5 Septembre 2013.
Cela fait quelques années que le monde scientifique annonce que la manipulation génétique est l’outil idéal pour combattre la faim dans le monde.
Pour ma part, j’en suis persuadé. Et Genetech, la multinationale qui m’emploie, également.
La situation est la suivante : la population mondiale croit de façon exponentielle depuis des années. Jusqu’au début du vingtième siècle, c’étaient les guerres et les épidémies qui permettaient de réguler cette croissance. Mais la recherche médicale a permis d’augmenter l’espérance de vie de chaque être humain sur la planète, et c’est certainement la plus grosse erreur que, nous, les scientifiques, ayons faite. Car malheureusement, les ressources de la Terre, elles, vont en décroissant.
Genetech a donc décidé d’axer ses recherches sur l’augmentation des ressources alimentaires. Deux équipes travaillent en collaboration : celle de mon collègue Jonathan Eisenberg est spécialisée dans les cultures hydroponiques. Ce type de d’agriculture hors-sol permettra d’éviter l’appauvrissement des terres, que les cultures en masse ont pratiquement épuisées. Leur objectif est de parvenir à réduire de moitié le cycle de vie de certaines plantes, afin de pouvoir faire plus de récoltes. Par exemple, entre la plantation et la récolte du maïs, il se passe six mois. En réduisant cette durée à trois mois, il serait possible de faire quatre récoltes en une année. Cette équipe travaille également sur des solutions de plantations hors-sol respectueuses de l’environnement, qui nécessiteraient peu voire pas d’engrais chimiques ou de matières plastiques. C’est un projet ambitieux, mais Jonathan a foi en son équipe et en sa réussite.
Pour ma part, je préfère concentrer mes efforts et études sur le génome animal, et notamment le facteur taille. En parvenant à isoler et modifier le gène de la croissance animale, il serait possible d’augmenter la taille du bétail, et donc générer plus de nourriture sans augmenter le nombre de bêtes.
C’est ambitieux, mais je sais que je peux y parvenir.
18 Février 2015.
Je ne vais pas faire de grandes phrases, quelques mots suffiront, trois au total : j’ai réussi !
1er Avril 2015.
Au lendemain de mon succès, Genetech a décidé de présenter nos travaux au gouvernement américain, pour appuyer les demandes de fonds déposés il y a plusieurs mois. Demain, c’est le grand jour. S’ils parviennent à un accord, nous pourrons commencer à mettre en place des tests.
7 Avril 2015.
Notre présentation a remporté un franc succès auprès des membres de la commission en charge des fonds de recherche. A priori, la teneur de nos travaux les intéressait déjà au plus haut point. Nos récentes réussites et avancées ont fini par les convaincre. Je commence les tests dans une semaine. J’ai hâte.
Je précise que notre gouvernement a imposé deux conditions. Le premier est que les tests soient effectués sur des insectes. Leur argument est que même en grandissant, ils représenteraient moins de danger. De par leur petite taille initiale, ils ne deviendraient jamais trop grands. Pas besoin dans ce cas de locaux trop étendus et sécurisés. Le second est que j’inactive le gène maître dans la production des gamètes, afin que chacune de mes manipulations soit stérile.
Mes premiers sujets d’expériences seront donc des insectes terrestres : scarabées, mille-pattes, termites, fourmis.
En parallèle de ma réussite, le professeur Eisenberg a été plus rapide que moi. Certes, il n’est pas encore parvenu à son objectif initial, mais il est parvenu à obtenir un maïs comestible en quatre mois, ce qui est une avancée énorme.
16 Avril 2016.
Ça fait un an que j’ai commencé les tests, et hier, je suis enfin parvenu à obtenir un début de réussite.
La technique que j’utilise est assez classique. J’injecte dans un œuf de fourmi une bactérie du genre Wolchabia porteuse du gène muté, et je laisse cet œuf « évoluer » dans un environnement plus pauvre en oxygène, ceci afin d’habituer son organisme à notre atmosphère qui ne sera pas assez riche s’il venait à survivre et grandir.
