?
Aldna se sentait tellement frustré par cette situation qu'elle ne réalisa pas immédiatement que l'audience venait enfin de prendre fin. Ce furent les têtes baissées devant elle qui la ramenèrent au temps présent.
Enfin, elle allait quitter cette position inconfortable. Un soupir discret s'échappa de ses lèvres, alors qu'elle se levait de son fauteuil. Les fesses endolories, elle n'osa pas prononcer le moindre mot pour exprimer son ressenti, car elle pouvait sentir la chaleur du regard de sa mère se poser sur elle. Ne souhaitant pas rompre sa promesse mentale de devenir une bonne princesse, elle faisait de son mieux pour ne pas exprimer ses sentiments profonds.
Voyant son père et sa mère quitter la grande salle de réception, Aldna s'empressa de les suivre, prenant grand soin de soulever légèrement le tissu de sa robe du bout des doigts, afin qu'elle ne s'accroche pas dans ses bottines en toile. Pourtant ce n'était pas l'envie qui lui manquait de déchirer toutes ses couches de tissus pour retirer le corset qui lui compressait la poitrine.
Elle tourna subrepticement sa tête en direction de sa sœur, découvrant avec fascination son visage impassible.
Aldna se demandait comment, elle pouvait se comporter avec un tel naturel, alors que les codes et les règles qu'on leur imposait étaient une véritable torture.
Enfin, bien que sa respiration lui fût de plus en plus pénible, il fallait qu'elle tienne, car elle avait vraiment cette envie de satisfaire aux exigences de sa mère. Elle voulait enfin entendre dans sa voix la satisfaction, plutôt que la déception.
Arrivée dans le grand hall, un domestique s'approcha d'elle et déposa sur ses épaules une longue cape en laine, couleur lilas qui rehaussait sa chevelure blond foncé, parfaitement tressée et torsadée avec une multitude d'épingles fleuries.
En ajustant le tissu sur elle, Aldna commença à réaliser que le grand départ était imminent. À chaque pas qui la rapprochait des deux grandes portes, son cœur battait frénétiquement contre sa poitrine. Enfin, elle allait pouvoir les franchir et découvrir un autre monde. Avalant avec difficulté sa salive, elle observa fébrilement les deux gardes qui tirèrent sur les deux battants, laissant un souffle glacé s'insinuer dans la pièce.
Son regard se reporta aussitôt sur les flammes qui vacillèrent légèrement et par les draperies qui ondulèrent caressées par le vent. Un frisson se propagea dans tout son organisme lorsque celui-ci vint effleurer par surprise la peau brûlante de ses joues. Comme si elle était accueillie par un ami fidèle, un sourire se dessina sur ses lèvres, reportant son attention sur les prémisses de ce royaume qui n'avait été que chimère. Bien sûr, elle en connaissait chaque recoin et légende grâce aux nombreux livres et histoire racontée par ses parents. Mais elle voulait découvrir par elle-même cet amour que portaient ses ancêtres à cette terre pleine de magie et de mystère.
Bien qu'elle eût conscience que ce voyage ne serait qu'une toute petite partie de ce vaste monde, elle s'en contenterait avec bonheur. Son rôle de princesse qui lui incombait ne lui permettrait jamais de le découvrir par elle-même. Pour elle, c'était donc l'occasion de vivre une petite aventure. Un souvenir précieux qui resterait gravé au fond de son cœur.
Alors qu'elle était enfin sur le point de quitter les murs familiers de ce château, elle arrêta son geste quand la voix de Dallenan l'interpella.
- Alors, tu ne comptes même pas me dire au revoir, l'accusa-t-il en venant à sa rencontre. Hérais et Thiemos ont été moins avares en marques d'affection. À moins que tu ne m'aimes plus.
Un large sourire se peignit sur les lèvres de la fillette qui releva son regard pour observer les traits fins de son frère, dont les plaies s'étaient atténuées au fil de la semaine. En fixant son visage souriant et plein de tendresse, elle se demandait encore et toujours comment leur père pouvait être si cruel envers lui. Pourtant en cet instant, ce n'était pas ses pensées tristes qui rongeaient son esprit, mais bien cette distance qui allait les séparer. Depuis le jour qu'elle s'en souvienne, il avait toujours été ensemble. Bien qu'elle adorât, Thiemos et Hérais, c'était de lui qu'elle était le plus proche. C'était celui qui la comprenait le mieux et qui lui rendait le sourire quand elle était triste.
Cela lui brisait le cœur d'être loin de lui, durant le mois entier, mais bien que l'envie de rester à ses côtés fût grande, elle voulait tout de même découvrir ce monde qui lui tendait les bras.
- Comment ne pourrais-je pas t'aimer, rit-elle en s'approchant de lui pour enlacer son corps frêle. Ne le dis surtout pas à Thiemos et Hérais, mais tu es mon préféré, murmura-t-elle en posant sa tête contre son ventre.
- Comment osez-vous mademoiselle, sourit-il faussement offusqué en posant ses deux mains sur ses épaules. Il n'est pas digne de vous, de faire de telles déclarations. Pourtant, je dois t'avouer que je ressens la même chose à ton égard, murmura-t-il approchant ses lèvres de son oreille. Tu vas vraiment me manquer.
À ses mots, Aldna ressentit une douce chaleur à la fois dans son cœur et sur sa joue, où il était venu l'envelopper de sa main chaleureuse.
