La caravane dirigée par Hayato ne partit de Harchan qu'avec peu de retard, après avoir attendu les derniers soldats retardataires.
Toutes les marchandises avaient été préparées correctement, les rôles répartis entre les hommes d'armes, chacun était à son poste et la procession s'était ébranlée doucement. Pour les habitants de la capitale, c'était un spectacle banal, presque quotidien. Mais pour Hayato, c'était une manière de se rendre utile, de participer à la richesse de son Royaume, et de faire reconnaître le prestige de sa famille.
Le capitaine et son étalon noir allaient en tête, accompagnés de Oichi sur sa jument grise. Il avait à peine signalé le remplacement de son écuyer à Klaj, son subalterne. Ce dernier avait observé la jeune femme et simplement acquiescé, prenant note de l'information. Lui-même se positionnait en fin de colonne, pour pouvoir réagir dans le cas où ils seraient pris à revers.
L’Élémentaire chevauchait avec un léger sourire sur le visage, mais n'était pas très bavarde. Hayato était attentif à leur environnement, essentiellement un ensemble de plaines et de collines parsemé de bosquets. Durant toute la matinée, ce sont les discussions des soldats derrière eux qui résonnèrent à leurs oreilles. Le soleil était déjà haut dans le ciel quand ils s'accordèrent une première pause, pour le repas de la mi-journée.
Le capitaine abandonna son étalon aux soins de la jeune femme, et partit prendre des nouvelles auprès de ses sergents. Il ne connaissait pas personnellement tous ses hommes, mais cela faisait maintenant quatre fois qu'il escortait un convoi avec le même contingent armé. Ils commençaient à anticiper les ordres de leur supérieur, et cela lui rendait la tâche d'autant plus simple. Lors des entraînements, il avait remarqué certains soldats qui sortaient du lot, et Hayato faisait de son mieux pour s'assurer que leur moral reste bon, et qu'ils restent en bonne condition physique.
Après un conciliabule de quelques minutes avec Klaj en mangeant son biscuit de voyage, Hayato repartit en direction de la tête du convoi en adressant quelques mots à ses soldats. Il marqua une pause en constatant que Oichi était entourée de trois femmes de son unité. Le capitaine les identifia rapidement, il s'agissait de trois amies assez proches, qui avaient sympathisé en combattant ensemble. Il n'en savait pas beaucoup plus à leur propos, et ne put s'empêcher d'avoir une pointe d'inquiétude : et si elles venaient harceler l’Élémentaire à cause de sa race ? Si elles avaient déjà découvert la supercherie ?
Il fut rassuré en voyant les soldates s'éloigner de sa protégée avec le sourire, un geste de la main en arrière vers elle. Elles saluèrent martialement leur supérieur, avant de retourner à leur poste. Ce dernier revint alors près de la belle aux cheveux d'azur, lui tendant un long biscuit sec et une outre d'eau. La jeune femme les prit avec un large sourire, et un signe de tête en guise de remerciement.
-Vous êtes plutôt sympas, dans l'armée, en réalité.
Hayato leva un sourcil, avec un léger sourire.
-Elles venaient me prévenir de faire attention à vous, leur tortionnaire de chef, qui avait l'habitude de venir les observer en petite tenue.
Cette fois, il écarquilla les yeux de surprise. Sa réaction fit beaucoup rire l’Élémentaire.
-Je vous taquine. Elles venaient s'assurer que je ne manquais de rien, moi qui ne suis pas habituée à cheminer avec vous. Elles m'ont même proposé de l'aide pour monter la tente ce soir.
Le capitaine reprit quelque peu son souffle, même si une immense gêne restait présente.
-Ne t'amuses pas trop à répandre ce genre de rumeurs, les choses vont vite dans l'armée, la prévint-il.
-Je ne dirai pas ce genre de choses à des inconnus. Et puis, vous allez vous remettre de mes blagues, je n'en ai aucun doute.
Il secoua la tête, dépité par tant de légèreté. Soit cette fille était très sociable, soit elle était inconsciente du comportement à apporter dans une unité militaire. Ils risquaient leur vie sur les routes. Elle croqua à pleines dents dans le biscuit, le mâcha quelques secondes, s' arrêta et fixa le géant dans les yeux, la mine sérieuse.
-Rassurez moi, on ne va pas manger ça tous les jours ?
-Tous les midis. Et du ragoût le soir, quand nous camperons en dehors des villes, répondit-il avec un léger sourire.
