de Py Bea
TW : Chirurgie, laboratoire
« Un traitement révolutionnaire mis au point par les laboratoires Morph-O : devenez riche tout en contribuant au progrès de la science ! » disait une jeune femme tout sourire sur la vidéo TikTok, avant que le nom du laboratoire ne soit repris en un chœur mélusin scellant l’annonce sur le logo du groupe (Morph-ooooo).
L’annonce était assez sobre, pas très réussie au regard des derniers codes de la plateforme, qui valorisait les vidéos les plus clivantes, les plus trash, les plus outrancières. Et pourtant, Morph-O faisait un carton avec son nouveau test clinique. Des milliers de femmes se pressaient aux entretiens pour passer les tests de ce nouveau remède miracle.
Je devais réviser mon bac. C’était une chaude journée de juin. Je n’avais rien à faire, étendue sur l’étendue grise du carrelage. J’ai regardé encore une fois la vidéo, le sourire de la jeune femme aux ailes iridescentes, le logo gris-bleu, la fraicheur qui émanait de l’ensemble. J’ai googlé l’adresse du labo. Pas très loin de chez mes parents. J’ai envoyé un snap à ma mère pour lui dire que je partais réviser chez Mélodie et j’ai coupé ma loc.
— Vos honoraires s’élèveront à deux-mille-sept-cents euros net par session de trois heures, me glisse avec un sourire complice l’employée dans son fourreau de satin noir. Ici, même les simples employées ont un glow incroyable.
D’emblée, le chiffre cogne dans mon crâne jusqu’à m’étourdir. Deux-mille-sept pour trois heures de bronzette avec des papillons, c’est le rêve de ma génération : s’en mettre plein les fouilles sans rien glander, et narguer les darons qui n’ont jamais cru en nous jusqu’à leur donner un peu d’argent pour boucler leur fin de mois. J’imagine déjà la tête de ma mère quand elle va me voir débarquer de Paris Nord en mode fashionista. Le mot honoraire me fait sentir importante pour la première fois de ma vie, peut-être plus encore que le montant du pactole. J’ai l’impression d’accéder par ce simple mot au monde des médecins et des avocats, de ces gros riches qui écrasent tout sur leur passage. Je signe la clause de confidentialité d’un trait rapide, négligent, comme si j’étais habituée à signer des papiers importants à longueur de journée et qu’il ne s’agissait là que d’une broutille.
— Génial, me glisse Zora (l’employée, qui m’intime de l’appeler par son prénom avec un clin d’œil aguicheur), tu vas pouvoir commencer tout de suite ! Installe-toi dans le patio, mets-toi à l’aise et profite du moment. À partir de maintenant, tu commences l’expérience Morph-O.
Elle m’indique le chemin du patio, prend congé en souriant et disparaît avec la chemise cartonnée des contrats sous le bras.
La porte vitrée se referme derrière moi. Le patio est une petite cour carrée très mignonne, au centre de laquelle coule une petite fontaine andalouse. Les tons des murs sont chauds et parsemés de treilles de vigne, de glycines fleuries, les parterres resplendissent de renoncules et d’iris à la Van Gogh, le tout bercé par la douce lumière de juin, comme dans une scène de la Genèse. L’ensemble irradie une odeur lourde de notes florales et musquées, un patchouli un peu terreux, puissant. Je sens une agréable vague de chaleur monter depuis mes orteils jusqu’aux racines de mes cheveux. Je remarque à peine quelques papillons blancs qui volètent dans le fond de la cour, au-dessus des pivoines et des pois de senteur. Mon regard est plus attiré par un reflet argenté à droite, près des divans : des sorbets et jus de fruits bio m’attendent dans un minuscule frigo américain, qui ferait très bien dans ma chambre. Je prends une gourde de jus de grenade et m’affale sur le divan, mes nike air croisées sur les coussins, en une complète béatitude.
— Alors, comment se porte notre patiente 19-244 ?
— Bien. Elle s’est endormie avant le début de l’opération. Les constantes sont satisfaisantes et les tests tous positifs. Le taux de sucre dans le sang s’est stabilisé à un taux acceptable et les adipocytes en recrudescence dans toutes les zones ciblées de l’organisme.
