Une nuit, j’ai fait une étrange expérience. Une nuit, j’ai rêvé. Cette nuit-là ne parvint guère plus qu’à m’éclabousser. Une autre nuit, quant à elle, finit par engloutir nos vies. Un jour peut-être, me sera-t-il permis de refaire surface et, par cette opportunité, pourrais-je ainsi expier ma terrible faute. Sa vie à elle, grande peine me fasse, tous les moyens du monde ne pourraient pas la tirer des profondeurs où je l’ai emmenée. Ce que je m’apprête à vous conter ne doit pas être considéré comme une lâche tentative de justification de ma part, non ! Je ne cherche en aucun cas à me dédouaner, par cet écrit, du péché que j’ai bien commis. J’ai entendu certains me maudire, me mépriser, d’autres on voulu m’aliéner à mon statut d’Homme, l’on pensait de moi que j’étais tout à fait dérangé car, personne de sain d’esprit ne se laisserait aller à de telles atrocités. Cet écrit a pour but de vous montrer, mes bonnes gens, qu’une personne autrefois tout à fait convenable telle que moi, peut, par certaines conjonctures, peu à peu devenir une chose capable des pires méfaits. Ceci dit, peut-être suis-je réellement dérangé depuis le début et peut-être ne m’en suis-je tout simplement jamais rendu compte ; après tout, demandez à un fou s’il est fou et entendez sa réponse. Je vous laisse le soin de vous faire votre propre idée sur ce sujet.
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai tout à fait conscience que pour beaucoup, je suis ce qui se rapproche le plus de ce que l’on pourrait nommer un déchet, une souillure ou encore un monstre. Cependant, (bien que je puisse à l’heure à laquelle j’écris ces lignes, me détester cordialement) il n’y a que quelques temps de cela, je sais que vous n’auriez rien pensé d’aussi péjoratif à mon sujet. Vous n’auriez vu en moi qu’un jeune inconnu se fondant parfaitement dans la marée humaine qui l’entourait. Je sais par ailleurs que vous serez surpris d’apprendre que cet acte, ce fait immonde, ignoble (aucun adjectif ne conviendra assez) que j’ai commis a été, je pense, autrefois motivé par un amour que je me permets de qualifier de sincère. Car je l’ai aimé vous savez…je peux affirmer l’avoir même aimé de bien des manières différentes. L’amour revêt bien des couleurs et se mue parfois certes, mais il reste en tout temps lui-même. Il peut faire naître les plus belles histoires comme il a le pouvoir de les empoisonner. Ainsi comme le charmeur manipulant son serpent, il faut y prendre gare ! Maladroit comme je l’ai toujours été, sans doute me mordit il…sans amour en ce bas monde, l’existence serait sans doute bien morne, mais, sans doute aussi serait-elle moins douloureuse parfois. La dualité de la vie. Là où il se trouve du bonheur, il doit se trouver du malheur. Ma foi, la pluie et le soleil font jaillir du sol de sublimes plantes après tout ! Mais que vais-je pouvoir tirer de tout cela, moi ? Peut-être être un récit (dont la qualité laissera sûrement à désirer), que personne ne prendra jamais la peine de lire. Qui voudrait lire un chiffon écrit par une tache ? Pas grand monde, et, en d’autres circonstances, sûrement pas moi !
Je traîne décidemment beaucoup trop sur l’élaboration de cette introduction alors que je devrais, simplement, tout vous raconter sans détours et arrêter cette manie d’exposer à chaque instant mes conceptions philosophiques sans valeur. Je tâcherai ainsi (dans la mesure de ce qui m’est possible) d’être bref. Vous qui lisez ceci et qui me jugez sans même me connaître, je vous invite dans mon univers, venez, prenez place. J’ose espérer qu’à travers ce récit, vous comprendrez que vous, ainsi que chaque personne vous entourant me ressemblez bien plus que vous ne l’imaginez. Ou peut-être découvrirez-vous que je suis réellement et profondément déséquilibré (qui sait).
Je tiens à préciser que dorénavant, et ce pour toute la durée de cette narration, je tairai mon nom, celui de mon amie, ainsi que ceux de tous les acteurs ayant joué de près ou de loin un rôle dans ce triste spectacle. En procédant de la sorte, j’ai l’intuition que vous, lecteurs (si tant est que quelqu’un lise ceci un jour), serez plus enclins à vous immerger dans ce récit et à vous imprégner des passions que cet épisode a suscité en ma personne et en celle d’autrui.
