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volume 1, Chapitre 2 « 2ème secret : Et si... Peau d'âne était un homme ? » volume 1, Chapitre 2

Il était une fois, dans un royaume riche et prospère, vivait un roi aimé de tous ses sujets et qui avait gagné le respect de tous ses alliés et voisins. On pouvait dire de lui qu’il était le plus heureux des monarques.

Son bonheur était d’autant plus grand qu’il avait choisi pour épouse une jeune princesse dont la beauté était reconnue dans tous les royaumes environnants, et dont la sagesse et la bonté semblaient infinies.

De leur union naquit un unique fils, qui avait hérité de la beauté et des qualités humaines de sa mère. Il apportait une telle joie à ses parents, qu’ils ne regrettaient pas trop de ne pas avoir plus d’enfants.

Mais une telle félicité n’était pas faite pour durer. A l’apogée de leur bonheur, la reine fut atteinte d’un mal inconnu. Le roi fit appel aux médecins les plus talentueux, il pria tous les dieux du panthéon et supplia qu’on épargnât la vie de son épouse et qu’on prît la sienne à la place. Mais ses prières restèrent sans réponse, et la reine s'éteignit à petit feu…

La reine, sentant sa dernière heure approcher, dit à son époux :


Avant que je ne meure, acceptez que j’exige une dernière chose de vous…


Tout ce que vous voudrez, s’empressa de lui promettre le roi.


Après ma mort, continua difficilement la reine, s’il vous prenait l’envie de vous remarier -


Jamais ! dénia le monarque.


Laissez-moi vous transmettre mes dernières volontés, le réprimanda faiblement sa femme.


Je vous écoute, céda son royal époux, mais sachez que c’est inutile car je ne souhaite pas prendre une autre épouse que vous !


S’il vous prenait l’envie de vous remarier, reprit sa compagne, jurez-moi de choisir une personne qui soit plus belle et avec de plus grandes qualités que moi…



Jurez-le, le supplia-t-elle, et alors je mourrai contente.


… je le jure, finit par dire le roi à contrecœur.

La reine rendit son dernier soupir avec sérénité après avoir reçu le serment de son conjoint. Jamais mari n’exprima tant de chagrin suite au décès de son épouse. Pendant des mois, le roi fut incapable de faire autre chose que de crier sa peine, de pleurer et de se lamenter de la perte de sa femme. Pendant ce temps, le prince grandit, loin du regard de son père.

Mais même les plus grandes douleurs finissent par s’effacer face au passage du temps. Vint un jour où le roi émergea de son chagrin et exprima le souhait de se remarier. Il se mit longtemps à la recherche d’une jeune personne à épouser, dont les caractéristiques correspondraient aux exigences de sa première reine. En vain.

Jusqu’au jour où, attiré par une voix douce en train de chanter, il vit un jeune homme aux traits androgynes d’une grande beauté. Il était assis par terre et chantait pour rassurer un jeune animal qui était posé sur ses genoux pendant qu’il le soignait.


Qui est cette jeune personne, demanda le roi à l’un de ses conseillers qui avait assisté à la scène à ses côtés.


C’est le prince, répondit respectueusement son interlocuteur, votre fils.

Le roi s’avança vers son héritier et lui dit :


Fils, à la mort de votre mère, je lui ai juré de ne pas me remarier sauf sous certaines conditions.


Oui, père ?


La personne que j’épouserai doit être plus belle que votre mère, plus vertueuse et plus sage qu’elle ne l’était. Après de nombreuses recherches, vous êtes le seul à correspondre à ces critères. Je souhaite donc vous épouser en secondes noces.


Père ! voulut protester le prince, horrifié. Vous n’y pensez pas ! Je suis votre fils, je ne peux devenir votre époux ! Un père n’épouse pas l’un de ses enfants !


Réfléchissez bien avant de refuser, tempéra le roi. J’attendrai autant de temps qu’il le faudra.

Après ses paroles, le roi repartit au château. Le prince, choqué, resta quelques minutes sans bouger puis il reposa délicatement l’animal dont il s’occupait par terre avant de se relever et de partir en courant dans la forêt, à la recherche de la fée Lilas, sa marraine.

