Hayato poussa un long grognement en émergeant du sommeil. La nuit avait été fraîche, et il s'était réveillé plusieurs fois. Le fait d'entendre la respiration régulière d'Oichi a côté de lui ne l'avait pas aidé à se rendormir. Il était extrêmement gêné de partager une telle intimité avec une femme, d'autant plus qu'il ne la connaissait qu'à peine. Le fait qu'elle soit plutôt mignonne n'améliorait pas les choses. Il avait bien été présenté à quelques demoiselles de bonne famille à Harchan, pour former une alliance matrimoniale entre deux familles ; mais jamais cela n'avait réellement retenu son attention. Il s'était prêté au jeu, sans plus d’entrain.
Le soldat se leva, au petit matin, et constata qu'il était seul sous la tente. Il prit un peigne dans son baluchon, puis le temps de se coiffer. Il enfila ses bottes puis son armure, et sortit à l'air libre. L'aube pointait à peine, et pourtant le campement commençait déjà à s'animer. Une bonne quinzaine de soldats était déjà levés, en plus de ceux qui étaient de garde. Le reste dormait encore à la belle étoile, dans une mer de couvertures disparates.
Hayato reconnût la coiffure de l’Élémentaire près d'un feu, elle était assise avec des soldats, une tasse en bois à la main. La jeune femme discutait avec ses voisins, le sourire aux lèvres. En voyant le capitaine sortir de la tente, elle lui fit un signe de la main ; et les soldats le saluèrent après avoir suivi le regard de la belle. Il s'approcha du groupe pour qu'on lui serve une tasse de thé, et alla demander un rapport aux derniers soldats de garde. Rien n'avait été signalé cette nuit, ce qui était rassurant.
Le moral des hommes était plutôt bon. Ils étaient contents d'avoir repris la route, et estimaient que cette route était plutôt sûre. Certains faisaient des exercices matinaux, d'autres se réveillaient difficilement. Retournant s'asseoir près du feu qui mourait doucement, il put constater que sa protégée était le cœur de toutes les attentions. Les soldats parlaient de sa prestation de la veille au soir, ce à quoi l'intéressée se contentait de répondre avec un léger sourire. Elle semblait avoir la victoire modeste. La jeune femme adressa un clin d'oeil à son voisin de paillasse, avant de se diriger vers la tente pour la démonter. Une des soldates de la veille proposa de lui prêter main forte, et elles s'éloignèrent en parlant à voix basse.
Il était temps de mener les derniers préparatifs pour le deuxième jour de voyage.
Le soleil accompagna la caravane pour cette nouvelle journée.
La route qu'ils empruntaient était à peu près parallèle au cours de l'Urna. Il s'agissait d'un fleuve prenant sa source dans les Monts Éternels, du côté d'Adis, avant de traverser le Sanctuaire et de se jeter dans l'océan près de Harchan. L'eau coulait paresseusement du Nord-Ouest vers le Sud-Est, dessinant des lacets dans les plaines du centre du royaume.
Hayato était plutôt satisfait de la manière dont se déroulait le voyage. Cheminer en tête de colonne était agréable, bien qu'il lui faille rester aux aguets. La présence d'Oichi à ses côtés avait le don de le rassurer, autant car il voulait la préserver que de savoir ses compétences martiales à portée de main au besoin. Ils chevauchaient à faible allure l'un à côté de l'autre, en parlant rarement. La jeune femme semblait pensive, et observait en permanence les alentours avec attention. Hayato devinait qu'elle n'était pas tranquille, avec la personne qu'elle croyait avoir vue la veille.
Le trajet du jour était assez calme, si bien que l'activité du jour se résumait à voir quelques animaux sauvages au loin. Le capitaine put voir une biche, une laie avec sa compagnie de marcassins, deux faisans et quelques perdrix. Ils croisèrent également épisodiquement des voyageurs qui prenaient le risque de prendre la route seuls.
La caravane passait également près de petits bourgs qui avaient poussé près de cette grande route. C'était l'occasion de faire une pause le temps de se rafraîchir le gosier, d'acheter quelques provisions, d'avoir quelques nouvelles des environs. Les soldats colportaient non seulement des marchandises, mais aussi moult rumeurs et autres informations utiles. C'était également l'occasion d'avoir des livraisons de choses plus rares, comme des plantes médicinales. Celles achetées à Oichi faisaient partie du lot.