- Toi aussi, avoua-t-elle les larmes au bord des yeux.
- Je t'en prie, ce n'est qu'un au revoir, souffla-t-il en laissant glisser son pouce au coin de son œil, faisant ainsi disparaître la perle qui menaçait de couler. Pas besoin de pleurer pour moi. Il serait dommage de ternir ton visage, alors que j'ai devant moi une si jolie princesse.
Alors qu'elle était sur le point de lui répondre, elle entendit la voix grave et impérieuse de leur père les interpeller. Un hoquet de surprise s'échappa des lèvres de la fillette qui se figea sur place quand elle constata qu'il se trouvait à présent à côté d'eux. À travers les doigts de Dallenan qui se serrèrent sur son épaule, elle ressentit son angoisse et sa peur.
- Aldna, veux-tu bien nous laisser ? demanda Renmisle avec douceur.
Aldna, bien que conscient qu'il n'agirait pas avec violence devant ses sujets, ne fit pas le moindre geste. Elle voulait ainsi faire comprendre à son père qu'il n'agirait plus à sa guise. C'est donc le regard déterminé, qu'elle le fixa pendant plusieurs secondes, avant qu'il ne laisse échapper un soupir de résignation.
- Je vois. Très bien ! Aldna tu peux rester. Mais je t'en prie, ne m'interromps pas.
Pour seule réponse, elle repoussa doucement les doigts de son frère qui se trouvait toujours sur sa joue, mais les garda précieusement ancrés au creux de la sienne. Ainsi, elle espérait offrir du réconfort à son frère, dont elle pouvait sentir son sang pulser au creux de sa paume.
- Dallenan, soupira-t-il ne semblant pas savoir par où commencer. Je sais que tu es le plus à même de suivre mes traces. Aldna m'a fait prendre conscience que du travail acharné que tu réalises chaque jour pour satisfaire à mes exigences. Bien que j'admets avoir été dur avec toi, en ayant eu des gestes et des paroles blessantes, je reconnais ta valeur et tes compétences. C'est donc sans hésiter. Je compte donc sur toi, pour prendre les décisions qui s'imposent pour protéger notre royaume.
Aldna surprise écarquilla de grands yeux, en les posant sur son père. Enfin, les mots qu'elle avait tant attendus de sa part sortaient enfin de sa bouche. Le ton doux et délicat qu'il employait ne laissait aucun doute sur ses sentiments. Il était vraiment désolé pour son attitude détestable, ce qui lui donnait l'espoir que la situation s'arrange entre eux. Elle prenait le choix de lui pardonner à son tour, mais c'était bien à Dallenan de prendre la décision finale, car c'était lui qui avait le plus souffert dans cette histoire.
Elle reporta donc son attention sur son frère qui n'avait pas encore prononcé le moindre mot. Allait-il accepter cette main qu'il lui tendait après tant d'années ?
Crispant sa main libre pour ne pas influencer sa décision, elle retint son souffle, lorsqu'il se décida enfin à lui donner sa réponse.
- Merci... échappa-t-il en un souffle, alors que ses larmes venaient perler sur ses joues. Merci pour ces mots. Je ne pensais pas, vous les entendre dire un jour, sourit-il en relevant son visage humide, pour plonger son regard dans celui de son père. Je vous promets que vos mots ne seront pas vains et que je prendrais soin de notre royaume.
Aldna, sentit le souffle ambiant mêlé à la fraîcheur hivernale s'insinuer dans sa poitrine, lui donnant l'illusion de renaître, tant cette réconciliation lui été salutaire. Emplie de joie, elle réunit ses deux mains à celle de son frère, tout en relevant son regard souriant vers le sien.
Enfin, elle pouvait entamer son voyage le cœur léger, elle pourrait de nouveau converser avec son père, pour lui poser mille et une questions sur ce royaume qu'elle voulait chérir autant que lui.
- Il est temps pour nous d'y aller, invita Renmisle qui tendit sa grande main vers Aldna qu'elle attrapa aussitôt. Nous ne pouvons nous permettre d'être en retard, sourit-il en la regardant avec tendresse. Nous n'avons pas à nous inquiéter, je sais que le royaume est dans de bonnes mains, compléta-t-il en jetant un dernier regard en direction de son fils, avant de s'éloigner de lui.
Aldna, le cœur battant, sentait le bonheur la submerger. Elle pouvait à présent retrouver cette complicité avec son père qui lui avait tant manqué. Elle se permit même d'agripper le bras de son père, avant d'adresser un dernier signe de main en direction de Dallenan.
Arrivé dans la cour extérieure, un nouveau souffle glacé, mêlé à des flocons de neige vint doucement frapper son visage. Le regard illuminé de joie, elle tendit ses mains pour en recueillir quelques-uns, mais comme attendu, ils fondirent instantanément. Pourtant cela ne gâcha en rien sa joie, car son attention se reporta sur les longues allées de haies couvertes d'un fin manteau blanc, tout comme les jardins qu'elle savait féeriques au printemps, ainsi les arbres nus.
- Tu aimes ? interrogea Renmisle qui affichait un sourire bienveillant à l'encontre de sa fille.
- Oui, admit-elle en faisant volte-face, alors qu'elle dansait au milieu de la cour, faisant virevolter sa cape au grès de ses mouvements. J'espère que les paysages de Dobrisovo sont aussi beaux que ceux-ci.
