Echo chantonnait, tout en ramassant des fleurs pour en faire un bouquet. Quand elle releva la tête, elle vit approcher Junon, à la recherche de son infidèle époux. Sachant que ce dernier batifolait avec ses sœurs, la jeune nymphe fut prise de panique. Il ne fallait pas que Junon les trouve ! Se levant prestement, laissant tomber les fleurs qui s’éparpillèrent au sol sans qu’elle n’y prête la moindre attention, Echo vint vivement à la rencontre de la Déesse. Lui attrapant le bras, la nymphe commença à babiller d’une voix forte et claire :
- Quelle joie vous me faites aujourd’hui, Ô grande Déesse, de m’honorer de votre Divine présence. Que vous êtes belle ! Et que Madame la Déesse est bonne est sage ! Votre Divin époux doit être comblé de vous avoir pour femme !
La Déesse essayait de se libérer de la nymphe, mais celle-ci, se montrant bavarde, s’agrippait à son bras et continuait de lui parler d’une voix clairement audible dans les alentours. La jeune fille espérant ainsi que ses sœurs puissent fuir à temps, et leur permettre de ne pas être vue de l’épouse bafouée.
Et effectivement, Jupiter et ses amantes du moment entendirent son babillage et, comprenant la situation, cessèrent tout batifolage. Les nymphes s’égaillèrent dans les bois, discrètement, sans que Junon n’en voit aucune. En revanche, l’époux infidèle fut bien moins discret. C’est ainsi que la Déesse vit son conjoint fuir à toute jambe, dans le plus simple appareil, la verge fièrement dressée.
Courroucée, se rendant compte que la jeune nymphe face à elle s’était faite complice de la tromperie, la Déesse repoussa les mains qui continuaient à s'agripper à son bras. Dans son divin courroux, Junon maudit Echo de la manière suivante :
- Puisque le pouvoir de cette langue m’a abusée ; il sera diminué et ta parole réduite à sa plus simple expression. À partir de ce jour, tu ne pourras plus rien dire de ta propre initiative, tu ne pourras que répéter les paroles qui viendront d’être prononcées devant toi !
Sitôt sa sentence promulguée, Junon partit dans la direction prise plus tôt par son traître d’époux. Ne se préoccupant plus le moins du monde de la nymphe qu’elle venait de châtier. Echo, elle, était horrifiée. La jeune fille tomba à genoux au sol et, se recroquevillant sur elle-même en plongeant son visage entre ses mains, elle éclata en sanglots.
Quand il fut évident que la Déesse était réellement partie et qu’elle ne risquait plus de revenir, des nymphes sortirent du couvert des bois et entourèrent leur sœur éplorée. Toutes l’enlacèrent, voulant lui communiquer leur réconfort. Mais la jeune fille demeura inconsolable.
Plusieurs semaines passèrent, Echo s’était résignée à ne plus pouvoir parler la première et à ne pouvoir que répéter les paroles qu’elle venait juste d’entendre. Non pas qu’elle n’en souffrit plus, seulement, elle se rendait bien compte que la malédiction lancée par une Déesse aussi puissante que ne l’était Junon ne pourrait être brisée facilement. Elle doutait même qu’il existe un moyen de se libérer. La nymphe préférait donc ne pas s’appesantir à ce sujet, et décidait de reprendre sa vie comme avant qu’elle n’eut été maudite.
Pendant qu’elle se promenait dans les bois, essuyant discrètement une larme récalcitrante qui perlait au coin de ses yeux, elle put ainsi voir un jour un magnifique jeune homme. Elle en tomba irrémédiablement amoureuse. Mais elle ne savait que faire, ne pouvant parler la première. Ainsi, elle se mit à suivre le bel inconnu.
Celui-ci remarqua bien vite qu’il était suivi, et en fut profondément agacé. Il avait l’habitude que des jeunes gens et des nymphes s'amourachaient de lui. Mais pour sa part, il n’éprouvait généralement que dédain pour ces individus qui tombaient en pâmoison devant, sans même le connaître. Il considérait notamment que l’amour était une perte de temps monumentale, et n'accordait donc aucune valeur à ce qu’il ne voyait que comme des futilités.
Un jour qu’il en eut assez, après avoir entendu une énième branche craquait, trahissant ainsi la présence d’un intrus, le jeune homme fit soudainement volte-face vers la provenance du bruit. Fouillant des yeux la végétation dense, il ne put, à sa grande irritation, pas voir le stalker qui le suivait depuis déjà plusieurs jours. Perdant finalement toute patience, il s’écria d’un ton courroucé :
- Qui est là ?!?