Un de ces œufs a donné naissance à une larve, qui a non seulement survécu (depuis le début de mes expériences, toutes les larves sans exception sont mortes), mais qui en plus est déjà plus grande que la moyenne.
S’est posé le problème de nourrir cette larve, car jusqu’ici, je n’avais pas besoin d’ouvrières vu qu’il n’y avait aucune survivante. Ça a été la panique pour trouver une colonie, la déplacer et y intégrer la larve (que j’ai identifiée en apposant un marqueur de couleur).
Mais à l’instant où je vous parle, tout se passe bien et ma Réussite est bien acceptée par la colonie. Espérons que ça va continuer.
20 Juillet 2016.
C’est une Reine. Je ne m’y attendais pas du tout, mais les ouvrières, par le régime alimentaire qu’elles ont offert à ma Réussite, en ont fait une Reine.
Je le vois aux trois petits points sur le dessus de sa tête. Son œuf ayant été fécondé, c’est donc forcément une femelle, amenée à être ouvrière, guerrière ou reine. Ces trois points sont en fait des ocelles, des petits yeux que l’on retrouve uniquement chez les Reines et les mâles et qui permettent une vision infrarouge.
Pour l’instant, elle ne bouge pas, ne s’alimente pas. Pendant ce stade de Nymphe, son système digestif va se transformer, et les différentes parties de son corps d’adulte vont prendre forme. C’est une période qui peut durer plusieurs mois chez les fourmis normales. Qu’est-ce que cela va donner avec ma Reine ?
2 Octobre 2016.
Elle s’est réveillée. Elle est superbe. Et grande. Tellement qu’on a dû transférer toute la colonie dans un nouveau vivarium, afin que les ouvrières creusent une pièce suffisamment grande pour que leur Reine s’y tenir.
31 Janvier 2017.
Fait très bizarre et marquant. La Reine a déserté la colonie. Elle s’est réfugiée dans un des coins du vivarium et semble regarder fixement à travers la vitre. Quelques fourmis de la colonie sont venues la voir, mais elle les a ignorées.
29 Mars 2017.
Ma Reine n’a pas bougé. Comme je ne voulais pas qu’elle meure, je l’ai changée de vivarium, et j’y ai installé une petite colonie de pucerons. Et son instinct a l’air de fonctionner, car elle est parvenue à se nourrir via le miellat généré par les pucerons. Intéressant.
La colonie de fourmis où elle a grandi est morte. Sans Reine pour renouveler la population, les ouvrières sont décédées les unes après les autres.
10 Août 2017.
Je pensais que sa croissance s’arrêterait une fois qu’elle serait sortie de son état de nymphe, mais non. Elle mesure maintenant cinquante centimètres de long. Je me demande jusqu’à quand ça va durer. Si elle devient trop grande, le problème de la sécurité va se poser.
Mais je n’en suis pas là. En dehors de sa taille, elle semble vraiment curieuse de ce qui se passe en dehors de son vivarium. Elle n’a pas creusé de tunnels, préférant se construire un abri fait de petites branches et de feuilles. Son élevage de pucerons « loge » avec elle, mais elle passe la majeure partie de son temps près des parois.
27 Décembre 2017.
Six mois plus tard, ma Réussite ne tient plus dans aucun vivarium. Elle a dépassé le mètre de long, et a maintenant le gabarit d’un petit chien. Elle se nourrit de végétaux désormais, que je lui réduis en purée pour l’instant. Mais je ne doute pas qu’un jour, elle parviendra à se nourrir seule. Si elle vit jusque là.
Quand je suis au laboratoire, je la laisse sortir hors de sa cage. Elle se promène autour de moi, calmement. C’est impressionnant, on ne dirait plus un insecte, mais un animal de compagnie. Je l’ai même surprise en train de répéter le rythme que font mes doigts sur un clavier d’ordinateur. Elle est capable d’écouter une séquence et de la reproduire en entrechoquant ses mandibules. Comme si elle voulait communiquer.