Arrivé face à sa marraine, le prince ouvrit à peine la bouche pour parler que la fée le coupa et prit elle-même la parole :


Vous n’avez nul besoin de me dire quoi que ce soit mon enfant, car je sais ce qui vous amène chez moi aujourd’hui. Et vous avez raison. Ce serait une grande faute que d’épouser le roi votre père. Mais, sans le contredire, vous pouvez l'amener à renoncer de lui-même à ce projet contre-nature.


Comment ? la pressa le jeune homme.


Et bien vous pouvez lui faire des demandes extravagantes, des demandes qu’il ne pourra que refuser. Des demandes qui le feront prendre conscience de l’énormité de ce qu’il désire faire.


Que puis-je lui demander ?


Dites-lui que vous seriez enclin à accéder à sa requête sous certaines conditions. Demandez-lui de vous forger une dague avec du scandium pour la lame, une garde en or blanc et un manche constitué avec du bois d’ébène. Demandez-lui également un fourreau en bois d’ébène avec la chape et la bouterolle en or blanc. Précisez qu’il doit y avoir une gravure de rose sur la chape. N’oubliez pas également de lui demander une ceinture pour pouvoir porter votre dague sur la hanche et y accéder facilement. Mais la ceinture ne doit pas être faite avec n’importe quel cuir : il vous faut du cuir de galuchat. Vu le prix exorbitant des différents matériaux, jamais, avec tout son amour et son pouvoir, il ne pourra y parvenir.


Merci, souffla le prince avec soulagement.

Puis il partit et rentra au château afin de faire connaître ses exigences à son père. Celui-ci, ravi du revirement de son fils, mit tout en œuvre afin de satisfaire ses exigences. Quand le prince reçut le présent, épouvanté, il attendit la nuit avant de rendre visite discrètement à sa marraine.

A peine arriva-t-il qu’il se jeta aux pieds de la fée et, lui prenant les mains, lui dit :


Il l’a fait ! gémit misérablement le prince.


Demandez-lui de vous offrir un cheval pur-sang noir, ainsi que des vêtements simples de voyage, et tout l’équipement d’équitation sobre mais avec des matériaux de la plus grande qualité qui soit : une selle, une bride, un tapis de selle.


Et s’il arrive à me l’offrir ? s’inquiéta le jeune homme.


Et bien, on avisera à ce moment-là.

Le prince, peu convaincu, rentra malgré tout et fit part à son père de ses nouvelles exigences. Comme il le craignait, il vit son père quelques jours plus tard qui lui offrit ce qu’il avait demandé.

Le soir venu, le prince partit à nouveau chez sa marraine afin de lui faire part de la terrible nouvelle : le roi avait à nouveau accédé à sa requête.


Ce roi est bien obstiné mais ne vous en faites pas mon enfant, je pense que ma prochaine suggestion va lui remettre les idées en place : demandez-lui un portrait de lui-même et de votre mère, sa première femme. Cela devrait lui rappeler votre mère et lui faire prendre conscience de l’énormité de sa demande.

Le prince, la mort dans l’âme, persuadé désormais que rien ne pourrait faire changer d’avis son père, rentra et fit connaître sa nouvelle exigence. Il put admirer quelques jours plus tard un portrait de ses parents sans que son père montrât un quelconque revirement.

Sa marraine se glissa peu après à ses côtés et s’énerva :


Ah ! Pour le coup, on va mettre l’indigne amour de votre père à l’épreuve. Demandez-lui donc la peau de son âne, celui qui le fournit si généreusement en or et qui lui permet de telles folles dépenses ! On verra bien s’il y consent, cette fois !

Le prince, désespéré d'échapper à ce mariage non-désiré, s’empressa d’en faire la demande à son père. A son grand désespoir, quelques jours plus tard, il obtint la peau de l’âne de la fortune de son père. Il s’effondra sur son lit et pleura toutes les larmes de son corps.

Quand sa marraine rentra dans sa chambre, c’est d’ailleurs ainsi qu’elle le trouva.


Mais pourquoi donc pleurez-vous, mon enfant ? Prenez donc cette peau et recouvrez-vous en. Sous l’anonymat qu’elle vous conférera, vous pourrez fuir le plus loin possible dans les terres. Allez, je ferai en sorte que vous ayez accès à toutes vos affaires où que vous soyez, grâce à une cassette qui apparaitra quand vous frapperez le sol de ma baguette, que je vous confie donc. Ne tardez pas, hâtez-vous de partir.

Le prince enfila la peau, se barbouilla de suie puis, après avoir abondamment remercié sa marraine, partit sur les routes.

