Le soleil traversait timidement le mince interstice laissé par l’épais rideau, éclairant le visage d’une jeune femme rousse endormie. Gênée par cette source lumineuse, elle gémit faiblement et se retourna en grognant, tournant ainsi le dos à la fenêtre. Dans la manoeuvre, elle réveilla l’autre jeune femme, blonde, qui était à ses côtés dans le lit. Celle-ci battit paresseusement des paupières, dévoilant ainsi son regard d’un bleu très pâle. La blonde se redressa et regarda le réveil sur la table de chevet. Il indiquait dix heures. Décidant que c’était une heure de réveil convenable, elle se tourna vers la rouquine et lui caressa l’épaule tout en murmurant et embrassant tendrement quelques morceaux à portée de ses lèvres pour réveiller sa petite-amie en douceur.
La première jeune femme s’étendit sur le dos, offrant ainsi une plus grande surface pour les baisers de sa dulcinée. Ouvrant ses beaux yeux d’un vert de jade, elle commença à participer à l’échange coquin qui se profilait, caressant voluptueusement la blonde. Finalement, elle s’empara de ses lèvres avec douceur et initia un baiser plein de tendresse et de langueur.
La jeune femme rousse finissait de s’habiller quand la blonde rentra dans la salle de bain, venant directement lui enlacer la taille et lui faire un baiser dans le creux du cou, s’attirant un gloussement apréciateur. Puis, la blonde posa son menton sur l’épaule de sa copine et échangea avec elle un regard à travers le miroir de la salle d’eau, se souriant d’un air complice et heureux.
- Hélène, commença la blonde, est-ce que ça te dirait de te promener un peu ensemble dans les environs après manger ? D’après l’aubergiste, le coin regorge de paysages sublimes.
La rouquine lui sourit d’un air enchanté, puis lui répondit :
- Oh, Suzanne, j’en serais ravie ! Ça nous permettra de nous faire pleins de beaux souvenirs ! Je me souviens que, quand j’étais enfant, ma mère m’emmenait souvent dans le coin. Le soir, on se blottissait l’une contre l’autre sous une couverture devant un bon feu de cheminée et elle me racontait diverses légendes d’Ecosse et d’Irlande.
Disant ceci, elle perdit son sourire, arborant un air grave. La blonde, devinant ce qui avait assombri l’humeur de sa compagne, la retourna face à elle, prit son visage en coupe entre ses mains et posa son front contre le sien. Puis, elle lui dit, apaisante :
- Ne te morfonds pas, ma chérie, ta mère t’aime. Il lui faudra du temps pour accepter pour nous deux, mais elle finira bien par s’en faire une raison. Et, à ce moment-là, elle reprendra contact avec toi. Je ne la pense pas capable de te renier parce que tu es lesbienne. Vous avez toujours été trop fusionnelles pour qu’elle en vienne à une telle extrémité.
Hélène lui sourit, reconnaissante, puis elle l’embrassa délicatement pour la remercier de sa sollicitude. Ensuite, elle lui attrapa doucement les mains et l’écarta. Gardant sa main dans la sienne, elle l’entraina à sa suite en sortant de la salle de bain, puis de la chambre. Elles descendirent les escaliers de l’auberge puis rentrèrent dans la salle commune, où elles s’attablèrent afin de manger. Après le repas, comme convenu plus tôt, elles avaient l’intention de se promener dans la campagne environnante afin d'apprécier la beauté du paysage et le calme des lieux. Un véritable dépaysement pour deux citadines comme elles.
Pendant leur balade, elles s’étaient perdues. Elles continuaient à avancer, espérant retrouver leur chemin ou croiser une âme charitable pour les guider. Mais Hélène avait la désagréable impression que, plus elles avançaient, moins elles avaient de chances de retrouver leur chemin.
Les deux jeunes femmes avançaient dans les bois, la brume commençait à se lever et à rendre le paysage flou, irréel. Hélène, qui n’était pas très rassurée dans ce décor qui, à ses yeux, était assez inquiétant, se serra craintivement contre l’autre jeune femme.
