Aldna, le cœur battant et le souffle court, courait à perdre haleine à travers les longs couloirs du château, tenant délicatement les pans de sa robe entre ses doigts. Les murs d'un blanc nacré enveloppaient majestueusement l'espace, tels des gardiens silencieux veillant sur les portraits de la famille royale. Malgré leur allure officielle, ces portraits familiaux, témoins chargés d'histoire, offraient une ambiance chaleureuse et réconfortante à ces lieux empreints de souvenirs précieux.
À mesure qu'Aldna poursuivait sa course effrénée, elle pouvait sentir la douce chaleur de la lumière sacrée du soleil hivernal qui se faufilait à travers de grandes fenêtres vitrées. Les rideaux de velours noir et blanc avaient été entièrement ouverts, laissant les rayons caresser les fresques et les peintures qui ornaient les murs, faisant danser les reflets de leurs couleurs vives.
Ainsi, entre les fresques romanesques et les décors féeriques, Aldna continuait sa course effrénée à travers ce dédale de couloirs, portée par la colère. Le son lourd de ses grandes enjambées était étouffé par de longs tapis tissés à la main, représentant les armoiries de la famille royale, ainsi que les murmures des domestiques qui fourmillaient autours d'elle.
Aldna, qui connaissait les couloirs du château sur le bout des doigts, ignorait avec dédain la finesse de la décoration environnante et les regards figés de ses ancêtres qui semblaient l'observer avec froideur. Son unique obsession était de rejoindre son frère Thiemos, qui, tout comme elle, se précipitait à travers le dédale des corridors.
Peu lui importait que son frère, bien qu'ayant six ans de plus, bénéficiait d'une certaine impunité pour ses actes.
Elle savait que sa décision aurait des conséquences, mais rien ne pouvait apaiser sa soif de justice et sa colère.
Elle le détestait lorsqu'il faisait pleurer leur sœur Hérais. Pour Aldna, il était inconcevable que quiconque puisse lui causer le moindre mal. À l'âge de seulement huit ans, Hérais était son modèle, incarnant parfaitement l'image qu'Aldna se faisait d'une princesse. Malgré sa jeunesse, Hérais était considérée comme une jeune fille d'une beauté angélique. Elle avait de longs cheveux d'un blond vénitien soigneusement tressés et agrémentés d'un ruban de soie bleue qui rehaussait son teint de porcelaine parsemé de petites taches de rousseur. En plus de sa beauté, elle semblait posséder un talent inné pour la danse, le chant et le piano. Son tempérament calme et silencieux faisait d'elle une digne descendante de la famille Rev.
Aldna se sentait même fier, lorsque des domestiques peu discrets, racontaient que de nombreux rois étrangers ainsi que des ducs vassaux, réclamaient la main d'Hérais. Et heureusement pour Aldna, leur père n'avait accéder à aucune de leur requête.
Malgré son souffle court, ne pouvait s'empêcher de sourire en songeant à celui de sa sœur, illuminant ses deux grands yeux bleus. Cependant, le souvenir des larmes de sa sœur effaça ce doux souvenir. Les doigts serrés de colère autour du manche d'une petite épée en bois, elle poursuivit sa course jusqu'à la grande salle de réception.
En arrivant dans la pièce, elle remarqua immédiatement, la tête blonde de son frère qui tentait de dissimuler. Mais il ne semblait pas se rendre compte que du haut de ses 12 ans, son corps n'était plus celui d'un petit garçon. Sa taille haute et son corps massif laissaient apercevoir les couleurs colorées de sa tenue qui dépassait des grandes colonnes de pierre blanche qui soutenaient une voûte représentant le premier roi de la famille Rev, accompagné d'un magnifique renard d'un blanc immaculé. Ses nombreuses queues en pointe noire enveloppaient le souverain d'une auréole céleste. Quant aux portraits qui formaient un cercle autour d'eux, représentaient les fondateurs des différents duchés du royaume.
