Le réveil sonna avec insistance, sans que le son ne perturbe plus que ça la forme endormie dans le lit. Le jeune homme dormait profondément, imperturbable. La porte de la chambre s’ouvrit violemment sur un autre jeune homme, qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’endormie. Mais même cette entrée fracassante ne put venir à bout du sommeil de plomb de la marmotte perdue dans le pays des rêves.
Quand le nouvel arrivant en prit conscience, une ride de contrariété vint barrer son front. D’un pas lourd, rageur, il alla ouvrir en grand la fenêtre, laissant le froid pénétrer dans la pièce. Jetant un œil par-dessus son épaule, il constata que l’autre n’avait pas bronché. Il ouvrit donc sans scrupule les volets, laissant la lumière du jour envahir la chambre. Le soleil vint caresser paresseusement le visage de l’endormie. Mais il n’eut toujours aucune réaction.
Poussant un soupir fataliste, le jeune homme éteignit le réveil, qui lui cassait juste les oreilles mais ne parvenait pas à sortir la marmotte de son sommeil d’une telle profondeur qu’on pouvait presque le comparer à un coma ! Avisant l’heure, il se décida finalement de secouer le dormeur comme un prunier. Et là, miracle ! Il parvint à le réveiller ! L’endormi grommela, se retournant en se blottissant dans les couvertures. D’une voix pâteuse, il se plaignit :
- Putain, fait froid ! T’abuses, No…
Le dénommé No serra les dents, une veine pulsa sur son front.
- Tu déconnes ?!? explosa-t-il. Ca fait une heure que ton putain de réveil sonne, Matthew ! Je n’ai pas accepté de vivre avec toi pour te servir de nounou, merde ! Grandis un peu, putain !
Il sortit d’un pas rageur de la chambre, laissant l’autre jeune homme seul qui en profita pour replonger dans le sommeil. Mais pas pour longtemps. Son colocataire revint et lui jeta un seau d’eau froide, le réveillant ainsi pour de bon. Matthew, cette fois bien réveillé, se leva d’un bon en s’écriant :
- Putain Nolan ! Tu fais chier ! Je vais tomber malade avec tes conneries, on est en décembre je te rappelle, enfoiré !
Nolan, qui avait commencé à sortir de la chambre, se retourna brusquement vers l’autre homme et le pointa d’un doigt accusateur, ulcéré par son comportement.
- Avoue que tu te serais simplement rendormi si je n’avais rien fait ! Putain, tu commences le travail aujourd’hui, je te rappelle ! Tu ne peux pas te permettre de traînasser ! Surtout que tu as déjà une heure de retard !
Matthew le regarda d’un air de merlan frit puis, regardant le réveil, constata que l’autre avait raison.
- Merde ! lâcha-t-il avant de se précipiter vers son armoire et de se déshabiller rapidement, sans faire plus attention à l’autre, il se sécha rapidement avec la serviette qui traînait par terre et se pressa de s’habiller.
Une fois prêt, il courut jusqu’à l’arrêt de bus devant chez lui, pour manquer de peu son bus. Regardant sa montre et les horaires, il vit que le prochain départ serait pour dans trente minutes. N’ayant pas le temps d’attendre, il sprinta, comme jamais il ne l’avait fait, s’arrachant à moitié les poumons pour arriver au plus vite sur son nouveau lieu de travail.
Il arriva tout essoufflé, suant à grosse gouttes, ses vêtements totalement froissés. Ne prenant même pas la peine de s'arranger ou de reprendre son souffle, ayant déjà plus de deux heures de retard (pour son premier jour, en plus !), il rentra directement dans le cabinet d’avocat pour lequel il allait travailler désormais en tant que secrétaire. Du moins, s’il ne se faisait pas virer. Encore. N’ayant plus de souffle, il salua d’un signe de tête sa collègue avec laquelle il allait travailler en binôme. La jeune femme lui rendit sa salutation silencieuse, tout en continuant sa communication téléphonique.
Reprenant péniblement son souffle, Matthew passa derrière le bureau d’accueil afin de s’installer à son poste. Mais avant qu’il ne puisse s'asseoir, son patron sortit d’un bureau et l'apostropha :
- M. LUNELLI ! Dans mon bureau, immédiatement !
Bien que n’appréciant pas de se faire traiter de la sorte, le jeune homme se savait en tort donc il garda sagement le silence et suivit l’avocat dans son bureau. Il referma délicatement la porte derrière lui. Puis ce fut l’apocalypse.