La rousse jetait de fréquents coups d'œil à sa compagne et aux alentours. La blonde, elle, ne semblait guère éprouvée de malaise. Elle marchait d’un bon pas, tenant la main de sa petite-amie en la lui serrant de temps en temps d’un air rassurant. A travers deux arbres, elle vit une forme blanche. Elle s’arrêta, plissant les yeux afin de mieux analyser ce qu’elle voyait. Puis elle sourit et, attirant l’attention d’Hélène, lui pointa la direction d’une main tout en s'exclamant :
- Regarde ! Un cheval ! On va pouvoir rentrer plus vite !
La rouquine regarda à son tour dans la direction que lui avait indiqué Suzanne et, effectivement, elle vit bien un très beau cheval blanc. Mais, contrairement à la blonde, cette vue fut loin de l’enchanter. Au contraire, même. Un sentiment de malaise grandit en elle. De là où elle était, il lui semblait voir qu’il manquait une oreille au cheval. Après, peut-être ne la voyait-elle pas à cause de la purée de poix ?
Cependant, cette vision lui rappelait de manière frappante un souvenir d’enfance. Un souvenir de quand sa mère lui racontait une légende. Et pas n’importe laquelle. Celle du Kelpie. A la fin, sa mère lui avait fait une mise en garde : “Si jamais tu vois un cheval blanc, magnifique, mais avec une oreille manquante, ne te pose pas de question. Fuis ! Aussi vite et aussi loin que tu peux de cet animal ! Car ce ne sera certainement pas un cheval ordinaire, mais un Kelpie. Et, quoi qu'il arrive, ne monte sur son dos sous aucun prétexte ! Sinon, il t’entrainera dans les marais pour t’y noyer et te dévorer ! Tu m’entends, mon petit rossignol ? Surtout, ne t'en approche pas ! Reste loin de lui !”
Sortant de ses réminiscences, elle constata que Suzanne lui avait lâché la main pendant qu’elle n’y prêtait pas attention et s’était approché de l’animal. Son souffle se coupa. Elle voulut hurler à sa compagne de revenir, de ne pas s’approcher du cheval, mais elle en fut incapable. Elle n’arriva pas à émettre un son. Impuissante, elle vit la blonde flatter l’encolure du cheval et lui parler doucement. Elle voulut parler, bouger, faire quelque chose, n’importe quoi ! Mais elle resta tétanisée de terreur.
Suzanne agrippa la crinière du cheval et, prenant appui sur la croupe du cheval, elle donna une impulsion sur ses jambes pour grimper à cru sur le dos de l’animal. Une fois qu’elle eût assurée son assise, elle dirigea l’animal de ses jambes sur les flancs de la bête et en donnant une légère impulsion sur la crinière pour le diriger vers son amante. Docile, le cheval obéit avec flegme aux ordres muets de sa cavalière.
La blonde le fit s’arrêter devant la rouquine. Lâchant la crinière de l’une de ses mains, elle la tendit vers l’autre jeune femme avec un sourire en lui disant :
- Tu montes ?
N’ayant toujours pas retrouvé l’usage de sa voix, Hélène secoua sa tête avec véhémence, une expression horrifiée peinte sur son visage. Elle ouvrit la bouche, voulut parler, ses lèvres tremblaient mais n'émettaient pas un son. Fronçant les sourcils, inquiète du mutisme de sa copine, Suzanne demanda :
- Qu’est-ce que tu as ?
Ayant retrouvé un filet de voix, la rouquine lui souffla :
- Descends de là ! Tout de suite !
Ayant retrouvé un peu plus de voix, elle finit sa tirade d’une voix hystérique. L’autre jeune femme eut un mouvement de recul, interdite, puis fronça les sourcils d’un air confus. Elle ne comprenait pas la réaction de sa compagne. Lui tendant à nouveau la main, elle lui dit d’une voix plus ferme :
- Prends ma main. Je vais te hisser derrière moi, et on pourra rentrer. Dans une heure, on se rappellera de cet épisode et on en rira. Mais, pour ça, il faut qu’on soit rentré.
