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tome 1, Chapitre 21 tome 1, Chapitre 21

Kaidan Lester faisait les cent pas dans sa cellule. Il attendait qu’un gardien vienne le chercher. La veille, il avait demandé l’autorisation de se rendre dans la salle de sport de la prison, ce qui lui avait été accordé suite à son bon comportement. En réalité, il devait voir son informateur. Pour pouvoir mettre son plan à exécution, il devait avoir du grain à moudre. Et la personne qu’il devait voir savait tout ce qui se passait dans ce bouge. Il devait donc absolument lui parler. Mais le gardien tardait à arriver, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Quelque chose clochait. Soudain, il entendit des pas dans le couloir qui menait à sa cellule. Il se positionna debout au milieu de la pièce, les bras écartés, comme à chaque fois qu’un geôlier devait ouvrir la porte. Arrivé devant lui, celui-ci tourna la clé dans la serrure, et lui intima de sortir. Il lui mit les mains derrière le dos et lui passa les menottes. Ce n’était pas le maton habituel affilié à cet étage. Il était plus jeune et plus grand. Lester devait lever les yeux pour le regarder en face. Le gardien referma derrière lui et lui fit signe d’avancer. Il passa devant les autres cellules, et arrivé au bout du couloir, donna trois coups à la porte pour sortir. Un autre employé leur ouvrit et referma derrière eux. Tout était fait pour éviter une évasion ou une autre agression d’un membre du personnel. Son escorte continua jusqu’à la salle de sport, où son geôlier lui enleva enfin ses bracelets. Il le laissa au milieu d’un groupe de détenus et repartit reprendre son poste. Personne ne faisait attention à lui. Il regarda attentivement autour de lui, pour jauger le niveau de danger. Aucun de ces prisonniers n’était violent. Ils avaient de lourdes peines, comme lui, mais ne faisaient pas partie des taulards à éviter. Il repéra la personne qu’il devait voir en train de soulever des poids. Le type était grand, taillé comme une armoire à glace, avec des bras capables de soulever plus de cent kilos de fonte. Il était torse nu et on pouvait lire « Annabelle » tatoué en gros sur son biceps droit. Il s’approcha de lui, attrapa des haltères qui étaient par terre, non sans faire attention à enlever les disques aux extrémités, de sorte qu’il puisse les soulever sans effort, et lui demanda à voix basse :

— Salut. Tu as des infos qui pourraient m’intéresser ?

— Et toi, tu me donnes quoi en échange ? lui répondit-il, sans arrêter son exercice.

— Des cigarettes, ça te branche ? J’en ai récupéré une cartouche. Elle est planquée sous mon matelas.

— Peut-être bien. De quelles infos t’as besoin ?

— De celles qui pourraient me faire bien voir par les gardiens. J’ai besoin de leur en soutirer quelques-unes.

— Lester, dit-il en posant ses haltères. Je t’aime bien. Tu vas droit au but et ça me plaît. Écoute. J’ai surpris une conversation entre Granger et Harrison. Ils ont décidé d’éliminer un gardien. Celui que détestent tous les détenus. Cette information pourrait te valoir les bonnes grâces du directeur en personne.

— Attends une minute, le coupa-t-il. Tu me dis que tu as une information cruciale et que tu ne vas pas t’en servir toi-même ? Pourquoi ?

— Je te l’ai dit. Tout le monde le déteste. Et puis, je préfère encore fumer une bonne clope plutôt que de les dénoncer. Ce sera moins dangereux pour ma vie, si tu vois ce que je veux dire, lui expliqua-t-il avec un petit rire. Ces gars-là sont pas des enfants de chœur. À eux deux, ils tirent quatre fois deux-cents ans de prison. S’ils découvrent qui les a balancés, tu seras un homme mort. Alors, marché conclu ?

— Oui, marché conclu, répéta Lester après un instant de réflexion. Dis-moi tout ce que tu sais.

Deux heures plus tard, un surveillant le reconduisit en cellule. Une fois la porte verrouillée, il demanda à voir le directeur.

