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volume 1, Chapitre 5 « Monde miroir (Chloé Permain) » volume 1, Chapitre 5

Monde Miroir

de Chloé Permain

Vous êtes dans un cadre tranquille, proche de la nature, au cœur d’une forêt, adossé à une vieille fontaine de pierres.

Soudain, un papillon volette jusqu’à vous et se pose dans le creux de votre main. Vous sentez qu’un de ses congénères se promène sur votre bras, un autre encore sur votre jambe… Vous ne mesurez pas votre chance. Du moins, c’est ce que vous vous dites jusqu’à ce que des picotements parcourent votre chair, là où se trouvent les papillons, qui sont désormais une dizaine à se partager votre corps. Et pour cause : ils se repaissent de votre sang et plus les secondes s’écoulent, plus l’engourdissement vous guette.

Vous clignez des yeux et réalisez votre erreur. Ce ne sont pas des papillons : derrière leurs ailes immenses se cachent en réalité des fées. Vous clignez des yeux une nouvelle fois et le rêve s’estompe, le cauchemar se dévêt de ses derniers linceuls d’illusion. Leurs ailes ne sont plus aussi colorées et aux motifs envoûtants. Ce sont de grandes piques qui pointent de leurs dos, longues et effilées comme des lances aux membranes déchiquetées. Ce sont de longues lames qui se forment, qui battent l’air frénétiquement en un bruit strident, comme des griffes qui raclent une vitre.

Un bruit à grincer des dents, à plisser des yeux à défaut de se boucher les oreilles, comme si cela pouvait arrêter la migraine. Une démangeaison de moustique.

La tête vous tourne, vous n’êtes plus sûr de ce que vous voyez. Sont-elles semblables à des fourmis carnivores ? Comme si vous étiez en état de réfléchir !

Et puis, quelle idée de s’être aventuré aussi loin dans la forêt ! Quelle idée d’être resté jusqu’au crépuscule ! Où le soleil s’en va déjà et où les ombres ne sont plus très sûres…

Les morsures s’arrêtent, deviennent démangeaisons, encore pires que la varicelle de votre enfance. Vous êtes-vous évanoui ? Impossible de le savoir.

On ne voit plus le soleil, caché derrière les arbres, mais il ne fait pas encore nuit non plus. Vous êtes flottant entre deux moments, entre deux phases, entre deux mondes… Vous avez rêvé peut-être ? D’ailleurs, vous avez encore sommeil…

Mais une main vous secoue.

— Êtes-vous inconscient ? Il ne faut pas rester là, voyons ! Réveillez-vous !

Vous vous forcez à ouvrir les yeux. Tiens, vous les aviez fermés ?

Cette voix… indéterminée. Vous pourriez associer son timbre à celle d’une femme comme d’un jeune homme, impossible à savoir. Et son visage androgyne ne vous aide pas non plus. Des cheveux auburn mi-longs, si épais qu’on ne discerne plus ses oreilles. Pas même leur bout. Des yeux en amande englobant des iris verts. Un sourire rassurant, mais une mine soucieuse. Rien en fer dans sa tenue.

— Elles vous ont pas raté, ces bestioles !

— C’était quoi ?

Votre langue est pâteuse, votre articulation difficile.

Votre sauveur – sauveuse ? – vous aide à vous relever.

— Des vampires. Vous n’en avez jamais vu ?

— Ça, des vampires ? Ils ne devraient pas être plus grands ?

— Ah, les humains ! Vous confondez avec Dracula. Pas celui de l’histoire, le vrai bien sûr. Vlad III, surnommé Drăculea, le fils du Dragon. Étrange d’ailleurs que votre espèce confonde les vampires et les dragons… Non, les vrais vampires sont assez petits en réalité. Vous connaissez les moustiques ?

— Quel est le rapport ?

— Voyez-vous, chez les moustiques, seule la femelle pique pour se nourrir de sang. Chez les vampires, c’est l’inverse !

— Et les femelles alors ?

— Elles se nourrissent de nectar et de pollen, comme les abeilles et les vrais papillons. Vous les appelez des fées, je crois.

Les choses commencent à prendre forme, un sens dans votre esprit.

— C’est à cause de leur taille qu’on prend les vampires pour des chauves-souris ? suggérez-vous.

— Tout à fait ! vous félicite Uriel.

