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tome 1, Prologue « Le jour où tout a commencé » tome 1, Prologue

Une bourrasque souffle soudainement pour rafraîchir cette journée chaude et ensoleillée, faisant virevolter feuilles et pétales, agitant les branches et rameaux des arbres dans un bruissement apaisant et emportant avec elle le parfum enivrant des fleurs sauvages. Là, au pied d'un chêne centenaire au tronc imposant et dont les racines s'abreuvent directement dans le lac de Cliona, un jeune homme est assis à contempler ce spectacle qui, même pour lui qui a la chance de pouvoir en profiter chaque jour que Aion fait, ne pourra jamais se lasser de la beauté de cette nature, riche en odeurs et couleurs, qui prospère en ce lieu idyllique qui, il en est certain, doit être l'endroit qui s'approche le plus du paradis à Elysea.

Il lève ses yeux gris au ciel et fixe cette masse imposante et menaçante qui s'étend là, à des centaines sinon des milliers de kilomètres au dessus de sa tête : une demi-sphère aux contours irréguliers, un amas de roche sombre et inhospitalière depuis lequel des nuages violets aux allures surnaturelles se dégagent...

Asmodae, l'autre moitié de ce monde brisé.

Pour l'esprit naïf et inexpérimenté de ce garçon de ferme, il est impensable d'imaginer qu'une guerre ait pu causer la destruction de la Tour de l'Éternité. Cette construction ressemblant à une immense colonne traversant la planète de pôle en pôle qui jadis était un joyau - outil du dieu créateur Aion pour pourvoir les espèces peuplant ce monde de tout ce dont elles avaient besoin - n'est plus aujourd'hui qu'une ruine. S'il ne peut pas voir la partie qui trône encore à Elysea - dissimulée par l'horizon derrière des montagnes, celle qui demeure encore à Asmodae est là, pointant vers lui, brisée et privé de son éclat d'autrefois.

— Fils, ta pause est terminée ! Viens m'aider avec ces sacs de grain ! s'exclame un homme d'âge mûr à quelques dizaines de mètres de là.

Le rêveur se lève alors, s'étire longuement en gémissant puis s'avance dans la lumière du soleil. Se découvre une force de la nature : une taille et une carrure imposantes, des cheveux bruns et les traits de son visage permettent de lui donner à peu près vingt-cinq ans.

Pendant qu'il marche vers son paternel pour lui prêter assistance, puisque ce dernier n'a plus la force qu'il avait autrefois, le jeune homme pense encore à Asmodae et se questionne sur ses habitants qui, depuis le cataclysme, sont condamnés à vivre dans l'obscurité, dans une moitié qui n'est jamais baignée dans la lumière d'Aion. Son père lui a raconté que ces années dans l'obscurité les ont transformés : des griffes ornent maintenant leurs mains et leurs pieds, leur peau est maintenant colorée d'un violet pâle à un bleu pastel, une crinière court tout le long de leur colonne vertébrale et leurs yeux rougeoient de haine telles des flammes.

Pourquoi Aion aurait-il abandonné la moitié de ses enfants ?

Une question malheureusement sans réponse et sa réflexion basée sur quelques livres et les maigres récits de son père ne peut de toute façon pas être très productive.

Il arrive près de ce dernier, qui a bien du mal à soulever ne serait-ce qu'un seul sac.

— Laissez, je m'en occupe... déclare le jeune homme qui prend des mains le sac en toile de jute, qui doit bien peser une vingtaine de kilos, comme un rien.

— Merci mon garçon, je vais reposer mes vieux os. Tâche de tout charger sur la charrette rapidement, j'aimerai faire un voyage jusqu'à Akarios avant le souper.

— Oui père.

Sur ces mots, le brun s'attèle à charger trois par trois les sacs de grain issus de leur dernière récolte. Leurs céréales sont très prisées dans tout Elysea pour confectionner l'un des meilleurs pain qui soit. Ceci pose d'ailleurs une autre question au garçon de ferme : comment font les Asmodiens pour se nourrir ? Ici, à Poeta, le climat s'apparente à un été éternel alors ils peuvent produire beaucoup de grain, toute l'année. En partant de ce simple constat et avec ce qu'il sait de ces gens, il ne peut qu'imaginer un peuple misérable qui se transforme lentement mais sûrement en troupeau d'animaux sauvages. Peut-être sont-ils déjà des bêtes assoiffées de sang...

Soudain, après quelques minutes seulement, un cri de douleur résonne, provenant de la maison qui se situe non loin de là. Le jeune homme lâche immédiatement ce qu'il a en main et se précipite vers l'intérieur.

