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CHAPITRE 4

Thé, sucrettes et causettes

Une histoire de l’univers Esoteriam

Note de Grimm : chapitre écrit dans le cadre d'un défi donné par Ailhe (écrire sur un peuple autochtone).

Θ

— Madame…

— Oh, Chou, s’il vous plaît. Appelez-moi Denise, le coupa-t-elle en agitant son poignet enserré de perles.

— Je ne peux me le permettre. Cela ne serait pas très respectueux pour vous. Nous ne sommes pas assez familiarisés pour que je puisse me le permettre.

Denise se mordit la lèvre inférieure. Elle aurait pu le savoir mais ses antennes à vibration, sa capacité de « prédire », ne fonctionnait pas, aussi préféra-t-elle laisser tomber et se concentrer sur la discussion.

— J’espère que vous ne voyez aucun inconvénient à ce que je vous appelle « Chou », Chou !

— Si cela est dans votre tradition, je ne puis m’opposer à vos pratiques, chère madame.

Elle sourit et fixa un long moments les yeux noirs de son interlocuteur. Droit sur sa chaise, les mains posées sur la table, il imposait par sa simple présence. Ses longs cheveux noirs, lisses et brillants, cascadaient sur des épaules larges, recouvertes d’une tunique en lin aux multiples motifs géométriques colorés. Sa peau basanée faisait ressortir le vert, le rouge et le jaune des nombreuses plumes et perles piquetées dans les nattes de ses cheveux.

Son regard glissa le long de son cou et s’accrocha au collier d’os qui retombait sur son torse. Denise en compta cinq, gravés de runes argentées. Le Grand Sachem dut capter l’insistance de son œillade car il porta ses doigts au bijou et le souleva légèrement.

— Des runes d’os, expliqua-t-il de sa voix grave. Elles portent la magie de nos ancêtres. Vous voyez celle-ci ?

Il fit rouler l’os du milieu, marqué d’une rune arrondie.

— Une rune de la parole, qui me permet de vous comprendre et de me faire comprendre. Votre langage est compliqué.

— S’il n’y avait que le langage, dit-elle avec un léger sourire. Vous ne m’avez toujours pas dit en quoi je pouvais vous aider !

— Vous ne m’avez toujours pas laissé l’occasion de le faire !

Piquée. Denise se racla la gorge et reporta son attention sur la théière fumante. Le Grand Sachem avait choisi un thé de cornouiller, produit à partir de ses grandes fleurs rouges. Cette plante, typique des continents de l’Ouest, d’où provenait le Grand Sachem, permettait de se prémunir contre les malédictions.

— Je suis vraiment navrée, monsieur…

— Vous pouvez m’appeler Talulah. Cela signifie « eau courante » dans votre langue.

— Talulah. Chou. Excusez-moi mais permettez-moi de vous appeler Chou, tout simplement.

— Je pense que vous êtes la seule ici à vous en formaliser. Je veux bien être monsieur Chou si cela vous permet d’être à l’aise en ma compagnie.

Elle soupira et lui sourit.

— Chou. Enfin, monsieur Chou. Oh ! Vous me perturbez ! Je n’ai pas l’habitude d’accueillir une personnalité aussi importante dans mon humble salon.

— Qui donc ?

— Mais… Vous !

Le Grand Sachem… Le dirigeant des cinq tribus ancestrales Amoridiennes dans sa boutique, voilà ce qui l’impressionnait. Talulah ne paraissait pas en souffrir, portant avec fierté l’humilité qui le caractérisait.

Denise ne connaissait pas grand-chose à leur sujet. Les gouvernements qui reconnaissaient publiquement leur extinction massive étaient rares. La colonisation des visages pâles venus d’Eurys, son propre continent, pour étendre leurs terres était tragiquement humaine.

Talulah se contenta de sourire et déclara ensuite :

— Je ne cherche aucune aide.

— Oh, euh, bien, articula-t-elle péniblement. Vous avez levé la main, j’ai cru bon de venir vous aider. C’est ce que font les gens ici. Ils demandent mon aide et voilà, j’apparais. Pouf, comme une petite féi prête à voler à votre secours.

— Je souhaitais juste vous régler ce que je vous dois.

Pour le coup, Denise rougit franchement, engluée dans une toile de honte. Elle s’apprêta à se relever pour répondre à sa demande quand Talulah posa sa main sur son avant bras.

— Restez donc. Je suis très impoli. Vous pouvez effectivement m’aider. Voyez-vous, j’ai le mal de mon pays et j’ai besoin d’en parler un peu.

— Monsieur Chou, voilà qui devrait être dans mes cordes. J’accepte de vous aider alors.

— Connaissez-vous l’Anahuacor ?

Elle secoua la tête.

— Il s’agit d’une région du « Middle West » Amérinthien. C’est ainsi qu’ils le disent, je n’invente rien. Imaginez…

… Une région boisée, aux larges plaines bordées de montagnes rouges aux formes étranges, élevés sans être pointues, mais tout aussi poétiques. Ces terres appartenaient aux tribus Amoridiennes, autochtones de l’Amérinthie.