Commençons donc, si vous le permettez, sans plus attendre. Je vous ai, dès la première ligne de cet écrit, fait mention d’un rêve qui m’était survenu. Je pense donc qu’il serait judicieux de commencer en vous narrant celui-ci, en outre, dans un soucis de respect envers la chronologie de cette infernale chaîne causale qui nous mena, mon amie et moi, à notre perte. Je n’ai qu’un souvenir abstrait de la soirée ayant précédé cette nuit-là. Point de fêtes ou de grands rassemblements dans le dessein de célébrer la vie durant celle-ci, non ! Sans doute s’agissait-il là du genre de soirée anonyme, d’aucune façon marquante et ne servant, en fin de compte, qu’à faire le pont entre la mort du jour et la naissance de la nuit. La sorte, vous en conviendrez, que nous rencontrons le plus souvent au cours de nos vies à tous (n’ai-je pas raison ?).
En parlant de pont, continuons. Ce soir là, je suis donc allé me coucher, après m’être débarrassé de la crasse qui m’avait pris pour hôte à la suite de longues heures passées à accomplir différentes besognes, toutes éreintantes, dans le but de gagner un bien faible cachet. Au moment de me coucher, une intense fatigue me saisit et je fus surpris de constater l’absence de désir à accomplir mon occupation routinière (et la seule que j’appréciais réellement) consistant à lire avant de fermer les yeux pour dormir. Ainsi, il devait être aux alentours de dix heures moins le quart lorsque je finis par sommeiller. Je devais être bien plus fatigué que je ne le pensais car je ne sentis même pas ma conscience glisser du monde réel jusqu’au plan onirique.
Quelle ne fut pas mon étonnement lorsque je constatai, employant de grands efforts d’analyse afin de comprendre ma situation, que je ne me trouvais non plus dans mon lit et, plus largement dans ma chambre, mais bel et bien sur un pont inconnu, enjambant une rivière qui m’était tout aussi « unfamiliar » comme diraient nos amis anglophones, et toute cette scène, baignée dans la nuit la plus profonde. J’avais, au cours de mes lectures, déjà lu mentionner le fait que lorsque les circonstances s’y prêtaient, il était possible de se trouver très conscient quand bien même l’on était plongé dans un rêve. Loin d’avoir même jamais cru en cette idée, ce ne fut que très involontairement que je provoquai cet état (je pense) en cette soirée-ci. Je n’émets ici qu’une hypothèse pour tenter d’expliquer ce qui m’est arrivé. Enfin, pour être tout à fait honnête avec vous mesdames et messieurs, je n’ai qu’une connaissance extrêmement limitée des sciences de l’esprit humain. Aussi je vous laisse définir, nommer et même expliquer l’état qu’était le miens en ces sombres heures nocturnes. Tout ce que je puis affirmer, c’est que je me savais plongé dans un songe, que j’en avais conscience et que je possédais même un relatif contrôle de mes actes (personne ne se contrôle jamais pleinement, même éveillé).
La structure sur laquelle je me tenais n’était, en ce qui concerne son aspect, aucunement exceptionnelle. Ce qui lui accordait ce titre, c’était l’illogisme de sa situation. Elle semblait s’extirper des ténèbres d’un côté pour s’y renfoncer de l’autre, ne faisant en fin de compte que le lien entre nulle part et nowhere (assez d’anglicismes !). La rivière quand à elle, ne manifestant sa présence qu’en émettant un grondement presque animal, était pour le reste impossible à discerner, tapie dans le noir profond de l’ombre dégagée par l’aberrante construction. Je me rendis alors compte d’une chose qui me procura autant de réconfort que de crainte. Premièrement, je pris conscience que je n’étais pas tout à fait seul sur ce pont. Ensuite, la chose me frappa…Je n’étais pas seul sur ce pont ! M’étant trouvé d’abord bien isolé en cette étrange situation, peut-être aurais-je préféré le rester, en fin de compte ! C’est là un bien bon exemple mettant en évidence l’un de mes défauts les plus prépondérant : jamais content ! Je dirais même plus ; j’affirmerais que même contenté, je chercherais et obtiendrais le moyen, de telle manière ou de telle autre (logique ou non), de me décontenter. Ici, me trouvant bien seul, je voulais pouvoir compter sur une quelconque compagnie. Rencontrant enfin cette dernière, j’aurais préféré rester seul ! Ha, l’Humain, jamais heureux de sa situation. De là viennent bien des peines vous savez…Si seulement nous pouvions nous débarrasser de ces envies incessantes, nous n’en serions que plus heureux (enfin je présume). Je m’égare.