- Ils sont même encore plus beaux, affirma-t-il le regard rêveur en la rejoignant. Nous devrions y aller, l'invita-t-il en attrapant doucement sa main. Ta mère va finir par s'impatienter.
Aldna qui ne ressentait plus aucune colère vis-à-vis de son père la laissa l'entraîner vers un carrosse, qui vu de l'extérieur ne semblait pas appartenir à la famille royale, du fait du manque de décoration fine et majestueuse. Mais pour elle, elle avait l'illusion de vivre dans l'un de ses livres, parlant de romance, de guerre et de combat épique. Elle dut relever le regard pour admirer les sillons dans les colonnes de bois et les feuilles sculptées qui comme un lierre, se propageaient sur toute la surface.
- Le carrosse de mademoiselle est avancé, s'inclina le roi devant elle.
Amusée par son attitude chevaleresque, elle lui adressa son plus beau sourire, tout en lui offrant une révérence majestueuse. En relevant leur tête pour se regarder, ils rirent de concert, avant qu'Aldna ne sente son petit corps soulever par les bras puissants de son père qui la déposa sur le marchepied. Son regard plongé à nouveau dans le sien, elle se figea sur place, les laissant quelques instants dans le silence, avant qu'elle ne se décide à prendre la parole.
- Je suis contente que vous ayez pris conscience de vos erreurs, murmura-t-elle. Vous savez, vous comptez beaucoup pour moi. Je ne me voyais pas ne pas vous pardonner. Car je vous aime énormément, avoua-t-elle en se penchant vers lui pour déposer un baiser sur sa joue.
Aldna sentit soudainement son corps être attiré aux creux des bras puissants de son père qui la serra fort contre son corps. La chaleur qui se dégageait de lui réchauffait à la fois son corps et son cœur, tant celle-ci était chaleureuse et apaisante.
- Merci de m'avoir fait comprendre que j'étais dans l'erreur, murmura-t-il contre son épaule. Crois-le ou non, tout ce que je cherchais à faire c'était tout simplement d'en faire un bon roi. Loin de moi, l'idée de vous faire du mal, ni à lui ni à toi.
La voix de sa mère interrompit aussitôt la réponse d'Aldna, l'obligeant à se défaire de son corps. Pénétrant dans l'habitacle, ses yeux s'écarquillèrent, en constatant que la décoration intérieure semblait plus fastueuse que celle de l'extérieur. Passée sa surprise, elle prit place aux côtés de sa mère qui l'y avait invité, sur une banquette de coussins capitonnés recouverts de soie rouge-carmin. En observant son environnement, son regard se posa sur les parois roses poudrées qui s'associaient à la perfection avec les longs rideaux blancs, brodés de fils d'or et noir entremêlé qui formaient la silhouette du renard légendaire de leur famille. Ceux-ci encadraient de grandes fenêtres à guillotine qui lui offraient la possibilité d'observer le monde extérieur.
À peine, son père prit-il place aux côtés de son frère qu'elle sentit le carrosse tressauter, tandis que la voix grave du cochet et le claquement du fouet vinrent résonner à ses oreilles. L'excitation fit battre son cœur dans une cadence effrénée, réalisant qu'enfin une nouvelle aventure lui tendait les bras. Bien qu'elle ne sût pas vraiment quelles étaient les raisons de ce voyage, elle trépignait d'impatience de découvrir leur destination.
Allaient-ils se rendre à l'ouest dans les montagnes venteuses où, parait-il, les tempêtes sont monnaie courante, ou bien plutôt vers le sud où les forêts étaient luxuriantes où les plus belles fleurs peuvent devenir un poison mortel, ou allait-elle enfin découvrir la mer peuplée de créatures marines que l'on disait mangeuses d'hommes. Bien qu'elle eût conscience que mille dangers les attendaient, elle n'avait vraiment pas peur, car la simple idée de découvrir de nouvelle contrée la submergeait de joie.
Des rêves pleins la tête, elle posa son regard sur sa sœur Hérais qui bien qu'elle ne prononçât pas le moindre mot, on pouvait lire sur sa mine souriante, le bonheur retrouvé. Ses yeux pétillants de joie ne se détachaient pas de la petite étoffe qu'elle tenait délicatement au creux de ses doigts fins. Aldna se souvenait encore de son regard émerveillé quand elle le lui avait rendu et qu'elle avait remarqué la couture maladroite.
La phrase courte « c'est magnifique » s'échappa de ses lèvres fines, exprimant ainsi ce qui la caractérisait au quotidien, sa bienveillance et sa douceur. À cet instant, elle savait qu'elle ne rivaliserait jamais face à elle. Elle était née pour être la parfaite princesse. Quant à elle, elle n'était peut-être pas faite pour cela, mais elle devait faire tout son possible pour le devenir, même si cela lui était beaucoup plus compliqué.
Alors que son attention était toujours portée sur sa sœur qui posait sa tête sur l'épaule de Thiemos, lui montrant ainsi son affection, elle ressentit une douce chaleur venir entrelacer ses petits doigts. En premier lieu surprise, elle abaissa sa tête pour fixer sa main qui était enveloppée par celle de sa mère. À travers celles-ci, elle pouvait ressentir toute sa chaleur et une tendresse inconnue jusqu'alors. Cherchant à comprendre ce geste, elle releva son regard vers les courbes de son visage qui était illuminé par un large sourire et ses yeux d'un bleu cristallin brillaient d'un éclat enchanteur.
