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CHAPITRE 6

Thé, sucrettes et causettes

Une histoire de l’univers Esoteriam

Note de Grimm : chapitre écrit dans le cadre d'un défi donné par Quetzy (écrire sur une "ville sous marine dans un lac aux eaux limpides").

Θ

Pouvait-elle vraiment prédire l’avenir ?

Elle-même en doutait. Après tout, elle ne voyait que des bribes d’un destin possible, que des images, voir des fragments d’images qui n’avaient aucun sens si ce n’était celui qu’elle voulait bien leur donner.

Pourtant, Denise aimait se dire qu’elle agissait sur le déroulement de ce fameux destin. Grâce à son intervention – ou « à cause », selon les situations – elle arrivait à entremêler les différents fragments et donner du sens à cet « avenir » qu’elle percevait.

Il lui était difficile de savoir si elle intervenait pour changer des événements ou si elle n’était qu’un vecteur dans ce maelström ésotérique, un intermédiaire destiné à faire en sorte que cet avenir se réalise.

Et quoi de pire qu’une querelle d’amoureux ? Elle avait le devoir d’écrire la suite de cette histoire. Pourtant, elle n’avait absolument aucune idée de ce vers quoi elle s’acheminait : abréger l’idylle ou bien tenter de les réconcilier. Sa tête en bourdonnait déjà.

Les difficultés ne se firent pas attendre : Bilbao d’Eau-Douce et Silmilène d’Eau-Salée pénétrèrent en grande trombe dans sa petite boutique à thé, sans même un regard pour elle. Typique des Nestelles, songea Denise, peu surprise par ce manque de politesse. Les Nestelles – ou « Nain des eaux » en langage familier – trainaient une réputation de peuple grincheux et chauvin, toujours à revendiquer, se disputer et parler fort.

Ces deux spécimens ne dérogeaient pas à la règle. Lui, un chouilla plus petit qu’elle, passait son temps à grogner dans sa barbe écailleuse, tandis que la prénommée Silmilène, les doigts palmés accrochés au dossier d’un fauteuil, exigeait une réponse à une question qui échappait à Denise.

— J’en sais rRien, voilà, tu es contente ? répliqua-t-il d’une voix bulleuse qui roulait les r.

— Comme d’habitude ! Toujours le même.

La voix de Silmilène se voulait moins harmonieuse, plus tranchée. Une particularité de son lac d’origine, peut-être ? Ou simplement une particularité propre à cette femme désagréable… Denise n’arriva pas à trancher et mis un terme à la dispute naissante en s’interposant entre les deux petites personnes.

— Bonjour, bonjour, bienvenue chez Denise Deli…

— Pas de minauderRies avec nous, voulez-vous, gronda Bilbao, déjà perché sur un fauteuil.

Denise ravala une réplique cinglante, glaça son sourire sur son visage et croisa les doigts.

— Que voudriez-vous, en ce cas ?

— Vos consSeils, persifla Silmilène.

— Chou, comment refuser ? C’est si joliment demandé, ironisa Denise, incapable de trouver une autre parade.

— Nous sSommes en désaccord, continua Silmilène sur sa lancée.

— En désaccord ? Vos S et vos R sont-ils en conflits ?

Bilbao tapotait la table de ses ongles noirs-bleuté, les yeux levés au plafond. Silmilène, quant à elle, agitait ses jambes et ronchonnait dans sa barbe. Barbe écailleuse qu’elle arborait aussi longue que celle de son compagnon, avec des notes nacrées et rosées qui se reflétaient dans les rayons du soleil. Ce qui marqua le plus Denise, ce furent ces yeux constellés de tâches dorés, magnifiques perles grises sur un visage opalescent.

— En désaccord car nos familles refusent notre mariage !

— Ta famille refuse le marRiage, rouspeta Bilbao dans la foulée. La mienne…

— La tienne fait comme si je n’exisStais pas. Du pareil au même. Me vois-tu habiter au Lac d’Erelle dans ces conditions ?

Denise connaissait le Lac d’Erelle de réputation. Situé dans les hauteurs des Alperelles, les montagnes de Svizze, pays neutre aux frontières bordées par l’Ystalie et la Valmer. On le décrivait comme une merveille cristalline, aux creux de mains rocheuses.