***

Cela faisait plusieurs jours maintenant que Joseph se pavoisait dans sa nouvelle demeure. Il vivait la nuit, quand les touristes étaient rentrés chez eux, et se cachait le jour, quand ils revenaient. Il mangeait ce qu’il trouvait autour de la Step House, à savoir principalement des fruits. Mais cela ne le dérangeait pas. Il préférait ce régime sec à celui qu’on servait dans les prisons, ou pire, dans le couloir de la mort. Il piégeait de petits animaux et les mangeait crus, après les avoir dépiautés. Il avait bien failli vomir tripes et boyaux au début, mais maintenant, la nourriture semblait vouloir rester dans son estomac. Les murs de pierre gardaient la chaleur emmagasinée le jour, de sorte que même la nuit, la température était clémente. Il ne resterait pas ici éternellement, mais pour le moment, c’était l’endroit le plus sûr. Il était tranquillement allongé en train de regarder les étoiles, lorsque soudain, il entendit du bruit. Des faisceaux de lampes torches venaient dans sa direction. Il se leva rapidement, et se faisant, laissa tomber sa veste. Il ne s’en rendit compte qu’une fois arrivé dans les buissons. Il ne put que regarder, passivement, deux rangers la ramasser. Ces derniers se regardèrent intrigués. De là où il se trouvait, il pouvait entendre leur conversation. L’un des deux se demandait comment elle avait pu arriver là, puisqu’il avait déjà fait un tour, plus tôt dans la soirée. L’autre lui répondit qu’il avait dû simplement la rater, étant novice dans ce travail. Ils débâtèrent encore un peu sur la question en faisant le tour une nouvelle fois, puis quittèrent le site, le premier expliquant au second qu’il fallait la remettre aux objets trouvés. Joseph attendit encore un peu, puis sortit des buissons, soulagé. Ils ne l’avaient pas vu. Mais alors qu’il retournait vers les cavités pour y passer la nuit, il se figea soudain. Il devait absolument récupérer sa veste, car quelque chose de très compromettant s’y trouvait.

***

Le lendemain matin, de bonne heure, un gardien vint de nouveau chercher Lester.

— Vous avez de la chance, le directeur accepte de vous recevoir. Vous avez intérêt à ce que ce soit vraiment important.

— Oh, pour ça, je ne m’en fais pas. Il trouvera sûrement cela très intéressant.

Il le suivit jusqu’au bureau du directeur. Les mains menottées dans le dos, celui-ci le fit entrer dans la pièce. Lester dut cligner des yeux à plusieurs reprises pour s’adapter à la luminosité qui régnait ici. Comparée à sa cellule et aux couloirs de la prison, très sombres, cette pièce aux murs clairs était véritablement éblouissante. Le soleil entrait à flots par deux immenses fenêtres qui donnaient sur la cour extérieure de la prison, là où très peu de prisonniers avaient le droit de se promener. Ce jour-là, le ciel était dégagé et il pouvait imaginer sans mal une légère brise lui caresser la peau. Un raclement de gorge le ramena sur terre. Il tourna le regard vers l’endroit d’où venait le bruit, et vit un homme qui le regardait, assis derrière son bureau. Grisonnant, avec de petites lunettes rondes, le visage sévère, celui-ci commençait visiblement à s’impatienter.

— Bien, ne perdons pas de temps, commença ce dernier d’entrée de jeu. On m’a rapporté que vous aviez des informations importantes, voire vitales, à me transmettre.

— C’est exact, Monsieur. J’ai appris de source sûre que deux prisonniers projettent d’assassiner un gardien.

— Tiens donc, s’étonna faussement le directeur. Et on peut savoir qui est votre « source sûre » ?

— Désolé, je ne peux pas révéler ce détail. Mais sachez que si vous ne faites rien, d’ici demain matin, il sera mort.

— Et pourquoi donc un prisonnier souhaiterait-il sauver la vie d’un de ses geôliers ? Ça n’a pas de sens, sauf si vous espérez quelque chose en retour. Et je suis désolé de vous l’apprendre, mais je ne marche pas au chantage.

— Bien sûr, répondit-il fermement. Mais mes intentions sont honnêtes. Je ne veux pas qu’un homme innocent soit tué, c’est tout. Je n’attends aucune faveur de votre part. Pire, si ces détenus découvrent que c’est moi qui les ai balancés, je serai aussi un homme mort. Vous voyez ? Je n’ai aucune arrière-pensée. Je veux juste faire un acte citoyen, si ce mot a encore un sens ici.

— Soit. Imaginons que je vous crois, quels sont leurs noms ? Et où vont-ils frapper ?

Lester lui raconta tout ce qu’il savait, ainsi que le nom du gardien et des instigateurs. Au bout d’une demi-heure, le directeur le remercia, puis le congédia. Un gardien le raccompagna de nouveau à sa cellule. Une fois seul, il commença à jubiler. L’homme qui allait avoir la vie sauve grâce à lui, lui serait éternellement reconnaissant.

***

Joseph mit sa perruque et ses lunettes de soleil, puis se mélangea aux touristes qui commençaient à affluer. Il descendit le petit chemin qui menait à la route, prenant garde à bien baisser la tête lorsqu’il croisait quelqu’un, et partit en direction de sa voiture. Les deux rangers avaient dû amener sa veste aux objets trouvés, qui se trouvaient à l’entrée du parc. Il savait que c’était une entreprise périlleuse, mais ce qu’il avait perdu était trop important pour tomber entre de mauvaises mains. Il était prêt à prendre le risque. Il profita d’une baisse de fréquentation, vers dix heures, pour sortir la voiture de sa cachette, puis refit la route en sens inverse. Il vit sa nouvelle maison s’éloignait dans son rétroviseur, à mesure qu’il avançait et ressentit un pincement au cœur. Il ne reviendrait pas ici. S’il arrivait à sortir du parc, il irait se terrer dans un autre État.

