Kaidan Lester purgeait sa peine au pénitencier de Stateville, dans l’État de l’Illinois. Au dire de tous, c’était l’endroit le plus dangereux de l’État. La peine minimale était de vingt ans. Mais la majorité avait des peines allant jusqu’à deux cents ans de prison, voire plus, soit la perpétuité réelle, c’est-à-dire sans possibilité de libération conditionnelle. Lester était de ceux-là. Il savait qu’il ne sortirait jamais de cet enfer, où les prisonniers étaient enfermés dans leur cellule, parfois plusieurs jours d’affilée, sans pouvoir en sortir. Il faut dire que n’ayant rien à perdre, les détenus s’amusaient souvent à violenter les gardiens et les autres prisonniers. Les meurtres au sein de la prison étaient monnaie courante. Lors de son procès pour meurtre, il avait écopé de cent cinquante ans de prison, pour avoir assassiné une dizaine de personnes. Mais le compte n’était pas bon. On lui avait imputé un meurtre qui n’était pas le sien. Et ça, il avait du mal à le digérer. Trente ans déjà qu’il ressassait cet événement. Il s’était fait avoir par quelqu’un qui avait reproduit son mode opératoire. Un copycat en somme. Il ne connaissait pas son identité, mais il s’était juré que si par hasard, il venait à avoir connaissance de cette information, il mettrait tout en œuvre pour se venger. La vengeance était un plat qui se mange froid. Et Dieu qu’il était patient.
À l’aide de petites magouilles, il avait réussi à se mettre quelques gardiens dans la poche. Des échanges de bons procédés en somme. Et grâce à ça, il avait non seulement réussi à obtenir une petite télé couleur, qui trônait fièrement sur une chaise, dans un coin de la petite cellule, mais il avait l’assurance que personne ne viendrait la lui voler ou la casser lors des fouilles hebdomadaires. Il aimait se tenir au courant de l’actualité. Et récemment, il avait découvert l’existence de quelqu’un qu’il trouvait très intéressant. Un tueur en série comme lui, mais qui ne s’était pas encore fait prendre. La veille, il avait regardé un documentaire qui retraçait son histoire. Et un fait intéressant avait surgi, à un moment donné. Le nom de la ville où il avait été arrêté pour un meurtre qu’il n’avait pas commis : Aurora. Cela ne pouvait pas être une simple coïncidence. Il s’était trouvé à la même période, dans la même ville qu’un autre assassin. Dans sa tête, les pièces du puzzle se mettaient doucement en place. Il n’avait désormais plus qu’un nom à la bouche : Joseph Smith.
Ni lui ni la police ne savait où il se cachait. Il pouvait être n’importe où et il serait probablement difficile à débusquer. S’évader relevait de l’impossible, mais ce n’est pas parce que personne ne l’avait jamais fait qu’il ne pouvait pas essayer. Il savait que s’il réussissait cet exploit, il aurait toutes les polices du pays aux trousses. Il ne devrait donc tenter l’expérience qu’une fois certain de sa position. Et comme il ne risquait pas de donner ces informations à la télé, il devait soudoyer un gardien pour avoir les nouvelles autrement. Il ne devrait pas être trop difficile de dénicher une information qui pourrait intéresser le directeur de la prison. Après tout, c’était lui la balance la plus bavarde du pénitencier.
Ce soir-là, après l’extinction des feux, il resta allongé, les yeux ouverts, sur ce qui lui faisait office de lit, la tête tournée vers la fenêtre. À travers les barreaux, il pouvait voir un ciel clair, parsemé d’étoiles. Il resta longtemps à les contempler, avant que ses yeux ne se ferment enfin.
***
La nuit était tombée sur le Parc national de Mesa Verde. Les visiteurs avaient quitté la zone depuis longtemps. Les rangers finissaient leur ronde. Bientôt, il pourrait sortir de sa cachette, et profiter enfin de sa nouvelle « maison ».
Plus tôt dans la journée, il avait déplacé sa voiture, et l’avait mise à l’abri des regards. Il avait dû sortir de la route banalisée pour le faire, mais il avait trouvé un arbuste suffisamment grand et feuillu pour la camoufler.
