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volume 1, Chapitre 8 « Papillons (Sébastien Mesure) » volume 1, Chapitre 8

Papillons

de Sébastien Mesure

TW : laboratoire

Alors, plus jamais je ne m’engage pour les tests produits, les panels de consommateurs, les tests cliniques. Très peu pour moi, j’arrête. Ce qui est pour moi juste un moyen d’arrondir les fins de mois d’étudiante ou de réaliser des économies m’a entraînée dans une aventure que je n’ai aucune envie de renouveler. Je vais tenter de relater ce qui m’est arrivé, bien que ma mémoire puisse me jouer des tours vu l’étrangeté de mon aventure.

Tout a commencé après la réception d’une carte de visite d'une agence, avec un étrange logo arrondi mais sans nom, accompagnée d’une lettre. Sur cette dernière, on précisait que mon profil d’étudiante en biologie et mes centres d’intérêt avaient particulièrement attiré leur attention et qu’on serait ravi de me voir intégrer leur équipe de testeurs. Qui était ce « on » ? Aucune idée, le logo ne m’évoquait rien. Au dos de la carte était inscrit à la main un lieu et une date, pour une convocation, ainsi qu’un Qrcode à scanner. Le code me mena sur un site orné du même logo que la carte, avec ce qui ressemblait à des avertissements et conditions d’utilisation. Je parcourus rapidement les rubriques, de gros pavés de texte, je ne m’intéressais pas trop à la finalité du test et je ne rentrais pas dans les détails. Je notai tout de même que le test pouvait durer plusieurs jours selon les résultats, et que je devais prendre mes dispositions dans cette éventualité. Bien sûr, tout était sans danger, quoiqu’il arrive la sécurité des participants serait toujours assurée. En bas de page, se trouvait une case à cocher pour accepter les conditions, un formulaire pour mes coordonnées bancaires et une signature électronique pour valider le tout. Tout ça avait l’air sérieux et fiable. Je n’avais pas bien saisi le but de cette expérimentation où visiblement ma formation avait son importance mais de toute façon, je pensais avoir sûrement l’occasion de me renseigner avant d’aller plus loin.

Le jour dit, je me suis rendu sur le lieu du rendez-vous, un peu en avance. La carte de l’Agence entre les mains, je vérifiai une fois de plus l’heure et le lieu. J’étais dans le bon parc, à la lisière du reste de forêt qui délimite une partie de la ville, un faible cours d’eau s’écoulait paresseusement devant moi et j’attendais assise sur le banc le plus reculé comme indiqué pour le rendez-vous. À 18h20, alors qu’il me restait dix minutes à attendre, j’en profitai pour regarder un peu autour de moi. Le parc se vidait peu à peu, le ciel commençait à prendre une teinte orangée, s’accordant sur la couleur des arbres. En quelques minutes, le silence se fit autour de moi, je n’entendais que le souffle du vent dans les arbres.

Une légère caresse sur ma main attira mon attention, je pensai d’abord à une feuille morte et m'apprêtai à souffler dessus pour la chasser. Je levai ma main et découvris que j’avais affaire à un papillon qui s’était posé au creux de ma main. Moi qui associais les papillons au printemps, je fus un peu surprise d’en voir un en cette saison. Je suivais une formation dans le domaine de la biologie sans pour autant être une entomologiste, après tout, et je ne m’en formalisai pas plus que ça.

J'ai décidé de le scruter d’un peu plus près, il n’était pas très grand, son corps faisait à peu près deux centimètres de longueur et ses ailes devaient avoir une envergure de six ou sept centimètres. Ces dernières étaient plutôt sombres, avec des couleurs allant d’un noir bleuté au gris clair, un léger effet métallisé reflétait les teintes orangées du soleil couchant. Son corps était recouvert d’un fin duvet gris clair, deux grandes antennes qui vibraient légèrement et ses deux yeux avaient les mêmes reflets que les ailes. Je l’approchai un peu de mon visage pour le voir de plus près, il possédait une sorte de petite trompe enroulée sur elle-même en guise de bouche et bien six pattes comme tout insecte qui se respecte.

Tout à coup, je sentis un autre chatouillement : un autre papillon, identique au premier, venait de se poser sur mon bras. Décidément, je ne savais pas pourquoi je les attirais, néanmoins j’étais contente d’avoir un peu de compagnie. Les papillons ne sont-ils pas censés porter bonheur ? Je me sentais chanceuse. Tout à l’observation de ces insectes, j’en oubliai complètement la raison de ma présence sur ce banc. Un rapide regard autour de moi, et je me rendis compte que j’étais seule désormais dans cette partie du parc.