Soudain, un rot discret quitta la bouche de Silmilène et une bulle rosâtre s’échappa de ses lèvres. Ses yeux s’écarquillèrent et le rouge commença à teinter ses joues.

— Excusez-moi, gémit-elle en balbutiant. L’eau de mes poumons me réserve quelques petites sSurprises.

Denise ne releva pas, satisfaite de de voir l’une de ses interrogations trouver une réponse, certes des plus sommaires, qui lui taraudait l’esprit depuis que les Nestelles avaient pénétré sa boutique : comment faisaient-ils pour ne pas suffoquer en dehors de l’eau ?

— Mon village est tout de même bien plus joli que le tiens !

Bilbao se tourna vers Denise et commença à décrire son lieu de naissance. Une ville sous-marine, visible depuis la surface du lac, composée de maison blanche et de fenêtre rondes. Les rues étaient pavées de galets gris et les algues proliféraient sur les toits, parfois rouges, parfois jaune.

Il y faisait bon vivre, selon lui : le soleil ne manquait pas malgré les profondeurs du lac et rares étaient les tempêtes et intempéries venant troubler la quiétude des habitants.

— On en parle de tous cSes humains qui envahisSent les plages ?

— Sili chérRie, tu le sais, ce n’est que provisoirRe. Le bourgmestrRe va passer un accorRd avec les villes terrestrRes et…

— Et je n’irai pas vivre à Erelle, rétorqua-t-elle, les bras croisés. Voilà, cS’est dit. Autre chose ?

— CrRois-tu que j’ai envie de m’enfoncer dans tes eaux salés ?

— Aussi sSalées soient-elles, elles ont le mérite de ne pas être polluées par les crèmes sSolaires et autres produits dégoutants de cSes humains irresSpectueux !

— Oh, pour sûrR. Sans parRler des tempêtes de sables aquatiques et de votrRe…

— Votre ?

— Votre rustrerRie !

— RusStrerie ?

Silmilène leva le poing.

— Tu veux voir cSe qu’elle en pensSe ma rusStrerie ?

— Choux, excusez-moi, mais vous…

— Quoi ? tonna Bilbao en levant le poing à son tour.

— Vous voyez donc pas qu’on est en pleine conversatSion amoureuse ? insista Silmilène.

— Amou…

Interloquée, Denise ne termina pas sa phrase et s’écarta d’un pas, mains en avant.

— Loin de moi l’idée de remettre en question votre vision de l’amour, mais…

— Mais… ? la reprit Bilbao d’un ton soupçonneux.

— Mais peut-être que vous devriez, je sais, vous séparer un temps pour mieux vous retrouver ensuite ? Et mieux vous parler ? Cela pourrait, imaginons, calmer les choses avec vos familles respectives et…

— Bibi-choupi, tu entends ça ? Elle nous juge !

— Quoi ? Non, je… Vous avez demandé mes conseils et…

— Oui ma Silmi, oui. Ces humains. Ne voit-elle donc pas que je l’aime ton lac du déserRt, ses dunes, ses crRistaux, cette eau si pure ?

— Et moi, j’aime tes montagnes mon Bilbi. Je les aime comme je t’aime toi. Avec toute ma rusStrerie !

Un nouveau rot perturba les poumons de Silmilène ; Bilbao, quant à lui, continuait de fixer Denise avec son regard assassin : des sourcils broussailleux, semblables à des algues noires, froncés au-dessus de ses yeux miroir.

— Ma Silmi, je crois bien avoir une idée ! Déménageons !

— Je. Hein. Euh. OUI ! BILBI-CHOUPI, OUI !

Silmilène se jeta de sa chaise et se précipita au cou de son tendre ; Bilbao, sans quitter des yeux Denise, répondit à son étreinte.

— Nos familles ne veulent pas de nous ? AlorRs nous ne voulons pas d’eux, n’est-ce pas ma Silmi ?

— Tu as raison mon Bilbi-choupi. Profitons-en pour quitter cSet endroit, sSi rusStre et sSi froid.

— Nous sommes vrRaiment mal accueillis…

— Je ne te parle même pas de cSette serveuse. D’une arrogancSe.

— Et d’une impolitesse !

Ils quittèrent la boutique main dans la main, s’entendant enfin sur un sujet : l’incompétence et l’irrespect des humains et surtout… de Denise.


Texte publié par Grimm, 8 mars 2025 à 11h09
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