La fin de la journée ne tarda pas à arriver, au grand bonheur des membres de la caravane. On s'attela à monter le campement pour la nuit, chacun trouvant aisément son rôle. Ce soir, ils camperaient près d'un village, donc certains soldats auraient la chance d'aller manger à la taverne locale. C'était en quelque sorte les permissions spéciales durant le trajet. Hayato proposa à Oichi d'accompagner les quelques chanceux, mais elle refusa poliment arguant qu'une écuyère se devait de rester auprès de son maître.
Un peu plus tard dans la soirée, après avoir passé ses troupes en revue, le capitaine prit place près du feu, où on lui servit un bol de ragoût. Cherchant du regard sa compagne de route, il la vit quelques mètres plus loin, armes tirées, devant l'une des soldates qui l'avaient accueillie la veille. L’Élémentaire faisait des gestes lents avec ses chakrams, pour illustrer ce que serait un assaut venant de sa part. Sa partenaire écoutait attentivement, curieuse d'en savoir plus sur ces armes insolites.
Quelques minutes plus tard, elles croisèrent le fer. Oichi resta sur la défensive, et esquiva les premières attaques de son adversaire avec une grande agilité. Cependant, cette dernière était plus rapide que son capitaine, et le fer vint à tinter quand la marchande de plantes dut parer l'épée qui venait vers elle. D'un coup de poignet, elle fit tourner ses armes circulaires le long de la lame pour tordre celui de sa partenaire, qui vit son épée voler au sol deux mètres plus loin. Maugréant entre ses dents, la soldate fit quelques pas pour la ramasser et se lancer à nouveau à l'assaut de sa petite instructrice d'un soir.
Ce ballet continua un bon quart d'heure, durant lequel Oichi avait nettement le dessus. Elle para, esquiva, dansa tout le long du combat, ne récoltant en tout et pour tout qu'un coup d'épaule traître en plein sternum. Elles se saluèrent avec un sourire, et l’Élémentaire partit pour la tente qu'elle partageait avec Hayato. Elle n'en sortit plus de la soirée.
De son côté, le capitaine parla de sa nouvelle écuyère avec ses hommes, y compris la soldate battue à chaud qui venait prendre son repas. Il ne ressortit globalement que du positif : on la trouvait aimable, agréable à vivre, impressionnante dans ses aptitudes martiales et attentionnée. Il se demanda s'ils diraient la même chose en connaissant sa maîtrise de la magie. Le mépris général exprimé envers sa race reprendrait probablement le dessus, même auprès de personnes globalement altruistes.
C'est avec ses pensées bien sombres que Hayato se dirigea vers sa tente, où il s'engouffra et trouva une température légèrement inférieure à l'air extérieur. Oichi était assise en tailleur sur la paillasse, prenant soin de ses armes circulaires. Elle leva un sourire fatigué vers son maître, qui surprit quelques petits cristaux de glace sur son front, entre ses cheveux. Heureusement qu'elle était ici, et non pas dehors au milieu de tous ces Inertes.
-Lina est plutôt sympathique, avenante, et doué une épée à la main, dit-elle. Elle ferait probablement un bon sergent.
Hayato haussa un sourcil, surpris.
-Tu es en train de me dire de la promouvoir ?
-Juste décrire ses qualités, dans le cas où vous ne les auriez pas vues.
Elle fit signe à son maître de s'asseoir, et commença à s'activer sur les liens de son armure de cuir.
-Et la silhouette que tu as vue hier ? Tu l'as revue aujourd'hui ? demanda-t-il en écartant les bras pour faciliter la tâche d'Oichi.
-Aucune trace, non. Mais je suis sûre de moi. Le fait qu'il se dissimule n'est pas rassurant pour moi.
Le capitaine acquiesça lentement, prenant la chose au sérieux.
-Nous continuerons à prendre nos précautions, crois moi.
La jeune femme acquiesça avant de poser les pièces d'armure au sol, une par une. Elle était précise dans ses gestes, et s'avérait une écuyère parfaite. Une fois ceci fait, elle lui fit signe de se tourner, ce qu'il exécuta pour retirer ses bottes. Il l'entendit se dévêtir et se glisser sous la couverture. Il en fit de même rapidement, réfléchissant à qui pourrait suivre discrètement une caravane comme la leur. Des bandits de grand chemin ne seraient pas suffisamment organisés ni assez nombreux pour les surpasser. La fatigue de la journée se fit rapidement sentir, et il sombra dans le sommeil.