Le parking devant le bureau d’accueil comptait quelques voitures. Il faisait aussi office de boutique souvenir. Depuis le seuil, on pouvait lire sur des écriteaux suspendus « Accueil », au-dessus d’un comptoir sur la gauche et «Objets trouvés », au-dessus d’un vestiaire sur la droite. En face de l’entrée, un écriteau « Souvenirs », indiquait un espace réservé à la vente d’objets en tout genre, allant de la carte postale à la reproduction du site en maquette. Il entra en prenant garde de bien baisser la tête et se dirigea sur la droite. Une famille avec deux enfants se trouvait dans l’espace "souvenirs" et un couple attendait ses billets à l’accueil. Plus loin, en train de boire un café, deux policiers en uniforme discutaient tranquillement. Une employée, vêtue du costume officiel du site, patientait derrière un comptoir, en attendant les premiers étourdis de la journée. Lorsqu’elle le vit approcher, elle lui sourit. Un portant se trouvait derrière elle, avec quelques vestes accrochaient dessus. Elle le salua poliment, puis lui demanda si elle pouvait faire quelque chose pour l’aider. Il lui décrit sa veste, verte à manches longues, avec deux petites poches de chaque côté. Elle la trouva rapidement puis la lui tendit. Il la remercia, l’enfila et lui tourna le dos pour partir. Il sentit alors quelque chose lui frôler la jambe, et en baissant les yeux, remarqua un petit garçon d’à peine deux ans, qui s’accrochait désespérément à la jambe de son pantalon. Il avait visiblement l’air perdu. Joseph regarda tout autour de lui, pour voir s’il voyait ses parents, et remarqua la famille qu’il avait vue en entrant, se diriger vers la sortie. Visiblement, ils n’avaient pas remarqué l’absence de l’enfant. Il se baissa pour lui prendre la main, afin de le ramener à sa mère, et se faisant perdit sa perruque, qui tomba au sol. Elle atterrit aux pieds du garçonnet, qui leva alors la tête et sembla seulement comprendre son erreur. Il recula rapidement et se mit à crier en regardant la masse informe que constituaient désormais les cheveux. Il courut se jeter dans les bras de son père, qui, alerté par les cris, se dirigeait maintenant vers lui. Tout le monde le regardait, les yeux allant de la perruque à l’homme. La femme qui tenait le vestiaire poussa un « ho » surpris en mettant une main devant sa bouche, quand elle comprit qui était en fait ce touriste.

Joseph était pris au piège. Il se demanda fugacement s’il pourrait atteindre la sortie en courant, puis aperçut les deux policiers du coin de l’œil qui le regardaient de façon suspicieuse. Soudain, l’un d’eux eut comme un flash, sortit son téléphone et montra quelque chose à son collègue. Les deux hommes se levèrent, prirent leur arme, mais ne bougèrent pas. Le temps semblait figé. Le père de famille était à l’arrêt, une main posée sur le dos de son fils en guise de protection, sa femme observant la scène de loin, et Joseph était immobile, de peur de se prendre une balle s’il faisait le moindre mouvement. Personne n’osait bouger. On eût dit une partie curieuse de « 1, 2, 3 soleils ». Les deux policiers s’avancèrent alors, pointant notre homme de leur arme, et lui enjoignirent de se rendre sans faire d’histoire. Ne souhaitant pas terroriser plus que nécessaire les deux enfants qui regardaient la scène, il mit ses mains sur la tête et s’agenouilla. Il se laissa appréhender sans rechigner.

— Joseph Smith, lança le premier officier. Vous êtes en état d’arrestation. Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz sera retenu contre vous. Vous avez droit à un avocat. Si vous n’avez pas les moyens d’en payer un, il vous en sera commis un d’office. »

Sur ce, le deuxième agent le redressa et lui passa les menottes. Ils l’emmenèrent ensuite sur le parking avant de le faire monter à l’arrière de leur voiture. L’homme qui lui avait lu ses droits prit le volant, pendant que l’autre lançait un appel au poste. Ils quittèrent le parking, gyrophare allumé, devant une foule de curieux médusés. Sans nul doute, cette affaire allait faire les choux gras des médias du coin. Le site touristique ne serait plus connu que pour ses maisons troglodytiques. Désormais, elle le serait aussi pour avoir permis l’arrestation de l’ennemi public n°1.


Texte publié par Amélie B, 13 mars 2023 à 16h59
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