Aldna chérissait cette pièce, car chaque mur était orné de fresques représentant la fondation de leur royaume. Les couleurs éclatantes qui en émanaient la plongeaient souvent dans des rêves éveillés, où elle se voyait aux côtés de son aïeul, combattant les hordes de démons. Elle nourrissait du fond de son cœur le rêve de devenir une valeureuse chevalière, mais elle était consciente que son statut de princesse lui réservait un tout autre destin.
À seulement sept ans, elle savait qu'elle devrait suivre les traces de sa sœur et devenir une jeune femme accomplie, mariée en échange d'une alliance, à l'image d'Hérais qui avait accepté son destin. Bien qu'elle ressente une légère irritation face à la volonté de sa sœur de se conformer à cette tradition, Aldna ne lui en voulait pas de poursuivre ses propres rêves, même si cela signifiait être enchaîné à un homme qu'elle n'aimait pas. C'est pourquoi Aldna s'était juré de rendre sa sœur heureuse, et cela jusqu'au jour où elle devrait la quitter.
Aldna s'était lancée à la poursuite de son grand frère, qui, de par sa taille imposante, parvenait toujours à lui échapper. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas son frère, au contraire. Lorsqu'il n'était pas en train de jouer les garnements infernaux, elle adorait passer du temps en sa compagnie. Elle préférait même rester à ses côtés lorsqu'il étudiait ses leçons.
C'étaient des moments où le silence qui régnait entre eux avait bien plus de valeur affective que de longs discours. Malheureusement pour lui, quand il s'agissait de Hérais, Aldna n'avait aucune pitié pour lui.
- Thiemos ! Hurla Aldna, sa petite voix fluette résonnant contre les vitraux colorés et créant un écho fantomatique dans l'immense salle vide.
- Laisse-moi tranquille ! Imposa le jeune prince, cherchant à se dissimuler derrière les sièges vides recouverts de tentures bicolores noires et blanches.
Aldna, les doigts fermement agrippés à son épée en bois, observait les mouvements de son frère qui se dérobait sans cesse lorsqu'elle tentait de l'approcher. Elle ne pouvait nier que, malgré le côté insupportable de Thiemos, elle savait qu'il cherchait en réalité à échapper à ses propres contraintes.
En tant que second dans l'ordre de succession au trône, il avait la responsabilité de devenir le soutien sur lequel le roi pourrait s'appuyer.
Pourtant, aussi bien qu'elle comprenait ses sentiments, il n'avait aucun droit de faire pleurer Hérais.
Elle se sentait obligée de l'attraper et de le ramener, qu'il le veuille ou non, auprès de leur sœur.
- Ce n'est qu'un stupide bout de tissu ! Cria-t-il, échappant de justesse à la petite main de sa sœur.
À ces mots, Aldna sentit son sang se figer dans ses veines. Comment pouvait-il considérer le travail de leur sœur comme un simple bout de tissu ? Il ne semblait pas se rendre compte du temps et de l'énergie que Hérais y avait consacrés.
Un soupir mêlé de colère et de frustration s'échappa de ses narines, puis elle se lança à la poursuite du fugitif. Sa main réussit à saisir du bout des doigts la chemise de son frère, un geste qui eut pour effet de stopper brutalement sa course. Il s'écroula de tout son long et se retrouva face contre terre.
Alors qu'il tendait le bras pour tenter de fuir à nouveau, Aldna stoppa son geste en posant doucement la pointe de son épée sur son poignet, exerçant une pression suffisante pour l'empêcher de s'échapper, mais sans lui faire mal.
- C'est fini, déclara Aldna en s'accroupissant devant son frère, affichant son plus beau sourire qui rendait ses yeux noisette encore plus éclatants. Maintenant que j'ai réussi à te soumettre, je veux que tu t'excuses auprès de Hérais.
- Pas question, gronda Thiemos.
Aldna, agacée par l'attitude de son frère, appuya un peu plus sur l'épée qui s'enfonçait fermement contre son articulation. Elle pouvait clairement entendre les petits gémissements de douleur de son frère, mais elle s'en moquait. Tout ce qui comptait, c'était qu'il s'excuse.