Comprenant certainement l'incompréhension qui régnait dans son esprit Arnfried, tendit son autre main vers elle, effleurant sa joue d'une douce caresse.
- Aldna, je suis si fier de vous.
Aldna surprise par la douceur de ses mots préféra ne rien dire, de peur que cet instant ne soit que le fruit de ses songes et que la dure réalité vienne se rappeler à elle. Pourtant, elle avait vraiment l'impression d'être au milieu d'un rêve, tant cette chaleur que dégageait sa main contre sa joue l'enveloppait de bonheur.
- Thiemos m'a tout raconté, déclara-t-elle en posant un bref instant son regard sur celui-ci. Il m'a avoué être le responsable de toute cette histoire. J'ai été un peu dure avec vous et je m'en excuse.
- Il n'est pas le seul responsable, déclara Aldna. J'ai mal agi envers lui. C'est de ma faute s'il a été blessé. Je l'ai blessé volontairement.
- Mais je n'aurais jamais dû abîmer le mouchoir d'Hérais, s'insurgea Thiemos qui caressait doucement la tête de sa sœur. Tu n'as fait que chercher à la défendre.
- Mais à cause de cela, je t'ai blessé, répliqua Aldna qui s'en voulait encore pour ce geste.
- Effectivement, vous êtes tous les deux en tort, conclut Arnfried. Mais je ne peux qu'être fier de vous deux. Vous avez su vous pardonner l'un l'autre et pour moi, cela me prouve que vous avez tous les deux à apprendre de vos erreurs. Thiemos, cela me prouve que vous deviendriez quelqu'un qui sera capable de soutenir Dallenan. Quant à vous, Aldna, je ne peux que vous féliciter pour vos efforts, de devenir une bonne princesse capable de soutenir votre frère. Pourtant je sens bien que cela vous coûte énormément. Continuez dans cette voie-là, sourit-elle en repoussant une mèche de ses cheveux. Vous êtes si mignonne ainsi, je veux vous voir plus souvent ainsi. Et je suis sûr qu'à force de travail, vous serez capable de charmer tous les hommes de notre royaume et ceux des pays voisins, renforçant ainsi une alliance pour votre frère. Mes enfants vous êtes vraiment la fierté de notre royaume, déclara-t-elle le sourire aux lèvres.
En entendant la douceur dans la voix de sa mère, Aldna fut submergé par ses émotions, si bien que ses larmes se mirent à couler. Ce n'était pas des larmes de tristesse, mais bien de joie et il lui était à présent difficile à contenir, après les événements des derniers jours.
- Je pensais que vous ne m'aimiez pas, sanglota-t-elle en essuyant maladroitement ses joues humides.
- Je suis désolée, si je vous ai laissé penser ainsi. Je l'admets avec regret que je n'ai pas été très tendre à votre égard, admit-elle en attirant Aldna au creux de ses bras. Mais je vous aime tout autant que vos frères et sœurs. Mais j'espérais tellement que vous fassiez honneur à notre famille que je n'ai pas pris le temps de réaliser que vous étiez une enfant qui avait besoin de moi, conclut-elle en caressant avec délicatesse son dos.
Aldna, enveloppée par le délicat parfum de sa mère, sentait ses insécurités et ses doutes s'effacer. Ses gestes maternels se faisaient plus doux et affectueux. La tête calée contre sa poitrine où elle pouvait entendre la douce mélodie de son cœur, l'enveloppant dans une bulle fragile, mais accueillante. Le murmure de sa voix la plongea dans une torpeur, faisant clore ses paupières sans qu'elle ne puisse rien faire pour l'en empêcher.
À demi plongée dans le sommeil, elle laissa un sourire apparaître sur ses lèvres. Elle était heureuse, souhaitant que le temps s'arrête pour rester là, au creux de ses bras chaud et rassurant.
Lorsqu'elle quitta le pays des songes, elle retrouva la réalité quand un éclat de lumière vint caresser sa peau. Ouvrant de grands yeux ronds, elle reporta son attention sur le paysage extérieur. Interloquée, elle constata que le manteau neigeux avait totalement disparu, laissant place à des champs de fleurs multicolores, protégés par de grands arbres verdoyants.
Aldna, s'échappant de son cocon, se précipita à la fenêtre qu'elle abaissa, pour mieux observer son environnement. Un hoquet de surprise s'échappa de sa gorge quand une brise printanière vint caresser ses joues, remplaçant le froid glaçant de l'hiver.
Interloquée par ce changement soudain de saison, elle reporta son attention sur son père qui la fixait avec bienveillance.
- Où sommes-nous ? Quelle est cette magie ? Pourquoi l'hiver n'a-t-il pas envahi cette forêt ? interrogea-t-elle sans interruption, les yeux brillant d'excitation.
- Calmez-vous Aldna ! Reprenez votre souffle, ria Renmisle. Laissez-moi le temps de répondre à vos questions. Hestek, arrêtez la voiture ! Ordonna-t-il de sa voix impérieuse à leur cochet. Nous allons faire une halte ici.