Talulah évoqua le chant du vent dans les champs de blé, les pleurs du ciel quand la saison de la pluie approchait et la protection du loup quand la lune pleine s’élevait dans le ciel. Il décrivait chaque couleur, chaque forme et chaque mouvement avec une telle ardeur que Denise rêvait éveillée.

Elle visualisait parfaitement Oklahumma, la capitale de l’Anahuacor et ses bâtiments coniques, appelés « tipis », composés de tissus rigides, de bois et de verre. Talulah les décrivait comme de véritable innovation architecturale, capable de rivaliser en taille avec les arbres, de capter le soleil pour produire de l’énergie et de protéger du froid autant que du chaud sans aide ésotérique.

Il dériva ensuite sur les canaux qui sillonnaient la ville, alimentant les champs de blés permanent du centre-ville et permettant aux habitants de circuler grâce à des pirogues colorées. Ses yeux brillèrent quand il évoqua le marché permanent, sous le gigantesque tipi central de la ville, où les épices étaient aussi précieuses que les bijoux d’ambres.

Puis il évoqua le Totem. Taillée dans le bois, décoré de cristaux, il représentait le loup, le cerf et l’aigle, en l’honneur de la nuit, du jour et du soleil.

— Nous ne nous en remettons pas à vos dieux, expliqua-t-il sur le ton de la conversation. Pour nous, les esprits murmurent à nos oreilles et veillent sur la nature. Nous vénérons autant la nuit que le jour, sans oublier le soleil, véritable gardien de la voûte céleste.

Denise approuva d’un simple hochement de la tête et se garda bien de lui dire que les croyances d’un peuple découlaient de la Parole Pharaëlique, la vérité créatrice. Osiris, Pha et Râ, bien que non-nommés chez les Amoridiens, ne devaient pas se sentir étrangers à leur culte.

Il s’interrompit un moment et prit une petite gorgée de thé. Après avoir déposé délicatement sa tasse, Talulah continua :

— Nous sommes attachés à nos traditions et nos rituels, mais vos maux de sociétés commencent à nous rattraper.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Il devient difficile de composer sans vos idées matérialistes et… si je puis-dire… capitalistes ? L’ésochimie commence à intégrer notre quotidien, tout comme l’ésotech. Nos jeunes commencent à s’inspirer de vos modes. Des vêtements avec ces couleurs artificielles. « Fluo », comme ils disent. Et il en faut toujours plus. Ils nous réclament même de la « Rapid Food »… Pouvez-vous seulement imaginer du steak de bison entouré de ces pains bien trop jaunes pour être naturels ?

— Oh chou, ne m’en parlez pas, nous n’étions pas ainsi à leur âge ! Oh. Les dieux m’en excusent, je parle comme ma mère.

Un rire s’éleva.

— J’ai bien peur que les dieux, les vôtres comme les nôtres, ne puissent rien contre le destin qui nous attend. Je me dois de l’accepter.

Denise fronça les sourcils.

— Vous me paraissez bien triste, tout à coup…

— L’Anahuacor est un état indépendant. Ses terres appartiennent aux Amoridiens. Je vais utiliser des termes terriblement colonialistes, mais nous sommes une épine dans le pied de l’Amérinthie. Nous avons jusqu’à présent refusé vos façons de vivre, vos excentricités et surtout votre attache matérielle à ce monde. Notre indépendance est chère à nos yeux, madame, d’où ma présence dans votre si joli pays. J’ai demandé audience à votre gouvernement.

— Monsieur Chou, vous m’en voyez vexée. Vous n’êtes donc pas ici pour mes beaux yeux.

— Si cela peut vous rassurer, j’ai entendu le plus grand bien de votre salon de thé.

Il soupira et porta son regard sur l’extérieur ensoleillé.

— Les Etats Fédérés d’Amérinthie réclament notre annexion, grogna-t-il, une once de colère dans la voix. Et vos gouvernants ne nous aideront pas.

— C’est… terrible. Ne pouvons-nous rien faire ? Je sais pas. Protester ! Manifester ! Organiser une révolution ! Une pétition ! Oui, on pourrait faire entendre notre voix avec une pétition également !

Les épaules de Telulah, jusque-là droites, s’affaissèrent.

— Denise, vous êtes un esprit des plus remarquables. Vous parlez comme le corberau dans les arbres et vous agissez avec force et grâce. Vous m’avez aidé plus que vous ne pouvez l’imaginer.

— Je n’ai rien fait, bredouilla-t-elle, démunie.

Il posa une main sur la sienne. La chaleur qui s’en dégageait apaisa son cœur.

— Vous m’avez permis d’oublier quelques instants ces considérations politiques. Vous m’avez permis de me reconnecter à l’essentiel.

Le départ de Telulah laissa Denise dans un état pantois, perdue dans cet imbroglio tant politique que poétique. Tant de questions envahissaient encore son esprit vagabond ; Grimouche s’y reprit par trois fois pour la rappeler à la réalité aussi banale que nécessaire : il était l’heure d’aller faire ses besoins.


Texte publié par Grimm, 23 février 2025 à 18h01
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