Aujourd'hui ne fait pas exception à chaque jour que Aion fait : Sanctum est en ébullition en ce début de soirée. La basse-ville et les docks se vident progressivement, les axes principaux de la cité sont bondés et les ascenseurs volants faisant la navette jusqu'à la haute-ville sont plein à craquer. Ici, au pied de la plus haute tour d'argent dont le sommet scintille autant qu'une étoile, reflétant les rayons du soleil en produisant un halo qui éclaire tel un phare au milieu de cet océan de nuages, les restaurants, tavernes et auberges commencent à se remplir. Très rapidement, la douce cacophonie d'une ville vivante le soir prend possession de ces quelques quartiers où rires, boissons et denrées aussi succulentes que colorées sont les seules préoccupations des daevas et humains après une rude journée.
Pour un élyséen, rien de plus habituel et normal que le soir ne se manifeste pas avec une luminosité céleste déclinante après que de magnifiques couleurs chaudes aient explosé à l'horizon...
La Tour.
Ce sont les ruines de la Tour de l'Éternité, dont le fragment reste une gigantesque formation cristalline haute de plusieurs centaines de mètres si ce n'est plus, qui permet de donner l'heure avec l'orientation de l'ombre qu'elle produit sur les terres verdoyantes et prospères d'Elysea.
Alors ce n'est pas le soleil qui se couche mais l'ombre rassurante et imposante de la Tour plongeant le Sanctum dans une douce et partielle obscurité qui marque le début de la "nuit".
C'est d'ailleurs à la contemplation de ce phénomène que Hiraeon s'abandonne, lui qui n'avait jusqu'ici pas pris le temps d'explorer et admirer autre chose ici que l'une des nombreuses tavernes.
— Hé, le pécore, vient donc trinquer avec nous au lieu de rêvasser !
Un petit sourire fleurit sur le visage du jeune homme qui détourne les yeux des vestiges de la puissance passée de leur dieu pour les poser sur la personne qui l'interrompt.
Un homme qu'il dépasse d'au moins deux têtes et à la silhouette bien plus svelte, des cheveux d'un blanc pur malgré son jeune âge physique - dans la quinzaine d'années - coiffés en un catogan qui les tire tous en arrière, les yeux bruns et un air malicieux qu'il arbore en toute situation.
— Tu me tapes sur le système Harahel... C'est le point commun des mioches tu me diras, tous insupportables... répond Hiraeon avec un petit sourire taquin, avant de le rejoindre à l'intérieur.
Son interlocuteur gonfle les joues en fixant droit dans les yeux son compagnon de beuverie pendant une seconde avec une expression sérieuse et pensive, signe qu'il cherche comment répliquer à cette moquerie qui le touche dans son égo.
Il se ravise cependant lorsque son regard dévie du daeva pour se poser sur une délicieuse créature qui entre dans la pièce.
Hiraeon connaît cette expression, cette lueur qui montre comme son instinct de "chasseur" - comme aiment bien le dire leurs compagnons autour de la table - s'éveille. Il a certes le physique d'un adolescent - au point de l'en complexer, il aime dire qu'il le compense avec son esprit vif et son sens de l'humour : tout autant de qualités très appréciées par la gente féminine dans cette partie de la ville.
Ici, ce n'est pas un établissement de bouseux comme il s'en trouve en province, où la clientèle est composée d'humains. Dans cette taverne tenue par le très célèbre et apprécié Aktus, les seuls humains sont les serveurs et serveuses qui s'affairent à satisfaire les moindres besoins des daevas.
Le standing saute aux yeux à la vue des tenues de ces honorables personnes dont les tissus colorés et tape à l'œil sont parmi les plus coûteux de la ville et à la dernière tendance.