Hayato se baladait dans une forêt épaisse, seul. Il y avait un brouillard épais autour de lui, si bien qu'il n'y voyait qu'à quelques mètres. La lumière du soleil semblait faible autour de lui, alors il devait commencer à se préparer pour la nuit. Il rassembla des branchages et des feuilles pour se faire un matelas confortable, tout en explorant les environs pour s'assurer qu'il était bien seul. Une fois rassuré, il rassembla quelques pierres au sol pour préparer un foyer, de quoi se tenir au chaud jusqu'au matin. Après avoir fait une petite pyramide de bois, il posa la paume de sa main dessus, et se concentra. Il sentit une vague monter au plus profond de lui, et les brindilles commencèrent à fumer, puis elles s'embrasèrent.
-Kyaaaaa... !!
Un petit cri étouffé tira le capitaine de son sommeil. Il entendit un déplacement précipité à côté de lui, et sentit qu'on arrachait la couverture qui le recouvrait. Dans la pénombre l'entourant, il constata qu'Oichi n'était plus à ses côtés. Il regarda autour de lui, encore dans le vague, et vit deux lueurs bleu glace dans le coin opposé de la tente.
Il devina la forme de l’Élémentaire, recroquevillée au sol, les yeux brillants comme si elle venait d'utiliser sa magie. Le jeune homme entendait sa respiration haletante, heurtée. Elle serrait contre elle la couverture comme si elle pouvait l'utiliser pour se protéger.
-Qu'est-ce qui se passe... ? demanda-t-il d'une voix pâteuse.
Quelques secondes passèrent avant qu'il n'ait une réponse. Son écuyère parla d'une voix tremblante et faible.
-V-v-vous avez dû f-f-faire... un mauvais r-r-rêve...
Il fronça les sourcils. Qu'est-ce qui lui faisait si peur ?
-Et toi ? Tu n'as pas l'air bien.
-J-j-je vais bien...
Hayato était perplexe devant cette affirmation manquant de conviction. La lumière quitta petit à petit les yeux de la belle, si bien qu'il retrouva son calme. Si elle estimait qu'il n'y avait pas de danger, il pouvait lui faire confiance.
Il se retourna sur la paillasse, et ne tarda pas à se rendormir.
Le troisième jour de trajet ressembla trait pour trait aux précédents. Toujours ce grand soleil, ces étendues vertes autour d'eux, quelques bourgs sur le trajet, et des voyageurs courageux qui leur laissaient le passage.
Ce soir-là, ils pourraient dormir à l'abri d'un bois qui longeait le fleuve. Les soldats se mirent au travail, comme ils commençaient à en reprendre l'habitude. Le campement fut monté rapidement, des feux allumés, et les repas préparés. Un autre soldat demanda une leçon d'escrime à Oichi, qui se fit un plaisir de lui montrer quelques astuces au combat, au prix d'un effort physique intense.
Après le repas, l’Élémentaire fit signe de la main au capitaine, et lui annonça qu'elle voulait à nouveau mettre son système d'alarme autour du camp. Ils s'éloignèrent donc au couvert des arbres pendant deux bonnes minutes. La jeune femme écarta les bras en croix, paumes vers le ciel, et Hayato vit à nouveau cette lueur qui commençait à être familière prendre place dans ses yeux. Autour d'eux, l'air se densifiait à vue d’œil, et en quelques dizaines de secondes, un réel brouillard les entourait. Oichi prit la main de son compagnon, le guidant en silence dans le bois. Ils n'allaient pas vers le camp, mais il se laissa faire.
Le tandem parvint au bord de l'Urna, près d'un renfoncement dans la berge où il n'y avait que très peu de courant. Le capitaine comprit qu'elle voulait se baigner, et lui tourna pudiquement le dos. Il patienta quelques instants le temps qu'elle se dévêtisse, puis encore un peu avant qu'elle ne l'appelle pour venir la rejoindre.
Il constata à nouveau que la jeune femme était entourée d'une épaisse couche de glace opaque, possédant deux grands saphirs lumineux enchâssés dans le visage. Elle resta ainsi quelques minutes, au calme, les épaules sortant de sa prison volontaire, et les cheveux volant doucement au gré du vent.
