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"Chaque rayon de l'aube prend vos plus beaux rêves nocturnes par la main. Pour les conduire à la réalité.”

Proverbe Tibétan

La carrière de Han Yuchen s’inscrit dans un pays millénaire en plein milieu d’un des tournants de son histoire. L’ascension professionnelle de l’homme et celle de l’artiste se complètent et se nourrissent l’une et l’autre, bien qu’elles soient aux antipodes. Un Ying et Yang qui, d’un point de vu extérieur, reflètent ce moment historique de la Chine à bien des niveaux et constitue une carrière artistique de toute une vie unique dans l’art contemporain chinois.

L’art à toujours reflété et fait avancer la société dans laquelle il existe et se développe. Aussi il est indéniable que les artistes chinois ont rempli cette mission, notamment depuis le mouvement des Étoiles (星星)au début des années 80. Dans ce cas précis: un monde entraîné dans un constant rush ininterrompu. En effet, depuis l'émancipation économique du pays à la fin des années 80, de nombreux artistes ont représentés les changements de la Chine mais en majorité à partir d'une approche sur l’urbanisation exponentielle de ses régions.

Certains artistes ce sont donc intéressés à la place de l’individu dans cette nouvelle société comme le célèbre Liu Bolin (刘勃麟). D’autres, tel que Liu Xiaodong (刘小东), ont peint les individus des régions rurales pris en étaux dans cette course effrénée et d’autres comme Yang Yongliang qui ont su fusionner ces paysages transformés si rapidement que même la nature a été réduite à l’état d'édifices en construction.

Mais quid de ce qui restait inchangé? Ces paysages restés immaculés, ces traditions perpétuées, ces populations n’ayant pas suivi ce nouveau “bon en avant”? Finalement, très peu d’artistes, à l’exception de Han Yuchen se sont intéressés sur les éléments atemporels et intangibles du pays et qui demeuraient, solidement ancrés à travers ce torrent de modernité.

Ce n’est que récemment que certains artistes tels que Hao Liang (郝量), Chen Yingjie (陈英杰), Zhuang Hui (庄辉) ou encore Zhao Zhao (赵赵) ont commencé à sublimer cette Histoire, ces paysages ou ces particularismes régionaux au travers de leur art, tandis que Han Yuchen n’a cessé de le faire tout au long de sa vie et ce dès son plus jeune âge, soit des décennies auparavant.

Bien avant le mouvement des Étoiles (1979) et malgré la Révolution Culturelle (1966-1976), Han Yuchen a toujours été un fin observateur des évolutions du pays mais cela en se fascinant pour les régions réticentes à ces changements et qui donc perpétuaient un mode de vie ancestral dans un environnement inaltéré. En ce sens le travail de Han Yuchen est un témoignage critique de l'évolution du pays, à contre-courant d’autres artistes plus connus sur la scène internationale. Une approche qui, bien que cruciale, deviendra rapidement sous-estimé dans le mouvement de l’art contemporain chinois.

Les minorités, ou plutôt devrions-nous dire “les cultures régionales”, s’entretiennent et se perpétuent d’ordinaire elles-mêmes. Elles constituent ensemble un patrimoine qui forme une nation et dont les garants sont les habitants de ces régions. Malheureusement, n’étant pas sujet au désir obsessionnel moderne de changement, elles tombent parfois dans l’oubli, ne suscitant pas une information suffisamment importante pour être relevée par la majorité ou par le monde extérieur. Bien que cet oubli ne signifie pas leur disparition, il n’en demeure pas moins inéluctable que ces régions sont affectées par ce manque de reconnaissance et de perpétuation. Quand bien même elles ne sont pas remplacées ou effacées aussi rapidement que d’autres éléments de la société avec laquelle elles satellisent, elles s’exposent au risque de s’estomper et de s’évaporer au fil du temps.

L’amour et la fascination profonde de Han Yuchen pour la région du Tibet l’élève au rang de conservateur et garant de ce pan de la culture chinoise. Ainsi, tant que l’artiste peindra, alors ce qui existait existera. C’est en ce sens que l’art est pour l’artiste un véritable moteur qui permet de faire exister les choses et de rendre visible l’invisible.

