Vers dix-sept heures ce jour-là, le collègue de Sarah lui laissa un message sur son répondeur, lui demandant de le rappeler. Il avait trouvé une information très importante, et ne voulait pas la dévoiler par téléphone. Thomas était encore au journal, pour leur donner le profil du tueur. En attendant qu’il revienne, elle faisait le tour des restaurants et des magasins qui se trouvaient autour du quartier de Linwood. Depuis que les ossements avaient été retrouvés dans le parc, ils étaient persuadés que le tueur habitait ce quartier. Ce n’était qu’une question d’heures ou de jours, avant qu’il ne lui mette la main dessus. Ses voisins allaient le trahir, personne ne voulait habiter à côté d’un assassin. En sortant du prêteur sur gages, elle vit un appel manqué sur son téléphone. En consultant le journal des appels, elle vit que celui-ci venait de son collègue. Elle composa le numéro et au bout d’une sonnerie à peine, il décrocha.
— Sarah, je suis content que tu me rappelles.
— Max ? Tout va bien ? demanda-t-elle, de l’inquiétude dans la voix.
— Tu as eu mon message ?
— Heu, non, j’ai pas eu le temps de l’écouter. Qu’est-ce qu’il se passe ?
— J’ai trouvé les informations que tu m’avais demandées. Sur ton frère.
— Ah cool, tu as fait vite. Et alors, tu as trouvé quoi ? demanda-t-elle, visiblement excitée.
— Sarah, je suis désolé. Ce ne sont pas de bonnes nouvelles.
La joie quitta son visage, qui se rembrunit. Elle ne savait plus quoi dire ni penser. Elle manquait d’air. « Ce ne sont pas de bonnes nouvelles ». Ces paroles tournaient en boucle dans sa tête. Comment en aurait-il pu être autrement, au bout d’autant d’années ?
— Sarah ? Tu es toujours là ? demanda Max.
— Oui, heu, désolée. Je… qu’est-ce que tu as trouvé ? bafouilla-t-elle.
— Il est mort. Il y a trente ans, dans un incendie. Je l’ai trouvé facilement, parce que c’était un incendie criminel. Je t’envoie le dossier.
— D’accord, dit-elle, après un moment d’absence. Max ?
— Oui ?
— On sait qui l’a tué et pourquoi ?
— Tout est dans le dossier. Le pyromane a été arrêté, mais il clame toujours son innocence. Il n’a jamais donné les raisons qui l’ont poussé à passer à l’acte.
— Je vois. Merci pour le dossier. Je le regarderai lorsque je serai rentré à l’hôtel.
— De rien. Fais-moi signe si tu as besoin de quelque chose d’autre.
— Ok. À plus tard.
Elle était triste, mais elle ne comprenait pas pourquoi. Comment la mort d’un frère, dont elle ignorait même jusqu’à l’existence, pouvait lui faire autant de peine ? Elle ne l’avait jamais vu, ne savait pas à quoi il pouvait ressembler, ne connaissait pas son caractère. En bref, elle ne savait rien de lui. Elle envoya un SMS à Thomas pour lui dire qu’elle retournait à l’hôtel, mais qu’il fallait qu’il continue de faire le tour des magasins. Il lui répondit quelques secondes après, pour lui dire qu’il était en chemin. Elle retourna à l’hôtel, curieuse de savoir ce qu’elle allait bien pouvoir trouver dans ce fameux dossier.
Sa chambre, la 404, donnait sur le parking. Elle tira les rideaux, alla chercher son ordinateur portable, et le posa sur le lit. Elle ouvrit ses mails et trouva celui envoyé par son collègue des renseignements. Le dossier se trouvait en fichier joint. Elle le téléchargea et l’ouvrit. Celui-ci avait été numérisé pour les archives. Sur la page de garde du rapport, qui en comptait une vingtaine, figurait la notion « information confidentielle ». Et dessous, encadré au milieu de la page, figurait le logo du FBI, le nom de la victime, ainsi que le numéro de l’enquête, composé de lettres et de chiffres. Enfin, en bas à droite, quelqu’un avait tamponné « affaire classée », en rouge.
Sur la première page, une photo de la victime était accrochée avec un trombone. Sur la partie haute du document, étaient inscrites toutes les informations relatives à sa vie : son nom (Delmarle), son prénom (Éric), sa date de naissance (10 janvier 1972), son lieu de naissance (Pierre, dans le Dakota du Sud), sa taille (1,65 m), son poids (55 kilos), son adresse (Appt. 12, 54 N Broadway St, Aurora, SD 57002, États-Unis), son groupe sanguin (A+), etc.
Au milieu de la page figuraient les informations relatives à son décès : la date de la mort (13 novembre 1992), les circonstances (brûlé vif dans son appartement), l’état du cadavre (calciné), le nom du meurtrier (Kaidan Lester), etc.
Enfin, sur la partie basse de la feuille, se trouvaient rédigées en quelques lignes les conclusions de l’enquête, à savoir, meurtre par incendie criminel.