Un troisième papillon voleta jusqu’à moi et atterrit sur ma jambe. Les températures étaient toujours élevées, malgré la saison, je m’étais habillée légèrement, laissant exposés mes bras et mes jambes, et rapidement ce furent plusieurs lépidoptères qui m'utilisèrent comme piste d'atterrissage. La situation commença à devenir pour le moins insolite, en l’espace de quelques minutes, ils furent plus d’une dizaine, répartis sur les parties découvertes de mon corps, l’un d’entre eux se balada même sur ma joue.

Je ne fus plus aussi sûre d’être si chanceuse, finalement, quand je commençai à sentir de petits picotements là où s’étaient posés les insectes. Je jetai un œil sur le premier, et m’aperçus que sa teinte grise commençait légèrement à rosir et sa trompe, déroulée, était plantée au creux de ma main. Je tentai de chasser l’indésirable en secouant ma main. Même en l’agitant vigoureusement dans tous les sens, l’insecte resta fermement accroché comme une moule sur son rocher. J’essayai de l’arracher avec ma main libre, et je réalisai que ce n’était pas un insecte ordinaire: au toucher, il était beaucoup moins fragile qu’il n’y paraissait et ses ailes se révélèrent réellement faites de métal sans pour autant être coupantes.

Un début de panique commença à m’envahir. Lorsque je levai les yeux, je me rendis compte que les papillons continuaient à arriver et à se poser sur moi. Celui qui était sur ma main avait une teinte qui tirait franchement sur le rouge désormais et il finit par reprendre son envol, aussitôt remplacé par un de ses congénères. Je commençai à comprendre que c’était à mon sang qu’ils s’intéressaient. Affolée, je me levai brusquement pour tenter de leur échapper, mais prise de vertiges, je retombai assise sur le banc. Ma tête tournait, et le ballet de papillons se poursuivait autour de moi. Les premiers arrivés, complètement rouges et rassasiés, persistaient à tourner sans s’éloigner. Je cherchai de l’aide autour de moi et tentai de crier. Ma voix se cassa et mes faibles appels ne devaient pas porter très loin. Je restais désespérément seule.

Je me sentais de plus en plus faible et ma vue se troubla. Étrangement le sentiment de panique refluait. Le ciel s'assombrissait, le soleil s’était probablement couché depuis mon arrivée. J’avais de plus en plus de mal à bouger, en dehors des picotements, je ne ressentais aucune douleur. Ce fut dans un état second que je fis le point sur ma situation : un essaim de papillons qui se repaissaient de mon sang me tournait autour, j’étais seule dans un parc à la nuit tombante, pourquoi étais-je là déjà? Le rendez-vous, je n’avais plus aucune idée de l’objectif de ce rendez-vous, du pourquoi de ma présence en ces lieux, ça n’avait plus d’importance.

Je n’avais plus la force de bouger, mes pensées étaient confuses. Mes souvenirs défilèrent rapidement et ma mémoire se vida, je ne savais plus où j’étais, qui j’étais. Ils faisaient plus que m’aspirer le sang, tout m’échappait, mon énergie, mes pensées et je n’avais plus la force de lutter. Des dizaines de papillons me tournaient autour, une léthargie m'envahit, puis tout sombra dans l’obscurité.

Un frisson me parcourt lorsque je me remémore cette attaque mais le plus étrange eut lieu ensuite.

Je repris conscience brusquement. Tout d’abord, je ne comprenais pas ce que je voyais, ni même ce que je ressentais. Je baignais dans une lueur principalement orangée, tout était flou et confus. Je n’arrivais pas à donner du sens à ce que je percevais. Avec mon réveil, ma mémoire était revenue, je me souvenais de tout jusqu’au rideau noir, j’étais à nouveau capable de penser de manière cohérente.