En effet, si ce dernier préfère représenter les habitants de ces vastes régions, vivant parmi les plus hautes altitudes de la planète, il existe néanmoins dans son œuvre un lien, une essence, que l’on peut affilier à l’esprit des grands maîtres de l’histoire de la peinture chinoise, parmi lesquels nous pouvons citer : Ma Yuan (馬遠 1160/1165-1225), Wang Ximeng (王希孟 1096-1119) ou encore Gao Kegong (高克恭 1248-1310). La façon de peindre de Han Yuchen s’inscrit au sein d’un voyage spirituel ayant pour but de s’imprégner de l’aura de ces paysages, de ces montagnes, dans la parfaite lignée de la tradition Shanshui (山水). Lorsque les peintres chinois travaillent sur la peinture Shanshui, ils n’essaient pas de présenter une image de ce qu’ils ont vu dans la nature, mais de ce qu'ils ont ressenti face à la nature. Personne ne se soucie de savoir si les couleurs et les formes peintes ressemblent ou non à l'objet réel car c’est dans la quintessence de l’environnement dans lequel travaille l’artiste que résulte l’œuvre finale. Et c’est en ce sens que Han Yuchen s’inscrit dans cette tradition bien que peignant des œuvres très réalistes. Au passage, nous pouvons d’ailleurs noter que la montagne est également l’exemple dont se servira Walter Benjamin pour définir son concept de l’Aura dans l’art.

La distanciation avec la tendance artistique de son époque, ne tient pas uniquement dans les sujets traités par l’artiste mais également dans son style qui est aussi une partie intégrante de l’histoire de la peinture contemporaine chinoise. A nouveau on y trouve une envie de rester fidèle aux traditions de son pays.

La peinture de Han Yuchen est très forgée dans l’académisme chinois qu’il apprend aux cotés des maîtres Li Hua (李桦1907-1994), Su Gaoli (苏高丽) et Liang Yulong (梁玉龙1922-2011), et a également été très fortement influencée par les travaux de certains de ses pairs tels Dong Xiwen (董希文1914-1973), Chen Danqing (陈丹青) ou encore Ai Xuan (艾轩). Ce style, que l’artiste a conservé tout au long de sa carrière, est en porte à faux avec le mouvement contemporain chinois ayant obtenu une reconnaissance à l’international.

En effet, le mouvement des Étoiles, mentionné précédemment, a fait éclore de nombreux artistes devenus célèbres pour avoir été en rupture avec le système académique. Parmi les grands noms de ce mouvement et les artistes qui en ont découles nous pouvons citer : Wang Keping (王克平), Huang Rui (黄锐), Yue Minjun (岳敏君), Zeng Fanzhi (曾梵志), Zhang Xiaogang (张晓刚) et de nombreux autres. Cette attitude de Han Yuchen à rester proche des traditions est encore une fois un témoignage — peut-être même une revendication? — qu’au sein d’un pays en pleine mutation certaines fondations importantes demeurent.

Car il est essentiel de ne pas minimiser l’importance et le respect que le pays a toujours attribué aux cursus académiques, et ce dans tous les domaines : art, sciences, mathématiques, politique, économie etc... Certaines universités en Chine sont considérées, et à juste titre, comme de véritables temples de la connaissance, et leur représentants très hautement respectés dans la société. Pouvoir enseigner dans de tels établissements représente un véritable honneur pour les étudiants et leurs proches. En Occident, nous avons pouvons avoir tendance à réduire cet attachement à une forme de conservatisme alors qu’il s’agit de bien plus que ça ; il s’agit là d’une véritable colonne vertébral de tout un pays.

Les œuvres de Han Yuchen sont cependant singulières car si le style académique de l’artiste atteint un réalisme pictural tel qu’il s’apparente à la photographie, il laisse cependant suffisamment de place, de spontanéité et de liberté dans le geste, pour que la peinture elle-même retranscrive les émotions et l’aura que l’artiste fige sur sa toile.

Durant la longue et abondante vie artistique de Han Yuchen il se sera passé en Chine plus de changements que durant un siècle en Europe. Non seulement Han Yuchen en aura été un protagoniste mais il en aura également été un fin observateur qui aura su, à travers sa peinture, saisir un véritable air du Temps.


Texte publié par PM76600, 24 janvier 2023 à 06h03
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