Heureuse qu’il s’adresse enfin à elle, lui permettant ainsi d’émettre un son, Echo fit entendre :
- … Là…. Là… Là…
Évidemment, le jeune homme n’entendit qu’un écho de sa propre voix, il fut donc furieux en croyant que l’individu qui le suivait ne lui répondait pas. Il éructa donc d’une voix forte, autoritaire, pleine de sa rage difficilement contenu :
- Montrez-vous donc, lâche, si vous l’osez !
Et Echo de répéter :
- … Osez… Osez… Osez…
Puis, timidement, souriant d’un air candide et subjuguée au jeune homme, la nymphe sortie du couvert des arbres. Elle voulut enlacer le jeune homme, mais celui-ci la rejeta violemment en grinçant :
- Cessez de m’enlacer ! Et, surtout, ne vous avisez plus de me suivre ! Allez vous-en ! Je ne veux plus voir votre visage ! Disparaissez de ma vue et ne vous avisez plus jamais de vous approcher de moi !
Ceci dit, le jeune homme fit volte-face et s’enfuit en courant, loin. Le plus loin possible de cette femme qui, sans le connaître, le regardait avec un amour qu’il jugeait écoeurant. Car, après tout, que connaissait-elle de lui ? Si ce n’est son apparence ? Rien. Il trouvait donc abject cet amour qui ne prenait racine que sur la base de son apparence physique.
Echo, anéantit par le rejet somme toute brutal de son bel inconnu, se recroquevilla à terre et pleura toutes les larmes de son corps. Jusqu’à ce que son enveloppe corporelle soit desséchée. Bientôt, il ne lui resta que sa voix et ses os, os qui se changèrent en pierre. Elle demeura ainsi cachée au sein de la forêt pour le reste de l’éternité. Parfois, on entendait l’écho de sa voix, rappelant ainsi la présence de la nymphe qui s’éteignit à cause de l’amour.
Némésis qui avait été témoin de la scène, maudit le jeune homme. Le condamnant à tomber à son tour éperdument amoureux et de ne point voir cet amour lui être retourné. Les termes précis de sa malédiction furent les suivants :
- Puisse-t-il aimer lui aussi et ne pas posséder l’objet de son amour !
Narcisse, ayant soif, s’approcha un jour d’une rivière. Le paysage était magnifique. Le mélange de bleu et de vert était tout à fait harmonieux. Les arbres, tellement ils étaient hauts et serrés les uns contre les autres, ne laissaient que peu de lumière traverser leur épais feuillage. S’approchant du cours d’eau, le jeune homme s’agenouilla et voulut recueillir de l’eau entre ses mains en coupe afin de s’abreuver.
Mais c’est là qu’il vit son reflet. Et qu’il en tomba éperdument amoureux. Connaissant enfin ce sentiment tant méprisé, qu’il avait tant piétiné chez les autres qui avaient eu le malheur de l’aimer. Le jeune homme regardait son reflet avec amour, tendant le bras vers l’eau, il s’exclama :
- Quand je tends les bras vers toi, tu tends les tiens. Et quand je souris, tu souris, et lorsque je pleure, je remarque que tu pleures aussi….
Tout en disant ses paroles, Narcisse sourit à son reflet, puis pleure. Ensuite, il poursuivit :
- C’est moi qui suis toi, je le devine ; et mon image ne me leurre point. Je brûle de l’amour de moi déclencheur de ce feu, et foyer à la fois… Ce que je désire est inséparable de moi, une richesse qui crée le manque. Ah ! Si je pouvais me séparer de mon corps ! Hélas ! Vouloir l’absence de ce qu’on aime ; vœu étrange pour un amant !
Il connut alors un désespoir immense. Car, amoureux de son reflet, il ne pourrait ainsi pas voir son amour lui être retourné. S'emparant du poignard qu’il portait à sa ceinture, le jeune homme le retourna contre lui-même et se planta violemment la lame dans la poitrine. Des gouttes de sang perlèrent, tombèrent sur l’herbe. Narcisse tituba, puis il tomba dans la rivière. Il ne lutta point, laissant l’eau s’emparer de son corps.
A l’endroit où son sang avec atterrit, une fleur jaune safran aux pétales blancs avait poussé. Un narcisse. C’est ainsi que mourut Narcisse, se suicidant pour l’amour de lui-même et de désespoir de ne point se voir retourner son amour par l’objet de son désir. Ainsi puni pour l'insensibilité dont il avait fait preuve envers ceux qui l’avaient aimé, mais dont il s’était moqué de l’amour.
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