3 Mai 2018.
Elle a appris le morse. Elle communique avec moi désormais. Et elle continue de grandir et a maintenant le gabarit d’un Saint Bernard. Elle passe toute ses journées postée à côté de moi. C’est à la fois surprenant et dérangeant.
En parallèle, je suis parvenu à modifier le gène de croissance sur d’autres insectes, y compris sur une autre fourmi, mais c’est un mâle cette fois-ci. Reste à voir comment ces « sujets » vont évoluer.
14 Juin 2018.
Ce matin, avec Genetech, nous avons présenté au gouvernement américain nos différentes Réussites. La Reine a impressionné tout le monde, et nous avons le feu vert pour lancer les tests sur des mammifères. Nous allons commencer sur des lapins.
Par contre, je suis devant un cas de conscience qui me crève le cœur. Il m’a été demandé de détruire mes spécimens insectes dès que la première Réussite animale se produirait. Ils ne servent plus à rien, leur présence n’est donc plus nécessaire.
Je ne sais pas quoi faire, car je n’en ai pas envie. Nous avons tellement à apprendre d’eux, maintenant que nous pouvons communiquer. A ce sujet, il s’est produit un évènement que j’ai tu à mes supérieurs. La Reine s’est prise d’affection pour mes autres créations, qui le lui rendent bien d’ailleurs. Je ne sais pas l’expliquer, mais malgré le fait qu’ils appartiennent à des races différentes, les Nouveaux semblent reconnaître en ma Réussite leur chef. Elle leur a appris le morse et je les entends communiquer par moments. Est-ce que la manipulation que j’ai faite sur le gène de croissance aurait des répercussions sur d’autres gènes ? J’aimerais bien le découvrir, mais vais-je en avoir le temps ?
25 Juillet 2018.
Je vais devoir la tuer. Ça ne m’enchante pas, mais je n’ai pas le choix, pas après ce qui s’est passé ce matin.
En arrivant au laboratoire ce matin, je l’ai sortie pour la mesurer, comme à mon habitude. Une collègue est entrée et m’a fait la bise pour me saluer. La Reine s’est jetée sur elle, cherchant clairement à la blesser de ses mandibules. Ma collègue a réussi à se protéger de ses bras, mais il a fallu l’intervention de deux gardes et de leurs tasers pour ramener la Reine dans sa cage.
Une fois que je me suis retrouvé seul avec elle, je lui ai demandé pourquoi elle avait agi de la sorte, elle m’a répondu « qu’elle ne voulait pas qu’une autre femelle s’approche de moi ». De la jalousie...
30 Juillet 2018.
Demain, ma Reine ne sera plus. J’ai versé une dose de poison dans sa nourriture du soir, et je suis rentré chez moi. J’ai réussi à ne pas la regarder quand j’ai fait ça.
Je m’occuperai des autres expériences plus tard. Je vais avoir besoin de temps pour me remettre.
31 Juillet 2018.
Je suis un meurtrier.
En arrivant au laboratoire ce matin, il y avait la police, les pompiers, la morgue dans tout le bâtiment. J’ai dû m’identifier pour pouvoir rentrer et voir ce qui avait causé tout ce déploiement.
On m’a d’abord emmené à mon bureau, qui était intact, mais la pièce où se trouvaient la Reine et les autres insectes avait été saccagée. Ensuite, on m’a conduit à une salle pour me faire visionner les images des caméras de sécurité. Et ce que j’y ai vu est digne d’un film d’horreur.
On y voit la Reine renifler sa gamelle, hésiter plus d’une fois, avant de tout manger, et de s’effondrer. Sauf qu’elle n’est pas morte. Elle a survécu, mais à en juger par les spasmes qui l’ont secouée pendant deux heures, elle a dû souffrir le martyre. Quand ça a cessé, elle a défoncé sa cage de l’intérieur, avec ses mandibules, son dard, tout son corps. Une fois libérée, elle a fait de même avec celles des autres expériences, ils sont sortis de la pièce. Des gardes sont arrivés, dont un de ceux qui m’avaient aidé à la maîtriser deux jours plus tôt. Elle s’est jetée sur lui et l’a tout bonnement décapité. L’équipe de sécurité présente dans le bâtiment a subi le même sort, et les dernières images montrent mes expériences en train de s’enfuir à l’extérieur.