- Tu vois ce que tu appelles un simple bout de tissu ? Déclara-t-elle en sortant un mouchoir déchiré de sa manche. Hérais y a passé plusieurs heures de travail. Elle s'est parfois abîmé les mains, pourtant elle avait toujours le sourire. Comment peux-tu dénigrer autant son ouvrage ? grogna-t-elle, les dents serrées, alors que les fils de la broderie pendaient tristement. Regarde-le ! Imposa-t-elle, folle de rage, bien que son frère ne daignât toujours pas la regarder.
D'un geste brutal, elle attrapa le menton de son frère entre ses doigts, l'obligeant à relever son regard vers elle. Lorsque leurs yeux se croisèrent, Aldna échappa un hoquet de terreur. Le visage de son frère était inondé de sang.
Elle tomba aussitôt à genoux, son cerveau paralysé et aucun mot ne sortant de sa bouche, alors qu'elle entendait des pas précipités résonner à ses oreilles, suivis de la voix de sa mère.
- Thiemos ! Cria Arnfried, paniqué, se précipitant auprès de son fils et repoussant brusquement l'épée d'Aldna qui maintenait toujours son poignet prisonnier.
Paniquée, Aldna releva son visage sans expression vers sa mère, dont les yeux bleus orageux la fixaient intensément. Sous l'emprise de sa beauté saisissante et magnétique, elle n'osa prononcer le moindre mot, mais elle ne pouvait s'empêcher de suivre du regard la silhouette élancée et gracile de sa mère, qui dégageait une élégance naturelle à chaque pas. Une autorité naturelle émanait de sa démarche souple et légère alors qu'elle se précipitait vers Thiemos, toujours à terre.
La gorge d'Aldna se noua d'angoisse alors qu'elle reportait son regard sur son frère qui se relevait péniblement, marqué par le sang qui tachait ses lèvres et ses vêtements. En cet instant, elle prenait pleinement conscience de la souffrance qu'elle lui avait infligée. Le poids de la culpabilité s'abattit sur elle, amplifiant la douleur dans son cœur.
- Aldna ! Gronda la femme qui maintenait toujours fermement le corps de Thiemos contre sa poitrine. Comment osez-vous frapper votre frère ? Qu'est-ce que je vais faire de vous ? Soupira-t-elle en pressant un mouchoir sous le nez ensanglanté de Thiemos. Pourquoi ne vous comportez-vous pas comme votre sœur ? Elle sait où est sa place, elle.
- Je suis désolée, mère, murmura Aldna, le regard baissé, tandis que ses doigts jouaient nerveusement avec le tissu de sa robe. Mais il avait...
- Taisez-vous ! Ordonna Arnfried, qui confia son fils à un garde capable de le soulever facilement. "Je ne veux pas de vos excuses. Et dites-moi ce qu'une princesse telle que vous, fait avec ce jouet stupide. Combien de fois dois-je vous le répéter ? Vous êtes une princesse et, en tant que telle, vous devez agir en conséquence. Regardez votre tenue, vous me faites honte avec cette robe poussiéreuse et vos cheveux en bataille."
Aldna accusait difficilement les remarques de sa mère, pourtant elle savait qu'elle avait raison. Son rêve d'avenir n'était qu'une chimère. Il fallait qu'elle assume les conséquences de ses actes stupides. Elle dut se mordre la lèvre pour retenir ses larmes qui menaçaient de couler. La gorge nouée, elle releva difficilement le regard, alors qu'elle réalisait que les pas de sa mère s'éloignaient d'elle. C'est là qu'elle croisa le visage de Thiemos, qui lui adressa un sourire chaleureux, avant de mimer des excuses du bout des lèvres.
Les lèvres pincées, elle lui rendit un timide sourire avant de reporter son attention sur sa mère.
- Conduisez la princesse auprès du roi, il saura trouver la punition adéquate, ordonna-t-elle à l'encontre des gardes restés sur place, avant de suivre son fils.