Les pages suivantes concernaient le rapport du médecin légiste, la scène de crime, le témoignage des témoins, l’enquête en elle-même, l’interrogatoire du suspect numéro un, et le résultat de l’audience finale.
Elle alla se faire un café après avoir parcouru la première page du rapport. Elle allait devoir éplucher tout le dossier, et il lui fallait du carburant pour cela. Elle retourna s’installer sur le lit une tasse à la main et entreprit de feuilleter le dossier, en commençant par le rapport du médecin légiste. Celui-ci était plutôt concis. En effet, le corps ayant brûlé dans l’incendie, il ne restait plus beaucoup d’indices à trouver sur la victime. L’analyse de sang n’avait pas été possible à cause de la calcination, et le légiste avait dû mesurer le taux de monoxyde de carbone présent dans le sang à partir de prélèvements musculaires. Il en avait déduit que son frère était toujours vivant au moment de son décès. Il n’était cependant pas précisé si celui-ci était conscient ou non. Mais ayant été retrouvée dans son lit, la probabilité qu’il dormît au moment des faits était forte. L’analyse toxicologique de fragments cutanés avait permis de mettre en évidence la présence d’un accélérant (type essence) sur le corps. Ajouter à cela qu’il manquait des dents et que celles qui restaient étaient cassées, l’origine criminelle de l’incendie n’était plus à démontrer. L’identification du corps était quant à elle quasiment impossible. Elle sauta directement à la conclusion : la victime était vivante au moment de la mort, probablement endormie. La présence de toxines dans le sang n’ayant pu être analysée, faute de sang, il est impossible de dire si elle était consciente ou non au moment de son décès. Mais au vu de l’acharnement dont le tueur a fait preuve, il est quasiment impossible que la victime ait été consciente au moment de l’incendie. Les restes de vêtements qu’elle portait et l’endroit où elle est morte laissent à penser que la victime est bien Éric Delmarle.
Sarah se sentit soudainement énervée. Le corps n’était tout bonnement pas identifiable. Et pourtant, le médecin légiste avait conclu que c’était bien son frère qui gisait sur sa table d’autopsie. Il s’était basé sur les restes de vêtements qu’il portait, et sur le fait qu’il se trouvait dans son appartement au moment de son décès. Autant dire que l’autopsie avait été bâclée. Si ça se trouve, ce n’était peut-être même pas son frère qui était mort ce jour-là. Elle continua tout de même sa lecture. La page suivante concernait la scène de crime. L’alerte avait été donnée par un certain monsieur Watterman, aux alentours de minuit. Il avait senti une odeur de brûlé, puis avait vu de la fumée descendre par les minuscules fissures de son plafond. Il avait alors appelé les pompiers. Mais le temps qu’ils arrivent, la chambre de la victime et une partie du salon avaient été complètement détruits, endommageant une partie des appartements qui se trouvaient au-dessous, dont celui de monsieur Watterman. Après avoir évacué l’immeuble, les soldats du feu avaient défoncé la porte à coups de hache pour s’introduire dans l’appartement. Le feu commençait à s’en prendre aux rideaux du salon, après avoir calciné tout ce qui se trouvait sans la pièce voisine. Ils mirent une bonne heure pour circonscrire l’incendie et quand ils y arrivèrent, il ne restait plus grand-chose à sauver. Le corps calciné de la victime avait été trouvé étendu sur le lit, dont le contour métallique était resté intact. Le légiste était passé, avait fait les prélèvements de base dans la pièce et sur le lit, puis on avait emmené le cadavre à la morgue. L’appartement avait ensuite été mis sous scellé.
Elle fut obligée d’arrêter sa lecture, soudain prise d’un haut-le-cœur. Son café avait soudain du mal à passer. Pourquoi s’en prendre à son frère ? se demanda-t-elle. Qu’avait-il bien pu faire pour finir comme ça ?
Les témoins avaient été entendus pendant deux semaines, pour la plupart des habitants de l’immeuble. Cependant, aucun d’entre eux n’avait vu ou entendu quoi que ce soit. Le tueur avait été discret, du début à la fin. À un moment donné de l’enquête, le lien avait été fait avec un tueur en série qui brûlait vive ses victimes, et qui sévissait dans le périmètre où son frère habitait. Il avait été arrêté alors qu’il mettait le feu à une voiture, après avoir tué son propriétaire. Durant tout son interrogatoire, il nia en bloc. Il reconnut les meurtres, mais pas celui-là. La conclusion de l’enquête indiquait que la présence du même hydrocarbure avait été détectée à chaque fois sur les scènes de crime et sur les victimes, ce qui était la preuve que le tueur était bien celui qu’il recherchait. Le tribunal l’a condamné à la perpétuité.
Elle referma le dossier, non sans un léger mal de tête. Une fois que cette enquête serait terminée, il faudrait absolument qu’elle s’entretienne avec ce type.
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