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tome 1, Chapitre 7 « Sanctuaire » tome 1, Chapitre 7

Hayato émergea difficilement avec une sérieuse migraine.

Il remua légèrement et sentit qu'il était sur une paillasse relativement confortable. Le jeune homme sentait une douce chaleur à l'endroit où son épaule avait été transpercée par une flèche. Il se souvenait de leur fuite effrénée, et le fait qu'ils étaient arrivés à bon port.

Entrouvrant les yeux, il perçut la lumière du jour. Il vit surtout une jeune femme très proche de lui. De longs cheveux raides et noirs encadraient un visage aux traits doux et à la peau pâle. Ses yeux bridés irradiaient d'une lueur blanc vert réconfortante.

Hayato fut surpris de voir une inconnue si proche, et eût un mouvement de recul. Elle sursauta et recula vivement, portant sa main à sa bouche. Dans son mouvement, elle révéla la tenue typique des prêtresses du Sanctuaire : elle portait un haut blanc à manches longues et amples, relevé d'un liseré rouge ; et une longue jupe du même rouge vif plissée verticalement. Elle devait avoir une vingtaine d'années.

La jeune femme murmura quelques mots que le Paladin n'entendit pas, et se mit à genoux. Elle baissa la tête dans une totale position de soumission. Il cligna quelques fois des yeux, dans l'incompréhension la plus totale. Elle ne bougeait plus d'un poil.

-Heu... hésita Hayato.

-Je suis désolée de vous avoir réveillé, Maître ! J'aurais dû être plus douce !

La jeune femme avait parlé d'une voix rapide et aiguë.

-Que... quoi ? Maître ?

-Comment vous sentez-vous ?

Il fit un vague geste de la main. Puis il passa la main par-dessus son épaule blessée pour toucher la zone où il avait été blessé. L'Inerte senti une peau rêche sous ses doigts.

-C'est toi qui as fait ça... ? demanda t-il ébahi.

-Pardon de ne pas avoir pu mieux faire... !

Hayato reporta son attention sur la prêtresse. Elle était tellement inclinée que son front touchait presque le sol.

-Allons, commence par te redresser. Sommes-nous bien au Sanctuaire ?

La jeune femme prit une longue inspiration, et se remit droite sur ses genoux. Ses joues étaient écarlates.

-Nous vous avons couché dans une cellule du Sanctuaire, Maître. Vous étiez blessé et aviez besoin de soins d'urgence. J'ai fait de mon mieux pour vous assister.

-Reprenons depuis le début. Quel est ton nom ?

Elle cligna plusieurs fois des yeux, surprise.

-Rydia, Maître.

-Enchanté, Rydia. Pourquoi m'appelles-tu « Maître » ?

-Mais enfin, vous êtes l'élu d'un Dieu !

De la part d'une prêtresse, ces paroles faisaient sens.

-Bien. Tu as demandé comment je me sentais. J'ai un sacré mal de tête, mais plus du tout mal à l'épaule.

-Permettez ?

Il acquiesça légèrement, et la jeune femme se releva. Elle s'approcha à nouveau, et apposa la paume de sa main droite au niveau du front de Hayato. A y regarder de plus près, elle était couverte de sueur. Aussitôt, il sentit une sensation agréable au niveau de son front ; et petit à petit, la migraine redevint tolérable. Elle disparut presque. Un véritable prodige.

-Merci beaucoup. C'est bien mieux.

-Le Grand Sage a demandé à être prévenu dès que vous vous réveilleriez, m'autorisez-vous à le faire, Maître ?

-Bien sûr, je t'en prie.

La prêtresse s'inclina profondément, et sortit précipitamment de la pièce, claquant légèrement la porte derrière elle. Le Paladin entendit le bruit de ses sandales frapper contre le sol alors qu'elle devait s'éloigner au pas de course.

