À la suite de notre rencontre, nous nous sommes tous deux promis de nous revoir le plus rapidement possible, et cette fois, dans des circonstances moins imprévues. C’est ainsi que, chemin se faisant jusqu’au bas de la rue où elle habitait, et où je la raccompagnai, nous nous fixâmes rendez-vous pour le lendemain, ou tout du moins, pour le jour même, du fait que minuit était déjà passée. Il était convenu que nous devions nous retrouver dans un parc non loin de là en milieu d’après-midi, pour ensuite nous diriger vers un endroit qu’elle gardait pour secret et dont elle entendait me faire la surprise, en début de soirée.
Je la quittai sur le pas de chez elle, nous nous étreignîmes nous souhaitant l'un pour l'autre une douce nuit et enfin, elle ferma la porte lorsque j’entamai ma vive descente des escaliers. Regagnant mon chez-moi, je me trouvai à flâner le long du trottoir, les mains confortablement assoupies dans le fond de mes poches, le pas leste et le regard occupé à apprécier l’éclat du spectacle de la voie lactée ; une légère brise caressait mes oreilles et mon cou, éveillant dans son souffle les poils de ma nuque. J’ouvris sans même m’en rendre compte et machinalement la porte de mon logement ; je gagnai prestement ma chambre si étroite mais encore embaumée d’une odeur de lavande, je me jetai sur mon lit sans même me dévêtir et, c’est ainsi apprêté que je m’endormi, des espérances plein la tête.
Le matin même, je fus surpris par un réveille assez matinal, constatant qu’à peine le lumière du jour, filtrant jusque dans ma chambre, commençait à se teinter de blanc. Sans bien plus d’inutiles réflexions, et comme porté par les notes de chants des quelques oiseaux pratiquant leurs vocalises sur quelques arbres feuillus non loin de là, je pris la décision de quitter mon lit et d’aller avaler quelques gorgées de cet air d’une légèreté si particulière, comme seule l’aube est capable d’en brasser. Je me penchai alors à ma fenêtre, un verre d’eau à la main et contemplai l’horizon sans ne songer à rien. De la sorte, ma matinée s’écoula sans se presser ; je regardais simplement le ciel se transformant peu à peu, changeant son pyjama bleu nuit pour une tenue plus claire et journalière ; le monde prenait vie sous mon bienveillant regard, et je voulais simplement y assister. Les choses allaient prendre sens, je le sentais dans l’air, je l’entendais dans le chants des oiseaux et enfin, je le devinais dans les couleurs de l’horizon.
Quatorze heures venaient de sonner, aussi, je décidai de me préparer. Cette fois-ci, le confort l’emportait sur l’apparence, ma tenue serait constituée d’un ample bas blanc et d’un haut qui imitait, dans une caractéristique comme dans l’autre, son voisin du bas. Ma montre finalement ajustée à mon poignée (il était alors quatorze heures quinze minutes), et mes chaussures enfilées, c’est alors d’un pas nonchalant que je m’élançai dans la rue à peine peuplée, me dirigeant décidemment vers le parc supposé.
Arrivé à bonne destination, je constatai l’absence de mon amie ; loin d’être même seulement contrarié, je m’assis sur un banc craquelé à l’ombre d’un beau chêne pour confortablement guetter son arrivée. Ainsi disposé à attendre à mon grand aise la venue de mon amie, je n’eu en fin de compte, point à trop excessivement patienter. De fait, à peine eu-je le temps de remarquer la présence sur le rocher me faisant face, de deux magnifiques bêtes à plumes, qu’une brillante lueur vacillante chatouillant le coin de mon œil finit, à force de danses, par attirer sur elle mon entier regard. Cette indistincte lueur, une fois mon attention fixée sur elle, se dessina enfin clairement, révélant sur l’instant ma tant attendue amie, elle aussi parée de blanc.
Je me levai brusquement, faisant alors naître dans mon mouvement, chez mes deux voisins à becs d’en face, la subite envie de prendre leur envol (vers des contrés plus statiques peut-être). Me dirigeant hâtivement bien qu’essayant de tempérer ma cadence, jusqu’à elle, je remarquai qu’à mon image, elle aussi avait fait le choix du confort, se vêtant d’un unique vêtement fin et large, idéal pour la liberté de mouvement ; remarquez que pour une personnalité telle que la sienne, une telle aisance dans le mouvement était pour ainsi dire, presque vitale. Réduisant par encore quelques bonnes enjambés la distance me séparant de mon rendez-vous, il me devenait de plus en plus aisé de remarquer chez elle les plus petits et infimes détails. Aussi, remarquai-je sur son visage l’élément qui bien souvent brille par son absence, j’ai nommé : le maquillage ; seul un léger trait de rouge venait soutenir l’éclat déjà vermeille de ses lèvres.