— Parfait. Attendez qu’elle se réveille et passez en phase 2.
Avant de s’éteindre, la voix aux notes plus graves reprend, in petto.
— Zora, je sais que je n’ai rien à vous apprendre, mais insistez bien sur le modelage du haut des cuisses, ce cas sera une bonne épreuve pour la validité du traitement.
Je viens tout juste de me réveiller quand la porte vitrée coulisse, entrée spectrale de Zora qui vient à ma rencontre, son grand sourire aux lèvres. Alors qu’elle me félicite, je remarque que j’ai dû renverser quelques gouttes de grenade sur mon t-shirt en m’endormant, il est criblé de fines taches rouge vif. J’ai un peu honte parce que Zora, elle, est d’une élégance impeccable.
— Bien, commence-t-elle, vous avez parfaitement réagi à la première phase du test. Vous supportez très bien la liposuccion et ne faites aucun rejet allergique. Nous pouvons avancer sur de bonnes bases.
— Je… Mais... le traitement a déjà commencé ?
— Oui, ma chérie, pendant votre petite sieste.
— Les papillons… ?
— Ce sont ceux que vous voyez-là, au-dessus des hortensias. Copies parfaites de silènes ou Brintesia Circe, à l’exception de la couleur – il faut bien pouvoir les distinguer – et de l’appareil bucco- mandibulaire, génétiquement modifié pour pomper le plus délicatement possible les sucs graisseux là où ils se trouvent.
Ce mot me fait tressaillir, mandibulaire. D’autant que je viens juste de remarquer que la cour est percée de meurtrières derrière lesquelles passent des ombres. Moi qui m’étais crue en vacances au jardin d’Eden, je prends conscience que je suis au cœur d’un des laboratoires pharmaceutiques les plus puissants du monde. Et que je ne suis pas en vacances, malgré les apparences. Tout travail a ses contreparties, dit ma mère. Je ne me sens pas si mal, un peu vidée, c’est tout. Ce travail ou un autre, à tout prendre…
— Tu es prête pour une nouvelle session, ma chérie ? Mets-toi à l’aise, on va monter un peu la température du patio. Il faut que tu te mettes en sous-vêtements pour que les papillons puissent accéder à toutes les zones adipeuses de ton corps.
Je fais un signe de tête. Au moment où Zora referme derrière elle la porte vitrée, je remarque qu’elle a ajouté le tutoiement au ma chérie et je comprends que je ne pourrai que lui obéir, jusqu’au bout.
Alors les papillons sont revenus.
— Zora, j’ai un doute sur le bilan de la 19-244, pourriez-vous m’envoyer son auto-évaluation complétée ? L’employée répond au labo d’un slide vers la droite sur l’écran de son bracelet.
Zora me raccompagne vers la sortie, me tend l’enveloppe de cash convenue. Avant de me quitter, elle tient à me présenter mon nouveau corps sur les immenses miroirs du hall d’entrée. Je ne me reconnais pas. J’ai l’impression d’être une copie un peu pâle de Zora elle-même, avec sa silhouette élancée.
— Alors ? Satisfaite ? me jette-t-elle, plus affirmative que questionnante.
— Quand s’arrêteront les picotements ?
— Ce sera à vous de nous le dire. Comme je vous l’ai expliqué, le traitement est en phase d’expérimentation. Transmettez-nous toutes vos observations en temps réel et revenez nous voir dans un mois.
— D’accord, dis-je en serrant la liasse de billets dans l’enveloppe kraft.
Elle semble soudain pressée de se débarrasser de moi. Elle est repassée au vous et ma chérie a disparu. Elle me pousse littéralement vers la porte-tambour avec une moue qu’elle peine à retenir.
— J’ai une dernière question. Pourquoi des papillons ? Pourquoi cette mise en scène ?
— Les papillons symbolisent la légèreté et l’engagement de Morph-O est de rendre les femmes plus sveltes. Mais le bistouri et les aspirateurs les ont trop longtemps effrayées. C’est pourquoi nous avons choisi le papillon, pour rendre la minceur plus précise, plus accessible et plus humaine.
Ce dernier mot, la porte-tambour l’avait avalé et recraché à mes pieds. Zora avait disparu.
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