-Il est temps que l'on parle de ce que vous êtes, Messire, déclara-t-elle d'une voix douce.
Hayato acquiesça, attentif à ce qu'elle allait dire.
-Avez-vous déjà entendu le terme de Paladin ?
Il secoua la tête en signe de dénégation, ce mot lui était étranger. Oichi sembla prendre le temps de réfléchir.
-Alors, je vais essayer de faire le plus simple possible. Cela concerne quelques Inertes à peine, voyez vous. C'est...
Elle tourna subitement la tête dans une autre direction, et fronça les sourcils. Son geste et son silence interpellèrent le géant, qui posa la main sur la garde de son épée en regardant au même endroit qu'elle.
Il vit un beau loup noir, dont le regard jaune perçant était rivé sur sa petite protégée. Il avait fait quelques pas pour se placer tout près de l'eau, au bord opposé à celui des humains. L'animal s'assit sur son séant, contemplant toujours fixement face à lui. Hayato n'avait pas l'habitude de ces animaux, mais son comportement ne correspondait pas à ce qu'il savait d'eux. En théorie, ils fuyaient discrètement en présence d'hommes. Celui-ci n'avait semble-t-il aucune peur.
Le loup leva sa truffe vers la lune, et poussa un long hurlement plaintif. Le capitaine sentit un long frisson descendre le long de son échine. C'est la première fois qu'il assistait à un tel spectacle. Une fois le silence revenu, l'animal se releva pour s'éloigner entre les arbres. En quelques instants, c'est comme s'il n'avait jamais été là.
Hayato entendit Oichi retenir subitement sa respiration.
-Il faut qu'on parte, vite.
-Quoi ?
-Le campement est attaqué.
Le sang du capitaine ne fit qu'un tour, et il se releva d'un bond, tirant son épée. Il allait se jeter dans une course effrénée immédiatement, mais il se retint pour attendre sa compagne. Elle sortait déjà de la glace et semblait s'habiller en vitesse, aux bruits qu'il entendait. En à peine une minute, la jeune femme lui attrapa la main et partit en courant en direction de là où ils avaient laissé la caravane.
A mi-chemin, Hayato entendait déjà des bruits de combat. Les ordres hurlés, le bruit du métal contre le métal, les cris de douleur perçants. Ils arriveraient trop tard. La culpabilité menaçait de le submerger, mais il décida de la transformer en force. La force de sauver autant de monde qu'il le pourrait. Et Oichi était avec lui pour atteindre cet objectif.
La jeune femme ralentit en arrivant proche de la clairière où ils étaient installés plus tôt dans la soirée. Elle s'arrêta même tout à fait, intimant au capitaine de se baisser. Ils pouvaient de là voir la scène d'horreur qui prenait place devant eux.
Des hommes en armure combattaient des soldats déséquipés, qui avaient à peine eu le temps de saisir une arme. Beaucoup étaient déjà au sol, emportés par la première vague d'assaut. Les ennemis étaient moins nombreux, mais avaient l'avantage de la surprise.
Hayato posa ses yeux sur certains détails qui lui glacèrent le sang. Un bras, tranché net, abandonné au sol. Une soldate, le crâne fracassé dont la cervelle sortait à l'air libre. Un homme, la chemise rougie, tombé face la première dans un des feux, qui se consumait lentement. Mais surtout, du sang. Du sang, partout. Sur les chariots. Sur le sol. Sur les hommes. Tout était rouge.
-Nous allons les contourner.
La voix murmurée et glaciale de Oichi le ramena à la réalité.
-Quand nous serons près des chevaux, je ferai diversion. Vous me porterez jusqu'à mon cheval, et nous prendrons la fuite.
-Pardon ? Et mes soldats ?
La colère s'entendait dans la voix de Hayato. La jeune femme répondit froidement.
-Ils sont déjà morts.
Ce n'était en effet pas un combat. C'était un massacre. Ses hommes étaient largement surclassés. Et ce surcot lui était familier. Il l'avait déjà vu de nombreuses fois lors de cérémonies protocolaires. Il s'agissait de la garde royale, l'unité personnelle du roi Senrad. Ils massacraient des membres de l'armée de Hita. Ça n'avait pas de sens.
Oichi le tira par la main pour qu'il reprenne ses esprits.
-Je ne vous laisserai pas mourir ici. Il faut fuir.