Sur ces mots, Aldna sentit deux grandes mains se glisser sous ses bras, l'obligeant à se redresser sur ses pieds. Relevant son regard sur les deux gardes qui la maintenaient toujours fermement, elle dut continuer à se mordre nerveusement la joue pour retenir ses larmes. C'était ce que sa mère lui avait appris : aucun membre de la famille royale ne doit montrer son chagrin, car on pourrait le prendre pour une faiblesse. C'est donc le cœur lourd qu'elle opina à la demande de l'un des hommes. Elle remarqua un regard complice entre les militaires, avant de sentir la pression qu'ils imposaient à ses bras disparaître.
Réalisant qu'ils venaient de lui rendre sa liberté, elle ne dit aucun mot et se contenta d'avancer droit devant elle pour quitter le hall de réception et rejoindre un couloir attenant. Leurs pas, qui résonnaient à peine sur le sol, étaient accompagnés d'un silence religieux.
À chaque porte qui s'ouvrait devant Aldna, le poids de sa culpabilité envers son frère s'alourdissait. Elle n'avait jamais eu l'intention de lui faire le moindre mal. Elle comprenait qu'elle avait mal agi à son égard, bien que son seul désir était de le voir s'excuser auprès de Hérais. Mais cette fois-ci, c'était à elle de présenter des excuses. Sinon, comment pourrait-elle faire preuve de justice si elle-même n'était pas irréprochable ?
Arrivée à quelques pas de la double porte en bois massif, elle remarqua une faible lueur dorée, exacerbée par les rayons du soleil qui traversaient les carreaux des fenêtres. À mesure que la distance qui la séparait de sa destination diminuait, elle pouvait voir se dessiner devant ses yeux des renards. Le travail de sculpture était si bien réalisé qu'elle avait l'illusion que les multiples queues des animaux dansaient au gré des rayons solaires qui venaient frapper les couches d'or recouvrant leur pelage, faisant ainsi ressortir leur essence divine et légendaire.
Le conseil royal était toujours en session lorsque les deux gardes qui l'avaient escortée dans l'antichambre lui demandèrent de patienter quelques instants avant de quitter la pièce. Désormais seule, elle pouvait entendre les murmures des conversations qui s'étaient tus après une bonne vingtaine de minutes. Ses jambes engourdies d'être restée debout si longtemps, elle laissa échapper un soupir de soulagement. Au son du cliquetis de la poignée, elle se redressa vivement, reprenant une posture royale. Elle hocha légèrement la tête raide comme un piquet pour saluer les ministres qui s'inclinaient respectueusement devant elle, avant de quitter les lieux par une porte attenante. De nouveau seule, son attention se porta sur les deux grandes portes restées entrouvertes.
Alors qu'elle s'apprêtait à pénétrer dans la salle du conseil, son corps se figea de peur en entendant la voix d'ordinaire douce et enjôleuse de son père se faire grave et menaçante. N'étant nullement habituée à cette attitude froide, Aldna sentit une sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale. Pourtant, attisée par la curiosité de comprendre ce comportement inhabituel de son père, elle approcha silencieusement son visage de l'ouverture. Ses yeux se posèrent instantanément sur la grande taille et les épaules larges du roi Renmisle.
Chaque fois qu'Aldna posait son regard sur lui, elle ne pouvait s'empêcher d'être impressionnée par son aura de confiance et d'autorité qui se dégageait de sa mâchoire carrée et de ses pommettes saillantes. Son regard d'un bleu profond lui donnait l'impression de capturer l'attention de ceux qui le regardaient. Aldna était réellement fascinée par son père qui, bien qu'autoritaire, était la douceur incarnée. Son charisme et son magnétisme ne laissaient aucune chance aux femmes d'échapper à son charme. Aldna était fière d'être la fille de ce roi aimé de tous et surtout reconnu comme l'un des guerriers les plus puissants du pays.
Pourtant, cette fois-ci, elle vit chaque muscle de son visage tressaillir, en particulier sa mâchoire. Elle ne comprenait pas pourquoi il adoptait une attitude si froide, et surtout à qui celle-ci était destinée.