Je tentai de me concentrer sur mon environnement pour comprendre ce qu’il se passait et où j’étais. Mon univers avait l’air de se diviser en deux grands ensembles : une partie présentant un dégradé allant d’un bleu sombre au rouge sang et l’autre étant plus complexe avec une bande assez sombre, des formes diverses difficiles à identifier. Le silence régnait de manière inquiétante, je n’avais jamais remarqué tous ces bruits qui nous accompagnent continuellement sans qu’on s’en aperçoive, comme la respiration ou la circulation du sang. D’ailleurs, je compris que je ne respirais pas non plus, je tentai de tâter mon corps et cette action risquait d’être difficile, je n’avais plus ni bras ni main. Je n’avais plus aucune notion de mon corps. Je me résumais dorénavant à un seul sens avec cette étrange vision et à ma conscience, ma mémoire; pourtant je ne paniquais pas, je n’avais pas peur. Étais-je morte?

J’allai me focaliser sur cette vision et tâcher de tirer tout ça au clair. Je constatai que je pouvais cibler mon attention sur certains éléments et laisser le reste au second plan, ce qui me permit d’identifier ce que je voyais. Je fixai une grosse masse orange et marron, et je commençai à comprendre ce que je voyais. Je crus reconnaître des branches et des feuilles jaunies par l’automne. C’était un arbre vu de dessus et là tout se mit en place comme un puzzle. Des arbres, cette bande sombre était en fait la rivière et ce dégradé qui continuait de s’assombrir, le ciel. J’étais toujours dans le parc, postée en hauteur avec une vision panoramique à 180 degrés, vertigineux!

Une tache jaune attira mon attention, je me concentrai dessus, et l’identifiai : c’était moi. Enfin mon corps avachi sur le banc, exsangue, plus aucun papillon n’était visible autour ni dans mon champ de vision. Étrangement, la vue de mon corps me laissait indifférente, alors que tout me disait que j’aurais dû m’inquiéter de cette situation. Des individus en combinaison blanche s’approchèrent de mon corps, l'étendirent sur une civière et l’emmenèrent vers un véhicule un peu plus loin. J’ai pensé que, peut-être, quelqu’un avait entendu mes appels à l’aide mais trop tard ? Le camion commença à s’éloigner et je cherchai à le suivre, or je fus incapable de bouger, mon point de vue resta statique. C’était donc ça la mort, j’allais rester ici une éternité à contempler sans pouvoir agir.

Comme j’ai l’occasion de raconter ce qui m’est arrivé, évidemment je n’étais pas morte, et je ne suis pas restée là-bas une éternité, sur le coup, et vu les circonstances, ça m’a paru une éventualité tout à fait plausible.

Une fois le véhicule disparu, je remarquai que la nuit était tombée et les dernières lueurs avaient fini de disparaître à l’horizon. La vue était magnifique et depuis que l’éclairage public avait été limité, aucune pollution lumineuse ne venait gâcher le spectacle de la voûte étoilée, pourtant je ne savais pas si je voulais rester ici indéfiniment à voir les jours et les saisons passer. Soudain, mon champ de vision changea et j’eus l’impression de glisser lentement, je me déplaçais. Je vis les arbres défiler lentement en contrebas, et la rivière sortir de mon champ de vision. Le ciel, quant à lui, restait statique. Je fixai mon attention dans la direction vers laquelle je me dirigeais. Je survolai le parc, puis la ville endormie. Je me dis que j’aurais dû être contente d’avoir enfin du changement, cependant je restais toujours étrangement détachée, privée de mes émotions, intellectuellement j’étais toujours capable d’analyser ce que je voyais et ce que je devrais ressentir sans pour autant éprouver la moindre sensation.

Au moment où je tape ces mots, je garde un souvenir assez flou de ce moment, tout me revient comme dans un rêve, sans émotion.

Je survolai les rues sombres d’assez haut. Je n’avais aucun contrôle sur ma trajectoire et je me laissais porter par les évènements. De temps en temps, je croisai des gens en contrebas, aucun ne leva la tête, j’étais incapable de savoir si j’étais visible ou si j’étais devenue une entité invisible incorporelle. Je n’avais jamais vu la ville sous cet angle, son quartier résidentiel en bordure du parc, au loin le quartier d'affaires avec ses tours qui paraissaient toucher le ciel et le centre historique vers lequel j’estimais me diriger.

