« Non au droit de vie et de mort sur les lézards domestiques ! » Scandait la banderole déployée par les étudiants installés au front.
Rayane avait peut-être renoncé à sauver le monde mais cela ne l'empêchait pas de participer aux campagnes de désinformation organisées par les associations du campus.
Elle tendit sa bouteille d'eau à un volontaire assoiffé et s'assit à son tour sur le gazon.
Ecobobo comptait seulement une dizaine de membres. Rayane avait décidé de rejoindre ce jour là la cause animalière. Elle trouvait l'idée d'afficher des slogans absurdes pour avoir plus d'impact amusante.
Les étudiants ne s'attardaient pas pour autant devant eux. Le campus universitaire était un monde en soi, divisé en communautés bien distinctes. Les plus riches élèves étaient le pilier de l'établissement, des partenaires de choix pour financer les nouvelles infrastructures. Ils se regroupaient au sein de sociétés secrètes, un cercle huppé, fermé aux roturiers, dans lequel ils tissaient un réseau de futurs dirigeants du monde et taisaient leurs excès derrière les porches fraîchement peints des fraternités.
Les grands sportifs faisaient ensuite la fierté de l'établissement, un large budget était consacré à leur entretien, en contre partie, ils rapportaient aussi gros à l'université.
Venait enfin les anonymes qui constituaient les trois quart de la population universitaire : des étudiants modèles jusqu'aux artistes bohèmes, s'ils n'avaient pas les poches pleines ou ne jouaient pas dans l'équipe de football, on ne leur prêtait guère attention. Mais par-dessus tout, les manifestations pour instaurer un menu végétarien au réfectoire ou planter plus d'arbres dans l'allée principale étaient moquées, traditionnellement associées aux « loosers » déjantés.
Rayane rentrait dans cette dernière catégorie. Bandana bariolé, sandales à lanières, oreilles percées, bindi sur le front et longues jupes fleuries : l'archétype de la hippie kitsch.
Elle enfouit ses doigts dans l'herbe et suivit des yeux le cortège de majorettes qui répétaient dans leur juste-au-corps à paillettes pour la parade de dimanche.
-Joue-nous un morceau, Noah. Lâcha-t-elle en détournant le regard.
Noah acquiesça et tira sa guitare sur ses genoux.
Elle le dévisagea à couvert et sourit. Il penchait la tête en avant lorsqu'il jouait et chassait systématiquement la frange brune qui retombait mollement sur ses yeux.
C'était un adorable garçon de première année. Rayane l'avait aussitôt pris sous son aile pour grossir les rangs d' Ecobobo.
Le rassemblement ne s'éternisa pas. Le soleil tapait fort à midi et les ventres commençaient à se creuser. Ils abandonnèrent la banderole et les affiches sur la pelouse et se dispersèrent.
Rayane ne comptait pas y retourner après la pause déjeuner : le professeur de physique quantique pouvait se montrer particulièrement intransigeant.
Noah se laissa étreindre avant de suivre les autres volontaires jusqu'au réfectoire. Rayane endossa son sac à dos et enfourcha son vélo.
Le campus s'étendait jusqu'aux bois : les terrains de sport et les amphithéâtres occupaient la plus grande superficie.
Elle bifurqua brutalement, cella son vélo, le rangea sur le bas-côté et pressa le pas en montant les marches du bâtiment centenaire qui renfermait les salles de classe.
Le corridor fourmillait d'étudiants empressés. Chacun tenait à trouver une table libre au réfectoire pour sa bande d'amis. Rayane s'engagea dans les couloirs, ballottée par la foule d'élèves. Gagner l'étage supérieur aux heures de pointe relevait de l'exploit. Elle parvint contre toute attente à se cramponner à la rampe d'escaliers et se hisser à l'étage.
Elle patienta à l'encadrement de la porte.
Mme. Brett tenait tout bas une conversation avec une élève et finit par lui rendre sa copie en hochant la tête d'un air désolé.
Rayane lui céda le passage, eut le temps d'apercevoir le D inscrit sur sa feuille et frappa à la porte.
-Entrez, je vous prie.
Rayane esquissa un sourire courtois et déposa son sac à dos sur une table voisine. Elle l'ouvrit et fouilla à l'intérieur.
-Et voici ! Annonça-t-elle triomphalement en lui présentant sa copie.
Mme. Brett la glissa fébrilement dans son porte-document et lui jeta un regard lourd de reproches derrière ses verres grossissants.
-Je n'accepterai plus de devoir en retard à l'avenir.
Rayane ne broncha pas. Il fallait bien se garder de se perdre dans des excuses tortueuses ou encore protester lorsque l'on avait été sévèrement noté. Elle « n'était pas là pour marchander », tranchait-elle alors sèchement.
Une vieille femme aigrie par le temps et les théorèmes de mathématiques. Elle faisait crisser le morceau de craie sur le tableau d'une main tremblante et passait dans les rangs en titubant. Rien pourtant ne l'empêchait de prendre sa retraite...
Un fin rayon de soleil traversa la persienne. Rayane fit glisser rêveusement ses doigts sur les touches du clavier électronique, étendit le bras et tira les rideaux.
La faible lueur du crépuscule déchira la pénombre. Le chant des grillons dans la chaleur étouffante se mêlait aux rires des noceurs.
Le vendredi soir était celui des fêtes étudiantes. Les confréries ouvraient alors leur porte et rivalisaient en vacarme. On y servait des boissons alcoolisées en toute impunité.
Tout le monde n'était bien entendu pas invité, on jugeait d'abord si les personnes étaient « fréquentables », si leur tenue était présentable mais tout le monde parvenait à s'introduire une fois que leurs hôtes étaient trop éméchés pour y prêter plus attention.
Le petit peuple pouvait aussi festoyer de son côté, se procurer et cacher sous son lit un pack de bières, allumer la chaîne-hi fi et amadouer les surveillants des dortoirs en les invitant à boire un verre.
Rayane ne se mêlait pas à la liesse générale. « D'autres chats à fouetter. » Avançait-elle avec désinvolture.
Elle préférait profiter de l'absence de sa colocataire pour s'empiffrer de céréales et essayer ses vieux jeans pour constater sans rougir qu'elle n'aurait plus jamais le tour de taille de ses seize ans.
Elle devait aussi prendre son traitement hormonal. Et elle ne sortirait sous aucun prétexte ses comprimés en présence de Phoebe.
Inutile de lui donner l'occasion de répandre de fausses rumeurs à son sujet.
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