Mes pas ayant indépendamment entrepris de se presser, je n’eus pas le loisir de plus admirer la jeune femme fondant sur moi que, déjà, elle me parla.
- « En avance ! » Me dit-elle, posant ses fines mains sur ses hanches et sur un ton feignant le reproche.
- Levant alors les mains vers le ciel, adoptant l’air d’un criminel acculé par le bras de la justice ; « je suis toujours en avance, tu le sais pourtant bien ! » Lui répondis-je sur un même mode de faux repentir.
- « Tu n’as pas trop patienté je l’espère ? Vraiment désolée ! En même temps, tu n’avais qu’à pas être en avance ! » Poursuivit-elle, agitant un doigt cerné d’or dans ma direction.
- « Pas du tout, ne t’en fais pas ! » Lui affirmai-je, dessinant sur mon visage un sourire, comme pour lui prouver qu'aucun tord ne m'avais été causé.
Nous dirigeant alors vers le même banc que j’avais délaissé le seul temps de me dégourdir les jambes, elle poursuivit :
- « C’est à vrai dire, une bonne chance que tu sois si ponctuel car, vois-tu… » Dit-elle prenant place sur le banc faisant craquer ses vieilles planches, « …j'avais prévu pour ce soir une certaine chose mais qui, pour je ne sais quelle raison, a été avancée en fin d'après-midi, à dix-sept heures pour êtres précise. »
- Consultant alors ma montre et lui indiquant ensuite le cadran, « il n'est encore que quinze heures dix minutes, vois-tu ? Y-a-t-il quelque chose que tu souhaites faire en attendant que passent la prochaine heure et ses cinquante petites sœurs ? »
- « Non…j’apprécierais de seulement converser ici avec toi, réchauffant les os de ce vieux banc et pourquoi pas, profiter de ce léger vent… » Dit-elle faisant courir une main sur les planches déteintes et caressant la brise de l’autre ; un léger vent venait bien de se lever, créant ça et là de petites tornades de poussière. « Il y a quelque chose, une proposition que je voudrais te soumettre… » Me confia-t-elle, se tournant vers moi comme pour enfermer un secret entre nos deux cages thoraciques.
- Me tournant à mon tour vers elle, alignant ainsi nos deux cœurs, resserrant l’étau autour de la discussion, « je suis tout ouïe. » Lui annonçai-je d’un ton solennelle portée par une voix résonnante provenant des profondeurs de ma poitrine.
Je m’en vais à présent, mesdames et messieurs, vous rapporter la proposition que mon amie me fit sous la garde du beau chêne et dans la confidence du vieux banc, à la suite d’un long et sinueux dialogue dans lequel, l’objet d’intérêt principal se trouvait être le souvenir des quelques représentations théâtrales auxquelles nous prîmes part, au temps jadis.
Nous nous remémorâmes ainsi le rôle ridicule qui lui avait été incombé lors de notre seconde exhibition et la crise d’angoisse qui me saisit à la gorge et au ventre, juste avant mes tout premiers pas sur les planches. Après un certain écoulement du sablier et remarquant à ma montre la fatidique approche des dix-sept heures tapantes, je fis doucement comprendre à la femme me faisant face, que je ne comprenais pas bien où elle voulait finalement me mener.
- « Je ne vois pas où tu veux en venir… » Lui dis-je, plissant les yeux comme pour tenter de percer le brouillard de mystère qui entourait ce complexe échange verbale.
« Et bien, pour faire court… » Reprit-elle penchant son buste en avant et croisant ses longues jambes, « …il y a de cela quelques semaines, j’ai… repris le théâtre et, remarquant durant notre… petite scène d’hier soir, combien il me manquait de jouer avec toi, j’aimerai… en un mot, que… toi aussi, tu reviennes ! » Elle hésita beaucoup durant sa déclamation, la cadence de sa phrase était sans cesse coupée par de petites inspirations qu’elle prenait comme si elle fournissait là un effort d’une nature surhumaine.