Hayato était assis sur un lit situé dans une cellule tout ce qu'il y a de plus simple. Une pièce unique, comportant une petite table, deux chaises, une malle, un endroit où dormir, et une fenêtre. Les murs étaient composés de blocs taillés dans une pierre blanche parfaitement lisse. Le sol était frais sous ses pieds nus. Il portait un pantalon de toile simple d'un blanc pur. A côté du lit était posée une tunique de lin blanche, probablement prévue pour couvrir son torse nu. Il l'enfila et se leva.

Le jeune homme fit tourner son épaule, et ressentit une pointe de douleur à l'endroit où la flèche s'était logée. Il sentit la peau à cet endroit se tendre, peu flexible. Alors, on était capable de faire ce genre de choses par magie ? Soigner des blessures aussi importantes était possible. Le champ des possibles des Élémentaires était décidément très vaste.

Il observa de longues minutes le paysage qui s'offrait à lui à travers la fenêtre. Tout autour de lui se dressaient de petites constructions semblables à celle dans laquelle il se trouvait. Il distingua un chemin pavé qui serpentait entre elles, et une herbe régulièrement taillée tout autour. Aucun doute, il était bien au Sanctuaire. Il avait eu l'occasion de le visiter à deux reprises, à la tête d'une caravane.

Il aurait dû arriver ici avec ses hommes. Ils étaient probablement tous morts, à l'heure actuelle. Le capitaine ressentit un grand vide au sein de sa poitrine à cette pensée. C'était de sa faute s'ils y avaient laissé la vie. Si tous leurs proches avaient perdu quelqu'un. Si tout le matériel nécessaire au lieu de culte n'avait pu être livré. Toute cette histoire était liée à ses maudits pouvoirs.

Et Oichi ? Où était-elle ? Avait-elle survécu ? Il sentit son cœur se serrer. Hayato s'était attaché à cette petite femme qu'il ne connaissait que depuis quelques jours. Elle lui avait beaucoup donné, apparemment sans rien attendre en retour. Elle l'avait défendu au péril de sa vie. Il devait la remercier. Il fallait qu'elle soit encore en vie pour le lui exprimer clairement.

Hayato fut tiré de ses rêveries par la porte qui s'ouvrait.

Il aperçut Rydia dans l'encadrement de celle-ci, qui fit un pas en arrière pour laisser le passage à un homme qu'il reconnut immédiatement. Comme le voulait la tradition, le Paladin mit un genou au sol et baissa la tête pour le saluer.

Le Grand Sage Albin était l'autorité religieuse suprême des royaumes. Il dirigeait le Sanctuaire depuis de longues années. C'était un homme de bonne taille, fin et élancé. Il portait dignement le poids de son âge, sous une chevelure blanche et courte. Le vieil homme posa doucement sa main sur l'épaule gauche de Hayato.

-Messire Riefs, je suis soulagé de vous voir réveillé et en meilleure santé. Comment vous sentez-vous ?

-Par je ne sais quel miracle, je suis sur pieds et sans séquelle.

Le prêtre rit doucement, de manière amicale.

-Rydia est probablement la meilleure Élémentaire de Vie présente au Sanctuaire.

La jeune femme s'était glissée discrètement dans la cellule, une fois le passage dégagé. Ses yeux noirs fixaient le Paladin par delà l'épaule du Grand Sage.

-Relevez-vous, Hayato. Il faut ménager cette épaule.

Obéissant à cet ordre, le guerrier vint s'asseoir sur le rebord de son lit, pour ne pas dominer par sa taille son hôte.

-Considérez-vous chez vous. Vous êtes mon invité personnel. Rydia continuera à vous soigner autant que nécessaire.

Hayato glissa un regard vers la prêtresse, qui faisait de son mieux pour rester droite mais dont les épaules s'affaissaient régulièrement. Son visage marqué démontrait sa fatigue.

-Je peux attendre, déclara t-il. La pauvre semble épuisée. Mais, j'ai une question. Quand je suis arrivé, j'étais accompagné d'une femme...

Le jeune homme laissa sa phrase en suspens.

-Nous nous occupons d'elle, répondit laconiquement le Grand Sage. Je vais d'ailleurs de ce pas aller m'assurer de son état. Prenez un peu de repos, nous parlerons tout à l'heure. Rydia vous guidera vers moi.