À son ordre, Aldna entendit la voix grave de l'homme, mêlé aux hennissements des chevaux, avant de sentir l'attelage se stopper. Réalisant qu'un garde royal s'approchait de la voiture pour en ouvrir la porte, elle s'éloigna de la fenêtre. Une brise légère s'infiltra aussitôt dans l'habitacle, faisant virevolter les mèches de ses cheveux. Envoûtée par le délicieux parfum floral qu'elle transportait, l'excitation la gagna, de ce fait, la poussant à saisir la main du garde pour sortir du véhicule et profiter de la douce chaleur ambiante.
Dès que ses pieds touchèrent le sol, elle ressentit une étrange sensation qui se propagea dans tout son organisme. Elle ne pouvait pas vraiment décrire ce qu'elle ressentait en cet instant, mais elle était certaine que l'atmosphère ambiante était emplie d'un amour pur et mélancolique.
Le sourire aux lèvres, elle se laissa envelopper par les rayons du soleil qui perçaient l'épais feuillage, créant un jeu de clair-obscur enchanteur. Leur éclat doré dansait et scintillait à travers les branches, créant des motifs changeant sur les fleurs sauvages qui s'ouvraient pour accueillir leur chaleur.
Comme envoûtée par le chant mélodieux des oiseaux, empreints de liberté, elle se laissa tomber à genoux. Ses doigts dansaient dans l'herbe fraîche qui semblait vibrer à leur contact, lui partageant la magie ambiante. En observant son environnement, son regard se posa sur un parterre de fleurs qui arboraient toute une couleur différente, ce qui lui donnait l'impression de faire face à un arc-en-ciel.
Fascinée par tant de beauté, elle se releva, pour rejoindre sa sœur qui venait à son tour de quitter le carrosse.
- Hérais, viens avec moi, l'invita-t-elle en attrapant son bras. Regarde comme c'est beau, ajouta-t-elle en l'attirant vers les fleurs.
- Elles sont magnifiques, déclara Hérais de sa voix douce et fluette, avant de s'agenouiller devant l'une d'elles qui arborait une forme en spirale aux teintes chromatique.
La brise légère qui flottait dans l'air donnait l'impression aux deux filles que les pétales tournaient sur elle même donnant l'illusion qu'elles cherchaient à les hypnotiser. Mais aucune d'elle ne se laissa faire. Bien que sublime, cette fleur n'était pas la seule à attirer l'attention, il y en avait d'autre certes beaucoup moins coloré, arborant un blanc crémeux, ayant des allures de petite fée qui danse, ou ressemblant à des oiseaux aux plumages multicolores. Aldna était vraiment fasciné par cette flore qui semblait exister que dans cette forêt enchanteresse.
Alors qu'elle s'apprêtait à tendre la main pour en cueillir l'une d'elles, son geste fut arrêté par la voix grave de son père qui les pria de venir auprès d'eux.
En se retournant, elle constata qu'une couverture avait été déposée sur le sol, la petite garde qui les accompagnait y avait déposé un assortiment de victuailles des plus appétissants les uns que les autres. En prenant place au côté de son père qui lui adressa un grand sourire, elle put découvrir parmi tous ces plats, des fruits confits qui brillaient sous les rayons de lumières, de petits pains ronds à la route dorée, des légumes frais, accompagnée de viande salée. Quant à la boisson, il s'agissait d'un assortiment de jus, soit de myrtilles, de fraise, ou de kakis.
Bien qu'en voyant toute cette nourriture appétissante devant ses yeux, Aldna ressentît la faim tirailler son estomac, la curiosité était la plus forte, elle voulait en apprendre plus cet endroit. Prenant une profonde inspiration et tournant son regard en direction de son père.
- Vous n'avez pas répondu à mes questions, gronda-t-elle avec impatience.
- Je vous prie de m'excuser, s'excusa-t-il en posant un regard tendre sur elle. Eh bien, pour commencer, nous sommes dans la forêt de Tidlovar. Elle se situe environ à quatre heures de cheval de la capitale. Tout le monde là-bas connaît cet endroit, mais presque jamais personne n'ose y mettre les pieds.
- Pourquoi ? C'est pourtant un lieu magnifique, s'étonna-t-elle, alors que le murmure calme d'un ruisseau venait résonner à ses oreilles.
- C'est peut-être pour cela, songea-t-il en observant les oiseaux virevolter au-dessus d'eux. Ils ont peur de l'abîmer. Et surtout, je pense qu'ils ont peur de la réaction du roi des fées Sjelegråt.
- Je ne comprends pas, ne dit-on pas que les fées son des créatures bienveillantes.
- Elles le sont, affirma-t-il. Mais cette forêt est lieu sacré pour lui. Il y a une légende qui l'entoure.
- Père, vous voulez bien nous la raconter, demanda Thiemos qui semblait tout autant inversé que ses deux sœurs qui tout comme lui qui posait un regard suppliant sur lui.
Aldna qui tenait la main de Hérais au creux de la sienne ne put s'empêcher d'observer les gardes qui maintenaient leur sécurité. Elle réalisa le sourire aux lèvres qu'eux aussi semblaient attentifs au discours de leur roi. Elle était vraiment fascinée par cette attention qu'il imposait sur lui, tant son charisme attirait les regards.
- Celle-ci raconte que c'est ici même que le roi des fées aurait fait la rencontre d'une belle jeune fille et qu'il en serait follement tombé amoureux. On dit de sa beauté qu'elle surpassait celle de la plus belle des fleurs et que son sourire brillait bien plus que le soleil lui-même. Ils s'aimaient d'un amour si pur et sincère que le roi voulait renoncer à son immortalité pour ne pas avoir le chagrin de la perdre un jour.
