Objet/chose : “idole”
Émotion/état : “jalousie”
Couleur : “jaune”
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C’était un matin paisible, trop paisible sans doute pour le lieu où se trouvait la fratrie Leroy. Et c’était en partie pour ça que depuis dix minutes ils n’avaient pas bougé de la voiture d’Anaïs.
Cela faisait un moment qu’ils prévoyaient de venir dans cet endroit, mais ils n’en avaient jamais eu la force ou le courage. En même temps, la seule et unique fois de leur existence où ils étaient venus était le deuxième pire jour de leur vie.
L’enterrement de leurs parents.
Diane et Laurent avaient été les piliers de leur vie et les voir disparaître du jour au lendemain avait été une terrible épreuve. Durant le premier mois de deuil, ils n’arrivaient plus à vraiment dormir, ne mangeaient presque plus non plus, et même leur don avait perdu en intensité. Cette perte avait été déroutante, les laissant perdus.
Ils s’étaient tous les trois repliés sur eux-mêmes durant cette période. Anaïs ne parlait presque plus à ses amis et le fait d’avoir dû arrêter ses études n’avait pas aidé. Nathan ne sortait plus, se traînant physiquement en cours, mais n’étant pas vraiment présent. Thibault s’était calfeutré dans sa chambre, ne sortant que pour aller manger, se laver et aux toilettes.
À ce moment-là, chacun d’eux éprouvait de la jalousie envers tout le monde. Ils étaient jaloux de leurs amis et connaissances qui avaient toujours leurs parents bien vivants et jaloux des gens qui continuaient leur vie comme si ce n’était pas la fin du monde.
Il y avait de la colère aussi. Envers tout le monde, mais surtout envers eux-mêmes. Avec leur don, ils pouvaient voir les auras des gens et toujours quand quelqu’un était malade ou allait mourir, ils le voyaient. Pourtant, ils n’avaient rien vu chez leurs parents. S’ils l’avaient fait, alors peut-être qu’ils seraient toujours vivants avec eux. La fratrie se sentait coupable de leur manque d’attention.
– Il va pleuvoir.
La voix de Thibault résonna dans l’habitacle de la voiture, faisant presque sursauter les deux autres.
– Oui, confirma Anaïs en inspectant le ciel rempli de nuages sombres. Il vaut mieux ne pas finir trempés.
Mais personne ne bougea de son siège. Ils avaient toujours leur ceinture attachée et Anaïs avait toujours les mains posées sur le volant.
Nathan finit par soupirer en se détachant et ouvrit sa portière.
– Ça suffit. Je veux pas rester ici jusqu’à ce qu’il fasse nuit. Je peux pas.
Et il sortit de la voiture.
Cela donna un élan aux deux autres qui l’imitèrent, mais un peu plus lentement. Ils eurent une hésitation quand ils se retrouvèrent devant l’entrée du cimetière, mais réussirent à continuer d’avancer.
Les diverses idoles et signes religieux étant assez pénibles à regarder, ils fixèrent leurs chaussures crissant contre les gravillons formant les allées entre les tombes. La mort avait toujours été une chose triste, mais avant ce jour fatidique, elle n’avait jamais touché leur famille. Et même si la fratrie comprenait que la mort n’était pas une chose à craindre et à redouter, qu’elle n’était pas une ennemie, ils ne pouvaient s’empêcher de lui en vouloir et de ne pas l’aimer.
Après une marche qui leur sembla durer plus longtemps que prévu, ils s’arrêtèrent devant une tombe se trouvant au milieu d’une petite allée. Sur la plaque vissée à la pierre tombale on pouvait y lire :
décédé le xx.xx.xxxx
Diane Leroy, née le xx.xx.xxxx
décédée le xx.xx.xxxx
Parents aimants et adorés, amis fidèles et joyeux, nous ne vous oublierons jamais.
Le cœur serré et la gorge nouée, ils fixèrent la tombe les yeux piquants. La douleur était moins vive, toujours là.
Un bruit sourd résonna, les détournant de leur contemplation. Un peu plus loin, ils virent un employé avec le gabarit d’un grizzli râler devant ses outils qui s’étaient renversés par terre. Sa casquette jaune semblait incongru dans un tel endroit.
La fratrie se détourna de l’homme pour fixer à nouveau la tombe de leurs parents.
– Je crois que j’ai senti une goutte, annonça Nathan en passant sa main dans ses cheveux.
– D’accord, dépêchons-nous, acquiesça Anaïs en sortant des fleurs d’un sac plastique.
Elle avait beaucoup hésité à en prendre des fraîches et vivantes, mais honnêtement aucun d’eux n’était sûr de revenir souvent ou même régulièrement pour s’en occuper, alors elle en avait acheté des fausses.
– C’est quoi comme fleurs ? demanda Thibault en s’approchant d’elle. Elles sont grosses.
– Des rhododendrons, un pote m’a dit que si t’en fume ça donne des hallucinations.
Les autres regardèrent Nathan platement, pas plus étonnés que ça.
– D’une, ton pote dit n’importe quoi, soupira Anaïs. De deux, j’espère pour toi que t’as pas essayé, même avec d’autres plantes ou champignons.
– Je suis cinglé, pas suicidaire.
– Je suis pas sûr que ce soit rassurant, fit remarquer Thibault en s’accroupissant.
Il enleva les fleurs fanées qui avaient été placées dans les cavités faites exprès dans la dalle. Leurs pots furent jetés dans le sac vide et les fausses fleurs de rhododendron qui étaient rassemblées en bouquets maintenus par de gros fils colorés prirent leur place.
Nathan prit une petite balayette pour enlever les feuilles mortes qui recouvraient la tombe, histoire que ça fasse propre.
–Tu portes un collier ? s’enquit Anaïs avec étonnement, en voyant un petit dauphin pendre au bout de la chaîne.
– Ah, ouais, répondit-il un peu gêné en remettant le collier sous ses vêtements. C’est un cadeau.
– Et on peut savoir de qui ?
– Non.
– C’est ta copine alors.
– J’ai déjà dit que j’avais pas de copine, s’énerva Nathan Lâchez-moi avec ça.
– Ça suffit ! Vous n’allez pas vous disputer ici ! intervint ferment Anaïs.
Les deux garçons se calmèrent , leurs épaules retombant de honte et de gêne.
– Désolé, dirent-ils d’une même voix.
La fratrie finit de s’occuper de la tombe dans le silence, puis après un au revoir à leurs parents dans le vent, ils retournèrent à la voiture. Cette visite avait été difficile, mais elle n’avait pas été aussi insurmontable qu’ils l’avaient imaginé. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’ils ne mettraient pas à nouveau six mois pour revenir.
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