de Julie Galon
TW : Mort, noyade, arme blanche
Je m’arrête au bord de l’eau, essoufflée. Le soleil se couche. La nuit et le lac ont semblé s’unir pour que je n’aille pas plus loin. Ai-je le temps de m’arrêter pour la nuit ? On me traque. Je suis morte si l’on me retrouve. Je me retourne un moment, et écoute : le vent, rien d’autre que le vent et le bruit des feuilles. Inspire. Expire. Je me répète en boucle que tout va bien. Impossible qu’ils me retrouvent en pleine nuit, et je n’aurai qu’à partir dès l’aube.
Mes mains ne cessent de trembler, alors je les rince dans l’eau du lac. La nuit tombe et son rideau obscur s’étend sur le ciel. La pleine lune m’épie de son œil rond et froid, sa lumière serpente sur les vaguelettes. Le froid me gagne peu à peu, et la crainte aussi, à mesure que je vois les ténèbres s’étendre autour de moi. Je décide de me coucher dans le creux d’un arbre, abritée moi aussi dans son ombre. Tout devient sombre, je tente de m’endormir mais la peur me pèse. Mes yeux sont clos. Je me force à respirer, du calme. Je m’imagine dans un jardin fleuri. Une branche craque au-dessus de moi, mon sang se glace. J’écarquille les yeux. Figée, j’observe : ce que je vois, ce sont les bras décharnés des arbres, qui semblent étendre leurs griffes vers moi. Vision d’horreur. Je me force à fermer les yeux. Et cette fois, à les garder clos. Je m’imagine encore le jardin, mon jardin. J’aperçois l’avenue bordée de roses, rouges. Je me balade avec Eugène sur le sentier paisible, nous nous asseyons près d’un arbre, dans l’ombre de ses branches. Ce que j’entends au-dessus de moi, ce sont des branches. Calme. Le clapotis de l’eau, c’est la fontaine qui se trouve devant Eugène et moi. Je sens un insecte posé sur moi. Garde les yeux fermés ! Je m’imagine un papillon, un morpho bleu, comme ceux de notre mariage. Tout est si romantique… Si seulement on pouvait revenir en arrière. Je chasse l’insecte sans ouvrir les paupières. Mais il se repose sur moi. Un moustique ? Non, il ne fait pas de bruit. L’insecte me colle et ne cesse de revenir sur moi. Je me décide à ouvrir les yeux.
Un… deux… trois. Un papillon. Un papillon noir. Que c’est étrange… Il vient se poser au creux de ma main, ma main que je tendais pour le faire fuir. Ses ailes sont majestueuses, je me perds dans la contemplation de sa beauté. Quand un autre se pose sur mon bras, puis un autre sur mon genou écorché. Leur charme m’envoute, d’autres arrivent et tourbillonnent autour de moi comme dans une danse splendide. Je me sens comme dans un rêve. Tout s’efface autour de moi. Seuls demeurent des picotements aux endroits où se posent ces papillons. Mais les sensations deviennent dérangeantes, les insectes me démangent. Lorsque j’en chasse un, il laisse derrière lui une plaie. J’en écrase un autre, du sang s’étale sur mon bras droit. Mon sang. Ces papillons boivent mon sang.
Je me lève, épouvantée, et me secoue dans tous les sens. Mais ils reviennent toujours sur moi, par dizaines. Ma tête tourne. Tout est flou. Je deviens folle. Le nuage noir d’insectes me colle à la peau. Je tente de courir, mais je trébuche à la première racine. Mes forces me quittent. Je vais me noyer sous cette masse amorphe de papillons. Me noyer, oui me noyer, comme dans le lac à côté de moi. Le lac. Je réunis mes dernières forces et rampe vers l’eau. La douleur est une torture. Je n’entends rien d’autre que le brouhaha des ailes. Les créatures viennent sur mon visage. Je veux crier. Aucun son ne sort de ma bouche. Entre deux halètements, l’un d’eux se pose sur ma langue. Je le recrache, et avec lui, je crache du sang. Encore et encore, mon sang se mêle à la terre grasse sous mon corps. Soudain, mes mains atteignent l’eau. Dans un ultime effort, je me jette dans le lac.
Soudain, le silence. Le silence va me rendre sourde. Je coule. Toujours plus bas. N’y a-t-il pas de fond ? La lumière de la pleine lune me parvient, et je vois les trainées de sang qui s’échappent de mon corps. Je me sens lourde. Je tente de remonter, en vain. Mon corps est une pierre, une pierre qui descend sans bruit vers les ténèbres. Ma tête me tourne. Je regarde mes mains. Des vapeurs écarlates en émanent. Est-ce mon sang ? Pourquoi mon sang se vide-t-il ? Je manque d’air. Pourquoi suis-je dans l’eau ? Cela me revient. Je revois les papillons. Je revois Eugène. Il nage vers moi. Est-il vraiment là ? Non, c’est encore ma tête. Mais Eugène est là, face à moi. Son visage ressemble à celui d’un ange. Il me tend la main. Lui aussi il saigne. Je veux de l’air. Pourquoi saigne-t-il ? Je me revois courir. Fuir. Je revois du sang sur mes mains, pas le mien, le sien. Ça y est. Ça me revient, je tenais le couteau. Ce sang, c’est moi qui l’ai fait couler. Couler. Je suis en train de couler. Pourquoi suis-je dans l’eau… Eugène s’approche de moi et m’étrangle. De l’air. Je vais mourir si je n’ai pas d’air. Je suis désolée Eugène, je ne voulais pas te tuer, juste te repousser, ne m’étrangle pas, tu me fais peur. Je ne peux lui dire, ma bouche est fermée. J’ouvre la bouche pour lui dire. Alors, je sens l’eau envahir mon corps. Je sens que j’ai touché le fond, le fond du lac.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2892 histoires publiées 1296 membres inscrits Notre membre le plus récent est Stéphanie DB |