Un profond désespoir se lut sur les traits d'Oichi, qui remonta en selle sans un mot de plus.
C'était une belle journée de début d'été, et Hayato se sentait bien à chevaucher au pas sous le haut soleil. De leurs côtés, ses soldats étaient moins bien lotis : la chaleur de l'après-midi commençait à se faire ressentir et les discussions se faisaient plus rares au sein de la caravane. Oichi elle-même ne décrochait plus un seul mot, les joues rougies par la température et les yeux à demi clos.
Au plus fort de l'après-midi, un détail attira son attention. Alors qu'ils cheminaient entre deux collines, le capitaine aperçut un monceau de branches épaisses barrant la route. Immédiatement, il fit signe au sergent placé quelques mètres derrière lui.
-Fais passer le mot aux autres : sortons les armes, et soyons vigilants. Il risque d'y avoir du grabuge.
-A vos ordres, capitaine !
Le soldat s'éloigna à vive allure pour transmettre les instructions aux groupes plus loin, et au fur et à mesure, c'est toute la colonne qui prit une posture défensive. Hayato ralentit la vitesse de la colonne, pour garder un œil attentif à tout ce qui se passait autour d'eux. Il stoppa tout à fait sa route à une dizaine de mètres de ce qui apparaissait comme un barrage prévu pour stopper d'éventuels voyageurs. Derrière lui, chaque unité prenait place dans le dispositif habituel pour protéger chaque côté de la caravane. Le capitaine rappela son sergent.
-Ta section et celle située derrière vous vont dégager le chemin. Nous couvrons votre avancée.
Le soldat salua son supérieur, et rangea son arme en allant rassembler ses hommes. Ils étaient une dizaine à se détacher de la colonne pour se diriger vers le barrage, équipés de haches. Hayato scrutait attentivement les environs pour déterminer d'où viendrait la menace.
Elle vint de la colline bordant le convoi par la droite. Une vingtaine de silhouettes humanoïdes apparurent au sommet de celle-ci, à quelques dizaines de mètres des premiers soldats qui resserrèrent les rangs. En plissant les yeux, Hayato put déterminer qu'il s'agissait d'hommes-bêtes, plus précisément des félins. La fourrure qui ornait leur visage, ainsi que les yeux en amande et leurs longues griffes étaient des indices sans équivoque.
-Gardez la position ! hurla-t-il à ses hommes. Serrez les rangs, ils n'attaqueront pas !
Après quelques dizaines de secondes, les créatures battirent en retraite, au grand soulagement des soldats. Le groupe dédié au barrage termina rapidement son travail, et l'arrêt ne dura tout au plus qu'un quart d'heure.
Hayato jeta un œil à Oichi pour voir comment la vendeuse de plantes vivait ce premier incident. Elle avait les sourcils froncés, mais regardait dans la direction opposée à celle des hommes-bêtes. Le capitaine regarda dans cette direction, mais ne vit rien d'anormal.
-Qu'est-ce qui se passe ? lui demanda-t-il.
Elle ne répondit qu'en hochant négativement la tête, malgré sa mine soucieuse. Devant le silence, Hayato ressentit le besoin de reprendre la parole.
-Tu es en sécurité avec nous. Nous connaissons les procédures à respecter en cas de rencontre avec quoi que ce soit.
Cette fois, Oichi poussa un petit rire amusé, et se tourna vers son protecteur autoproclamé.
-Je suis rassurée, Messire. Merci beaucoup de veiller sur moi.
Sur ces paroles, le groupe de déblaiement arrivait près de Hayato pour faire son rapport. La caravane pouvait reprendre la route.
Ce fut le seul événement notable de cette première journée de voyage. Le soleil déclinait lentement vers l'horizon quand ils atteignirent un bois désigné par leur capitaine. La caravane passerait la nuit ici, loin du premier village, mais la clairière dans laquelle se trouvaient les soldats serait une bonne protection.
Les hommes commençaient à s'organiser autour des chariots, pour préparer divers feux, soigner les petites blessures, organiser les tours de garde. Klaj n'avait rien à signaler de son côté, aussi Hayato décida de passer un moment au milieu de ses hommes, à prendre de leurs nouvelles, et faire de petites tâches avec eux. C'était un point sur lequel il était apprécié de ses soldats : il n'était pas comme ces nobles inaccessibles qui refusaient d'adresser la parole aux gens du commun. C'était un leader soucieux de ses subalternes, qui les aidait régulièrement et s'entraînait même avec eux.