Hayato acquiesça à regrets, sentant le dégoût de l'abandon au fond de sa bouche. Le tandem se déplaça sous le couvert des arbres, pour approcher de leur tente, près de laquelle étaient attachés leurs chevaux. Le capitaine proposa ses bras à l’Élémentaire, qui s'y blottit en fermant les yeux. Elle s'accrocha derrière son cou tandis qu'il la soulevait. Autant dire qu'elle ne pesait pas grand-chose pour l'Inerte.
-Attendez le signal...
La jeune femme rouvrit les yeux, qui brillaient à nouveau dans la nuit. Il n'eut pas à attendre très longtemps avant d'entendre des éclats de voix. Un soldat de la garde royale avait été projeté en l'air par un pic de glace acérée venu se loger dans son torse. Sa direction attirait les ennemis à l'opposé de la position de Hayato et Oichi.
-Cette saleté est là bas ! hurlait un homme. Toi et ton groupe, allez la buter ! On s'occupe des sous-fifres !
Alors, le géant se précipita vers les chevaux, espérant ne pas être repéré. Il dénoua leur bride, déposa le petit corps de l’Élémentaire sur sa jument, et entraîna les bêtes à vive allure pour s'enfuir.
Sa caravane n'existait plus. Ses soldats étaient probablement tous morts. L'unité personnelle du roi était à ses trousses. Comment les choses avaient-elles pu en arriver là ?
Pour le moment, il devait se concentrer sur la fuite. Oichi et lui n'étaient pas encore tirés d'affaires. Il n'était pas impossible qu'on les ait vu s'enfuir. Alors, ils chevauchaient, aussi vite que le permettait le couvert des arbres. Après quelques minutes, ils se retrouvèrent sur une plaine qui s'étendait à perte de vue, et purent se lancer au grand galop.
L'Elémentaire n'avait pas dit un mot depuis sa diversion, mais ses yeux avaient retrouvé une teinte normale. Elle avait les traits tirés, probablement un mélange de fatigue et de culpabilité. Hayato ne devait pas être beau à voir, lui non plus. Mais il avait la vie de la marchande entre les mains, alors il ferait tout pour la protéger. C'est à cause de lui qu'elle se retrouvait mêlée à toute cette histoire.
Ils chevauchèrent à la seule lueur de la lune, durant de longues minutes, au seul bruit des sabots de leurs montures.
-Nous sommes suivis.
La voix calme d'Oichi raviva l'attention dans l'esprit de l'Inerte.
-J'en vois trois. Nous avons nos chances.
Hayato se retourna, et vit en effet des cavaliers lancés à leur poursuite. Il en arriva aux mêmes conclusions que sa petite partenaire.
-Nous devrions les neutraliser au plus vite, répondit-il. Nous pourrions mettre de la distance entre eux et nous si on survit.
La jeune femme acquiesça, et fit ralentir sa monture près d'un arbre. Elle prit le temps de nouer la bride de celle-ci pour éviter qu'elle ne s'enfuie, et fut imitée par Hayato. Ils tirèrent leurs armes, en attendant leurs adversaires dans un silence pesant.
D'un coup, Oichi tendit la main vers eux et une dizaine de pics de glace partit de celle-ci dans leur direction. Hayato était surpris de la manœuvre, mais cela permettrait probablement de faire pencher la balance en leur faveur.
Un flash de lumière apparut sur l'un des chevaux ennemis, et un arc électrique passa de projectile en projectile, les faisant exploser sur le coup. La jeune femme eut un hoquet de stupeur.
-Un Élémentaire ! Pour l'amour des Dieux, ne vous approchez pas de lui !
Deux des cavaliers portaient des armures de cuir, et le dernier était vêtu de vêtements miteux, troués et sales. Mais ses yeux qui brillaient d'une intense lueur blanche ne laissaient aucun doute sur sa race. Ils arrêtèrent leurs chevaux à bonne distance pour pouvoir en descendre avant d'être au prises avec les fuyards.
-Prenez celui de gauche ! cria Oichi en se lançant sur le flanc droit.
Hayato n'eut d'autre choix que de la suivre, lame au clair, pour prendre d'assaut leurs ennemis. Il se retrouva à charger un soldat au surcot maculé de sang. Le sang de ses hommes. Alors, la rage prit le pas sur la raison, et c'est l'épaule en avant qu'il arriva sur celui qui le chassait. Ce dernier esquiva le coup, et contra avec une attaque puissante. Le géant entra dans un mortel enchaînement de coups, dont un seul réchapperait.