Tout en observant ce qui m’entourait, je réfléchissais un peu à ma condition. Si c’était ça l'au-delà, où étaient donc passées les autres personnes décédées ? Et d’où venaient ces papillons apparemment artificiels, aurais-je été victime d’un meurtre élaboré à l’aide de drones ? Et qu’est-ce que je faisais sur ce banc ? Et si ce n’étaient pas les secours venus récupérer mon corps, car ils n’ont pas perdu de temps pour arriver après ma perte de conscience ? Peut-être que ma mémoire n’était pas totalement revenue, je me souvenais de qui j’étais, d’où je venais, de l’attaque des papillons. En revanche, la raison qui m’avait amenée ici m’échappait totalement. Beaucoup de questions certes, or je ne m’attardai pas plus dessus, après tout quelle importance.

Un chat, sur un toit, me suivit du regard, puis tenta de me poursuivre de toit en toit. Je réalisai que je n’étais pas si invisible finalement, en tout cas, pas pour ce fameux sixième sens des chats. Mon compagnon temporaire finit par se lasser au bout de quelques minutes dans un miaulement plaintif, enfin je suppose car je n’avais toujours pas le son, et fit demi-tour. En dehors du chat, et de rares passants qui ne levèrent même pas la tête à mon passage, le quartier était endormi. Je distinguais un peu plus d’activités au loin, seulement, à la vitesse à laquelle j’avançais, les restaurants au centre-ville auraient eu le temps de fermer avant mon arrivée. Mon vol finit par me faire survoler le centre-ville, où il subsistait toujours une certaine activité ; là encore, je ne faisais que passer et je bifurquai en direction du quartier d’affaires.

Et c’est dans un silence assourdissant que je m’approchai d’une des premières tours. Une grande tour, toute vitrée, dans laquelle se reflétaient la ville et les étoiles. On y apercevait aussi une étrange nuée sombre qui se déplaçait dans le ciel. Je compris rapidement que cette “nuée” c’était moi, enfin ce que j’étais devenue, comme je ne maîtrisais rien si ce n’était mon point de vue, je tentai de distinguer de quoi j’étais composée. Vraisemblablement je n’étais pas un simple nuage éthéré. L’obscurité n’aidait pas, pourtant je finis par identifier ce que je voyais : les papillons ! Je n’étais pas dans l’un d’entre eux en particulier, sinon je les aurais vus autour de moi, mais dans tous, je ne savais pas comment c’est possible. Peut-être n’étais-je qu’une simple passagère pour ces papillons, dans ce cas, où m’emmenaient-ils ? Je n’avais toujours aucun contrôle sur ma destination, condamnée à me laisser porter. Tout à ces réflexions, il ne me restait qu’à apprécier le reste du voyage.

Après avoir volé entre les buildings, mon étrange véhicule accéléra et fit route vers une bâtisse assez basse. C’était le seul endroit à encore être éclairé, derrière les fenêtres j’aperçus des signes d’activité. Je pressentis que c’était ma destination lorsque je ralentis et en fis lentement le tour. Après un tour complet, je me dirigeai vers le toit, puis vers une grille, peut-être une bouche d’aération, qui commença à s’ouvrir. Tout à coup, dans une brusque accélération, je m’engouffrai dans l’ouverture et me retrouvai dans le noir complet. J’étais complètement désorientée et perdis le peu de repères que j’avais. Rapidement ma notion du temps disparut, dans le noir complet, je n’avais plus aucune perception de mouvement, et toujours aucun sentiment de peur ou de panique.

Je n’avais pas souvenir d’avoir perdu connaissance. Néanmoins, sans aucune transition, du noir total je passai à une vive lumière qui occupa mon champ de vision. Ce dernier était étrangement étroit, tout à coup, et un déluge de sensation m’envahit. Je me rendis vite compte que j’avais récupéré mon corps, que j’avais à nouveau le contrôle de mes mouvements et que j’étais en position assise. Une fois ma vue adaptée à la lumière, j’observai les alentours. J’étais dans une petite pièce qui baignait dans une lumière diffuse qui semblait venir de partout à la fois. Pas de fenêtre, je notai quand même la présence d’une porte, enfin vu les dimensions ça devait être une porte, sans poignée ni charnière visible, juste un rectangle visible sur le mur. J’étais donc assise sur une chaise d’aspect très simple, devant une table basique sans aucun ornement. Je jetai un œil sur mes mains qui avaient l’air normales, sans aucune trace de piqûre, par contre je ne portais plus la même tenue que dans le parc. J’étais vêtue, cette fois-ci, d’une sorte de combinaison blanche sans aucune couture apparente. Il y avait du progrès, je percevais à nouveau mon corps et les bruits, malgré tout, mes sentiments semblaient encore anesthésiés, ce qui m’empêchait toujours de paniquer.