Une heure après leur arrivée, Hayato était assis sur un tabouret de bois, près d'un feu, avec ses hommes qui préparaient le repas du soir. Il vit Oichi se placer dans son champ de vision, et lui faire un signe discret pour lui demander d'approcher. Elle avait la mine soucieuse, aussi s'excusa t-il auprès des soldats, et se leva pour la rejoindre, l'interrogeant du regard.
-J'ai besoin d'une petite balade, vous venez avec moi ?
Sa manière de fixer le capitaine dans les yeux indiquait qu'il y avait un réel besoin à cette demande. Aussi acquiesça-t-il, intrigué. La jeune femme prit la direction du bord du campement, puis pénétra sous les arbres, emmenant son compagnon avec elle. Ils s'éloignèrent encore, jusqu'à n'être plus visibles ni entendus des soldats restés près des chariots.
Oichi se tourna alors vers Hayato, l'air très sérieux.
-Je crois que la caravane est suivie.
Le capitaine fronça les sourcils.
-Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
-J'ai cru apercevoir un homme tout à l'heure, quand nous étions à l'arrêt. Je n'en suis pas sûre. Et je ne voulais pas inquiéter vos hommes en disant ça à voix haute.
-C'est mieux, en effet, reprit le géant. Je vais demander à mes hommes d'être particulièrement vigilants durant la nuit.
-J'ai mieux à vous proposer.
Cette fois, elle avait un léger sourire en coin.
-Et ce sera une démonstration intéressante pour vous. Je vais monter la garde moi même.
La jeune femme ferma les yeux quelques instants, et respira profondément. Quand elle les rouvrit, Hayato ne pouvait plus distinguer ses pupilles ni ses iris : ils irradiaient d'une douce lueur bleu pâle. Il ne put retenir un frisson en la voyant ainsi. C'était la première fois qu'il voyait quelqu'un recourir à la magie.
Oichi écarta les bras en croix, les paumes tournées vers le haut, d'un geste lent et mesuré. Le jeune homme l'observait avec une grande attention. Elle ne semblait rien faire de spécial pour le moment, et seul le rythme régulier de sa respiration venait perturber son immobilité. Rien ne changea pendant une minute, puis deux. L'excitation du capitaine se changea en perplexité, puis en déception.
Puis, un détail attira son attention. Il ne voyait plus l'arbre situé derrière la marchande. Plissant les yeux, il regarda autour de lui, et siffla doucement de surprise. Un brouillard épais était monté autour d'eux, et il ne voyait pas plus loin qu'un ou deux mètres. Il reporta son attention vers Oichi, dont les yeux reprenaient petit à petit une teinte normale.
-Pfiou. Une bonne chose de faite.
Elle ne semblait pas avoir fourni un réel effort, et regardait son compagnon avec un sourire en coin. Celui-ci restait bouche bée : elle avait créé ce brouillard autour d'eux ? Autour de toute la clairière ? Par la seule force de sa magie ?
-J'ai senti un point d'eau, pas très loin. Je vais aller me tremper un peu. Vous venez avec moi.
Tiré d'un coup de ses interrogations, Hayato écarquilla les yeux. Cela fit bien rire le petit bout de femme devant lui.
-Tout va bien se passer, calmez vous. Là, voilà, venez.
Elle lui prit la main pour le guider à travers le brouillard, marchant à un rythme assez soutenu. Comme la fois dernière, le jeune homme sentait un contact frais dans sa paume. Il se laissa faire, se demandant comment elle faisait pour se repérer. Cette brume était-elle vraiment issue de son pouvoir ?
Il fut ramené à la réalité quand une branche d'arbre percuta violemment son visage. En l'entendant pester, Oichi marmonna une phrase d'excuse : quelle idée d'être aussi grand, franchement ! Hayato plaça son bras libre devant son visage pour se protéger durant le reste du trajet.
Il fallut une bonne minute au couple, en marchant à bonne allure, pour sortir du brouillard. Pendant ces soixante secondes, Oichi ne ralentit pas d'un pouce, zigzaguant entre les arbres. Une fois revenus à l'air libre, il leur fallut deux minutes de plus pour parvenir à un plan d'eau peu profond de taille moyenne, d'environ vingt mètres de diamètre. Le liquide était limpide et reflétait la lueur de la lune.