— Père ?!

Il le découvre allongé au sol, sur le dos, se tenant une hanche, le visage crispé par la douleur. Le fils se précipite vers son père, passe l'un de ses bras autour de ses puissantes épaules et l'aide à se lever avant de l'emmener vers sa couche.

— Bordel de... Ces guibolles ne peuvent plus soutenir ma vieille couenne...

Cette plainte arrache un sourire au jeune homme.

— Reposez-vous père, vous en faites trop tous les jours avec votre santé fragile, laissez-moi apporter ce grain à Akarios, ce n'est qu'à quelques kilomètres d'ici je ne crains rien, je serai prudent.

— Non ! Je refuse ! s'écrie soudainement l'homme aux cheveux blancs.

Son fils fronce.

— Vous n'avez jamais voulu que je sorte des alentours du lac mais vous savez très bien que dans cet état personne d'autre ne pourrait emmener le grain à bon port...

— C'est trop risqué pour toi...

Le brun soupire, frustré par ce discours qu'il n'a entendu que trop souvent.

— Je vais bien, je n'ai certes toujours pas retrouvé mes souvenirs avant ces deux dernières années mais je n'ai plus de migraines ni de vertiges, assure le jeune homme qui est bien décidé à tenir tête à son paternel pour une fois.

— Ce n'est pas la seule raison de mon inquiétude, ils vont te...

Un silence d'un poignée de seconde s'empare des lieux.

— Écoute... J'ai besoin de toi ici, je ne voudrai pas que l'on m'arrache mon fils pour le sacrifier dans une guerre inutile.

Encore un soupire.

— Reposez-vous, je vais finir de charger. J'enverrai une lettre à Grinerk pour lui dire que nous aurons un ou deux jours de retard.

Le père acquiesce, soulagé que son fils ait tu ses envies d'aventures.

Le jeune homme se redresse et se dirige vers la sortie de la maison, dépité mais résigné. Deux longues années que son père lui interdit de sortir des alentours de la ferme, sous prétexte que son grave accident et sa perte de mémoire pourraient lui causer préjudice aussi tôt après le drame. Pourtant il le sent et le sait, son corps s'en est pleinement remis et, de toute façon, qui voudrait s'en prendre à lui ? Tout le monde se connaît et s'apprécie à Poeta qui est un lieu paisible où la seule animation est le festival donné en l'honneur des Seigneurs Séraphims - les seigneurs Empyréens qui règnent sur Elysea, tous les ans. Enfin... Il y a bien le problème des kobolds dukakis à l'extrême Est de l'île qui causent un peu de trouble dans les mines mais rien qui n'échappe au contrôle des forces de l'ordre.

— Hiraeon... appelle le vieil homme.

— Oui père ?

— Je sais qu'un jour ou l'autre je ne pourrai plus te retenir mais sache que, là dehors, il ne faut jamais faire confiance aux daeva, encore moins aux Seigneurs. Ils sont tous corrompus et ont oublié depuis longtemps leur devoir sacré au profit d'une vie de luxure dans leurs tours d'argent.

Hiraeon ne sait pas quoi répondre au discours de son père, surtout à cause de la surprise qu'il révèle certaines raisons de son refus que son fils ne sorte de la ferme. Il acquiesce donc simplement et sort finalement de la bâtisse en refermant la porte, pensif.

Le jeune homme fixe la charrette, son chargement de céréales, l'harnachement... Puis son regard dévie vers les brax apprivoisés qui broutent l'herbe quelques mètres plus loin. Oui, il a envie de défier l'autorité de son père, de ne pas écouter ses mises en garde mais aussi et surtout de lui prouver que ses craintes ne sont pas fondées. Il a envie de partir pour le village d'Akarios afin d'y livrer le grain, voir un peu plus de monde que les rares promeneurs et autres agriculteurs qui passent au loin quelques fois.

Elysea, Asmodae, les Seigneurs, toutes ces régions à explorer, la guerre qui y fait rage... Pour son jeune esprit avide d'aventures l'appel est trop fort avec autant de promesses. Certes, pour un humain comme lui il serait très risqué d'aller explorer ce monde à portée de main, mais il se sent assez fort pour s'engager dans l'armée d'Elysea afin de se rendre utile.

