Cailéan traversa le grand hall du palais. Autour de lui les habitants vaquaient à leurs occupations et le saluaient avec respect lorsqu’il passait devant eux. A chacun il rendait leur salut. Sa cape d’un bleu foncé, ajouré de broderies dorées, battait ses bottes, sous ses foulées vigoureuses. Son visage, marqué par les années, avaient des traits fermes et résolus. Ses yeux d’un vert presque transparent, était perçant. Malgré ses cinquante ans révolu, il gardait une vivacité à la fois physique et mentale extraordinaire. C’était l’une des caractéristiques de son peuple, issue de leurs ancêtres maudits, qui avaient vécu de l’autre côté des montagnes, dans cette contrée morte dont on ne pouvait plus prononcer le nom.
Lorsqu’il aperçut les monumentales portes sculptées de l’ancienne salle du trône, il accéléra encore le pas. Derrière elles se trouvait sa bien-aimée Floraidh. Le métal froid céda facilement sous sa poussée et les battants s’ouvrirent en silence.
La vaste pièce, aux colonnes de granit noir, n’abritait plus qu’un trône vide, qui n’était conservé que par nostalgie ou regret. Il abaissa sa capuche alors qu’il s’avançait. Les tatouages ésotériques qui ornaient son crâne chauve brillaient sous la lueur douce émise par les braseros et les lanternes. Une chaleur odorante effleurait sa peau, faisant disparaitre le froid qui s’était accroché à ses os et à ses muscles pendant sa longue chevauchée. Il avait l’habitude de sa morsure, mais ne l’appréciait pas pour autant. Aussi cette sensation était-elle des plus appréciée.
Seul être présent dans l’endroit, Dame Floraidh, immobile, observait le ciel étoilé à travers la verrière du plafond. Elle était vêtue d’une robe de couleur bleu nuit, décorée d’étoiles dorées. Le tissu assez épais recouvrait son corps robuste, tout en laissant apparaitre ses bras à la peau pâle et l’une de ses épaules. Sa chevelure si noire qu’elle avait des reflets bleutés était disciplinée dans une longue tresse qui retombait sur ses reins. Aucune couronne ne ceignait plus son front. Les seuls bijoux qu’elle portait à ce moment-là était des perles dans ses cheveux et une bracelet de métal argenté.
Cailéan se gorgea de sa beauté en avançant jusqu’à elle. Elle avait certainement entendu son arrivée, mais elle ne se tourna vers lui que lorsqu’il fut très proche. Un sourire étira ses lèvres fines. Son visage rond, au teint pâle, était parcouru de rides dans lesquelles on pouvait presque lire l’histoire de sa vie. Ses grand yeux d’un bleu éclatant n’avait pas perdu leur vivacité et on y lisait une sagesse et une tristesse qui fendait le cœur.
— Mon chéri, te voilà enfin, fit-elle.
Le prince consort la prit dans ses bras et la serra contre lui, se laissant envahir par la chaleur de son corps et la senteur douce de ses cheveux. Elle s’abandonna totalement et il sentit dans son étreinte son soulagement et son amour. Puis leurs lèvres se rejoignirent en un long et tendre baiser.
Lorsqu’ils se séparèrent, Cailéan posa un regard soucieux sur sa bien aimée.
— Tu attends seule ici depuis longtemps ?
Floraidh ne répondit pas aussitôt, son regard comme attiré par les étoiles dans le ciel. Puis il revint lentement vers lui. Sa main chaude resserra la sienne.
— Ne t’inquiète pas, fit-elle d’une voix ferme.
Pourtant son époux ne pouvait s’en mpêcher : ces derniers temps l’esprit de sa consort semblait s’absenter, pendant de courts moments certes, mais de plus en plus souvent. La perte de leur fille et les devoirs liés à la rude vie dans le Bastion du Verre semblaient grignoter les forces de la dernière reine du Bastion.
-- Viens, continua-t-elle.
Ils quittèrent la salle silencieuse et montèrent à l’étage pour rejoindre leurs appartements. Le soulagement et la quiétude l’envahirent entièrement quand il pénétra à la suite de sa femme dans leur refuge. Alors qu’elle allait quérir un domestique pour qu’il lui fasse préparer un bain et un repas, Cailéan se défit de sa cape, qu’il posa sur l’un des fauteuils devant la cheminée. Il s’installa ensuite devant la flambée lumineuse et profita de la chaleur. Le prince consort était un homme de l’esprit. Malgré tout, sa tunique, de la même couleur que la robe de sa femme, soulignait sa silhouette robuste de guerrier. Sur sa gorge et ses bras, ainsi que sur son visage et son crâne, des tatouages dessinaient leurs circonvolutions chamarrées sur sa peau pâle. Depuis qu’il était revenu dans sa contrée natale, il sentait son pouvoir plus vivace encore que lorsqu’il était dans le Duché. Cet endroit regorgeait de cette puissance que les dirigeants du Duché craignaient plus que tout.