Je regardai rapidement derrière moi pour me lever, lorsqu’un bref raclement de gorge me poussa à me retourner. Un homme était assis de l’autre de la table, sur une chaise que je n’avais pas remarquée. Il portait une blouse blanche ouverte sur le devant avec visiblement la même tenue que moi, dessous. Il avait les cheveux bruns et courts, un visage rond et franc, de grands yeux marron qui pétillaient de malice, de grandes mains posées à plat sur une pile de feuilles devant lui et un grand sourire. Le sourire de quelqu’un qui a fait une bonne blague et attend qu’on le félicite pour sa boutade. Je remarquai sur sa poitrine un badge avec sa photo, où il avait l’air beaucoup plus sérieux, et un prénom : Aymeric. Je n’ai pas compris cet engouement pour les vieux prénoms dépassés mais là n’est pas le sujet. Tout à coup, sans préambule, il lança : « Alors ? Ça vous a plu? Que pensez-vous de cette expérience ? »

Pendant, une longue minute, je ne pus que le fixer bouche bée en silence. Cet Aymeric venait d'apparaître comme par magie et s’adressait à moi comme si on se connaissait sans même un bonjour. Me voyant un peu perdue, il tenta de prendre un air plus sérieux.

« Excusez-moi, j’ai oublié de me présenter. Bonjour, Aymeric. Je suis chargé de prendre vos impressions à chaud sur votre petit voyage. Tout d’abord, rassurez-moi, vous vous sentez bien ? vous savez bien sûr qui vous êtes ? Tous nos indicateurs indiquent que vous êtes en pleine possession de vos moyens, mais j’aimerais que vous me le confirmiez de vive voix.

— Oui, je pense que ça va, mais je ne comprends pas ce qu’il s’est passé, ni où je suis ?

— Vraiment ? Pourtant dans les documents que vous avez signés tout y est expliqué, le but du test, les profils recherchés et les risques, minimes, il faut le dire. »

Et là, il montra les feuilles devant lui : effectivement, dans les chapitres que j’ai survolés sans les lire, on y parlait de transfert de conscience, d’expérimentations de réalités virtuelles, de débouchés dans le domaine médical ou spatial. Et il était aussi précisé qu’un briefing serait réalisé au cours de l’essai et que pour garder intacte l’expérience, aucun détail ne serait donné avant. Ça m'apprendra à ne pas lire en détail ce que je signe, je n’avais retenu que le côté réalité virtuelle, pensant à un jeu.

« Et donc, là, si j’ai bien compris c’est l’étape du briefing et ensuite c’est fini ? J’aimerais bien comprendre comment vous avez réussi ce tour avec les papillons aussi.

— Dans un premier temps, je vais prendre vos impressions, et nous passerons à la suite. Avez-vous ressenti des douleurs ou des malaises ? » me répondit-il en balayant d’un revers de main mes interrogations.

Je répondis que malgré la surprise initiale à l’attaque des papillons, ce qui le fit sourire, je n’ai rien ressenti le reste du temps. L’entretien qui suivit dura de longues minutes, chaque réponse que je donnais générait un nouvel afflux de questions. Il voulait savoir comment j’avais réagi à l’arrivée des papillons, ce que j’avais vu, ce que j’avais apprécié. Je répondais le plus précisément possible, après tout je n’avais pas fait ça gratuitement, autant qu’ils en aient pour leur argent.

« Avez-vous une dernière remarque sur votre expérience, un point que nous n’avons pas abordé ? me demanda-t-il, toujours souriant.

— Maintenant que vous le dites, je n’ai pas du tout apprécié la manière dont vous avez abusé de moi. Une explication, ou au moins une présence au début aurait été plus judicieux, et où sont mes vêtements ?