Il soupire à nouveau et revoit à la baisse ses ambitions en posant de nouveau les yeux sur son environnement qui lui promet certes une existence prospère et paisible mais qui le condamne aussi à une vie ennuyante et calme. Finalement, rien qu'avoir la possibilité d'aller au Sanctum pour contempler la capitale d'Elysea, cette ville flottante aux tours d'argent, brillante de mille feux, un endroit vivant et exaltant régit par les daeva, le sanctuaire des seigneurs Séraphims, serait une bien belle journée à vivre.

Hiraeon serre ses points et son expression devient déterminée. Il jette un coup d'œil par dessus son épaule en direction de la porte d'entrée de sa maison puis revient à la charrette qui attend là, prête à l'emmener vers une expérience qui, il l'espère, sera certes brève mais rafraîchissante.

Il balaie ses doutes, faisant disparaître l'écho des interdictions de son père qui résonnent dans son crâne avant de s'avancer vers l'un des brax auquel il passe une bride et l'emmène jusqu'au véhicule chargé de grain. Harnachement fait, une vérification des roues et du chargement plus tard et après s'être assuré que son père dort, le jeune homme donne un premier coup de rênes et s'élance vers Akarios.

*****

Akarios est un village animé en cette fin de journée. Puisque la plupart des agriculteurs du coin viennent remettre leurs récoltes, il y a bon nombre de charrettes et de gens qui discutent sur la grand place, juste devant le bâtiment religieux où les prêtres préparent une messe. Forcément les marchands en ont profité pour installer leurs étals afin de vendre des produits locaux mais aussi et surtout certains produits normalement introuvables ici, à Poeta. Des outils, des armes, des vêtements, des denrées qui viennent d'autres régions d'Elysea... Autant de choses qui attirent le regard curieux d'un jeune homme qui découvre tout ceci pour la première fois.

Un peu plus loin, là où les agriculteurs sont massés en attendant que leur chargement soit pesé afin de recevoir un pécule en conséquence, un shugo — boule de poils bipède mesurant environ un mètre avec un regard acéré et malicieux — s'occupe de la comptabilité. Hiraeon se sent un peu intimidé par cette créature qui n'a rien de menaçante ni impressionnante mais pour le peu que son père lui en a dit les shugo sont les meilleurs commerçants d'Atréia, de redoutables négociateurs qui ne jurent que par des kinahs sonnants et trébuchants.

Après une vingtaine de minutes d'attente, le shugo Grinerk s'approche du chargement de Hiraeon et, d'un simple signe de la main, envoie ses sous-fifres s'occuper de la cargaison.

— Salutations, nyark ! lance Grinerk dont le regard vif dévisage sont interlocuteur qui ne fait pas loin du double de sa taille et de sa largeur.

— Arieluma, répond le brun.

— Nyark, nyark... Où est le vieil homme, nyark ?

Hiraeon ne supporte déjà plus le timbre insupportable de la voix de cet écureuil doué de parole et ses « Nyark » n'aident pas. Après coup il se demande comment le shugo peut lui poser cette question... A-t-il reconnu la charrette, le brax ou bien un éventuel signe distinctif qui figurerait sur leurs sacs de grain ? Mh, il est vrai qu'il ne se souvient de rien qui a précédé son accident et puisqu'il vit ici depuis toujours, il est évident que tout le monde doit le reconnaître alors que, lui, ne voit que des inconnus ici.

— Il n'a pas pu se déplacer aujourd'hui, répond Hiraeon.

— Nyark, nyark... prononce le shugo.

Les minutes passent pendant que les boules de poils comptent les sacs, en pèsent certains puis, finalement, l'un d'eux revient avec une bourse bien remplie.

— Voici pour vous, nyark ! Bon retour chez vous nyark, nyark...

— Au revoir...

Le brun fuit ce shugo près de qui il ressent un malaise pesant et, lorsqu'il se retourne, un son strident se fait entendre venant d'une plate-forme à l'autre bout de la grand place. Une sorte de disque bleu lumineux se dessine dans l'air et, l'instant suivant, des gens en sortent uns à uns. Rapidement, une trentaine de soldats en armes se regroupent devant Kalio, le responsable de Poeta. Curieux, Hiraeon laisse en plan sa charrette vide et s'approche en se frayant un chemin dans la foule où les messes basses laissent entendre une inquiétude quant à ce spectacle qui n'est jamais anodin.

Grâce à sa taille et sa carrure, le jeune homme n'a aucun mal à voir ce qu'il se passe par-delà la foule ni à se frayer un chemin parmi cette dernière.

— Apparemment un groupe de dukakis est sorti de son trou et fout le bordel aux abords de la forêt de Daminu, dit un homme d'un certain âge dans la foule.

