Quand Lester se réveilla, les rayons du soleil commençaient à poindre à travers les barreaux de sa fenêtre. Il devait être encore très tôt, mais un gardien se tenait déjà devant sa cellule. Il se leva et se dirigea vers lui. Il ne l’avait jamais vu, mais son petit doigt lui disait que cela avait un rapport avec son entrevue avec le directeur. Il lui annonça sans surprise que ce dernier voulait le voir immédiatement. Il se laissa passer les menottes, comme à chaque fois qu’il sortait pour se rendre dans un autre endroit de la prison et demanda au gardien pour quelles raisons il voulait le voir. Mais celui-ci garda le silence. Il l’escorta jusqu’au lieu du rendez-vous, frappa à la porte, le fit entrer, puis alla se placer près de cette dernière. Le directeur le pria alors de s’asseoir en face de lui.
— Si je vous ai convoqué, commença le directeur, c’est pour vous remercier. Grâce à votre intervention, un gardien a eu la vie sauve cette nuit. Vos informations se sont avérées utiles dans cette affaire. Au nom du personnel, je souhaite vous faire part de nos remerciements les plus sincères. Et pour vous montrer notre reconnaissance, vous pourrez, quand vous le déciderez, avoir droit à une faveur, que ce soit d’ordre alimentaire, matériel ou autre. À condition, bien sûr, que cela ne mette pas la prison ou ceux qui s’y trouvent en danger.
— Cela va de soi, lui répondit le prisonnier. Je vous remercie pour cet honneur. Je saurais en faire bon usage le moment voulu, continua-t-il avec un petit sourire.
— Vous m’en voyez ravi. Le gardien va vous reconduire dans votre cellule. Officiellement, vous avez été convoqué pour une réprimande. Effacez donc ce sourire, vous risqueriez de griller votre couverture. Vous pouvez disposer.
Lester se leva et se laissa reconduire dans sa piaule. Il n’avait pas besoin d’une faveur du directeur, même si celle-ci lui serait sûrement utile un jour. Pour l’heure, il devait entrer en contact avec l’homme qu’il avait aidé à sauver, afin de lui soutirer des informations.
***
Le laboratoire avait déjà fini les analyses des dents que contenait la boîte et le dossier attendait sur le bureau de l’agent Parker lorsque celui-ci entra dans son bureau. Il s’assit dans son fauteuil et posa son café sur la table, après en avoir pris une gorgée. Il remarqua le dossier et l’ouvrit. Il jeta un œil rapide aux conclusions et faillit en cracher son café. Il décrocha son téléphone et appela Sarah. Elle décrocha à la première sonnerie.
— Thomas ! Du nouveau ? demanda-t-elle, à peine eut-elle décrochée.
— Bonjour à toi aussi, dit-il un peu renfrogné. On a les résultats pour les dents.
— Oh, et alors ? À qui appartiennent-elles ?
— À plusieurs personnes. Mais quelques-unes d’entre elles ont un ADN qui correspond au cadavre anonyme retrouvé dans l’appartement de ton frère.
— Et on a un nom ?
— D’après le légiste, l’ADN correspondant appartient à Joseph Smith, le vrai. Et les dents retrouvées sont bien celles qui manquaient sur sa mâchoire. Tu avais raison, on dirait.
— Alors, c’est bien vrai. Le cadavre était bien celui de Joseph Smith. On en a la certitude maintenant. Ça commence à faire beaucoup de victimes.
— C’est pas tout. Le légiste a trouvé cinq ADN différents, ce qui représente cinq victimes, et l’un d’eux correspond à une jeune femme qui a trouvé la mort dans un accident de la route il y a plusieurs années dans un autre État, et dont le corps avait été mutilé à la morgue. Et ça, c’est sans compter celles qu’il a enlevées et tuées depuis.
Un frisson parcourut le corps de Sarah. Ils avaient bel et bien affaire à un monstre, qui tuait et mutilait les gens sans pitié. Après un court instant de réflexion, elle continua la conversation.
— Tu as trouvé un avocat ?
— Oui. Un commis d’office. Il n’était pas emballé par l’affaire, mais bon, c’est son boulot de défendre les criminels qui n’ont pas les moyens de se payer un bon avocat. Au moins, on est sûr qu’il ne fera pas tout pour le disculper.
— On dirait bien. Il a déjà rencontré son client ?
— Pas encore. Il sera là dans une heure. Et on pourra reprendre son interrogatoire. Et pour Lester ? Des bruits de couloir disent que tu as demandé au directeur de le surveiller afin qu’il ne tente rien contre ton frère. Du nouveau de ce côté-là ?
— Non. Apparemment, d’après nos hommes, il se tient à carreau. Il joue au prisonnier exemplaire. Il a même empêché le meurtre d’un gardien. Mais quelque chose me dit qu’il ne l’a pas fait par altruisme. Ils continuent d’ouvrir l’œil, mais le patron ne tardera pas à les ramener, surtout que le procès de mon frère aura lieu bientôt.