Enfin, il vit les lampes de poche s’éloigner. Il sortit silencieusement des buissons, et se dirigea à pas de loups, vers le centre de l’édifice. Il marcha de long en large afin de dérouiller ses jambes ankylosées par le manque de mouvement. Plusieurs cavités, représentant plusieurs pièces de vie, se trouvaient tout autour de lui. Il avait du mal à imaginer que des centaines d’années en arrière, des hommes et des femmes avaient habité ici. Ils avaient creusé leur maison à même la roche, et les générations successives l’avaient agrandi au fur et à mesure. Elle n’était pas aussi belle ni aussi grande que l’excavation de Cliff Palace, mais elle valait quand même le détour. Il s’installa dans une petite cavité pour la nuit et s’allongea sur le sol pour contempler le ciel étoilé. Aux premières lueurs du jour, il devrait retourner dans sa cachette, mais pour l’heure, l’endroit lui appartenait.
***
Le téléphone de Sarah sonna aux alentours de sept heures. Encore endormie, elle tâtonna sur sa table de chevet afin de trouver l’appareil qui troublait son sommeil. Lorsqu’elle mit enfin la main dessus, elle décrocha et l’approcha de son oreille pour parler à son interlocuteur.
— Hum, allo ! dit-elle d’une voix encore voilée par le sommeil.
— Mademoiselle Miller ? demanda avec précaution la personne à l’autre bout du fil. C’est vous ? C’est le Docteur Mach à l’appareil. Je vous dérange ?
— Heu, non, enfin, oui, c’est moi, mais vous ne me dérangez pas. Désolée, je viens de me réveiller, lui répondit-elle, confuse. Qu’y a-t-il ?
— J’ai les résultats de vos analyses.
— Et ? demanda-t-elle en retenant son souffle.
— J’ai comparé votre ADN à celui de l’homme que vous recherchez, Joseph Smith. Il s’avère que votre intuition était bonne. Il fait partie de votre famille. En comparant les deux échantillons et en prenant en compte votre âge et votre sexe respectif, il ne fait aucun doute que cet homme est votre frère. Il ne peut en aucun cas s’agir de Joseph Smith.
— D’accord, dit-elle après une courte pause. Donc, le vrai Joseph Smith est mort. Vous l’avez déjà signalé à nos supérieurs ? Ils sont au courant de notre filiation ?
— S’ils ne le sont pas encore, ils le seront bientôt. Tout est indiqué dans le rapport que j’ai envoyé au service criminologie. Je suis désolé, mais ils risquent de vous retirer l’affaire. Et même s'il est probable à 99% que le cadavre était bien celui de ce Joseph, il n'y a rien qui le prouve pour l'heure. Seul votre frère pourra le confirmer.
— Je sais, dit-elle, peinée. L’important, c’est de savoir à qui on a vraiment affaire, et de l’arrêter. Merci pour votre aide, Docteur. Bonne journée.
— Merci. Vous aussi.
Sur ce, elle raccrocha, se leva et alla prendre une douche. Elle n’allait sûrement pas tarder à recevoir un coup de fil du bureau lui signifiant qu’elle était retirée de l’enquête. Elle devait réfléchir à une façon de la continuer à distance. Elle retourna au bureau sur les coups de neuf heures et alla voir directement son collègue.
Thomas était assis à son bureau, un rapport à la main, en train de boire un café. Il leva à peine la tête lorsqu’elle entra sans frapper à la porte. Il avait les sourcils froncés et se frottait le menton avec la main, comme pris dans une intense réflexion. Elle se posta devant lui et attendit patiemment qu’il daigne faire attention à elle. Au bout de cinq minutes, n’y tenant plus, elle posa ses deux mains sur son bureau, en signe de mécontentement.
— Thomas ! Tu m’entends ?
— Je suis un peu occupé, là. Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il sans détourner le regard.
— C’est le rapport du légiste que tu tiens, là ?
— Hum. C’est intéressant, dit-il, levant enfin la tête pour la regarder droit dans les yeux. Alors, comme ça, c’est bien ton frère le meurtrier ?
— Héla, oui. On peut donc supposer que le cadavre était celui de Joseph Smith. Mon frère a pris son identité pour pouvoir commettre des meurtres en toute impunité.