Ayant, avant même que madame ne finisse de prononcer sa sportive déclaration, deviné la teneur de cette dernière, j’avais alors déjà émis en moi-même des réserves sur le sujet. Ainsi, je continuai en lui partageant mes craintes :
- « L’envie est présente, je veux que tu le saches ! » Lui lançai-je regardant au loin derrière elle et venant placer un index sur mon sourcil, m’accoudant dans ce geste au dossier du vieux banc. « Cependant… » Repris-je lentement, « j’hésite car…le travail, tu sais… »
- « J’y ai déjà songé moi aussi, tu l’imagines bien ! » Rétorqua-t-elle, s’adossant vivement et plaçant ainsi son visage à quelques centimètres du miens (j’étais alors tombé dans l’abîme rouge de ses lèvres). « Mais écoute mois : cela te permettrais de vivre quotidiennement autre chose que ton travail ; tu as l’air si morne depuis que tu as commencé, tu sais…je pense que cela ne pourra te faire que du bien, vraiment ! »
Je l’écoutais à moitié seulement, hypnotisé par l’érotique remuement de ses lèvres ; j’allais renchérir lorsqu’elle me coupa prestement :
- « De plus… », Me dit-elle, dressant ces mots telle un barrière repoussant mes contestations ; « …de plus, cela te donnerais l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes et surtout, de passer plus de temps avec, moi. »
Je relevai intérieurement avec quelle insistance elle prononça ce « moi », lorsque saisissant vivement mon poignée, elle s’affola :
- « Déjà si tard ! » S’exclama-t-elle. « Nous devons y aller ! Promets-moi de penser à ce que je viens de te dire… » Continua-t-elle me tirant toujours plus fort sur le même pauvre poignée, « …et seulement après, tu me donneras ta réponse ! »
Je n’avais pas le moindre indice concernant l’endroit vers lequel elle me traînait. Ce qu’elle ignorait quant à elle, c’était que ses paroles avaient eu pour effet de déjà me faire parcourir la moitié du chemin qui allait me mener jusqu’à mon retour sur scène. J’avais, pour ainsi dire, déjà un pied sur les planches.
- « Alors, surpris ? » Me lança-t-elle faisant volte-face vers moi lorsque, au dénouement d’une marche à petits trots d'une ou deux centaines de mètres nous arrivâmes enfin au pied du bâtiment dont tout ce temps elle avait tu la nature ; elle formula ces quelques syllabes tentant de me tirer de mon trouble, qu’elle remarqua à mon brusque arrêt et à l’élévation subite de mes deux sourcils.
- Reprenant alors du mieux que je le pu mon ordinaire expression faciale et par ailleurs ma petite marche, je repris : « Pourquoi le serais-je ? Après nos négociations dans le parc, je dois t’avouer que je m’y attendais un peu… » Ce disant, je lui souris et posai ma main sur sa douce épaule dénudée, lui démontrant ainsi par cet indice, le bonheur que m’inspirait cette présente découverte.
- Étreignant de son bras le bas de mon dos, et offrant à ma vue sa jolie chevelure en posant sa tête sur mon épaule cette fois-ci, elle continua : « Je voulais tellement assister à cette représentation avec toi, dans ce théâtre précis qui plus est, te souviens-tu lorsque nous y avons joué il y a cinq ou six ans de cela ? Nous étions si jeunes ! » Me dit-elle relevant son regard vibrant de nostalgie et le plongeant dans le miens, lui, dirigé vers l’édifice royalement planté devant nous. « Je veux que tu réfléchisses à ce dont je viens de t’entretenir, tu ne me donneras ta réponse qu’après seulement, la fin de la représentation. » Poursuivi-t-elle pendant que nous cheminions vers le guichet où un jeune homme vêtu d’un ensemble rouge se tenait lasse, presque immobile, prévoyant déjà notre arrivée.
À compter de cet instant, une fois les billets entrés en notre possession, et installés côtes à côtes dans la salle, nous ne prononçâmes plus un mot ni l’un ni l’autre. Arrivé au milieu de la représentation, et complètement plongé dans l’intrigue, je remarquai petit à petit que ma main se trouvait contrainte par un certain quelque chose. Détournant mon attention de la scène et la déportant sur le quelque chose en question, je parvins à éclaircir cette énigme alors plongée dans le clair-obscur environnant de la pièce ; ce quelque chose de contraignant finit enfin par s’identifier sous la forme des doigts de mon amie, tout entremêlés aux miens. Levant dans ma surprise, le regard sur elle, je vins à rencontrer le sien qui, galvanisant encore ainsi ma stupeur, se trouvait déjà être dirigé sur moi. Me scrutant, elle n’eut d’autres réactions que de me sourire quelques secondes et ensuite, de me rappeler à ma dispersion, d’un mouvement de tête m’indiquant la scène.