— Oui, oui, bien sûr mais l’effet de surprise est important dans cette expérience et tous les détails que vous deviez connaître sont dans les documents que vous avez signés, mais je le note. Pour nos prochains candidats, nous tenterons une autre approche. Maintenant, je suppose que vous voulez savoir comment tout ceci fonctionne ? »

Sur ces paroles, il se lança dans des explications : les papillons ne réalisaient pas réellement un transfert de ma conscience mais la connectent à une sorte de réseau, le sang à la fois comme carburant et support. Je ne comprenais pas tout, j’avais fortement l’impression de me retrouver dans un roman où les vampires comme ceux des romans d’Anne Rice étaient remplacés par des papillons. Tout ceci me paraissait un peu tiré par les cheveux, je regrettais, un peu, de m’être spécialisée dans la botanique plutôt que dans la biologie animale. Il m’expliqua que le lien entre mon corps n’avait jamais été interrompu et qu'il fallait voir les papillons comme un organe sensoriel déporté pendant que mon corps était maintenu en vie. Voyant que je perdais le fil de la conversation, les yeux dans le vague, lorsqu’il a abordé le thème de l’esprit quantique, il conclut son petit exposé rapidement en déclarant que nous aurons peut-être l’occasion de reparler de tout ceci.

Il m’invita ensuite à le suivre d’un geste de la main. Ce que j’avais identifié comme une porte était visiblement ouvert et donnait sur un couloir. Je secouai un peu la tête pour me remettre les idées en place et je me levai à sa suite.

« Vous trouverez dans cette pièce vos effets personnels, dit-il en me guidant vers une des portes ouvertes. Vous pourrez vous y changer et la porte au fond de la pièce vous mènera vers l’accueil, où un chauffeur vous accompagnera chez vous. En tout cas, ravi de vous avoir connue, nous vous recontacterons probablement par la suite. »

Avant d’avoir pu lui répondre, il avait déjà disparu par une autre porte. Seule dans la pièce, je me rendis compte que je n’avais pas la moindre idée du temps écoulé depuis l’arrivée du premier papillon. En enlevant la combinaison, je ne constatai aucune cicatrice, mes bras et mes jambes étaient intacts. Je retrouvai mon téléphone et constatai qu’une journée s’était écoulée depuis mon rendez-vous au parc. Je retrouvai, à la sortie, mon chauffeur. Après lui avoir indiqué mon adresse, il me reconduisit chez moi. Sur le chemin, les rues étaient calmes et je rentrai enfin chez moi.

Voilà, je crois que j’ai tout dit. Cela fait quelques heures que je suis rentrée et je me rends compte, après coup, que j’ai encore beaucoup de questions à poser. J’ai préféré ne pas prolonger l’entretien, sonnée par l’expérience et les explications du technicien. D'ailleurs, à part ce dernier et le chauffeur, je n’ai vu personne depuis que j’ai réintégré mon corps, il y a quelque chose de bizarre dans tout ça, j’ai toujours un peu l’impression de flotter. Je suppose que ce doit être la fatigue, il faut que je me repose et en plus j’ai faim.

Penché sur un sarcophage, Aymeric regarde l’écran de contrôle où l’on peut voir Alice refermer son ordinateur et se lever. Sous le panneau de contrôle, une fenêtre permet d’apercevoir le visage et le haut du corps de la jeune femme, elle semble endormie. Son teint habituellement mate est très pâle voire livide, sa poitrine se soulève à peine. Sur l’écran, on la voit, bien vivante, se démener dans sa cuisine. Le technicien vérifie une dernière fois les constantes, avant d’éteindre le moniteur et de réduire l’éclairage au minimum. La pièce où il se trouve n’est qu’un immense couloir rempli de sarcophages similaires, et seul le murmure d’une climatisation vient déranger le silence.

« Alors ? Que pensez-vous de nos dernières recrues ? Sommes-nous enfin proches nos objectifs ? lui demande une grande femme, dont la silhouette se découpait dans l’embrasure de la porte.

— Eh bien, écoutez, Commandante, je pense qu’on commence à en voir le bout. Nous avons des médecins, biologistes, géologues, techniciens, et j’en passe ; je pense que l’on couvre tous les domaines qui nous seront utiles. Tous vont poursuivre leur formation virtuellement en attendant leur réveil. Mais rares sont ceux qui participent en connaissance de cause, pour l’instant.

— Et pourtant, nous n’avons pas le choix et devons rester discrets. On ne peut pas sauver tout le monde. »

En s’approchant d’une immense baie vitrée, ils voient l’immense pas de tir, où la première des immenses fusées est prête à partir. Tout autour, la zone, autrefois verte, est désertique et complètement asséchée. En dehors des oasis constituées par les villes, le reste du monde se partage entre désert et inondations catastrophiques.

« Non, nous n’avons pas le choix ! » répète Aymeric.

Twitter : @ledroopy


Texte publié par Collectif PV, 5 octobre 2022 à 21h52
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