Le médecin poussa le portail, qui s’ouvrit dans un grincement sinistre. Il sentit un certain malaise s’emparer de lui. Encore une fois, il se fustigea pour avoir accepté ce rendez-vous à domicile avec un nouveau patient qu’il n’avait jamais vu. Le docteur serra plus fort sa main sur l’anse de sa sacoche. Prenant une profonde inspiration, il s’avança avec hésitation sur le chemin de gravillon menant au sinistre manoir. Le bâtiment était sombre, les fenêtres obstruées afin de ne pas laisser la lumière du jour pénétrer l’édifice.
Arrivé sur le péron de la demeure qui ressemblait étrangement à une maison hantée, le jeune homme tendit sa main vers le heurtoir à tête de lion. Il frappa trois coups secs sur la porte. Quand il retira sa main, la porte s’ouvrit légèrement. Il la poussa un peu plus. Son malaise revint alors au galop. Il n’y avait personne derrière.
Avalant difficilement sa salive, mal à l’aise, le docteur entra après avoir jeté un coup d'œil par-dessus son épaule. Se demandant s’il ne ferait pas mieux de partir et d’attendre que son assistant elfique (qui faisait aussi office de garde du corps en cas de danger) soit disponible afin de l’accompagner pour cette visite avec laquelle il était de moins en moins à l’aise.
Mais, retenant son souffle, il rentra. Se disant qu’il ne risquait, normalement, rien avec le malade qu’il avait eu au téléphone : son patient avait une voix très faible, il semblait être assez mal en point juste en écoutant le timbre de sa voix. A peine fut-il entré, néanmoins, que la porte se referma violemment derrière lui. Alea jacta est. Le sort en est jeté. Il était trop tard pour faire demi-tour.
Il faisait un noir d’encre à l’intérieur. Il ne percevait de la lumière que dans une seule salle. Il se dirigea donc vers celle-ci. Le médecin arriva dans un salon où brulait un feu de cheminée. La pièce était grande et décorée dans un style gothique harmonieux. Dans le fauteuil faisant face à la cheminée, le docteur vit une main posée négligemment sur l'accoudoir.
Faisant prudemment le tour du meuble, le médecin se mit dos à la cheminée afin de faire face à son futur patient. Ce dernier était en peignoir, fermé jusqu’au col. Il avait une couverture recouvrant frileusement ses jambes. L’homme avait un teint extrêmement pâle, presque cadavérique. Ce côté n’étant pas arrangé par ses longs cheveux noirs attachés dans un catogan lâche. Il était aussi très maigre, comme s’il ne mangeait pas à sa faim.
Le docteur se racla la gorge dans le but d’attirer l’attention de son patient. Celui-ci ayant visiblement l’esprit ailleurs. A ce son, il sursauta violemment, sur le qui-vive. Comme un animal traqué. Quand il vit le médecin, il se détendit légèrement. Mais pas tout à fait. D’un ton méfiant, pas totalement rassuré, le malade dit d’une voix faible :
- Oui ?
Ne se sentant pas lui-même tout à fait rassuré dans cette demeure qu’il trouvait assez inquiétante, le docteur répondit de manière expéditive :
- Je suis le Docteur Andrews. J’ai un rendez-vous avec un certain Lord Dickenz. Est-ce bien vous ?
Lui jetant un regard évasif, son interlocuteur lui répondit :
- Oui, c’est bien moi.
Un silence s'éternisait, Andrews attendant de plus amples explications de son futur patient. Mais constatant que celui-ci ne dirait rien de plus, le médecin repris :
- Pour quelle raison avez-vous souhaité me voir ? Pouvez-vous m’expliquer ce qu’il vous arrive ?
Le Lord lui jeta un coup d'œil, avant de regarder à nouveau le feu ronflant. Il était clairement hésitant. Puis, il ouvrit la bouche et expliqua maladroitement :
- Je crois que je suis allergique au sang…
Andrews, qui avait sorti son carnet afin de prendre des notes, se figea d’un air interdit. Pas sûr d’avoir bien entendu. Il laissa donc échapper d’un ton incrédule :
- Plait-il ?
Lord Dickenz se tortilla sur son fauteuil, mal à l’aise. Puis, d’un ton incertain, il continua :
- Quand je bois du sang, j’ai des plaques rouges qui apparaissent. Je ressens aussi rapidement des démangeaisons. J’ai tout essayé ! Sang humain, animal, j’ai même poussé le déshonneur en essayant de m’abreuver à la veine d’un autre vampire, pour le même résultat ! Je ne sais plus quoi faire !
Le médecin le regarda, interdit. Se demandant quelle folie s’était ainsi emparé de cet homme. Cela faisait déjà plusieurs siècles que le dernier vampire était mort ! Et, malgré cela, voilà que son patient se prenait pour un vampire, une espèce éteinte ! Quelle idée saugrenue !
Voyant son air sceptique, le pseudo vampire se leva difficilement. La couverture tombant au sol. Il l’enjamba maladroitement puis, titubant faiblement, il se rapprocha de son vis-à-vis. L’emprisonnant entre ses bras contre la cheminée, il lui dit :
- Vous ne me croyez pas ! Je vais vous le prouver !
Et, sans attendre, il plongea son visage dans le cou d’Andrews et le mordit violemment. Inspirant un peu de sang. Il s’éloigna néanmoins très vite en recrachant le sang, faisant attention à ne pas l’avaler. Ne voulant pas être malade à cause de sa démonstration.
Puis, Lord Dickenz tourna le médecin de manière à ce qu’il puisse voir son reflet dans le miroir trônant sur la cheminée. Andrews put voir que, effectivement, son reflet avait une trace de morsure dans le cou qui pouvait effectivement passer pour celle d’un vampire. Mais ce qui finit de le convaincre, ce fut l’absence de reflet du Lord dans le miroir. Alors qu’il sentait très bien le torse osseux de ce dernier contre son propre dos.
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