Hayato acquiesça, et inclina la tête alors que le vieil homme prenait congé. Le silence régna quelques instants sur la cellule, et la prêtresse prit timidement la parole.

-Maître, vous savez, je pense être capable de...

Elle se tût au moment où le Paladin levait le doigt pour l'interrompre.

-Je sais reconnaître la fatigue sur un corps. Tu es à mon chevet depuis mon arrivée ?

Rydia acquiesça légèrement.

-Et tu utilises ta magie depuis tout ce temps ?

Nouveau signe de tête positif.

-Quelle heure est-il ?

-A peu près à la mi journée, Maître.

-Alors, allons manger.

La jeune femme cligna plusieurs fois des yeux, surprise.

-Je vais vous amener à un endroit où vous pourrez vous restaurer, Maître.

-Non, tu vas manger avec moi. Je te dois la vie. Et tu dois reprendre des forces.

Elle le regarda pendant quelques instants, interdite. Puis elle s'inclina profondément.

-Ce sera un honneur pour moi, Maître !

Rydia se redressa avec un sourire radieux qui illuminait son visage, puis ouvrit la porte pour commencer sa route.

~~~~

La prêtresse guida Hayato entre les bâtiments immaculés, le précédant d'un pas assuré. Ils croisèrent quelques autres servants des Dieux, dont certains la saluèrent. Tout était si calme et ordonné, ici. On ressentait une certaine quiétude à arpenter les allées du lieu de culte.

Rydia marchait en bombant le torse, comme si elle était fière de la mission qui lui incombait. Ils arrivèrent devant un long bâtiment largement percé de fenêtres. A l'intérieur étaient disposées un grand nombre de tables en bois, sur lesquelles des prêtres prenaient leur repas. Malgré le fait que ce soit un endroit rempli de monde, l'ambiance était assez calme. Les personnes présentes mangeaient en silence, ou parlaient à voix basse.

Tandis que la prêtresse s'éloigna pour aller chercher deux assiettes, le Paladin prit place à une table libre. Il laissa ses yeux vagabonder autour de lui, et constata qu'il attirait un nombre non négligeables de regards. Peut-être était-ce dû à sa tenue qui n'était pas celle d'un prêtre, peut-être parce qu'il était un inconnu. Ou peut-être que son statut avait déjà fait le tour des lieux. Le jeune homme n'était pas tout à fait à l'aise avec cette nouvelle réalité.

Il fut tiré de ses pensées par Rydia qui déposa devant lui une belle potée de légumes bien garnie. Elle en avait pris une portion plus modeste pour elle, et s'installa en face du Paladin. Il la remercia d'un signe de tête, et ils commencèrent à manger en silence. Le plat était simple, mais ça faisait un bien fou de manger quelque chose de chaud. Les légumes étaient savoureux.

-Depuis combien de temps as-tu été ordonnée prêtresse ? demanda Hayato à voix basse.

-Je vis ici depuis ma plus tendre enfance. Mes parents m'ont confiée au Sanctuaire quand j'étais toute bébé, et je ne les ai jamais vus.

-Et comment est-ce, la vie ici ?

-C'est très tranquille. Nous vivons paisiblement au rythme de nos prières et de nos études, loin de toute la politique qui crée des tensions entre nos royaumes.

-J'imagine que tu as dû beaucoup travailler sur le corps humain.

La jeune femme acquiesça légèrement, le sourire aux lèvres.

-C'est la manière que j'ai trouvée de me rendre utile aux autres.

Rydia semblait s'être détendue depuis qu'ils étaient au réfectoire. Hayato ne put que constater qu'elle semblait exténuée. Ses yeux bridés noirs étaient largement soulignés de cernes. Elle avait passé toute la fin de la nuit et la matinée à utiliser sa magie de guérison sur lui. Il ne pouvait même pas imaginer la débauche d'énergie que cela avait dû lui coûter. La jeune femme s'était arrêtée de manger, et l'interrogeait du regard.

-J'ai quelque chose sur le visage ? demanda-t-elle simplement.

L'Inerte rit doucement.

-Rien. Je songeais juste à ma gratitude envers toi.

La prêtresse baissa les yeux, visiblement gênée au vu de la teinte rouge de ses joues, mais son sourire trahissait que cette déclaration lui faisait plaisir.