La belle lui lâcha enfin la main, et s'étira de tout son haut en poussant un petit soupir de fatigue. Elle lui adressa un sourire amusé.
-C'est le moment où vous vous retournez, messire.
Bredouillant quelque excuse, Hayato s'exécuta reportant son attention sur les arbres alentours. Il ne comprenait pas bien ce qu'il faisait là. Elle était tout à fait capable de venir seule jusqu'ici, et de ne pas être dérangée. Mais elle avait tenu à ce qu'elle l'accompagne.
-Kya, elle est trop chaude... !
Cette exclamation fit sursauter le capitaine. Il se demanda quelle température conviendrait à une Élémentaire maniant la glace. Probablement bien plus froid que ce que la nature lui avait offert ce soir.
-Vous pouvez venir !
-Mais enfin... ! protesta-t-il, en proie à une forte gêne.
-Ne faites pas votre mijaurée et venez vous asseoir ici. Ce sera plus pratique pour parler.
Hayato prit une longue inspiration, puis pris son courage à deux mains pour se retourner vers cette créature démoniaque qui jouait de son inconfort. Il la vit alors assise dans le plan d'eau, mais avec une couche de glace épaisse qui en recouvrait la surface. Seules dépassaient les épaules et la tête d'Oichi, dont les yeux émanaient à nouveau de cette lueur bleutée. Elle eut un sourire en coin en voyant le soulagement se peindre sur le visage de son compagnon.
-Pas trop déçu ?
-Pour qui me prends-tu ?! répondit-il vivement, bien que ses joues le brûlaient.
Elle rit doucement, et lui indiqua de la tête de venir s'installer près d'elle, où elle avait soigneusement plié ses vêtements. La jeune femme ne le quitta pas des yeux, ce qui avait le don de le mettre mal à l'aise. Il ne savait pas où regarder dans ces grands yeux vides. La puissance qui en émanait était manifeste, et l'intriguait autant qu'elle l'effrayait.
-Il est temps de parler un peu magie, déclara Oichi. Nous ne pouvons pas le faire devant vos soldats, alors profitons de ma baignade. Je répondrai de vos mieux à vos questions.
Hayato acquiesça en prenant place, réfléchissant longuement avant de prendre la parole.
-J'ai l'impression que la magie que tu utilises est liée à la glace, n'est-ce pas ?
-Tout à fait, je suis une Élémentaire de glace. Ce qui signifie que je ne peux utiliser la magie que si elle est liée de près ou de loin au froid.
-Mais dans ce cas, quel rapport avec le brouillard ?
-Ce ne sont que de petits cristaux de glace en suspension dans l'air. Donc, c'est dans mes cordes.
Le capitaine pensa un instant à la quantité de cristaux de glace dans l'air autour d'eux, et en eut le vertige.
-Mais, pour faire ça... tu dois être terriblement puissante.
Elle eut un léger rire cristallin.
-Disons que je me défends.
-Dans ce cas, je ne pourrais utiliser qu'un type de magie moi aussi.
-C'est ça, le feu.
-Ce qui explique la tâche sur le bois, et ma couverture brûlée...
-Et j'imagine que vous avez apprécié la journée ? Il a fait très chaud, et la chaleur vous conviendra parfaitement. Vous n'aurez plus la sensation d'avoir chaud. Par contre, le froid vous incommodera un peu plus qu'avant.
Hayato prit le temps de réfléchir : malgré son armure et tout son équipement martial, il n'avait en effet pas du tout eu la sensation d'avoir chaud aujourd'hui.
-Est-ce qu'on naît puissant magicien, ou est-ce qu'on le devient ?
Sa question étira les lèvres d'Oichi en un léger sourire.
-On ne part pas tous à égalité, mais c'est essentiellement une question de travail. Surtout que vous, vous êtes un cas particulier. Vous découvrez vos dons tard, mais vous n'êtes pas n'importe qui. Vous serez un magicien puissant.
Le capitaine fut surpris de cette déclaration. Il n'était même pas un Élémentaire, comment pourrait-il devenir si puissant ? Maîtriser la magie qui coule en lui était déjà hors de sa portée... Alors qu'il se posait ces questions, il vit la lueur disparaître dans les yeux d'Oichi. Elle le regardait fixement avec un sourire en coin, pendant quelques secondes de silence.