Hiraeon jette un coup d'œil par-dessus son épaule afin de voir sur qui son ami va jeter son dévolu ce soir et découvre une femme qui impose par sa prestance et son charme naturel. Une posture parfaitement droite, des cheveux d'un blond éclatant, des yeux bleus aussi clairs que l'eau des sources sacrées d'Anathe, des traits fins angéliques, des boucles d'oreilles étant de fins anneaux en argent desquels pendent de petites chaînettes, une mouche - certainement tracée à l'aide d'un crayon - sur la joue droite, une longue robe rouge en satin agrémentée de volants faits d'un tissu partiellement transparent.
De nombreux hommes se tournent vers elle, ayant un sourire carnassier aux lèvres ou des yeux ronds posés sur ses formes mises en valeur par le vêtement.
— Bon, le devoir m'appelle, prononce finalement Harahel qui ne perd pas la nouvelle arrivante du regard, avant de se lever d'un bond pour aller tenter sa chance.
Hiraeon soupire, quelque peu désespéré par ce besoin maladif qu'a son compagnon de séduire. Pire encore, plus sa cible est convoitée par l'assistance, plus il est déterminé à remporter la course, afin de flatter son égo qui se trouverait plus que gonflé d'avoir une fois de plus la preuve qu'un "gamin" est plus séduisant que des hommes d'un âge physique plus avancé et gâtés d'une carrure plus athlétique et imposante.
— Je n'en peux plus de lui, regardez-le ! s'exclame l'une des personnes autour de la table.
— Comment diable fait-il pour avoir autant de succès, les femmes n'ont-elle pas l'impression de passer la nuit avec un enfant..? s'indigne un autre.
— Il est certainement plein de ressources, si vous voyez ce que je veux dire...
L'ancien garçon de ferme lève les yeux au ciel avant de se saisir de son verre.
Pensif, il fixe le fond de son verre remplit d'un liquide ambré.
Dans quelques jours, le confort de cette ville resplendissante habitée par ces gens raffinés sera loin derrière lui.
En effet, après des semaines d'entraînement, il a obtenu son premier ordre de mission et ce n'est pas peu fier qu'il souhaitait l'annoncer à son acolyte mais... Trop tard.
Cela importe peu, en y songeant.
Il est impatient de passer pour la première fois le portail abyssal de la citadelle de Verteron qui l'emmènera à la forteresse de Teminon, quartier général des forces armées d'Elysea dans les Abysses.
Cet endroit est plein de mystères mais aussi et surtout le lieu où les combats sont les plus violents. Les Abysses sont une partie d'Atréia, cet espace entre ses deux moitiés où les éclats de la Tour de l'Eternité on créé un champ éthérique qui stabilise ces centaines sinon milliers de géants cailloux qui gravitent là, suspendus dans l'espace comme dans le temps, perdus entre Elysea et Asmodae.
Dans cet endroit étrange, les daeva peuvent voler où bon leur semble, contrairement à Elysea où les zones assez chargées en éther restent rares.
Pourtant, ce ne sont pas toutes ces choses qui rendent le daeva si pressé de s'y rendre.
Dans les Abysses, l'ennemi antique de l'humanité rôde : les Balaurs se battent avec autant d'acharnement que les Elyséens et les Asmodiens pour prendre possession des points stratégiques de cet endroit où de nombreuses forteresses se sont construites au fil des générations.
Il est tiré de sa rêverie par le rire de ses compagnons à sa table, le poussant à parcourir l'assistance des yeux pour comprendre ce qui peut bien les amuser à ce point, sans succès. Son attention se porte alors sur le groupe de gens attablés juste à côté.
— Oh, ne m'en parlez pas... J'avais une importante livraison de tabac qui devait arriver d'Eltnen mais le convoi a été attaqué par un raid Asmodien. Rendez-vous compte, deux tonnes qui ont disparu !
— Ces bêtes sauvages sont un véritable fléau, quel indignité que Aion ne les ait pas achevés dans la pauvreté de leur monde mourant et obscur. Nos Seigneurs sont bien trop laxistes et fainéants pour lancer une attaque d'envergure afin d'en finir une bonne fois pour toutes avec ces créatures démoniaques.