Son adversaire était un bon escrimeur, évidemment. Seule l'élite était acceptée dans la garde royale. Il avait toutes les peines du monde à encaisser ses assauts, et son armure le sauva à plusieurs reprises. Que ce soit en termes de rythme ou de puissance, il était dominé. Il aurait toutes les peines du monde à survivre à cet adversaire. Après une passe d'armes, il fit quelques pas en arrière pour reprendre son souffle. Et surtout, pour voir où en était Oichi.
Il vit qu'elle avait dressé un grand bouclier de glace entre elle et l’Élémentaire de foudre. Chaque impact le faisait voler en éclats, et elle en formait un nouveau aussitôt. Dans le même temps, elle croisait le fer avec l'autre garde royal. La jeune femme cherchait à se rapprocher de son semblable, mais les assauts conjugués qu'elle subissait la ralentissaient considérablement.
Hayato paya cher cette inattention : son adversaire se rua sur lui pour lui décocher un puissant coup de pied dans le ventre. Le souffle coupé, le géant ne réussit pas à parer correctement le prochain coup d'épée : son arme vola au sol un peu plus loin. Avant qu'il n'ait le temps de réagir, le garde royal envoya son poing ganté en travers du visage de Hayato, qui tomba à quatre pattes, sonné.
Pensant sa dernière heure arrivée, il pesta. Il ne pouvait plus rien faire pour se sauver, ni la protéger. Si les Dieux existaient, ce serait le moment de se montrer. Son adversaire avança à pas lents vers Oichi, dans son dos. Il voulait la prendre par surprise. Et Hayato ne pouvait rien pour elle. Rien. Elle allait mourir.
Une rage sourde monta dans les entrailles de l'Inerte. Il n'allait tout de même pas l'abandonner quand elle en avait besoin. Il ferma les poings, grattant le sol au passage. Une colère brûlante l'envahit rapidement. Sa vision se brouilla, et tout devint gris autour de lui. Cet homme n'allait pas tuer sa protégée !
Le garde royal poussa un hurlement inarticulé au moment où son visage prit littéralement feu. Une flamme d'un rouge intense lui dévorait les chairs, si bien qu'il se jeta au sol pour s'y rouler frénétiquement. Non, il ne toucherait pas Oichi ! Les cris perçaient les tympans de Hayato. Ce n'était que mérité après ce qu'ils avaient fait à ses soldats !
Du coin de l’œil, l'Inerte put apercevoir sa partenaire qui lançait son bouclier de glace à la figure de l’Élémentaire de foudre, et fit un tour sur elle-même, chakrams virevoltants au bout des bras. Sa cible tomba à la renverse, et immédiatement elle se retourna vers le dernier ennemi. Un grand pic acéré lui traversa la gorge à telle vitesse qu'il vola sur deux mètres en arrière.
Alors, la flamme se tut. Les cris avaient déjà cessé. Hayato sentit une douleur vive poindre dans sa tête, si bien qu'il posa le front contre le sol, tétanisé. Il entendit vaguement des bruits de course dans sa direction, puis la pression d'une main sur son épaule pour le faire rouler sur lui-même, si bien qu'il se retrouva allongé, dos contre le sol. Un contact froid sur son front vint lui apporter un léger soulagement, mais la douleur demeurait intense. Entre ses paupières plissées, il aperçut Oichi qui fouillait dans une bourse à sa ceinture. Elle était elle aussi dénuée de couleur, toute grise. Seule une bague qu'elle portait luisait d'un rouge intense. Une autre lueur semblait venir de son sternum, mais était cachée par ses vêtements.
Elle finit par sortir quelque chose du contenant en cuir, et le porta rapidement aux lèvres de Hayato.
-Mâchez ça. Gardez-les bien en bouche.
Il sentit qu'elle déposait de petites choses contre sa langue, probablement des herbes séchées. Elles avaient un goût horrible, d'une amertume terrible. Il dut lutter pour ne pas les recracher, et encore plus pour les mâcher. Il referma les yeux, la douleur était décidément trop forte. Sa tête allait exploser. Mais au moins, Oichi était en vie. Il l'entendit, d'une voix lointaine.
-Bienvenue dans le monde de la magie.
Quelques instants plus tard, il perdit connaissance.
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