-La glace est en train de fondre, Messire.
Il toussa légèrement en se relevant pour s'éloigner de quelques mètres, et tourner le dos à la belle. En quelques instants, il en avait appris beaucoup à propos de la magie. Il se demanda à quel point il arriverait à la contrôler, cela lui semblait tellement étranger.
Après à peine une minute, une Oichi fraîche comme la rosée du matin vint le rejoindre et lui attraper la main pour le guider vers le campement.
-Tu es déjà sèche ? s'étonna t-il.
-Il suffit de transformer l'eau qui me recouvre en glace, puis de l'absorber. Rien de plus simple.
En effet, c'était extrêmement simple. Qui était incapable de faire ça ?
Il leur fallut trois minutes pour retrouver le campement, et traverser à nouveau le brouillard magique généré par Oichi. En passant, Hayato ne pût s'empêcher de réfléchir à ce qu'elle ressentait quand une personne traversait la glace qu'elle avait créée. Qu'en serait-il si quelque chose venait à être brûlé par sa magie du feu ?
Retrouvant les soldats de la caravane, les deux compagnons se séparèrent. Hayato repartit prendre des nouvelles de ses hommes, et partager le repas avec ses sergents, comme il en avait l'habitude. Le moral était plutôt bon chez la troupe, ils étaient contents de retrouver un peu d'action après un mois de réserve à la capitale. Le Sanctuaire était également un endroit assez prisé des soldats, car les plus dévots pouvaient y prier ; c'était une sorte de pèlerinage pour eux.
Le capitaine resta deux bonnes heures avec ses hommes, et décida d'aller enfin se coucher pour être en forme à l'aube. Il prit le temps de prévenir ses sergents de rester à l'abri de la clairière, et d'être particulièrement vigilants sur les tours de garde. Il chercha des yeux Oichi pour lui souhaiter bonne nuit, mais il ne la vit nulle part. Le géant alla donc flatter l'encolure de son étalon quelques instants, avant d'ouvrir le rabat de sa tente.
Il y découvrit une Élémentaire de glace en train d’affûter ses armes circulaires, assise en tailleur sur la paillasse au sol. Passée la première surprise, il lui demanda.
-Mais qu'est-ce que tu fais là ?
-Je me prépare pour la nuit. Je dors avec vous.
Hayato bredouilla quelques mots, sentant ses joues s'empourprer.
-Je ne vais pas dormir à la belle étoile avec vos soldats. Que diraient-ils quand je renforcerai notre moyen d'alerte alentour ? Ou que je ferai un mauvais rêve et ne me contrôlerai pas tout à fait ?
Elle marquait un point. Il fallait qu'ils fassent attention à ce que le secret d'Oichi ne soit pas découvert par n'importe qui. Mais tout de même, partager sa couche avec une femme... Ce serait une première pour lui. Et cela ne semblait pas du tout la déranger. Quelle éducation avait-elle donc reçue ?
Relevant les yeux vers Hayato, l'Elémentaire eut un sourire taquin, les yeux pétillants.
-Vous avez déjà combattu contre des chakrams ?
Il plissa légèrement les yeux.
-Des ?
Elle lui montra ses armes. Une poignée en cuir était prévue pour saisir correctement un cercle de métal qui semblait bien aiguisé. C'était pour le moins un objet exotique, et il n'en avait jamais vu de tel.
-Je n'ai pas eu cette chance, non.
La jeune femme laissa échapper une exclamation de triomphe.
-Alors, allons nous entraîner ! Je veux voir ce que vous valez, l'épée à la main.
Elle se glissa devant Hayato pour sortir pieds nus dans l'herbe rase de la clairière, sautillant pour s'échauffer rapidement. Le capitaine, perplexe devant tant d'enthousiasme, relâcha le rabat de la tente pour aller la rejoindre. Il tira son épée longue, qui était de bonne qualité sans pourtant être un objet d'exception. Au loin, certains soldats étaient déjà allongés sous leur couverture, pour dormir à la belle étoile. D'autres étaient encore en train de parler autour des feux, et s'approchèrent intrigués en voyant les deux compagnons tirer les armes.
Oichi se plaça en garde, un chakram en position basse, l'autre au-dessus de la tête. Il n'y avait plus de sourire sur son visage, elle semblait tout à fait concentrée. Hayato se mit également en position, encore incertain sur la marche à suivre. Il serait impoli de retenir ses coups, mais il ne voulait pas non plus la blesser lors d'un entraînement. Pour tester ses aptitudes martiales, il envoya un premier coup de taille sans y mettre toute sa force.