Cailéan grimaça face à la tournure de ses pensées. Lui aussi était un citoyen de ce Duché. Mais il avait encore des difficultés à se concevoir ainsi.
Cela faisait pourtant trente ans que le traité qui leur avait permis de l’intégrer avait été signé. A l’époque la magie élémentaire était devenue incontrôlable, même pour eux, et les mages élémentaires, pris soudain de folie, avaient failli mené les deux contrées à la destruction. Une alliance entre les deux avait été estimée nécessaire par la reine Sionag, la mère de Floraidh. Le prix à payer avait été élevé, car le Duc n’avait pas oublié leurs inimitiés ancestrales, mais leur souveraine, dans sa sagesse, avait jugé que le Bastion du Verre en bénéficierait.
Et c’était vrai. Leur peuple vivait mieux grâce au soutien du gouvernement ducal. Cailéan s’efforçait de se rappeler cela à chaque fois que la rancœur due à sa perte personnelle s’éveillait, à chaque fois qu’il se rappelait qu’ils avaient sacrifié leur fille sur l’autel de ce traité.
C’était l’une des clauses imposées par le duc, pour s’assurer de leur loyauté : lier leurs deux familles par mariage. Maryah, la petite fille de la Reine, alors âgée de vingt ans, avait alors épousé le fils cadet du duc Archibald de Roncépine, le frère du duc Edmond de Roncépine. Cinq ans plus tard elle était morte en donnant naissance à son fils, Aldric. Et en lui seul maintenant reposait cette alliance.
Sa femme interrompit ses pensées négatives par un baiser sur son crâne. Elle savait à quoi il pensait, comme toujours. Les mots n’étaient pas toujours nécessaires entre eux : après tout ils se connaissaient depuis si longtemps. Elle s’installa près de lui sur la liseuse et se pelotonna contre son flanc. Il caressa sa joue.
— Tout s’est bien passé pendant mon absence ?
Floraidh soupira.
— Tout a été calme. Quelques recrues nous ont été emmenées par le Sigile des Arcanes. Nous les avons installés dans l’aile de confinement. Pour l’instant ils sont calmes. Les entrainements se déroulent bien et l’élixir les aide vraiment à se canaliser. Eylirc continue ses observations sur leurs comportements. Elle ne désespère pas de trouver une réponse à nos questions.
— Encore faut-il que cette réponse existe, ma douce, fit Cailéan. Ils sont donc plus apaisés.
— Ce sont des adolescents arrachés à leur famille. Malheureusement certains ont encore du mal à s’adapter. Mais leur magie est calme, oui.
Cailéan se tut et s’abima dans la danse des flammes. Il sentait l’impatience de sa femme grandir. Elle répondait à ses questions, mais il lui tardait d’obtenir les informations qui apaiseraient son angoisse. Il ne savait pas trop comment lui raconter ce qu’il avait vu sans la faire souffrir. Mais il le fallait bien pourtant.
— J’ai attendu d’être certain que mes sortilèges avaient fonctionné avant de partir, commença-t-il, en prenant sa main.
Ses doigts fins serrèrent les siens avec force et sa respiration eut un brusque à-coup, mais elle resta silencieuse, sa tête posée sur son épaule.
— Je n’ai pas pu lui parler ni même me montrer quand il s’est éveillé. Mais j’ai pu constater que son esprit et son corps étaient guéris.
Il s’interrompit, le temps de se détourner en direction de sa femme.
— Regarde dans mon esprit, ma chérie, et tu le verras.
Elle hocha la tête, se redressa pour trouver une position confortable. Elle riva son regard aussi clair que la glace dans les yeux de son consort et murmura quelques mots. Aussitôt le prince sentit un doux effleurement dans son esprit qu’il maintenait grand ouvert. Un scintillement illumina les yeux de sa bien-aimée et il s’y abima. Cela dura quelques secondes, au bout desquelles elle quitta son esprit.
— Il est si beau. Il lui ressemble tellement, murmura-t-elle.
Puis elle se laissa tomber contre son torse, enfouit son visage dans sa tunique et laissa couler ses larmes. Sa reine paraissait si fragile à ce moment-là qu’il sentit son cœur se serrer. Il l’enlaça de ses bras.
— Il va vivre, mon aimée. Il va devenir un homme fort et bon. Son père, l’homme qui l’élève, saura y veiller, chuchota-t-il.
Floraidh releva la tête et le fixa.
— Malheureusement sa vie ne sera pas de tout repos. J’ai senti en lui la magie de notre famille. Les glyphes que j’ai gravées en lui ont sauvé sa vie, mais elles le rendent dangereux aux yeux du Sigile des Arcanes. Il aura besoin de protection.
Sa femme resta silencieuse. Ses traits se durcirent et elle retrouva en un instant sa majesté. Cailéan sourit.
— Alors nous lui fournirons l’aide dont il a besoin. Acrétius et Katria veilleront sur lui.
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