Son attention se déporta aussitôt vers une silhouette mince et élancée qui se tenait en face de lui. Ses yeux s'arrondirent de surprise lorsqu'elle reconnut son frère aîné, Dallenan. Sa présence ne l'étonna guère, en tant qu'héritier de la couronne, mais c'était la douleur qui se reflétait dans son regard habituellement éclatant d'un bleu clair qui la saisit. Un pincement au cœur étreignit Aldna quand elle réalisa que les traits délicats de son frère et son expression captivante semblaient ternes et effacés.
Que ce passait-il donc dans cette pièce pour que l'on y reccente une atmosphère glaciale ? Cherchant à comprendre la situation, Aldna décida de rester silencieuse et de les écouter. Elle savait que ce n'était pas digne d'une princesse royale, mais sa curiosité était la plus forte. Elle posa donc délicatement sa main sur le battant de la porte, élargissant ainsi l'ouverture pour mieux percevoir leur conversation.
- Je vous en prie père, ne faites pas cela, supplia Dallenan les larmes aux yeux, tandis que ses doigts tenaient maladroitement le tissu de la tunique coloré et finement brodés de son père. J'y ai consacré tout mon temps.
Aldna, les lèvres tremblantes et les larmes roulant sur ses joues, se sentait totalement impuissante devant cette scène surréaliste. Son cœur se fendait alors qu'elle observait son père jeter un regard sans pitié envers Dallenan, laissant les feuilles se consumer dans les flammes. Un rictus démoniaque se dessinait au coin de sa bouche, tandis que ses yeux brûlaient d'une intensité glaçante, laissant la cendre voltiger dans un silence pesant.
- Je me demande encore comment j'ai pu engendrer un tel incapable, souffla le roi, repoussant brutalement la main de son fils qui s'effondra au sol. Comment peux-tu être une telle loque ?
À mesure que cette scène violente se déroulait devant elle, Aldna sentait une boule de colère et de tristesse se former dans sa poitrine. Tandis que ses larmes roulaient sur se joues, sa main se crispa contre son corsage, tant la douleur de son frère lui était insoutenable. Désormais, elle comprenait enfin, pourquoi, elle avait perçut des marques bleuté sur son corps, pourtant jamais, elle n'y avait vraiment prêté attention.
À présent les événements qui se déroulaient devant ses yeux, faisaient submerger ses émotions à point telle qu'elle ne put rester plus longtemps silencieuse.
D'un mouvement instinctif, elle quitta son point d'observation et se précipita dans la pièce, repoussant les chaises, avant d'entourer de ses bras le corps affaiblit de Dallenan.
- Père, arrêtez ! Hurla-t-elle d'une voix tremblante, les larmes brouillant sa vision. Je vous en prie, arrêtez.
Sa voix était empreinte de supplication, mais aussi de détermination. Ses bras entouraient son frère avec fermeté, offrant un réconfort et une protection face à la cruauté de leur père.
- Aldna ? Mais que fais-tu là ? Interrogea-t-il d'une voix calme et presque apaisante, comme s'il cherchait à minimiser ses actions.
Faisant à présent face à la vérité, Aldna sentait la colère la submerger, mais aussi la crainte envers son père. Elle n'était plus dupe, et cet amour inconditionnel qu'elle ressentait pour lui était en train de s'effriter doucement lorsque en reportant son attention sur Dallenan, elle remarqua son sang s'échapper de ses lèvres.
- Pourquoi ? Questionna-t-elle en glissant précautionneusement ses doigts sur sa joue tuméfiée.
Son cœur se serrer quand elle sentit sa mâchoire tressaillir de douleur, bien qu'il tentait de lui dissimuler sa souffrance.
- Il fait toujours ce que vous lui demandez. Il passe des heures à étudier à la bibliothèque, il écoute avec attention vos conseils. Je ne comprends pas, sanglota-t-elle en cherchant à capter les yeux de Dallenan qui n'osait pas la regarder.