~~~~

Une fois leur repas terminé, Rydia conduisit Hayato en direction d'une cellule plus grande que les autres. Elle contenait en effet les appartements du Grand Sage, ainsi que son bureau. Elle y frappa deux fois, et ouvrit la porte au Paladin quand Albin leur annonça d'entrer. Rydia se posta à nouveau poliment près de l'entrée, contre le mur.

-Prenons un peu de temps pour parler de ce qui vous arrive, dit le vieil homme en invitant Hayato à prendre place sur une chaise. Dites-moi tout, que je vous aide au mieux.

Le capitaine réfléchit quelques instants pour mettre de l'ordre dans ses idées. Puis il se lança dans un récit détaillé des événements. Il commença par la préparation de sa caravane, sa rencontre avec Oichi, puis le trajet qu'ils avaient suivi. Il tut les moments plus intimes qu'ils avaient partagé, notamment lors de ses baignades. Le jeune homme raconta en détail l'attaque de la garde royale, la mort de ses hommes, puis leur fuite effrénée. Il expliqua le duel entre Oichi et Arfes, puis l'assaut qu'ils avaient subi près du Sanctuaire.

Albin l'écoutait avec attention, la mine grave. Il avait probablement des clés de compréhension que Hayato ne comprenait pas. Rydia de son côté, avait blêmi au fur et à mesure du récit. Elle avait porté la main devant sa bouche, horrifiée des épreuves qu'ils avaient subies.

-Je comprends mieux certaines choses... dit calmement le Grand Sage en se levant. Allons marcher, jeunes gens.

Il sortit du bureau à pas lents, et ses invités le suivirent. Ils marchèrent en silence, alors que sur leur chemin les prêtres et prêtresses s'inclinaient bien bas. Ils passèrent le long de magnifiques parterres fleuris, et serpentèrent entre une multitude de petites constructions. Le maître des lieux finit par s'arrêter devant l'une d'entre elles. Il se tourna vers Hayato, le visage grave.

Le Grand Sage ouvrit la porte, et dévoila une cellule identique à celle de Hayato. A l'intérieur se trouvaient trois prêtres penchés autour d'un lit. Ils avaient tous les yeux légèrement lumineux qu'implique l'usage de la magie. Le vieil homme leur adressa quelques mots que le Paladin n'entendit pas, et ils sortirent de la pièce. Ils avaient l'air épuisé, eux aussi.

Le cœur de Hayato loupa un battement quand il vit des cheveux couleur de ciel dans le lit. Son écuyère reposait inconsciente sur cette paillasse confortable, couverte d'une tenue en lin blanc semblable à la sienne. Ses yeux étaient fermés, comme si elle était morte. Non, ce n'était pas possible. Pas elle. Un infime mouvement de sa poitrine le rassura : elle respirait encore. Le Paladin approcha de quelques pas pour se porter à son chevet.

-Elle était grièvement blessée quand vous êtes arrivés, annonça Albin. Couverte de coups, de coupures. Et la hanche percée par une arme. Les organes internes étaient touchés. On a retrouvé un projectile dans sa nuque : elle a été empoisonnée. C'est un miracle qu'elle soit encore en vie.

Hayato ne parvenait pas à détacher son regard du visage paisible d'Oichi. Le Grand Sage fit un signe discret à Rydia, et ils sortirent tous les deux, en fermant la porte derrière eux.

Le Paladin se mit à genoux auprès de la jeune femme inconsciente, et attrapa sa petite main entre les siennes. Il ne ressentit pas cette douce fraîcheur habituelle quand ils se touchaient. Cela lui fit un gros pincement au cœur. Même sa magie ne s'exprimait plus vraiment. Elle était aux portes de la mort.