— Je te le confirme, ils ont vraiment l'apparence de démons, je les trouve répugnants. Leur peau bleue ou violette, ces griffes qu'ils ont aux mains et aux pieds, cette crinière... Par Aion qu'ils sont hideux...
— Et malodorants !
Hilarité générale à la table.
Irrité par les mots irrespectueux qu'on ces hommes envers les Seigneurs Séraphims qui veillent sur Elysea et ce peuple composé de ceux qui furent jadis leurs frères et leurs soeurs, Hiraeon décide de se lever après avoir englouti d'un trait le contenu de son verre. Il sort de l'établissement et se décide à rejoindre ses appartements afin d'être prêt à partir le lendemain.
Une fois sorti, il fait quelques pas jusqu'au trottoir puis lève les yeux au ciel pour fixer pendant un instant Asmodae que l'on peut voir quand le temps est aussi clair que ce soir.
Sont-ils maudits ? Ont-ils vraiment perdu la grâce du dieu créateur ? Comment parviennent-ils à subsister dans cette moitié sombre d'Atréia ?
Il soupire en se rappelant que, maintenant, ces gens sont ses ennemis et qu'il ne doit pas se soucier de toutes ces choses à leur égard. Tout ce qui doit l'inquiéter c'est combien de ces créatures il va passer au fil de sa guisarme quand il sera là-haut.
Est-ce désolant ? Certainement.
Soudain, il sent que quelque chose lui rentre dedans mais la différence de taille et de masse ne fait pratiquement pas bouger le jeune homme qui baisse naturellement les yeux pour voir ce qui a bien pu le bousculer.
— Oh, pardon, je suis vraiment désolée !
La jeune femme qui vient de le heurter surprend le soldat par son apparence. A mesure qu'il la détaille, il remarque quelques détails intrigants : ses oreilles sont légèrement pointues à leur extrémité, sa peau d'un teint basané, ses cheveux sont d'un noir profond et ses yeux... Deux billes d'un vert émeraude se lèvent vers lui pour le fixer droit dans les yeux et Hiraeon se sent soudainement happé, subjugué par la magnifique couleur qui brille dans ce regard qui lui fait face, au point que tous les mots qu'elle prononce en se confondant en excuses ne deviennent plus que des sons lointains et diffus.
Les yeux de la jeune femme s'arrondissent lorsqu'elle remarque que les yeux gris de la personne qu'elle vient d'agresser sont posés sur elle et qu'il la fixe intensément. Déstabilisée par ce regard perçant, intimidée par la carrure de l'homme et comprenant qu'aucun de ses mots ne semble le faire réagir, elle se tait soudainement et commence à rougir.
Elle baisse la tête, honteuse et ne sachant pas quoi faire sinon hésiter entre prendre ses jambes à son cou et offrir un verre à cet inconnu, puisque dans ce quartier il n'y a que ça qui compte, la boisson. Alors elle reste plantée là, s'attendant à se faire incendier pour son étourderie par un autre de ces hommes de la haute qu'elle abhorre.
— Il n'y a aucun mal, répond Hiraeon.
La jeune femme relève les yeux, les joues toujours rosées.
Un frisson la parcourt à l'entente du timbre grave mais doux de la voix qui s'adresse à elle.
L'amabilité de son interlocuteur fait disparaître la culpabilité due à l'incident et, sans pouvoir se l'expliquer, elle se surprend à se sentir aimantée au regard du jeune homme qui, elle le remarque à présent, dénote au milieu de tous ces gens. Certes, il y a sa taille et sa musculature, tout comme ses vêtements de moins bonne facture et de moins bonne qualité que la plupart des clients de cette taverne, mais il y a quelque chose chez lui qui l'interpelle au-delà de l'apparence.