— Trente hommes d'armes de l'armée régulière, ce doit être plus grave que ça si Kalio a eu besoin de renforts... répond son interlocuteur qui porte un panier rempli de méla — fruit rouge de la taille d'un poing poussant dans des arbustes, lequel est aussi délicieux en y plantant ses dents qu'en confiture ou tarte.

Plusieurs hommes d'armes viennent contenir la foule pour éviter tout débordement ou mouvement de panique alors que les autres quittent déjà la grand place pour aller à l'encontre des kobolds qui sèment la destruction.

Hiraeon pense à son père qui doit être en train de dormir, ignorant complètement qu'une invasion dukaki menace Poeta. Soudainement paniqué même si rien n'annonce encore que ce côté de l'île ne puisse être menacé, n'ayant de toute façon aucune idée de l'envergure du danger et se fiant uniquement à la gravité sous-entendue par l'arrivée de renforts, le jeune homme bouscule quelques personnes et se précipite en direction de sa ferme mais plusieurs gardes font barrage.

— Laissez-moi passer ! s'écrie le brun à pleins poumons.

— Restez ici jeune homme, c'est trop dangereux en dehors de l'enceinte, ordonne le soldat qui garde l'entrée du village et, de ce fait, faisant barrière entre Hiraeon et son père vulnérable.

— Mon père est là-bas ! se débat le jeune homme mais, malgré sa carrure et sa force, les soldats tiennent bons grâce au poids de leur armure.

Soudain, une détonation résonne et fait trembler la terre. Toute l'assistance lève les yeux et découvre des colonnes de fumée, trahissant des incendies qui doivent ravager la campagne. Pire, des sons caractéristiques parviennent jusqu'aux oreilles des habitants qui comprennent rapidement que les combats sont beaucoup plus proches qu'ils ne le devraient.

La foule se met à paniquer, des cris de terreur commencent à se faire entendre, certains essayent de se défaire des gardes et c'est l'opportunité rêvée pour Hiraeon. Les soldats du Sanctum étant débordés et ne pouvant prêter attention à tous ceux qui essayent de se soustraire au périmètre de sécurité, il parvient à s'échapper.

Courant aussi vite qu'il le peut, l'estomac serré par l'appréhension, le jeune homme se retrouve rapidement face au combat de quatre soldats contre plusieurs dizaines de dukakis en furie mais rien ne peut le dévier de sa route et il continue, aussi vite que son corps le lui permet, de filer sur cette route de campagne. A chaque mètre qui le rapproche de sa maison, à chaque découverte morbide au détour d'un muret ou d'une haie, son cœur palpite de plus en plus. Des cadavres mutilés, des flammes dévorants cultures et habitations et flèches recouvrant certaines façades montrent au brun que les chances de retrouver son père en vie sont minces.

Un dernier virage, une dernière ferme à dépasser, un dernier arbre à contourner, une dernière haie à traverser...

Le feu, partout. La désolation, à perte de vue. La mort, à ses pieds. Le sang, dégoulinant sur la porte d'entrée fracassée. Figé par ce tableau irréel, il est paralysé de peur par l'image qui se livre à ses yeux déjà remplis de larmes, impuissant face à toute la violence qui a été déployée ici. Il finit par s'approcher, lentement, n'osant pas entrer dans l'habitation de peur de découvrir ce qu'il redoute le plus.

Un dernier mètre, un dernier pas, la porte entrouverte à pousser...

Un soldat est étendu là, le plastron enfoncé en plein torse d'où se déverse son sang qui a déjà formé une impressionnante marre. Pourtant, cette vision et cette odeur de mort lui semblent familières, trop familières. Il tourne la tête vers cette couche dans laquelle il avait déposé son père suite à sa chute et il découvre un tissu imbibé de sang mais pas de corps. Hiraeon se presse pour regarder dans chaque pièce mais il n'y trouve personne.

Frustré et impuissant, il sent la colère monter rapidement en lui comme si le feu consumait tout à coup ses entrailles.

C'est comme s'il perdait tout à coup le contrôle de son corps, comme s'il devenait spectateur de ses propres mouvements. Sa vision se brouille peu à peu alors que son ouïe perçoit une respiration bestiale et haletante : sa propre respiration. Le jeune humain se voit retourner dans l'entrée et ramasser l'arme du soldat décédé, plongeant sans hésiter ses doigt dans le sang encore chaud qui souille le sol de son habitation.

Lorsqu'il se redresse, pendant le court instant avant qu'il ne perde connaissance, il ne ressent que colère, haine et soif de sang...


Texte publié par PikaNC, 3 octobre 2022 à 14h45
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