J’en étais donc à raconter le moment où je constatai la disparition de ma compagnonne la solitude et où elle fut remplacée par une présence d’un autre genre. Là gisant inanimée sur un rebord du pont, le bras droit bloqué en l’air dans une position presque surnaturelle et allongée sur le côté, se trouvait une personne qui de part sa constitution m’était familière. Je ne l’avais remarqué que tardivement car elle était relativement bien cachée sous couvert de l’obscurité. En outre, bien que ne me trouvant pas dans la réalité mais bien dans un rêve, mes yeux avaient mis un certain temps à s’adapter au sombre environnement qui m’entourait. Cette expérience, me la remémorant tandis que j’écris ces lignes, était tout à fait étrange de part sa nature trop réelle. Je possédais le plein contrôle de mes mouvements ainsi que de mes réflexions et j’aurais juré que les lois physiques régissant notre monde s’appliquaient également en ce lieu isolé. La différence notable que je remarquai se située au niveau de ma psyché. Celle-ci, dans mon état éveillé, se trouvait (aujourd’hui bien plus qu’auparavant) très souvent dérangée et agitée par nombre de « mauvaises pensées » la harcelant sans que je ne puisse intervenir sur celles-ci d’une quelconque manière (bon nombre de personnes connaissent cela, je suppose). Qu’est-ce que j’appelle « mauvaises pensées » me demandez-vous peut-être ? Simplement, vous répondrais-je, le genre qui se créé spontanément, qui déteint sur l’esprit et qui de cette façon donne des couleurs sombres à la vie. Cependant, lors de cette insolite expérience, je me souviens parfaitement avoir ressenti une parfaite quiétude d’esprit, tout était en quelque sorte enfin à sa place; il semblait alors que le torrent bouillonnant de mes pensées s’était enfin adoucit.
Poursuivons. Je décidai alors d’approcher prudemment la masse immobile pour tenter une identification. De me trouver à quelques pas de ce qui avait de fortes probabilités d’être un corps sans vie n’était pas ce qui me troublait le plus dans cette situation. C’était plutôt l’étrange familiarité que celui-ci m’inspirait qui me déstabilisait profondément, c’est bien cet aspect qui me convainquit d’aller vérifier, ainsi, j’étais tout à fait décidé à m’assurer de l’identité du macabre objet. Se trouvant dans une position franchement étrange qui rendait ma tâche presque impossible, il était certain que je me devais de déplacer cette dépouille. Je la saisi alors par les chevilles et tirai. La légèreté de celle-ci était étonnante. Je plaçai alors la jeune femme (j’étais, à ce stade, sûr qu’il s’agissait d’une personne de sexe féminin) dans un coin éclairé par quelque source lumineuse inconnue et m’offrant une clarté plus qu’adéquate à mes besoins.
Comme précisé précédemment, j’étais conscient et confiant de me trouver dans un monde factice issu de mon imagination. Ayant connaissance du fait, je fus donc soulagé, assez calme et je réussi même l’exploit de me rassurer (pendant un temps) malgré ma terrible découverte. J’ai découvert, au cours de ma vie, nombre de faits déroutants et même décevants concernant le monde, mon entourage ou moi-même qui, malgré leur tangibilité, n’ont pas réussi à marquer mon esprit (du moins pas profondément). Cependant, et tout cela en dépit de son caractère irréel, ce fut bien cette révélation qui m’affecta le plus et qui laissa en moi une griffure qui ne tardera pas (nous le constaterons assez tôt) à s’infecter. Tel un fauve de cirque, la pensée humaine se retourne contre son propriétaire, si mal dressée…mais est-il raisonnable de vouloir la dompter ? Faut-il vraiment le faire ? Quel dommage tout de même, de voir un si bel animal en captivité. Seulement, au risque de vivre avec au quotidien, je pense que oui, il faut la discipliner…du moins juste assez pour qu’elle ne se retourne pas contre son possesseur. Je digresse.