Elle ne saurait l'expliquer mais il dégage quelque chose de particulier. Une prestance, un charisme, son aura semble occuper l'espace. Une force de la nature dont la puissance se ressent dans l'éther.
— Vous allez bien, vous ne vous êtes pas fait mal..? demande gentiment Hiraeon qui s'inquiète en voyant que la demoiselle semble figée sur place.
Ces quelques mots réveillent la jeune femme de sa contemplation à la discrétion douteuse et rougit maintenant à profusion en comprenant qu'elle le fixait.
— Oh, euh... Oui, ça va, merci, je... Je suis vraiment désolée, je... Je lisais mon livre et comme d'habitude je ne fais pas attention devant moi quand je marche, quelle gourde... prononce-t-elle précipitamment en regardant ses pieds.
— Haha... Il n'y a aucun mal, vraiment.
La gentillesse du jeune homme sublime irrémédiablement son charme naturel mais elle n'ose pas pour autant croiser de nouveau son regard.
— Vous êtes sûr ? Parce que...
Hiraeon remarque quelque chose par terre, une sorte de carte faite d'un papier épais de qualité sur laquelle une écriture fine et raffinée est présente. Il se baisse alors et la ramasse. Une fois redressé il la retourne et comprend que c'est un dessin réalisé au crayon qui représente un paysage magnifique.
— Est-ce que c'est à vous..? demande-t-il en la tendant à son interlocutrice.
— Oh, bordel de...
Elle se coupe en mettant sa main devant sa bouche, consciente que ce n'est pas une façon de parler, pour une dame, ici.
Hiraeon rit de bon cœur, loin d'être offusqué par ce langage.
— Êtes-vous une étudiante du Lyceum ? demande-t-il en tendant ladite carte.
— Non, je... Merci, prononce la jeune femme en récupérant son bien.
— ...Vous ?
— Mh ?
Son regard luit de la confusion dans laquelle elle est plongée, ayant perdu le fil de la conversation lorsqu'elle l'a remercié de lui rendre ce qui lui sert de marque-page avant de croiser une nouvelle fois son regard.
Le daeva incline légèrement la tête sur le côté, un fin sourire amusé aux lèvres, imaginant qu'elle doit être un peu secouée par le choc.
— Vous...
— Hira !
Un adolescent aux cheveux blancs arrive à leur hauteur.
— Tu t'en va déjà ? Pourtant tu m'avais dit que...
Harahel remarque que son ami est en charmante compagnie. Il lui lance un regard suspicieux, non sans un petit sourire plein de malice aux lèvres, avant de se tourner vers la jeune femme.
— Oh pardon, mes manières déclinent on dirait bien... Hira, tu fais les présentations ?
Le grand gaillard se retrouve embêté, le regard oscillant entre son compagnon de sortie nocturne et la jeune femme qu'il vient de rencontrer, ne se rappelant pas lui avoir demandé son nom.
— Astrid, enchantée.
Hiraeon lance un regard reconnaissant à la jeune femme et elle lui retourne un air complice.
— Harahel, de même.
— Bien, je vais devoir m'éclipser, reprend Hiraeon.
— Qu'est-ce que tu nous chante ?
Le daeva se retrouve embêté, le moment n'est pas vraiment idéal pour parler de sa mobilisation et il ne veut pas s'étaler sur sa vie devant une quasi-inconnue.
— On se voit plus tard. Astrid, un plaisir de vous avoir rencontrée.
Le soldat incline la tête en signe de salut puis tourne les talons.
Astrid le regarde s'éloigner dans un mélange d'émotions. Déçue qu'il ne se soit pas officiellement présenté, pas certaine que "Hira" soit son nom, elle reste indéniablement chamboulée par cette rencontre. Son aura, sa présence imposante, son charme, la couleur de ses yeux et... Et cette étrange noirceur, discrète et latente, qui sommeille en lui malgré sa politesse et sa bienveillance qui ne lui ont pas paru être de simples coïncidences.
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