Quand le roi se rendit compte de la disparition de son fils, il le fit chercher dans tout le royaume et les environs, en pure perte, car la fée aida le prince à se dissimuler aux yeux de ceux qui étaient à sa recherche.

Le prince finit par trouver une cabane à l’orée de la forêt d’un royaume voisin, à proximité d’un village. Sa nouvelle demeure étant à l’abri des regards, il se permit donc de se laver dans le ruisseau se trouvant derrière la cabane.

Un jour qu’il se lavait dans le ruisseau, il entendit le bruit d’une branche craquer. Faisant volte-face, il vit un jeune homme sur la rive opposée de là où se trouvait sa cabane. Il sortit donc précipitamment de l’eau, récupéra ses vêtements qu’il s’empressa d’enfiler puis s’enfuit en direction de sa cabane.

Le jeune homme, qui était le prince de ce royaume, essaya de le suivre mais le perdit rapidement de vue. Il partit donc au village afin d’essayer de se renseigner concernant la personne qu’il avait aperçu à proximité du cours d’eau.

Au village, on lui répondit que le seul individu qui vivait dans le coin était un homme nommé Peau d’âne, à cause de la peau dont il se vêtait. Il vit bien que les villageois n’en savaient pas plus et retourna donc dans le palais de son père, mais se promit de revenir pour essayer de revoir ce jeune homme qu’il avait à peine aperçu de loin et qui l’intriguait.

Mais ses projets furent avortés car à peine rentra-t-il qu’il commença à se sentir mal. La reine, sa mère, était dans tous ses états : elle ne savait que faire pour soulager son fils unique, qui semblait beaucoup souffrir à cause de la fièvre. Elle fit donc appel à des médecins pour essayer de trouver un remède qui pût le guérir, leur promettant les plus grandes récompenses s’ils y parvenaient, en vain. Quel que fût le remède utilisé, ils se révélèrent tous inefficaces.

Jusqu’à ce qu’un médecin n’émît l’hypothèse que, s’ils ne parvenaient pas à soigner le prince en dépit de toute leur science, c’était tout simplement parce qu’il n’était pas malade mais qu’il éprouvait une telle tristesse, une telle affliction, qu’elle se répercutait sur l’état de son corps. Le seul moyen de le sauver, dans ce cas, était de découvrir la raison de cette détresse et de faire en sorte de la faire disparaître.

La reine, pleine d’amour et de tendresse pour son fils, le supplia entre ses larmes de lui expliquer la raison de sa détresse. Elle lui jura que quel que fût son souhait, il serait exaucé, que tout serait mis en œuvre pour le satisfaire, mais qu’elle le conjurait de ne pas se laisser mourir.


Mère, intervint le prince, je ne désire pas grand-chose, rien de très compliqué à réaliser.


Que désirez-vous donc, mon fils ?


Je souhaite que Peau d’âne me fasse un gâteau, et que, dès qu’il sera fait, on me l’apporte.


Qui est donc cette Peau d’âne ? s’étonna sa mère de cet étrange nom.


C’est, répondit un garde qui l’avait vu par hasard, un homme sinistre recouvert d’une peau de bête, qui a la peau noire de suie et qui habite dans la cabane à l’orée de la forêt.


Qu’importe, décida la reine, mon fils le prince veut un gâteau fait par cet homme. Il mangera donc un gâteau confectionné par ce Peau d’âne.

On courut au village quérir les services de Peau d’âne, à qui on ordonna de faire de son mieux pour confectionner un gâteau pour le prince.

Peau d’âne rentra dans sa cabane pour faire le gâteau demandé. Il ôta la peau qui le recouvrait puis alla se laver dans la rivière. De nouveau à l’intérieur, il commença la préparation de la pâtisserie. Pendant qu’il pétrissait la pâte, Peau d’âne ne fit pas attention et la bague de sa mère, qu’il portait en souvenir d’elle, glissa et se retrouva dans le gâteau. Il mit sa préparation au four et, dès qu’il fut prêt, remit la peau d’âne avant de retrouver le garde et de lui donner le gâteau réalisé.

Le garde s’empressa de rentrer au château afin de faire apporter la pâtisserie au prince convalescent. Le prince le prit avidement des mains de cet homme et le mangea avec une telle vivacité que les médecins, qui étaient présents, ne manquèrent pas de dire que cette fureur n'était pas un bon signe. Effectivement, le prince pensa s'étrangler par la bague qu'il trouva dans un des morceaux du gâteau, mais il la tira adroitement de sa bouche : et son ardeur à dévorer ce gâteau se ralentit, en examinant cette fine émeraude, montée sur un jonc d'or.