Ainsi enveloppé par un improbable halo lumineux, il m’était devenu aisé de reconnaître ce visage. C’était celui de mon amie. Celui-là même qu’avait arboré ma très chère camarade depuis son enfance. L’ayant connu autrefois sous des traits plus enfantins, j’avais été témoin au fil des années de sa remarquable évolution, je l’ai vu se doter d’un caractère plus adulte, déterminé, féminin, attirant et enfin, je l’ai contemplé (souvent) lorsqu’il se tournait vers le monde, d’un air conquérant, prêt à affronter en face les vicissitudes de la vie. Tenant absolument à rester fidèle à la véracité des faits, et voulant retranscrire mon expérience avec le même engagement, je ne mentirai pas en vous décrivant ce visage. De coutume si beau et accueillant, il était sur ce maudit pont, en vérité bien abimé.
Son crâne se trouvait mis à nu en certaines parties, témoin d’une lutte pour la vie durant laquelle elle perdit quelques mèches de cheveux. Toison naguère si épaisse et d’une couleur si appréciable, se trouvant désormais dérangée et offrant par ailleurs un aspect poisseux car couverte de sang en grande partie. Il m’était difficile de la regarder dans les yeux. Ces yeux ouverts et ne laissant paraître aucune sorte d’émotion. Le peu que j’en aperçu (je m’efforçais de les éviter), me marqua au fer rouge…couleur en accord avec celle de la partie autrefois blanche de ses yeux. Bien que ses joues fussent intactes, ce sont cependant elles qui racontaient le plus triste aspect de cette histoire. L’on pouvait encore distinguer sur celles-ci les traces qu’avaient dessinées ses dernières larmes. Dernier acte de mon amie d’enfance en ce monde, pleurer. Quant à ses lèvres, n’ayant plus le courage (comme toujours) de continuer à soutenir le souvenir de ce corps meurtri, je dirais seulement qu’elles témoignaient d’une mort d’un caractère que trop prématurée. Laissons maintenant ce visage entre les mains de l’oubli, ô comme j’aimerais pouvoir le sortir de mes souvenirs...
Me conservant, par de grands efforts, dans un état de calme relatif mais ne pouvant plus soutenir cette perturbante vision, je décidai alors de recouvrir la tête de cette pauvre infortunée avec un vêtement qui gisait à quelques pas de là. Je me saisi rapidement de l’habit en question et le plaçai sur mon amie de sorte à rompre le lien sordide et décontenançant qui s’opérait entre nos regards (je ne pu, par ailleurs, pas me résigner à lui fermer les yeux). Une fois le tissu étendu sur elle, je remarquai dès lors un petit bout de quelque chose de blanc dépasser d’une des poches. J’attrapai alors ce petit bout, pour en découvrir sa nature, et le tirai. Un papier (très) soigneusement plié constituait le reste du corps de ce petit bout blanc. Dépliant ce morceau de papier, je constatai qu’il s’agissait là d’un dessin, fort bien fait, les tracés de celui-ci étaient sûrs et le style employé était, ma foi, bien esthétique (je ne connais malheureusement pas assez l’art pour développer d’avantage). C’était la représentation d’un couple d’oiseaux, des inséparables, il me semble. Je ne sais pour quelles raisons, conscientes ou inconscientes, mais je me trouvais le besoin de rendre un dernier hommage à mon amie, en plaçant ce couple contre son cœur.
Cette scène, bien qu’essayant de me contenir en songeant à l’irréalité de celle-ci, m’attrista profondément et je ne pu plus feindre (à moi-même) de ne pas en être affecté. Ainsi, je fus subitement englouti dans un abîme de désespoir. Cette rivière, c’était mon chagrin, gonflant au fur et à mesure de mes découvertes. Ce pont, c’était mon amie. Sans elle, j’étais sûr de sombrer. Le pont commença alors à s’affaisser, à se désagréger pour finir par céder sous mes pieds. Je tombai alors, entrai avec fracas dans l’eau, je coulai mais, me débattant hardiment , je parvins à prendre le dessus sur le courant et enfin, lorsque je refis surface, mon regard se posa sur la fenêtre de ma chambre. J’étais dans mon lit, et, à l’image de mon amie rêvée, mes joues étaient griffées de larmes.
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