Elle était son guide, celle qui l'avait dirigé dans les pénombres de sa nouvelle condition. Sans son intervention, il serait mort. Elle l'avait protégé, et voilà qu'elle risquait d'en payer le prix fort. Comment ferait-il sans elle ? Elle qui savait tout, qui l'accompagnait, et le réconfortait. Il se rendit compte du point auquel il tenait déjà à elle, malgré tout le mystère qui l'entourait.

Le jeune homme sentit la main d'Oichi remuer faiblement entre les siennes. C'en était trop pour lui. Les larmes coulèrent douloureusement sur ses joues, et il posa le front contre l'épaule de la belle. Il s'abandonna à son angoisse, à sa crainte de la perdre, à l'horreur des derniers événements. Toute la tension qu'il avait accumulée ces derniers jours se libéra d'un coup.

Il fallait qu'elle survive.

Après quelques minutes, Hayato sortit de la cellule de sa compagne d'aventure.

Dehors se tenaient Albin, Rydia, et les trois prêtres, tenant un conciliabule à voix basse. Le visage expressif de la prêtresse aux yeux bridés montra sa peine en voyant la mine du Paladin. Elle vint rapidement auprès de lui pour attraper sa main quelques instants. La jeune femme le regarda dans les yeux sans un mot, avec un air de sollicitude sincère. Hayato inclina la tête en silence, appréciant le geste.

Les soigneurs d'Oichi retournèrent à leur tâche sans un mot de plus, tandis qu'Albin approchait du Paladin.

-Quand je mettrai la main sur l'ordure qui lui a fait ça, siffla-t-il entre ses dents, et je le lui ferai payer au centuple.

Le Grand Sage plissa légèrement les yeux.

-Au contraire, Hayato. Elle voudrait que vous gardiez votre maîtrise sur vous-même. C'est très important, pour une personne douée de magie.

Le jeune homme poussa un soupir tremblant. Il ne pouvait pas lui donner tort.

-J'ai une proposition à vous faire. Restez à l'abri du Sanctuaire pendant quelques temps. Rydia a demandé à être votre prêtresse personnelle. Elle sera à votre entière disposition. Elle sera habilitée à vous proposer quelques exercices pour développer vos aptitudes magiques. Une fois que l'Arama sera réveillée, vous pourrez décider avec elle de la suite de vos aventures.

Hayato inclina doucement la tête en signe de remerciement.

-Merci pour votre générosité, Grand Sage. Et merci de ta présence, Rydia.

L'intéressée répondit d'un sourire rassurant.

-D'abord, nous devrions finir vos soins, si vous le permettez, Maître.

-Le matin, venez me trouver à mon office, reprit Albin. Nous prierons et parlerons ensemble.