- Deux heures de retard sans justificatif, remarqua froidement son supérieur, c’est inadmissible ! Pour votre premier jour, vous faites fort ! Je ne crois pas avoir jamais eu affaire à un salarié tel que vous ! Dans ces circonstances, vous comprenez bien évidemment qu’on ne peut poursuivre votre contrat, n’est-ce pas ?
Au fil de la diatribe de son supérieur, Matthew sembla se tasser sur lui-même. Il hocha timidement la tête, sans un mot. Quand son ex-employeur lui fit signe qu’il pouvait disposer, il ne se fit pas prier deux fois et sortit promptement du bureau puis, après avoir récupéré ses affaires, du cabinet.
Il erra, sans but précis, dans les rues. Puis il s’assit sur un banc face au fleuve, l’air défaitiste. Soupirant à fendre l’âme, il prit son téléphone et composa un numéro, attendant que son correspondant décroche. Ce qu’il fit à la troisième sonnerie.
- Oui ? vint la voix interrogative.
Prenant une grande inspiration, il lâcha dans un souffle faible :
- J’ai été viré…
Seul un lourd silence lui répondit. A tout hasard, il regarda son écran, mais non, ça n’avait pas été coupé. Il reposa le téléphone contre son oreille. Entendit un soupir de l’autre côté de la ligne. Puis son interlocuteur laissa échapper d’une voix las :
- Qu’est-ce que je vais bien pourvoir faire de toi, Mat ?
Le fraîchement chômeur baissa la tête, honteux. Il ne répliqua pas.
- Est-ce que tu te rends au moins compte que je ne suis ni ta mère, ni ton père, mais ton jumeau ? Je ne devrais pas avoir à gérer ce genre de connerie…
Matthew sentit ses yeux s’embuer de larmes. Il se sentait coupable d’être un tel poids pour son frère. Il n’aimait pas être une telle source d’inquiétude pour son double, sa moitié. Il regrettait le temps de leur enfance, quand tout était plus simple, quand il n’y avait que de la complicité entre eux. Avant la mort de leur père. La dépression de leur mère. Quand ils pouvaient encore se permettre d’être insouciants.
Parfois, il se demandait si son frère ne serait pas mieux sans lui. Ils n’avaient tout les deux que vingt-cinq ans, mais son frère semblait parfois si las, si usé par le temps. Nolan se sentirait-il pas mieux, libéré du fardeau qu’il représentait ? Le jeune homme ne se rendit pas compte des larmes qui avaient commencé à dévaler le long de ses joues. Finalement, la conversation prit fin. Rangeant son téléphone, Mat mit ses coudes sur ses genoux et posa son front sur ses mains jointes. Il resta ainsi longtemps. Il n’était plus trop conscient de ce qui l’entourait. Jusqu’à ce qu’un cri le sorte de sa torpeur.
- Au secours ! Au secours ! Je ne sais pas nager !
Levant brusquement la tête il vit une jeune femme se débattre fébrilement dans l’eau, la terreur peinte sur son visage. Des badots s’arrêtaient, s’affolaient, mais aucun n’eut le réflexe d’aller repêcher la malheureuse. Se relevant d’un bond, le jeune homme retira ses chaussures et se défit de sa veste. Puis il courut et plongea dans le fleuve, nageant avec vigueur vers la jeune femme. Il l'attrapa et la remorqua vers la berge. Pendant tout le processus, il prit garde à maintenir la tête de la jeune femme hors de l’eau.
Quand il fut suffisamment proche du bord, des âmes charitables l’aidèrent à remonter sur la berge avec la rescapée. L’héroïsme du jeune homme fut salué d’une salve d'applaudissements par les témoins de la scène. Quelqu’un parmi la foule eut néanmoins le bon sens d’appeler les secours. La victime et son sauveur furent ainsi pris en charge rapidement.
Un secouriste frictionna énergiquement le jeune homme avec une couverture chauffante, pendant qu’un de ses collègues avait pris en charge la jeune femme. Celle-ci, transie de froid, les lèvres bleues, se tourna vers son sauveur et le remercia avec profusion. Sincèrement reconnaissante envers la personne qui lui avait sauvé la vie. Son sauveur lui fit un sourire timide, gêné.
Il avait agi d’instinct. Il n’avait pas pris le temps de la réflexion. Il ne se rendait pas encore compte de la portée de son acte. Il n’avait pas conscience que, sans lui, elle serait probablement morte. Ainsi, s’il n’avait pas perdu son travail, il ne se serait pas trouvé au bord du fleuve au moment critique. Il n’aurait pas été là pour porter assistance à la jeune femme. Et, au vue du manque de réactions des autres témoins de la scène, il n’eut pas été certain que quelqu’un d’autre se soit jeté à l’eau comme il l’avait fait.
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