— Ok. Bon, je te laisse. Tu travailles sur quoi, là ?
— Un dossier sans intérêt. Tu me diras quand tu l’interrogeras ? J’aimerais être présente. De l’autre côté du miroir, bien sûr.
— Ça marche. Je te tiens au jus.
Sur ce, il raccrocha et referma le dossier. Ce gars était vraiment un malade. Il espérait qu’il prenne la peine maximale, soit la peine de mort, bien qu’elle n’ait pas été prononcée dans cet État depuis 1965. Son avocat plaiderait sûrement la folie, et celui-ci serait envoyé dans l’Unité de Réception et de Diagnostic, situé dans la prison d’El Dorado, pour y être diagnostiqué, avant peut-être d’atterrir dans le couloir de la mort, pour y attendre son exécution, qui ne viendrait peut-être jamais. Après tout, il y avait déjà onze criminels qui attendaient leur tour.
***
Maître Collins était dans la salle d’interrogatoire avec son client. Comme l’y autorisait la loi, l’entretien était confidentiel et durait trente minutes. L’agent Parker attendait dans le couloir en faisant les cent pas. Sarah Miller, quant à elle, attendait dans son bureau. L’avocat expliqua au prisonnier que le procureur général l’avait mis en examen, et que par conséquent, il allait devoir passer devant un juge de première instance. Il lui expliqua également comment allait se dérouler le procès, qui serait présent, qu’il serait retransmis en direct à la télévision, qu’il devrait se déclarer coupable ou non coupable, même si au vu des preuves accablantes, personne ne le croirait s’il se déclarait non coupable. Il lui donna des conseils et consulta son dossier. Il savait qu’il était accusé de plusieurs meurtres, suivis de mutilations, mais personne ne l’avait préparé à ce qu’il avait sous les yeux. Savoir était une chose, le voir en était une autre. Il le referma rapidement, non sans réprimer un haut-le-cœur, et consulta sa montre. Le temps était écoulé. Il avait hâte de quitter la pièce. La présence de Joseph le mettait mal à l’aise et il n’allait vraiment pas aimer devoir le défendre. La porte s’ouvrit sur l’agent Parker, qui lui dit que le temps était écoulé. Il reverrait son client l’après-midi même, durant l’audience avec le juge. Joseph ne leva même pas la tête lorsque ce dernier quitta la pièce. L’agent Parker le fit ramener en détention et alla déjeuner.
***
Au pénitencier de Stateville, l’heure était au déjeuner. Lester mangeait seul à sa place et regardait autour de lui à la recherche de quelqu’un. Soudain, il fit un geste de la main à l’attention d’un autre prisonnier, pour lui signifier de le rejoindre à sa table. Tout ce qu’il connaissait du gardien qu’il avait sauvé était son nom. Il ne savait toujours pas à quoi il ressemblait et il ne se voyait pas le demander à ses collègues. Des tas de geôliers étaient détestés ici, difficile de savoir avec exactitude de qui il s’agissait. L’homme le salua et s’assit à son tour. Ils échangèrent quelques banalités, puis Lester lui demanda de le lui décrire. Lorsque son voisin de table eut terminé sa description, il sut enfin de qui il s’agissait. Et ça tombait bien, parce que lui ne le détestait pas du tout.
***
À quinze heures, un fourgon pénitencier se gara devant le tribunal de première instance de Topeka, situé dans une autre partie de la ville. Devant le bâtiment, un escalier était entouré de deux bandes de gazon parfaitement entretenu. Des journalistes y attendaient l’arrivée de celui que l’on qualifiait déjà de « collectionneur ». Les télévisions de tout le pays s’étaient donné rendez-vous pour assister à cette audience publique. Le juge devait contrôler la procédure d’arrestation, signifier au détenu les charges qui pesaient contre lui et lui demander s’il plaidait coupable ou non. À la suite de quoi, il déciderait des suites à donner à cette affaire.
Deux agents sortirent du fourgon, suivi par le détenu, qui fut placé entre eux. Ils montèrent les marches qui menaient au tribunal sous les flashs des appareils photo. Joseph dut mettre sa main devant ses yeux pour se protéger de la luminosité. À l’intérieur, un employé les conduisit à la salle d’audience, où les attendait un juge. La salle était pleine à craquer et pourtant, ce n’était même pas encore le procès. On fit asseoir le détenu sur un banc, entouré par les deux agents, et l’homme de loi prit la parole.
— Éric Delmarle, alias Joseph Smith. Vous avez été arrêté pour meurtres, tentatives de meurtre, mutilations de cadavres et usurpation d’identité. Votre arrestation a fait suite à un mandat d’arrêt lancé contre vous il y a quelques semaines. À l’issue des charges qui pèsent contre vous, que déclarez-vous ?