Le vieil homme posa longuement sa main sur l'épaule du Paladin, et s'éloigna lentement pour laisser Rydia et Hayato seuls. Ce dernier accepta la demande de la prêtresse, et ils se dirigèrent vers sa cellule pour s'occuper de son épaule.

~~~~

Il fallut quelques heures de travail supplémentaires à l’Élémentaire de vie pour que Hayato retrouve un parfait usage de son corps. La peau était à nouveau douce et lisse, et il ne ressentait plus aucune douleur quand il fit rouler son épaule. Durant toute l'opération, il pensa à sa nouvelle situation, à ce qu'elle impliquerait, et immanquablement à Oichi. Il profita également du temps pour faire quelques exercices de concentration et de méditation, pour arriver plus facilement à utiliser sa magie.

Alors que le crépuscule dorait le ciel, Rydia finit par s'installer sur la chaise de la cellule, le front couvert de sueur et les mains tremblantes. Le Paladin lui ordonna de prendre du repos, et il fit le chemin jusqu'au réfectoire pour leur chercher deux assiettes et de quoi boire. La jeune femme n'avait pas bougé d'un poil, mais ses yeux avaient repris cette teinte noire quand il revint. Elle le remercia d'un pauvre sourire, et n'attendit pas une seule seconde avant de manger.

-J'aimerais pouvoir faire quelque chose pour te remercier, dit Hayato entre deux bouchées.

-Vous servir est le plus grand des remerciements, Maître, répondit-elle avec un sourire franc.

-Plus que de servir l'Arama ?

Hayato se détesta en ce moment. Il faisait mine de comprendre ce mot pour en apprendre plus en piégeant la prêtresse. Sa seule réaction fut de plisser légèrement les yeux, l'air suspicieux.

-Vous savez... Le Grand Sage m'a interdit d'aborder le sujet avec vous. Je suis désolée.

Elle fit une petite moue en guise d'excuses, et Hayato soupira légèrement.

-Cependant... Je suis sûre qu'elle ira mieux bientôt, et qu'elle sera ravie de vous retrouver, lui glissa-t-elle avec un sourire mesuré.

Ils finirent leur repas en silence, la prêtresse montrant de plus en plus de signes de fatigue. Elle se frotta les yeux de ses mains, et se redressa.

-Je vais m'absenter le temps de ramener nos écuelles, et me posterai ensuite pour la nuit devant votre porte, Maître.

Hayato haussa un sourcil.

-Tu comptes dormir devant ma porte ?

La prêtresse acquiesça avec un sourire franc.

-Je suis à votre service exclusif. Je ferai tout ce dont vous aurez besoin, même si c'est en pleine nuit.

-Alors je vais te donner un ordre simple, d'accord ? Sur le retour, tu prendras un oreiller et une couverture, puis tu t'étendras à l'intérieur, certainement pas dehors.

Elle marqua un temps de surprise.

-Ce n'est pas ma place, Maître !

-Tu remettrais en cause ce que je voudrais ?

Il lui adressa un sourire en coin, qui fit glousser la prêtresse. Elle s'inclina profondément avant de sortir. Hayato avait déjà eu des serviteurs, au manoir familial à Harchan. Mais ils étaient beaucoup moins dévoués que Rydia. Cela le mettait mal à l'aise, mais il allait devoir s'y faire. Elle ne lâcherait certainement pas le morceau de sitôt. En un sens, il lui en était reconnaissant. Affronter cette nouvelle épreuve seul aurait été extrêmement difficile.

Pour tester sa récupération, et en attendant le retour de sa servante, Hayato sortit de sa cellule pour faire de l'exercice. Il testa tout type de mouvement de son épaule, avec de plus en plus de force et de vitesse. Elle était comme neuve. Il ne ressentait aucune gêne, ni aucune douleur. Même au fil des exercices qui se faisaient de plus en plus difficiles, il ne ressentit rien d'anormal.

Rydia revint quelques minutes plus tard, les bras chargés. Elle avait suivi les ordres, et trouvé une couverture et un oreiller. La jeune femme sembla inquiète en voyant Hayato faire des pompes au moment où elle arrivait. Il la rassura d'un signe de tête, et décida que sa mise à l'épreuve était concluante.

Elle s'installa à même le sol, dans un coin de la cellule, et se roula dans la couverture après s'être longuement inclinée devant Hayato. Il ne fallut pas plus de quelques minutes pour qu'elle sombre dans le sommeil, la pauvre devait être réellement épuisée. Le Paladin ne tarda pas non plus à s'étendre, pour prendre un repos bien mérité.

Le capitaine se réveilla au beau milieu de la nuit.

Il entendait la respiration régulière de Rydia, à l'autre bout de la pièce. Dehors, la lune éclairait largement l'ensemble de bâtiments du Sanctuaire. Il se retourna pour se rendormir, mais une idée lui venait en tête, en permanence. Il n'arrivait pas à s'en défaire. Impossible de retrouver le calme.

Alors, Hayato enfila ses sandales, et sortit dans l'air frais de la nuit. Il serpenta entre les constructions, trouvant difficilement ses repères. Il savait où il allait, et il lui fallut une dizaine de minutes pour arriver à destination.

Deux hommes armés gardaient la porte de la cellule d'Oichi. Ils portaient la livrée du Sanctuaire, mais tenaient une hallebarde à la main. Le Paladin s'approcha d'eux, et parla à voix basse.

-Bonsoir, messieurs. Puis-je la voir ?

Les gardes échangèrent un regard, et le plus âgé des deux prit la parole.

-Je crains que non, Maître. Le Grand Sage a interdit à quiconque de pénétrer à l'intérieur.

Il aurait dû s'en douter. Hayato poussa un long soupir, laissant sa frustration prendre le dessus quelques instants. Il ne chercha pas à causer d'esclandre, et rebroussa chemin jusqu'à sa cellule. Il prit le temps d'observer les étoiles, se demandant si conformément à la croyance populaire, ses hommes reposaient désormais là-haut.

Rydia poussa un petit gémissement interrogatif quand son maître pénétra dans la pièce, mais celui-ci la rassura et lui dit de se rendormir. De son côté, il eut toutes les peines du monde à retrouver le sommeil.