- Ma chère petite Aldna, souffla Renmisle d'une voix calme, mais emprunte d'autorité. Il faut que tu comprènes qu'il y a des choses qui te dépassent encore.
- Mais c'est mon frère, insista-t-elle furieuse. Je ne veux pas le voir souffrir et encore moin de votre main. Vous êtes l'image même de la justice et de la tolérance.
- Et c'est ce que je suis, murmura-t-il en tendant sa main vers son épaule. Mais en qu'héritier de la couronne, il a des responsabilités qui lui incombent. Et mon rôle et de l'y préparer. Je comprends tout à fait, ce que tu peux ressentir et c'est tout à ton honneur de vouloir le protéger. Mais tu as toi aussi tes propres responsabilités. Il serait aussi temps pour toi de te comporter comme une princesse.
La peur s'empara d'Aldna, alors qu'elle recevait ce flot de vérité, les jambes flageolantes, elle tenait fermement la manche de la tunique de son frère. C'était impossible pour elle d'abandonner ce frère qui la regardait de son regard azur qui ne reflétait que fragilité et douleur.
- Je vous en prie, ne lui faite plus de mal, ajouta-t-elle d'une voix faible, mais résolue.
Sur ces mots, elle avança son visage de celui de son frère pour venir plaquer son front contre le sien. Elle espérait ainsi lui partager tout son amour et sa chaleur rassurante, pour que ce corps frêle cesse de trembler de peur.
Un sourire triste se dessina sur ses lèvres, en ressentant les bras hésitant de son frère s'enrouler autour de son petit corps, avant d'enfouir son visage au creux de son cou, où elle ressentait la vibration de ses sanglots.
- Je suis là Dallenan, murmura-t-elle en venant doucement caresser sa chevelure châtain qui glisser entre ses doigts. Tu n'es plus seule. Je suis à tes côtés, sourit-elle en déposant un baiser maternel sur son crâne.
Sentant la peine de son frère s'amenuiser, elle tourna sa tête pour observer son père, la tension qui flottait dans l'air était palpable. Elle pouvait lire dans ses traits toute une palette d'émotions qui allait de la colère, à la déception et à l'incrédulité.
Finalement, après plusieurs minutes d'immobilité, à observer la détermination de sa fille, Aldna remarqua une lueur de résignation traverser ses yeux, avant de baisser lentement sa tête, tout en échappant un soupir.
Aldna espérait qu'il reconnaisse ses torts, mais aucun son ne semblait vouloir s'échapper de sa bouche. Finalement, elle le vit faire demi-tour, avant de s'éloigner d'eux d'un pas lourd.
Alors qu'il atteignait la porte, il tourna son regard résigné vers eux.
- Dallenan, interpella-t-il. N'oublie pas que nous partons demain. Je compte sur toi pour t'occuper du royaume, conclu-t-il en quittant la pièce.
Alors que la porte se refermait derrière lui, le silence s'installa dans la pièce, enveloppant Aldna et Dallenan d'un calme fragile. Ils restaient là, se tenant l'un contre l'autre, se soutenant mutuellement dans ce moment douloureux.
Ils restèrent ainsi, enlacés, pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que les tremblements de Dallenan s'apaisent progressivement et que son souffle se fasse plus régulier. Aldna sentit son visage se détacher doucement de son épaule pour se positionner face au sien. Elle vit apparaître un sourire rassurant sur ses lèvres coupées tout en la fixant de ses yeux bleus.
- Merci, murmura-t-il d'une voix émue, ses deux mains se posant délicatement sur ses épaules.
À travers ce simple mot, elle ressentit un vague de chaleur et d'émotion envahir tout son être, car il portait en lui sa gratitude et son affection pour elle.