— Coupable, répondit doucement Joseph, presque dans un murmure.
— Comment ? lui demanda le juge. Pouvez-vous répéter, je n’ai pas entendu. Parlez plus fort, je vous prie.
— Je plaide coupable, répéta le détenu calmement, en parlant plus fort. Il est devenu évident, depuis que je me suis fait prendre, que je n’en réchapperais pas.
— Vous avez conscience qu’en plaidant coupable, vous encourez la peine capitale ?
— Oui, acquiesça-t-il.
— Très bien. En attente du procès qui aura lieu dans quelques semaines, le temps que les deux parties aient le temps de consulter toutes les preuves, vous serez placé en détention au Centre de détention pour adultes du comté de Shawnee.
Le juge frappa la table de son marteau et l’audience fut levée. Le prisonnier fut emmené immédiatement dans sa nouvelle demeure. Le travail des agents du KBI était fini. Ils avaient trouvé le coupable et l’avaient fait arrêter. Les morts pouvaient enfin reposer en paix.
Son procès commença plusieurs mois après et dura plusieurs jours, au cours desquels les nerfs des familles des victimes furent mis à rude épreuve. Les détails sordides de l’affaire, les photos, ses antécédents, tout fut montré et raconté au public. Des tas de personnes, qui le connaissait de près ou de loin vinrent témoigner, certains à charge, d’autres non. Le témoignage le plus étonnant fut sans doute celui de Martina Clemens, la seule victime qui avait réussi à s’échapper et qui le décrivit comme un homme attachant, mais torturé. Les experts psychiatriques se succédèrent aussi à la barre, pour démontrer que tous ses actes étaient liés à une enfance malheureuse et incomprise. Pour lui, il n’avait jamais rien fait de mal. Il voulait juste aider toutes ses victimes à devenir immortelles. Il avait même eu des regrets quand on lui avait appris que son ami Joseph était toujours en vie au moment de sa mort. Le déclarer saint d’esprit aurait été une erreur. Le dernier jour du procès arriva enfin. On alla le chercher une dernière fois à la prison où il était détenu afin de conclure cette affaire. Le jury allait délibérer et énoncer son verdict. Étant donné qu’il s’était déclaré coupable, son avocat avait demandé qu’au cas où la peine de mort serait prononcée, celle-ci soit commuée en prison à vie. Il avait accepté. De toute façon, la peine de mort n’était plus vraiment effective et de facto, toutes les condamnations à mort se terminaient en détention à perpétuité.
Il arriva sur les coups de quinze heures trente. On le fit descendre du fourgon, et monter les marches pour rejoindre la salle d’audience. On le plaça dans le box des accusés, et une fois toutes les personnes entrées dans la salle, des agents de sécurité fermèrent la porte. À la gauche du bureau du juge se trouvait le jury, composé de douze personnes, hommes et femmes confondus, et à sa droite, le greffier. Un silence pesant régnait dans la pièce, et lorsque le juge entra, tout le monde se leva. Il prit place et tout le monde se rassit. Il demanda alors aux deux parties de débattre une dernière fois, puis demanda au jury de se retirer pour délibérer. Au bout d’une demi-heure, il revint et remit un papier au juge. Celui-ci le déplia puis déclara :
— Accusé, levez-vous, tonna la voix du juge.
Joseph se leva.
— Vous avez été reconnu coupable de toutes les charges qui pèsent contre vous. Les circonstances aggravantes ont également été retenues. Le jury vous déclare donc à l’unanimité coupable, et requiert la peine de mort par…
La salle commença à s’agiter, l’obligeant à interrompre son verdict. Il donna trois coups de marteau sur son bureau et demanda le silence, au risque de faire évacuer la salle. Au bout de quelques minutes, il reprit.
— Je disais donc que vous avez été condamné à la peine capitale, mais étant donné que vous vous êtes déclaré coupable dès le début de cette affaire, votre peine sera commuée en emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération anticipée. Votre transfert de votre lieu de vie actuel à l’établissement correctionnel d’El Dorado, où vous purgerez votre peine jusqu’à la fin de votre vie, aura lieu en fin de semaine. Je déclare la séance levée. Messieurs, continua-t-il à l’adresse des agents du KBI qui attendaient près du prisonnier, vous pouvez le ramener en cellule.
Joseph quitta le tribunal escorté par ses deux agents, remonta dans le fourgon qui l’avait amené, puis fut reconduit au centre de détention. À aucun moment, il ne tenta de s’échapper ou de se défendre. Il en était arrivé à la conclusion que les gens incompris ne gagnaient jamais. Il jeta un dernier coup d’œil vers le tribunal, et vit la femme qui était venue chez lui un matin d’avril, lui sourire.
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