— Il semblerait. Mais quelle était sa relation avec Joseph ?
— Le monsieur à qui j’ai parlé m’a dit qu’ils étaient très proches et qu’ils se ressemblaient comme des frères. De plus, la famille de Joseph était très riche.
— Tu penses qu’il l’a tué pour son argent ?
— Peut-être. Il faudra lui demander quand on le retrouvera ou plutôt quand tu le retrouveras.
— Sarah, commença-t-il. Je suis désolé que tu doives te retirer. Ça va aller ?
— Oui, j’ai d’autres pistes à creuser, et elles ne concernent pas mon frère. Enfin, pas directement.
— Tu penses à Lester ? Tu crois qu’il connaît l’identité de la personne qui l’a piégé à l’époque ?
— Étant donné qu’ils ont passé un reportage sur Joseph Smith avant-hier soir à la télé, je pense que oui. Il a dû faire le rapprochement. Mais il ne sait sûrement pas qu’il s’agit en réalité de mon frère. Il va sans doute chercher à se venger de l’homme qui lui a collé ce meurtre sur le dos.
— Oui, enfin, c’est pas non plus un saint. Il a commis d’autres meurtres, je te rappelle. C’est pas comme s’il avait été condamné que pour ce crime. Il ne sera pas libéré pour autant. Et l’évasion est pour ainsi dire impossible.
— Il y a d’autres façons de se venger. Il doit avoir des contacts à l’extérieur et à l’intérieur de la prison. Je dois faire mon possible pour éviter qu’il arrive malheur à mon frère. Je voudrais lui parler, comprendre pourquoi il en est arrivé là, tu comprends ? C’est important pour moi.
— Si tu le dis, dit-il en secouant doucement la tête. Allez, va voir le chef. Il t’attend sûrement dans son bureau pour t’annoncer la grande nouvelle.
Elle sortit du bureau et se rendit dans celui du directeur, au dernier étage. Sa secrétaire lui demanda de patienter, puis lui dit qu’effectivement il voulait lui parler. Elle entra dans une vaste pièce, éclairée par une immense baie vitrée, d’où l’on pouvait voir une partie de la ville. Un bureau trônait au milieu de la salle, posé sur un tapis circulaire de grande envergure. Sur les murs, des articles de journaux étaient encadrés, ainsi que des photos, en couleur et en noir et blanc. Elle se dirigea calmement vers l’homme qui se tenait assis derrière la table, lui serra la main et attendit, debout, les mains dans le dos qu’il prenne la parole.
— Agent Miller, merci d’être venu, lui dit-il. Vous savez pourquoi vous êtes là, je présume ?
— Oui, monsieur, répondit-elle courtoisement.
— Miller, je suis désolé que les choses se passent comme ça. Mais vous connaissez notre politique en matière d’enquête. Il s’agit de votre frère. Et même si vous ne le connaissez pas, il pourrait essayer de jouer là-dessus quand on lui mettra la main dessus. On ne peut pas se permettre un conflit d’intérêts.
— Je comprends. L’agent Parker fera du très bon travail, j’en suis sûre. Par contre, si vous me permettez, je soupçonne Kaidan Lester de vouloir tenter quelque chose. Après tout, grâce à nos amis journalistes, il connaît maintenant l’identité de celui qui l’a fait tomber. Et il va vouloir se venger. En tout cas, moi je voudrais me venger dans sa situation. Et il a probablement le bras long, maintenant.
— En effet. C’est un risque à prendre en considération. Je vais envoyer des hommes sur place pour le surveiller de loin. S’il tente quelque chose, seul ou avec des complices, nous serons là. Ce sera aussi éventuellement l’occasion de faire du ménage parmi le personnel de la prison, si vous voyez ce que je veux dire.
— Bien monsieur, dit-elle poliment avant de tourner les talons et de sortir de la pièce.
Une fois la porte refermée dans son dos, elle poussa un soupir de soulagement. Au moins, Lester ne pourrait pas faire de mal à son frère depuis la prison, tant que ses collègues seraient sur place. Elle voulait absolument connaître le fin mot de l’histoire avant qu’il aille finir ses jours en prison ou qu’il ne soit condamné à mort.
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