Je suis un meurtrier, j’aurais dû la tuer avec une arme plutôt qu’avec du poison.
4 Août 2018.
L’armée a été envoyée pour intercepter et supprimer les mutants. Mais ils n’y sont pas parvenus. Ils ont perdu leur trace dans le désert près de Las Vegas.
Mais le pire dans tout ça, c’est ce que les derniers tests que j’ai faits sur la Reine ont révélé. Elle est fertile. Elle va pouvoir pondre et sa progéniture possédera les mêmes caractéristiques génétiques qu’elle. Ce qui signifie qu’elle serait tout à fait capable de créer une armée d’insectes mutants...
12 Novembre 2018.
J’ai créé un monstre, j’ai provoqué un génocide...
Les mutants ont refait surface il y a deux jours, mais pas là où on les attendait. Las Vegas n’a pas été touchée, du moins pour l’instant.
Par contre, Washington, Chicago, San Diego et Lafayette ont été attaquées par des milliers de mille-pattes, scarabées, fourmis et autres horreurs. Les pertes humaines s’élèvent à plus de trois millions. La ville de Lafayette a quasiment été rayée de la carte, il reste moins de mille survivants.
D’après l’armée, ces villes n’ont pas été choisies par hasard. Je n’ai pas tout compris, mais en tout cas, c’est évident pour Washington (notre capitale) et Lafayette (petite ville mais détentrice d’une grande industrie de pétrole et de gaz naturel).
Et je sais que ça ne fait que commencer. La Reine m’en veut à moi, mais aussi à toute l’humanité je pense. Elle vient de prouver qu’elle peut nous faire très mal, je suis persuadé qu’elle ne va pas s’arrêter là.
21 Juin 2019.
Je projette de m’enfuir de l’abri sécurisé où l’armée m’a placé. Ce n’est pas prudent pour moi de sortir mais je ne veux plus rester là-bas, assis à regarder l’humanité se faire massacrer par mes créations.
Les mutants ne se sont pas arrêtés aux frontières américaines. Ils se sont propagés dans tout le continent américain. Des nids sont apparus dans tous les pays, et mêmes aux quatre coins du monde.
Comment ont-ils fait ? Ils ont pris le bateau. Ou l’avion. Ils sont dotés d’une intelligence hors normes, pour des insectes en tout cas. Ils sont parvenus à se glisser dans des soutes, quelques-uns à chaque fois, mais des reproducteurs. Si bien qu’arrivés à destination, ils n’avaient plus qu’à se trouver un endroit tranquille, se reproduire, et poursuivre leur génocide.
Nous avons réussi à capter des films de leurs attaques. En les écoutant, nous avons découvert qu’ils communiquent entre eux par morse. Et une phrase revenait sans arrêt : « La Reine les veut tous morts, surtout les femelles. »
La Reine dirige son armée. Tous sont sous ses ordres. Qu’ils soient fourmis ou bien d’une espèce différente.
Les seuls endroits où ils ne se trouvent pas sont les océans et les pôles. Là où il y a beaucoup d’eau, et où il fait très froid. C’est dans ces endroits que les survivants sont transférés, et c’est là où je devais me rendre, demain.
Sauf que je n’irai pas. Je ne veux plus voir ça.
L’original de ce journal a été retrouvé parmi les effets personnels du professeur Parker Elroy. Le créateur de la Reine Fourmi s’est donné la mort en se tirant une balle dans la tête, sur la tombe de sa défunte femme.
Les évènements détaillés ci-dessus n’en sont que des extraits, certaines pages et évènements ont volontairement été dissimulés. L’original de ce journal se trouve à bord de l’USS Enterprise, qui abrite désormais l’Etat Major de l’Armée américaine.
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