Il fût surpris de la voir faire un vif bond en arrière, et tournoyer sur elle-même. L'un des chakrams était venu lécher son canon d'avant bras, et y laissa une belle entaille. S'il n'avait pas été protégé, sa main aurait probablement été coupée. Il plissa les yeux, et les ramena sur une Oichi qui s'était remise en garde, quelques pas plus loin. Elle avait un sourire amusé sur les lèvres.
-Amusons nous un peu, dit-elle. Si vous parvenez à faire couler mon sang ne serait-ce qu'une fois, je vous donnerai une récompense spéciale.
Hayato avait fait une erreur de ne pas la prendre au sérieux. Il était temps de se donner sérieusement, à la fois pour ne pas perdre la face devant ses hommes, mais aussi pour faire bonne impression à la jeune femme. Elle avait une assurance tellement insolente qu'il fallait être à la hauteur.
Alors, il se lança dans une longue phase d'attaque. Son style n'était pas le plus fin d'Harchan, il combattait avant tout en mettant toute la force que lui permettait sa carrure dans son épée. Il tapait fort, lourdement, et attendait que son adversaire perde son énergie à parer pour passer outre sa garde quand il faiblirait.
Il comprit rapidement que ce ne serait pas aussi simple, contre cette marchande. Elle se déplaçait très rapidement, agilement. Mais elle ne faisait pas de geste superflu pour autant. La jeune femme se reculait à peine assez pour éviter la lame, se fendait de profil pour esquiver un coup, et chacune de ses contre-attaques faisait mouche. Hayato ne l'avait jamais vue aussi concentrée, depuis qu'il la connaissait. Son expression était vide de toute émotion.
Après une autre attaque, Oichi courut deux pas sur le côté avant que le capitaine ne put réagir, et mit un coup de genou précis derrière celui du géant. Ce dernier sentit sa jambe se dérober sous son poids, et dût poser genou à terre. Au même moment, il sentit un objet froid et tranchant se poser contre son cou. Il resta ainsi quelques secondes, reprenant son souffle, regardant du coin de l’œil la jeune femme qui se tenait à côté de lui, et le tenait en respect.
Elle retira sa lame, et aussitôt Hayato reprit l'assaut. Il essaya de son mieux de prévoir les esquives de la belle, mais c'était peine perdue : elle était aussi rapide que surprenante. Elle changeait régulièrement de type de mouvements, ce qui rendait très difficile de lire sa danse. Les soldats alentour commençaient à parler entre eux, surpris de la domination que l'écuyère avait sur son maître. Tous savaient qu'il n'était pas mauvais, l'épée à la main, mais il était clairement à la peine.
Cela dura quelques minutes. Oichi dansait autour des assauts brutaux de Hayato, qui commençait à baisser en intensité, à la fois à cause de la fatigue et de la frustration. Il attaquait, attaquait, et attaquait encore, et elle se contentait d'esquiver et de contre-attaquer.
Lors d'une autre passe d'armes, il vit enfin une ouverture. Il porta un coup de taille horizontale après en avoir porté un vertical et avoir anticipé le déplacement de la jeune femme. Cette dernière para au dernier moment en interposant ses deux chakrams à des endroits différents de l'épée de son compagnon. Elle fit tourner par la suite ses armes pour attirer l'arme de son adversaire vers le sol, et d'un mouvement rotatif, lança sa jambe pour faucher celles de Hayato. Ce dernier ne s'y attendait pas et tomba à la renverse.
Rapidement, il vit un pied nu se poser sur son torse, et sentit une lame se poser sur son cou. Sous les applaudissements des soldats rassemblés, Oichi venait de prendre le dessus sur le capitaine d'une façon indiscutable. Sa respiration était un peu plus rapide qu'avant l'entraînement, mais Hayato ne voyait aucune trace de transpiration sur son front, alors que lui-même suait à grosses gouttes, le souffle court.
Son assurance n'était donc pas qu'une marque d'arrogance. C'était une adversaire redoutable l'arme à la main, et elle n'avait même pas utilisé sa magie. Dans un combat réel, elle serait d'autant plus dangereuse. Hayato ne put s'empêcher de ressentir à la fois une crainte terrible et une fascination réelle pour la jeune femme. Ce n'était pas qu'une petite marchande de plantes, elle avait dû recevoir une éducation martiale très solide.