Pourtant, elle le sentit se détacher d'elle, pour tenter de se redresser. Elle put aussitôt voir sur ses traits abîmés, la souffrance que chaque mouvement lui causait. Ne pouvant continuer à l'observer les bras croisés, elle s'approcha de lui et attrapa son bras, poussant de toutes ses forces pour le soutenir
- Est-ce que ça va aller ? Demanda-t-elle d'une voix empreinte de sollicitude, relevant légèrement la tête pour le regarder, mais sans relâcher sa prise. Son visage exprimait sa préoccupation et sa détermination à soutenir son frère dans cette épreuve.
- Oui, assura-t-il en posant sa main libre sur la sienne, signe de son attachement indéfectible. Mais je me dois, de faire cela seul, dit-il en fixant droit devant lui, en signe de détermination. Je me dois d'être fort et inébranlable.
Aldna, le cœur battant, esquissa un sourire en observant son frère se détacher d'elle, pour rejoindre en boitant l'un des nombreux fauteuils somptueusement sculpté dans un bois exotique aux notes cuivrés. celui-ci contrastait avec le rembourrage recouvert d'un tissu rouge, finement brodé de fils d'or qui représentaient les légendaires dragons protecteurs des terres anciennes. Lorsqu'il y prit place, Aldna sentit tout son être vibrer d'admiration pour lui. Car malgré ses 17 ans, sa frêle carrure et ses blessures apparentes, elle était fascinée par cette prestance qui se dégageait de lui et de ses yeux couleur céleste. En cet instant, elle avait la sensation de retrouver en lui la même grandeur que leurs aïeux. Elle était à présent sur d'une chose. Malgré la rudesse de son éducation, il était destiné à réaliser de grandes choses.
Pourtant, malgré tout, à ses yeux, il était son frère bien aimé qu'elle souhaitait soutenir dans les moments difficiles. C'est donc d'un pas déterminé qu'elle commença à réduire la distance qui les séparait, tout en soulevant les pans de sa robe, pour atteindre le tissu blanc de son jupon qu'elle déchira dans un geste vif sous l'œil désapprobateur de Dallenan. Une longue lamelle entre ses doigts qu'elle replia aussitôt, elle reporta son attention sur l'immense table en bois noble, dont la circonférence était sculptée de nombreux motifs ésotériques et d'entrelacs qui façonnait des créatures mythologiques. Tandis que ses six pieds étaient tout simplement représentés par des renards au regard sage et bienveillant, assis tel des gardiens.
Elle y vit aussitôt une bouteille de liqueur de coing, le péché mignon de leur père et s'en empara aussitôt, pour en imbiber la bande de tissu.
À mesure qu'elle se rapprochait de son frère, Aldna réalisa qu'il n'était plus à l'aise en sa présence. Son regard, fier quelques instants auparavant, se voilait de crainte à la vue de sa compresse de fortune.
- Ne t'approche pas de moi, ordonna-t-il en tentant de s'échapper de son fauteuil, mais la douleur intense l'y maintenait prisonnier.
Le sourire aux lèvres, Aldna était amusée par l'attitude presque enfantine de son aîné. Pourtant, malgré ses supplications puériles, elle n'avait pas l'intention d'abandonner son objectif.
- Arrête de faire ton bébé, rit-elle en tendant son bras vers son visage, cherchant à soigner sa joue ensanglantée.
Mais elle méconnaissait son frère, car il bougeait la tête si rapidement qu'il lui était impossible de réussir à atteindre son but. Elle se demandait même comment il pouvait être aussi agile alors que la douleur déformait ses traits.
- Il est hors de question que je te laisse t'approcher de moi avec cette chose en main.
- Cher frère, sourit-elle amusée. Je ne te laisse pas vraiment le choix, ajouta-t-elle en grimpant sur ses genoux.
Elle tendit aussitôt son bras, effleurant légèrement sa joue, mais son geste fut immédiatement stoppé par la main de Dallenan qui l'immobilisa aussitôt. Une moue boudeuse apparut sur son visage, frustrée de ne pas avoir atteint son objectif initial. Pourtant, elle n'avait pas l'intention d'abandonner. Elle tenta donc de se dégager de l'étreinte puissante de son frère qui maintenait toujours fermement son poignet entre ses doigts.