- Un jour, alors qu'ils étaient sur le point de sceller leur amour, un monstre à pénétrer dans la forêt et à tuer la jeune femme. Dévasté par le chagrin et la colère, il a entouré cet endroit d'un bouclier magique empêchant tous les montres d'y pénétrer. Il est comté qu'il aurait enterré sa bien-aimée sous un parterre de fleurs. Et pour que jamais personne ne vienne troubler son repos, il a utilisé une magie très ancienne pour que le printemps soit éternel et que sa beauté soit éternelle.
Aldna, les yeux écarquillés de stupeur, ne put s'empêcher de ressentir un immense chagrin. Elle savait qu'il était déjà difficile de connaître le grand amour, alors s'imaginer le perdre la rendait encore plus triste. À présent qu'elle connaissait l'histoire de ce roi malheureux, elle comprenait à présent que ce qui l'avait enveloppé à son arrivée n'était nul autre que ses sentiments. En observant tout autour d'elle, elle s'imprégna des couleurs chatoyantes, lui faisant échapper un soupir d'aise, en ayant conscience qu'elle faisait face à une véritable preuve d'amour éternel.
- Quand je pense que c'est ici que nous nous sommes unis, sourit Arnfried nostalgique qui avait pris la main du roi dans la sienne.
- C'est un souvenir que je chéris, avec tendresse, souffla Renmisle qui porta la paume de sa reine à ses lèvres pour y déposer un baiser. Cela a été le plus beau jour de ma vie, déclara-t-il en plongeant son regard dans le sien.
Aldna observait du coin de l'œil et le sourire aux lèvres cette démonstration d'amour de la part de ses parents, savourant ce moment unique. D'ordinaire, ils laissaient transparaître un caractère froid et distant l'un envers l'autre, laissant place à la rigueur et la discipline. Cette facette plus tendre et affectueuse était une agréable surprise pour elle.
Bien qu'elle appréciât cette tendresse, elle termina sa collation à la hâte pour assouvir sa curiosité. Elle se leva donc, jeta un furtif coup d'œil en direction de Thiemos qui échangeait des passes d'arme avec l'un des gardes. Sa jalousie s'en trouva exacerbée, mais ce fut Hérais qui lui prit doucement la main, le sourire aux lèvres qui la ramena à son premier dessein.
- Toi aussi, tu veux savoir où elle est ? questionna Hérais.
- Oui, répondit Aldna laconiquement.
- Moi, j'en meurs d'envie, affirma-t-elle d'une voix timide en resserrant l'étreinte de ses doigts. Mais j'ai trop peur pour y aller seule. Avec toi, je me sens en sécurité. Tu es tellement courageuse.
À ce compliment, Aldna sentit son sang affluer dans ses pommettes. Mal à l'aise, elle détourna le regard, tout en entraînant sa sœur un peu plus loin du groupe. Bien qu'elle sût qu'il n'y avait rien à craindre, du fait que l'un des gardes les accompagnait, chacun de ses pas lui nouait un peu plus la gorge.
Leurs petites enjambées les menèrent quelques minutes plus tard sur un large chemin bordé d'arbres immenses dont les racines étaient recouvertes de mousses qui scintillaient sous l'effet des rayons solaires, telle une envolée de poussières de fées. Alors qu'elles foulaient le chemin de terre, elles avaient le sentiment que le murmure du ruisseau, mêlé au chant des oiseaux, créait une mélodie envoûtante comme une chorale féerique qui résonnait tel un cœur chantant une prière.
Encouragée par celle-ci, Aldna continua à entraîner sa sœur un peu plus loin sur le chemin. Bien que l'obscurité se fît de plus en plus présente, elle avait le sentiment qu'elle touchait presque au but, tant l'aura magique se faisait plus présente autour d'eux.
Quand une vive lumière émana des ombres, Aldna sentit son cœur résonner contre sa cage thoracique. Le sourire aux lèvres, elle se mit à courir droit devant elle, jusqu'à ce que son regard émerveillé se pose sur le corps d'une belle jeune femme aux traits cristallins et dont la chevelure blonde brillait de mille éclats. Elle était fascinée par sa beauté et sa peau blanche d'un teint laiteux, lui donnant l'impression qu'il s'agissait tout simplement d'une belle endormie qui attendait patiemment le baiser d'un prince charmant.
- Aldna ! s'exclama Hérais qui s'était agenouillée pour admirer les fleurs d'un rouge éclatant qui jonchait le sol. Regarde comme elles sont belles et comme elles sentent bon, ajouta-t-elle en se penchant pour humer leur parfum.
Aldna s'apprêtait à rejoindre sa sœur, pour se délecter de cette délicieuse atmosphère, lorsqu'elle aperçut une ombre étrange se faufiler derrière le garde qui les accompagnait. À mesure que la silhouette se faisait de plus en plus proche, elle sentit une goutte de sueur glacée couler le long de sa colonne vertébrale. Un cri muet s'échappa de ses lèvres quand une créature cauchemardesque et décharnée surplomba d'une tête l'homme qui n'avait pas encore remarqué sa présence. En posant son regard sur Aldna, il fit volte-face, découvrant un visage émacié illuminé par un trait de lumière, dont les orbites creuses laissaient transparaître l'éclat sinistre de ses yeux lumineux.