Retirant son petit pied, Oichi tendit la main à son capitaine pour l'aider à se relever, puis s'inclina poliment pour le saluer, un sourire franc sur le visage. Elle fit un signe de la main aux quelques soldats qui l'acclamaient, et se dirigea vers la tente du commandant. Ce dernier salua martialement ses hommes, avant de rejoindre la belle.
La jeune femme s'installa en tailleur sur la couche, et tira son matériel d'entretien pour prendre soin de ses chakrams. Elle commença à les nettoyer méticuleusement, pendant que Hayato retirait son équipement martial. Constatant cela, elle posa ses armes pour aider celui dont elle était l'écuyère, défaisant les sangles latérales de l'armure de cuir.
-Vous n'êtes pas mauvais, messire. Peut être un peu... bourrin sur les bords.
Elle rit doucement en voyant l'air offensé du capitaine.
-Tu es trop rapide pour moi, répondit-il. Cela ne correspond pas à mon style de combat, il faut que j'apprenne à lancer mon bras plus rapidement. Je me base usuellement sur la force, c'est une erreur contre toi.
-On dit souvent que ceux qui combattent avec des chakrams dansent autour de leur adversaire en le châtiant petit à petit de morsures assassines. Cela décrit plutôt bien notre entraînement du soir.
-Et tu aurais pu m'exterminer encore plus facilement en ayant recours à ta magie. C'en est presque effrayant.
-Rassurez vous, d'ici quelque temps, quand je vous aurai entraîné, vous gagnerez à coups sûrs contre moi. Ça ne fait aucun doute.
Oichi déposa une petite tape amicale sur le torse de Hayato quand elle eut terminé de le déséquiper, retournant à ses propres armes.
-Tu as dû avoir une éducation martiale exceptionnelle. Me présenteras-tu ton maître d'armes ?
Elle sourit avec une nostalgie visible, un sourire triste, vide.
-Je crains que ce soit impossible.
-Oh... J'en suis désolé.
La jeune femme secoua légèrement la tête pour indiquer qu'il n'y avait pas de mal, et garda le silence, se concentrant sur sa tâche. Hayato, de son côté, se glissa sous la couverture avec une certaine appréhension.
-C'est tout de même... spécial que nous dormions dans la même tente, risqua t-il.
-Allons, tout se passera bien. Je ne vais pas vous sauter dessus, et vous allez vous contrôler aussi. Par contre, il y aura des rumeurs dans vos rangs demain. Désolée pour cela, mais c'est un moindre mal.
Le capitaine n'avait pas pensé à cela. Ce serait un tracas en plus à prendre en compte dans sa relations avec ses hommes, mais comme le disait Oichi, ils ne pouvaient pas prendre le risque que sa nature élémentaire soit démasquée. En un sens, il se sentait rassuré en ayant une créature si puissante qui montait la garde et participerait à la défense de sa caravane.
Il fut tiré de sa rêverie en voyant que la belle commençait à se dévêtir. Il se retourna précipitamment pour respecter son intimité, ce qui la fit glousser doucement. Elle se glissa à son tour sous la couverture, et Hayato sentit la température de l'air subtilement descendre suite à cela.
-Est-ce que vous priez régulièrement, messire ? demanda Oichi d'une voix basse.
-Pas vraiment, non...
-Vous devriez. La magie est un don des Dieux. Dihr a posé Son regard sur vous et vous prête une partie de Sa force. Il serait une bonne chose que vous Le remerciez.
Le capitaine n'était pas très à l'aise avec la question. Son éducation religieuse ne l'avait jamais passionné, mais il savait tout de même que Dihr était le dieu du feu, et le dirigeant du panthéon. Il existait douze dieux, qui ne s'entendaient pas tous très bien entre eux, mais leurs histoires étaient trop compliquées pour Hayato.
Le jeune homme entendait Oichi murmurer quelques phrases à voix basse. Elle semblait pour le moins pieuse, et en cela la destination de la caravane devait l'intéresser. Cela faisait un indice pour comprendre pourquoi elle avait décidé de l'accompagner.
Le silence retomba sur la tente, et, épuisé par la journée, le soldat ne tarda pas à sombrer dans le sommeil.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2780 histoires publiées 1267 membres inscrits Notre membre le plus récent est JeanAlbert |