~~~~

La semaine suivante passa paisiblement.

Rydia était aux petits soins pour Hayato, et réalisait la moindre de ses demandes. Elle était de bonne composition, enjouée et dévouée. Sa présence rappelait beaucoup celle d'Oichi, les taquineries en moins. La prêtresse se montrait très curieuse du monde extérieur, qu'elle n'avait jamais connu. Elle posa beaucoup de questions à son maître, et lui demanda régulièrement de raconter ses aventures.

Albin recevait Hayato tous les matins, après le petit déjeuner. Ils passaient une à deux heures ensemble, à philosopher sur beaucoup de choses. Son calme aidait le Paladin à retrouver sa sérénité dans cette période de grands changements pour lui. Il l'aida à se mettre à la place de ses interlocuteurs, mais également à trouver son calme pour éviter tout incident magique en société. Les prières qu'ils faisaient ensemble apaisèrent la douleur du capitaine d'avoir perdu ses hommes.

Hayato se soumettait à une forte dose d'exercices physiques quotidiens. Il devait se maintenir en forme, et cela l'aidait à évacuer sa frustration. Car on lui refusait toujours de voir Oichi. Selon le Grand Sage, elle n'avait toujours pas repris conscience. Jour après jour, le Paladin devait ronger son frein.

Le soldat avait du mal à se faire à l'attitude des prêtres envers lui. Il était souvent le centre de l'attention, mais on ne lui adressait pas la parole. Il était cet être spécial que tout le monde voulait voir, mais on détournait le regard quand il se tournait vers nous. Il était souvent entouré, mais aussi souvent seul avec sa servante.

Après le repas du midi, Rydia et Hayato se trouvaient un coin d'herbe à l'ombre pour pratiquer quelques exercices de relaxation et de respiration. La jeune femme décrit précisément les différentes étapes à suivre pour parvenir dans un plan éthéré, et guida son maître pour que cette transition lui devienne plus naturelle. Il progressa lentement, mais régulièrement, à la joie de son instructrice. Ces moment privilégiés lui plaisaient, car ils le rapprochaient de son but : maîtriser ces pouvoirs qui sommeillaient en lui. La prêtresse ne le poussa pas à utiliser le feu, de crainte qu'il n'arrive pas à se contrôler au vu du contexte actuel. Ce serait pour plus tard, disait-elle.

Le neuvième jour commença comme les autres.

Le soleil brillait à l'horizon, et une chaude journée d'été s'annonçait. Les prêtres déambulaient silencieusement, et Hayato priait avec Albin. A la suite du repas, Rydia et son maître se dirigèrent vers leur endroit habituel pour la leçon du jour.

Quelque chose clochait. L'intuition du soldat se réveillait en lui. Attentif à son environnement, le Paladin vit les prêtres se retourner vers lui. Puis il l'entendit : des bruits de pas précipités, une course.

Il n'eut pas le temps de se retourner : un choc dans son dos le propulsa en avant et il s'étala au sol, face la première.


Texte publié par Yohko, 2 novembre 2022 à 11h51
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