Dès lors qu'il sortit son épée, son corps fut traversé par de longs doigts anguleux se terminant par des griffes acérées, pour être soulevées jusqu'à la mâchoire remplie de dents pointues.
- Courez ! hurla-t-il, crachant du sang à chaque syllabe.
Aldna, submergée par la peur, n'arrivait pas à bouger le moindre de ses muscles, alors qu'elle voyait le garde se faire dévorer morceau par morceau. Elle avait pourtant conscience qu'elle devait lui obéir, car il en valait de leur vie. Mais lorsqu'elle vit le garde être violemment projeté contre un arbre, dont le choc lui brisa les os, elle attrapa la main de sa sœur qui s'était dissimulée derrière elle.
Le cœur battant et les jambes lourdes, elle entraîna sa sœur sur un petit chemin attenant, évitant ainsi la créature. Elle pouvait entendre derrière eux la respiration sifflante de la créature qui avait reporté son attention sur elles.
- Vite Hérais, on doit rejoindre père, encouragea-t-elle en resserrant les doigts de sa sœur.
- Aldna, j'ai peur, pleura-t-elle tout en continuant difficilement sa course.
- Moi aussi, admit-elle. Mais on doit continuer à courir, imposa-t-elle, bien que sa respiration se faisait de plus en plus erratique.
Aldna, souhaitant voir où été la créature, reporta son regard vers l'arrière, quand elle croisa ses yeux brillants, un vif froid glacial s'empara de son âme. Elle avait l'impression que sa démarche fantomatique réduisait l'écart entre lui et elles. À mesure que l'obscurité se faisait plus diffuse, Aldna constata que son corps cauchemardesque et décharné était recouvert d'une peau pâle, presque translucide, se tendant sur ses os proéminents et ses muscles déchirés. Elle put aussi remarquer que des lambeaux de chair pendouillaient autour de ses bras, comme s'il s'agissait d'un trophée volé à ses victimes.
À mesure qu'il se rapprochait d'elles, elle pouvait entendre le claquement sec de sa longue mâchoire, ne faisant qu'accroître sa peur. Les larmes lui brouillant à présent la vue, elle pouvait entendre clairement les battements précipités de son cœur, mêlés aux sanglots d'Hérais. La gorge nouée, elle reporta son attention sur le bout du chemin, où elle distingua la forme de leur carrosse. Un relent d'espoir s'insinua en elle, lui donnant le courage de puiser dans ses dernières forces. Resserrant fermement sa main contre celle de sa sœur, elle l'entraîna dans une course désespérée par la lumière vive. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres, alors qu'elle songeait déjà avec quelle adresse son père et sa garde mettraient à mal ce monstre.
Lorsqu'elle arriva enfin à destination, elle releva sa main au-dessus des yeux, car ceux-ci s'étant habitué à l'obscurité, eurent de mal avec la lumière vive. Lorsque ses iris s'habituèrent enfin à la luminosité, un cri de terreur s'échappa de sa gorge. Devant elle s'amoncelaient les cadavres de nombreux gardes se faisant dévorer par quatre autres créatures.
Elle eut un haut-le-cœur quand son regard croisa celui d'un jeune dont elle vit s'éteindre la flamme de vie, alors que ses entrailles se répandaient sur le sol. Les lèvres tremblantes et les larmes roulant sur ses joues, elle se détourna de lui, pour tenter de retrouver sa famille.
- Ne regarde pas, ordonna-t-elle à Hérais pour ne pas l'effrayer plus qu'elle ne l'était déjà.
Elle n'eut que pour seule réponse un sanglot étouffé. À travers ceux-ci, elle ressentait toute sa peur et son désarroi. Bien que plus jeune qu'elle, elle voulait faire tout son possible pour la protéger. Pourtant, elle était comme elle, elle voulait pleurer tout son soûl et se dire que tout cela n'était qu'un cauchemar et qu'elle se réveillerait blottie dans les bras de sa mère.
Mais la présence de la créature qui les poursuivait toujours lui faisait prendre conscience que ce n'était pas le cas. Leur présence avait même attiré l'attention des autres qui stoppèrent leur festin pour les pourchasser.
À présent pourchassée par cinq monstres, elle n'eut d'autre choix que d'enjamber les cadavres, pour rejoindre les cris et les hurlements qui lui donnaient l'espoir d'être bientôt en sécurité.
Lorsque des silhouettes familières se dressèrent devant elles, Aldna sentit un poids tomber de ses épaules. Elle voyait enfin son père qui combattait avec une telle rage qu'elle avait toute confiance en lui. Bien que la situation ne s'y prêtât pas vraiment, elle était admirative de la souplesse de ses mouvements et de la puissance de ses attaques. Les autres gardes qui assuraient sa sécurité n'étaient pas en reste, il se battait avec une telle hargne qu'elle n'avait plus aucun doute sur leur chance de gagner.
- Aldna ! Hérais ! hurla Renmisle en les apercevant au détour d'un regard. Protégez-les ! ordonna-t-il, tout en plantant son épée dans l'abdomen d'un monstre qui s'écroula à terre.
Aldna, le cœur battant, sentit son souffle s'échapper de ses lèvres lorsque les gardes les entourèrent de leur corps pour les protéger des créatures qui les avaient suivis. Un nouveau souffle s'échappa de ses lèvres, comme si la peur venait de la quitter, à présent Aldna se sentait en sécurité, mais la voix tremblante de sa sœur ne fit rien pour la rassurer.