- Arrête de t'agiter, se gaussa-t-il en la regardant. C'est moi le plus fort. Tu n'as aucune chance. Et que dirait notre mère si elle te voyait jouer les sauvageonnes.
Le visage d'Aldna se décomposa en pensant à leur mère. Elle se souvenait encore du regard noir qu'elle avait posé sur elle quelques minutes plus tôt. Elle avait conscience que son attitude n'était pas digne d'une princesse, mais entendre ces reproches de la part de sa mère et de son frère aîné la rendait extrêmement malheureuse. Pourtant, elle essayait de faire des efforts pour s'intéresser à son rôle, mais c'était plus fort qu'elle ; elle n'arrivait pas à les rendre fiers.
Un soupir triste s'échappa de ses lèvres, ce qui n'échappa pas à Dallenan. Il posa une main chaleureuse sur le haut de son crâne, son attention se focalisant sur elle tandis qu'il lui adressait un sourire compatissant.
- C'est pour cela que tu es là, affirma-t-il en caressant délicatement sa chevelure. Tu t'es encore fait gronder par elle.
Un simple hochement de tête fut sa seule réponse. Le cœur lourd, elle n'osait pas prononcer le moindre mot de peur que des larmes s'échappent de ses yeux aussi bien que de ses paroles.
- Tout comme moi, tu ne réponds pas à leurs attentes, souffla-t-il en attirant sa main contre sa joue.
Les yeux d'Aldna s'écarquillèrent lorsqu'elle vit une grimace se dessiner au coin de sa bouche au contact du tissu imbibé d'alcool avec l'une des plaies ouvertes. Pourtant, il continuait de lui sourire, tout comme ses caresses.
- Pourquoi ne m'as-tu pas parlé de tes problèmes ? Demanda-t-elle d'une petite voix, observant les courbes de son visage fin.
Tout en parlant, elle continuait d'essuyer avec douceur les blessures de son visage. Si bien qu'elle ne vit plus aucune grimace contracter ses muscles. Le sourire aux lèvres, elle sentait sa poitrine se gonfler de bonheur. Elle aimait vraiment ces petits moments où ils se retrouvaient rien que tous les deux.
- Je ne voulais pas que tu t'inquiètes, assura-t-il en posant son front contre sa tempe. C'est à moi de te protéger et pas le contraire. Laisse-moi te faire une promesse, murmura-t-il tout contre son oreille. Le jour où je deviens roi, tu pourras vivre ta vie comme tu l'entends. Je te retirerai toutes tes responsabilités. En somme, tu seras libre.
Le mot "libre" flottait dans l'esprit d'Aldna, comme si une brise légère le poussait doucement. Un sourire s'étira sur son visage alors qu'elle se voyait déjà explorer les contrées lointaines, chevauchant un magnifique cheval blanc. Elle s'imaginait combattre des créatures maléfiques, épée en main, accompagnée de compagnons venus de tous horizons.
- Oh, Dallenan ! Comme c'est un doux rêve que tu me proposes, soupira-t-elle, envoûtée par cette illusion. Mais je comprends à présent que je me dois de suivre le destin choisi pour moi, déclara-t-elle tristement. Là, entre tes bras, j'ai conscience que mon égoïsme risque de t'atteindre, et mon rêve à présent est de faire de toi le plus grand des rois, même si je dois me résoudre à faire un mariage sans amour.
Sur ces mots, elle glissa doucement des genoux de son frère qui la fixait à la fois avec tendresse et tristesse. Les lèvres pincées de résignation, elle déposa au creux de la main de son frère le bout de tissu taché de sang, avant de se pencher vers lui pour déposer un baiser délicat sur l'une de ses joues.
- À présent, je sais ce qu'il me reste à faire. Si je veux soutenir ton futur règne, je me dois de m'excuser auprès de Thiemos et de devenir la parfaite copie d'Hérais. Mon très cher frère, s'inclina-t-elle en une majestueuse révérence. Tu seras fier de moi, ajouta-t-elle avant de quitter la salle.
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