Le prince garda précieusement la bague qu’il admirait quand il était seul, pensant à Peau d’âne qui avait vraisemblablement perdu cette bague en confectionnant ce gâteau. Il se tourmenta à imaginer comment il pourrait voir celui à qui cette bague pouvait aller, car il n'osait croire, s'il demandait à faire venir Peau d'âne, qui avait fait ce gâteau, qu'on accédât aussi aisément à sa requête, car il n'oserait pas non plus dire ce qu'il avait vu dans la rivière, de crainte qu'on se moquât de lui et qu'on le prît pour un voyeur. Comme toutes ces idées le tourmentaient, la fièvre le reprit fortement et les médecins, ne sachant plus que faire, déclarèrent à la reine que le prince était malade d'amour.

La reine accourut auprès de son fils, accompagné du roi, et s’’enquit :


Fils, nomme-nous celle que tu désires, et nous irons la faire quérir pour que tu puisses l’épouser, fût-elle la dernière des souillons !


Père, mère, je ne souhaite pas prendre épouse, je souhaite épouser l’homme qui parviendra à mettre cette bague.

Le roi et la reine examinèrent la bague et jugèrent qu’elle ne pouvait convenir qu’à une personne avec une certaine aisance financière, noble ou bourgeois. Ils acceptèrent de faire quérir tous les hommes du royaume afin d’essayer cette bague et firent porter le message que celui qui parviendra à enfiler la bague épousera l’unique héritier du royaume.

De nombreux hommes se rassemblèrent dans la cour du château afin d’essayer la bague, dans l’espoir de s’élever socialement. En vain. La bague était trop petite, aucun des hommes venu l’essayer ne parvint à la mettre.


Il ne me semble pas avoir vu Peau d'âne, qui m’a fait ce gâteau, remarqua le prince, ne lui a-t-on pas demandé de venir ?

La phrase fut suivie par des ricanements de la foule, qui se gaussa qu’il était si crasseux et si sinistre avec sa peau de bête.


Qu’on aille le chercher, ordonna le roi, il ne sera pas dit que j’aurais écarté l’un de mes sujets.

On courut chercher le jeune homme, en riant et se moquant.

Le prince, qui n’avait pas entendu le héraut du roi, cherchait désespérément sa bague dans la cabane, pensant alors l’avoir perdue. Il fut donc étonné quand on vint toquer à sa porte et qu’on le somma de venir au château afin d’essayer une bague. Il demanda un instant au garde afin de se préparer. Il se nettoya rapidement au seau qu’il avait apporté le matin-même et récupéra dans sa cassette l’un de ses plus beaux costumes du temps où il était dans le château de son père qu’il revêtit avant de se vêtir de la peau d’âne.

Il ressortit et suivit le garde jusqu’au château, ignorant les ricanements imbéciles du soldat. En le voyant, le prince fut étonné de son apparence et fut inquiet de s’être trompé.


Est-ce vous qui habitez dans la cabane à côté du cours d’eau ?


Oui seigneur, répondit calmement Peau d’âne.


Tendez-moi votre main, demanda le prince et en tendant la sienne vers l’autre homme.

Tous furent surpris quand, de sous cette peau crasseuse, sortit une main aux doigts fins, à la peau pâle, à qui la bague alla parfaitement. Et, sous une légère impulsion du jeune homme en face du prince, la peau tomba, révélant le visage et les vêtements de bonne facture du jeune étranger.

Le roi, voyant qu’il avait pu mettre la bague, lui demanda s’il désirait épouser le prince. Alors qu’il s'apprêtait à refuser, craignant toujours de se faire retrouver par son père, la fée Lilas apparut et conta l’histoire de ce prince qui a dû fuir loin de chez lui afin d’échapper au mariage incestueux que projetait de contracter son père avec lui. Elle assura également au jeune homme que son père avait fini par revenir à la raison et qu’il avait abandonné ses ambitions maritales à son égard.

Soulagé de ce poids, le jeune prince accepta finalement d’épouser l’autre prince dont il avait entendu tant de bien et pour lequel il éprouvait une certaine tendresse.


Texte publié par Miss Lune, 12 mars 2023 à 15h03
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