Tiens, vous connaissez son nom, à présent. Quand vous l’a-t-il dit ? Vous avez oublié.

— N’avez-vous pas remarqué que dans vos légendes, les fées sont toutes des femmes et les vampires tous des hommes ?

— Il y a quand même une vampire dans nos romans, remarquez-vous.

— Certes… Mais peut-être n’était-elle pas née femme ?

Effectivement, vous n’y avez pas pensé.

D’ailleurs, penser vous est de plus en plus facile maintenant. Mais la brume persiste dans votre tête.

Mais vous parlez, vous parlez, que faites-vous ici ? Vous avez oublié pourquoi vous êtes venu dans la forêt, ce que vous faisiez avant l’attaque de ces mini-vampires – à moins que ce soit les vôtres qui soient gigantesques ?

— Il n’y a aucun risque que je me rapetisse et que je me transforme en vampire d’ailleurs ? vous inquiétez-vous.

— Non, seulement les démangeaisons habituelles comme pour les moustiques mais interdiction formelle de se gratter ! Ça pourrait laisser des cicatrices. Peut-être des hallucinations ou des rêves étranges, à la limite. Mais rien de très grave ou de permanent. Les symptômes devraient disparaître demain ou le surlendemain.

— Allons-nous voir des fées ? demandez-vous plein d’espoir.

— Elles sont couchées à cette heure, comme les fleurs se ferment, elles se couchent avec le soleil.

Pourtant, vous êtes sûr d’avoir vu des papillons – des fées avec des ailes de papillon, vous corrigez-vous. Ont-elles laissé leur place aux vampires au crépuscule ? Se sont-elles transformées en vampires plutôt ? Vous pensez à cette histoire avec des êtres adorables comme des peluches qui deviennent de vrais petits diables pour peu qu’on les nourrisse après minuit…

Et Uriel ? Va-t-il se transformer lorsque le soleil sera couché ? Et en quoi le pourrait-il ? En croque-mitaine ? En zombie ? En fantôme ?

Vous êtes à présent bien pressé de retourner à la maison, de sortir enfin de cette étrange forêt dont vous ne pouvez vous rappeler comment vous êtes entré ou pourquoi.

Vous y aurait-il conduit ? Y auriez-vous été attiré par un papillon aux couleurs hypnotiques qui vous aurait conduit auprès de son essaim pour vous y tendre un piège avec leurs ailes traîtresses et leur voix de sirène ?

Pourquoi le chemin dure-t-il si longtemps ? Était-il déjà si long à l’aller ? Où Uriel vous emmène-t-il ? Et vous, pourquoi le suivez-vous sans poser de questions ? Si docilement ?

— Dites, Uriel, comment en connaissez-vous autant sur les fées et les vampires ?

— Oh c’est très simple ! Je connais chaque être vivant de ces bois, des feux follets aux farfadets !

— Et vous ?

— Moi ? Vous voulez dire… ce que je suis ?

Et il sourit de toutes ses dents.

— Avouez que vous m’avez pris pour un elfe, n’est-ce pas ? Ces anges des forêts. Mais ce n’est pas tout à fait ça… Je suis plutôt une sorte de lutin. J’aime jouer des tours aux autres. J’aime perdre les gens en forêt jusqu’à ce qu’elle les engloutisse. Heureusement pour vous, les vampires vous ont pris tellement de sang que j’arrive toujours pas à connaître votre nom.

C’est vrai qu’ils ont pris beaucoup de sang… Maintenant qu’Uriel relâche son emprise sur vous, la tête vous tourne de nouveau. Vous fermez les yeux un instant.

Lorsque vous les ouvrez enfin, votre mère est penchée au-dessus de vous, la mine soucieuse.

— Enfin, trésor, a-t-on idée de faire la sieste en plein soleil ? Tu vas me choper une insolation !

Effectivement, la tête vous tourne et vous avez soif. Votre bouche est sèche, la langue pâteuse et ce goût de fer…

Vous avez envie de vérifier si vous n’avez pas des marques de dents sur les bras. Juste des petits points par-ci par-là, mais n’est-ce pas des grains de beauté ? Votre vision est encore trouble.

— Dépêchons-nous de rentrer, s’impatiente votre mère. Des Brownies t’attendent à la maison !

Twitter : @MondeAnalysia


Texte publié par Collectif PV, 5 octobre 2022 à 21h12
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