Secouant la tête, les lèvres tremblantes et les larmes commençant à envahir son champ de vision, Hélène répliqua d’une voix brisée, presque amorphe :
- Tu ne comprends pas…. tu dois descendre, si je monte on ne rentrera jamais. C’est un Kelpie, Sue. Il va nous entraîner dans son marais, nous noyer et nous manger.
- Chérie…, s'adoucit sa vis-à-vis. Les Kelpies n'existent pas. Ce ne sont que des légendes. Viens. Rentrons maintenant.
Et, se disant, la blonde tendit à nouveau la main et attrapa sa compagne qu’elle installa derrière elle sur sa monture. La rousse s'agrippa à sa taille, éclatant en sanglots et marmonnant des prières. Elle était sûre qu’elles n’en ressortiraient pas vivantes. Suzanne lui pressa les mains de la sienne qui ne tenait pas la crinière de leur monture, voulant la rassurer.
Elle ne voulait pas le montrer, mais elle se trouvait démunie face à la détresse, inexplicable d’après elle, de sa compagne. Elle ne savait que faire pour la rassurer. Le cheval, lui, se mit en route dans une direction. Ne pouvant rien voir à cause du brouillard, Suzanne ne savait pas où il se dirigeait, ni vers où elle devait le guider afin de retourner à l’auberge. Elle le laissa donc prendre l’initiative de la direction, confiante en l’instinct de l’animal pour qu’il les ramène vers la civilisation. Peut-être n’aurait-elle pas dû.
Le cheval avançait dans un trot tranquille, berçant à moitié Suzanne qui remerciait mentalement sa compagne de lui serrer la taille à l’en étouffer, la maintenant ainsi réveillée. Le brouillard semblait devenir de plus en plus opaque au fil du temps. Hélène se tendit. Elle avait cru entendre le clapotis de l’eau, mais elle n’était pas sûre. Ses sanglots se tarirent, elle retint son souffle. Essayant de percevoir le moindre bruit. Si le Kelpie les menait à leur mort, elle voulait avoir une chance de s’en rendre compte avant pour les faire tomber à terre, elle et sa petite-amie. Elle préférait récolter quelques bleus plutôt que de finir noyée et dévorée par une créature de légende.
Imperceptiblement, le cheval accéléra son allure. Bientôt, il galopa à toute vitesse. En dépit du brouillard, la rouquine crut voir un reflet dans la direction où se précipitait l’animal. Elle voulut les faire tomber, mais Suzanne était bonne cavalière et conserva son assise et Hélène avec. Elle ne s’était pas rendu compte que l’animal les menait vers une mort certaine. Bientôt, les deux jeunes femmes sentirent de l’eau contre leurs jambes. Mais, avant que l’une ou l’autre puissent réagir, le Kelpie plongea, entraînant ses victimes dans le fond du marais.
Elles essayèrent de se débattre et d’échapper à sa prise, tout en retenant leur souffle le plus longtemps possible afin de ne pas boire la tasse. En vain. Avec sa force extraordinaire, la créature les tenait dans un étau et ne desserrait pas sa prise. Il ne voulait pas risquer de laisser fuir son repas. Hélène vint rapidement à sa limite. Ne pouvant plus se retenir, elle ouvrit la bouche, avalant ainsi la vase et commençant à se noyer. Suzanne ne tint pas beaucoup plus longtemps.
Bientôt, le Kelpie sentit ses proies cesser de se débattre et devenir plus molles. La noyade avait raison d’elles. Un autre Kelpie plus petit, vraisemblablement un poulain, s’approcha sous l’approbation du prédateur. Ensemble, ils débutèrent leur repas. N’attendant pas que la mort vienne cueillir définitivement leurs prises avant de s’en repaître. Accélérant ainsi leur trépas.
A la surface, le brouillard se dissipa lentement. Il n’était plus nécessaire, désormais. La chasse avait été bonne. Pour cette fois. Le marais était redevenu paisible, pas un mouvement à la surface de l’eau. On aurait dit la fin d’un rêve. Ou d’un cauchemar, au choix.
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