J’étais amoureux vous savez…et elle aussi, tout du moins je le pensais…Voulant à présent vous souffler quelques mots à propos du théâtre auquel nous assistâmes, j’aimerais tout d’abord vous confier, qu’il m’absorba (outre l’entracte de nos doigts se nouant), tout entier de la première scène jusqu’à la dernière. En pénétrant seulement dans le hall de l’édifice, j’avais été inondé de passion ; une passion ancienne et presque éteinte, ranimée par le flamboyant pourpre des murs, par les éclatantes dorures du cellier sans oublier les brûlantes couleurs des affiches décorant la montée du somptueux escalier blanc vif, en colimaçon. La vue du sombre rideau encore fermé me remémora la puissante sensation qui me possédait lorsque jadis, je ne me tenais pas devant, mais derrière lui, encore protéger du regard du public, répétant nerveusement mes répliques, envouté par leur lyrisme.
La chaleur des comédiens vint me voler chaque once de mes pensées, je me transportais sur scène à leur place, réfléchissant à la meilleure manière de prononcer telle ou telle déclamation, afin d’en sublimer au mieux l’impacte et l’éclat. En bref, j’étais sur scène, jouant de toute mon âme, et non plus là ou je me trouvais physiquement, c’est-à-dire assis au fond d’un siège légèrement trop petit, tenant la main de la femme que j’aimais ; je venais alors de poser les deux pieds sur les planches.
Une fois la performance achevée, et ensuite, notre migration vers la sortie effectuée (migration durant laquelle elle vint passer son aile sous la mienne), nous reprîmes le chemin vers nos demeures qui, comme expliqué un certain temps en arrière, étaient par pur hasard venues se poser sur la même rue, à quelques secondes à vol d’oiseau l’une de l’autre. Nous déplaçant lentement et empruntant plus d’un détour dans la seule intention de prolonger cette idyllique balade, sous une voûte céleste qui chaque minute s’égrainant, s’assombrissait pour mieux faire ressortir les milliards de diamants parant sa tenue malgré les quelques menaçant nuages se profilant au loin, c’est tout naturellement que nous nous mîmes à raviver les braises encore chaudes laissées par le brasier qui, ce soir dans cette salle de théâtre, nous avait consumé.
- « Cela faisait un long moment que je ne t’avais pas connu si vivant, le sais-tu ? » Me confia-t-elle, m’étreignant brusquement et manquant par la même de me faire trébucher tant cet assaut fut soudain.
- Esquissant alors sur mon visage un sourire plein de dents : « Cela m’a fait beaucoup de bien…tu sais ? Ces derniers temps, je n’étais… » Cherchant alors de justes paroles ; « …je n’étais pas…bien. » Finis-je par articuler en haussant les épaules dans un effort de dédramatisation.
- « Je le sais, je le sens, tu as changé… » Murmura-t-elle dans un souffle, comme s’adressant elle-même.
Ma respiration s’arrêta court lorsqu’elle prononça ces simples mots, j’étais comme vacillant sous les secousses provoquées par le choc de cette déclaration. Aussi, je me décidai à lui faire part de mes résolutions, dans l’espoir certainement de m’enhardir et de la consoler ; m’arrêtant tout à fait et lui prenant les mains, je me lançai :
- « J’accepte…je veux remonter sur scène…avec toi ! »
Pour seule réponse, elle me sourit et, délicatement, se grandissant avec l’aide de la pointe de ses petits pieds, elle vint poser ses lèvres humides sur les miennes, encore asséchées par l’affaiblissement causé par ce qu’elle venait de me faire entendre.
La pluie se mit à battre fort dans le ciel, déversant sur nous un flot de larmes de joie, présumai-je alors ; je la raccompagnai chez elle et après un dernier baiser échangé sur son palier, je me précipitai avec allégresse sous cette rafraîchissante averse qui semblait laver mes peines. Arrivé quelques minutes plus tard devant chez moi, je m’assis pour reprendre haleine sur le même vieux banc sur lequel elle était elle-même assise la veille au soir. Là, frappé de lucidité et réalisant enfin ce qu’il venait d’arriver, je souris seul, dans l’obscurité. Je possédais alors pour moi, l’amour et l’espérance, et c’est là tout ce dont un homme à besoin pour exister.
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