- Où sont mère et Thiemos ? demanda-t-elle en regardant tout autour d'elle.
À ses mots, Aldna sentit la chaleur du corps de son père envelopper le leur qui s'était frayé un chemin jusqu'à elles.
- Je suis désolé, souffla-t-il la voix blanche. Je n'ai rien pu faire, pleura-t-il tout en resserrant l'étreinte de ses bras. Après leur mort je n'ai songé qu'à vous. Je suis heureux de vous voir.
Le sang d'Aldna se figea dans ses veines lorsqu'elle prit conscience de la réalité. Son chagrin débordant, elle observa les alentours, les joues bordées de larmes, cherchant à les retrouver. Un nouveau haut-le-cœur s'empara d'elle lorsqu'elle remarqua deux corps entrelacés. Elle reconnut immédiatement la tunique rouge de Thiemos dont ses yeux livides croisaient les siens. Sa mère était elle aussi présente, enveloppant son fils contre sa poitrine. Elle la distingua rapidement grâce à sa robe de soie bleue, tachée de son sang. Aldna avait beau observer les corps avec soin, elle ne retrouvait pas sa longue chevelure blonde, et plus particulièrement sa tête.
Sous cette vision d'horreur, elle glissa des bras de son père pour tomber à genoux. Son estomac ne pouvant plus en supporter davantage se déversa sur le sol jusqu'à ce que son souffle lui vienne à manquer.
Bien qu'elle pût sentit la caresse douce et réconfortante de son père, elle n'arrivait pas calmer son chagrin. Alors qu'elle relevait la tête pour calmer ses douleurs et reprendre sa respiration, une silhouette fine passa dans son champ de vision. L'horreur se figea sur son visage quand elle réalisa que Hérais venait de quitter le cercle protecteur des gardes, pour rejoindre les corps démembrés.
- Allez la chercher ! ordonna Renmisle qui attira Aldna contre sa poitrine, tout en tenant fermement son épée à la main.
Un cri d'horreur s'échappa des lèvres d'Aldna quand elle vit les ombres noires surgir soudainement, encerclant sa sœur d'une aura sombre. Elle tenta vainement de se défaire de l'étreinte de son père quand elle réalisa que les soldats qui devait la protéger étaient en train de tomber les un après les autres. À présent seule, Aldna savait qu'Hérais n'avait plus aucune chance.
- Non ! Implora-t-elle la voix amplis de sanglots, alors que sa sœur la regarder les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres.
- Je t'aime, murmura-t-elle à son encontre, avant que son corps ne soit happé par trois créatures qui la brisèrent comme une simple brindille.
Aldna, voyant sa sœur se faire écarteler, sentit son rythme cardiaque se stopper subitement. À présent que tous les gens qu'elle aimait étaient morts, elle n'avait plus aucune raison de se battre. Elle choisit de se lever, tel un pantin manipulé, afin de subir le même que tous les autres. À peine fit-elle un pas qu'elle sentit sa taille être retenue par le bras puissant de son père.
- Je t'en pris reste, supplia Renmisle, le regard larmoyant. Ne m'abandonne pas, ajouta-t-il en l'attirant contre sa poitrine, avant de poser sa tête contre son épaule.
Les yeux ronds de stupeur, Aldna observa les traits creusés de son visage, réalisant que lui aussi venait de perdre sous ses yeux des êtres chers. Cherchant elle aussi du réconfort, elle passa ses bras autour de son cou, avant de poser un baiser tendre sur sa joue au goût de sel. Alors qu'elle s'imprégnait de son parfum naturel, elle entendit le murmure de sa voix.
- Ô Dieu miséricordieux, je vous supplie humblement de sauver ma fille, dernière descendante du roi Gudrik et héritière du lien du divin. Accordez-lui votre protection et guidez ses pas dans ce futur sombre. Idittnavn, pria-t-il avant de poser un baiser sur sa chevelure.
Aldna, entendant la voix grave de son père s'éteindre, sentit une boule comprimer son ventre, cette sensation s'aggrava lorsque la chaleur réconfortante de son père la quitta doucement. Comme paralysé par cette nouvelle situation, tout ce qu'elle pouvait faire était de rester là, observant son père tourner un regard dans sa direction, lui adressant un immense sourire. Se détournant d'elle, il brandit son épée, faisant face à huit horribles créatures.
Elle réalisa alors que ses mots étaient les derniers qu'il prononçait avant son ultime sacrifice. Sachant pourtant qu'elle serait sa fin, elle n'arrivait pas à se détacher de son dos aux larges épaules. Elle songea alors, à ses moments où il la faisait monter sur son dos, telle une cavalière héroïque. À ce souvenir, de nouvelles larmes quittèrent ses yeux, brouillant sa vision, ne laissant qu'une vision informe du roi Renmisle.
- Aldna !!! cria-t-il, avant que sa silhouette ne faiblisse soudainement.
Alors que le désespoir imprégnait désormais son âme, elle acceptait le cœur léger, son sort funeste. Les yeux clos, un sourire se dessina sur ses lèvres, attendant la douleur qui ne vint pas. Ce fut une douce chaleur réconfortante qui lui imposa de rouvrir ses paupières. Ses pupilles se posèrent instantanément sur un petit animal d'un blanc immaculé, dont les iris d'un orange flamboyant la fixaient avec intensité.
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