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tome 1, Chapitre 9 tome 1, Chapitre 9

Encore une nuit à regarder le plafond. Martina se demandait combien de temps il allait encore la laissait vivre. Déjà quatre jours qu’elle était enfermée ici, avec sa solitude pour seule compagnie. Elle avait cessé d’avoir peur. S’il devait la tuer, elle n’y pouvait rien et rien ne servait de se mettre la rate au court-bouillon. Et puis, pour le moment, il la traitait bien. Bien sûr, elle était enchaînée au mur, ne pouvait pas aller où bon lui semble et était obligée de faire ses besoins dans un pot de chambre (elle s’y était résolue lorsqu’elle avait compris que c’était ça ou se faire dessus), mais il la nourrissait et vidait le pot tous les matins. C’était toujours mieux que d’être enfermée dans une cave obscure, avec pour seule compagnie des rats et des araignées qui vous grimpent dessus pendant votre sommeil et vous grignotent les orteils. Si on mettait de côté son côté tordu, il était plutôt gentil et attentionné, à sa manière. « Mon Dieu, se dit-elle, ça y est, je développe le syndrome de Stockholm. Ressaisis-toi ! Il a l’intention de te tuer ». Elle se leva et fit le tour de son matelas pour se dégourdir les jambes, comme elle le faisait tous les jours. Elle ne savait jamais quelle heure il était précisément, car son seul repère était la lumière qui filtrait à travers les épais rideaux. Elle devait donc se fier à son cycle biologique pour se repérer dans le temps. À cet instant, par exemple, il devait être environ neuf heures du matin, car elle commençait à avoir faim. Il ne tarderait sûrement pas à lui monter à manger.

***

Joseph se dépêcha de lui faire son petit déjeuner et sur les coups de neuf heures trente, donna trois petits coups secs à sa porte. Il entra et déposa le plateau à une distance raisonnable, afin qu’elle puisse l’attraper sans pouvoir le toucher lui. Il referma aussitôt la porte et redescendit les escaliers en toute hâte. Il était pressé de continuer son œuvre. La peau était toujours là, posée sur la table. Dans un coin de l’atelier, sa première création attendait toujours qu’on l’habille. La peinture était sèche dorénavant et il ne lui restait plus qu’à trouver de quoi la mettre en valeur. Elle était grande, « comme maman », se dit-il, et essaya d’imaginer ce qui lui plairait. Une jolie robe ferait l’affaire. Il faudrait qu’elle soit dans les tons chauds pour se marier à la perfection avec sa chevelure rousse. Un béret aussi pourrait faire joli et cela rappellerait son côté français. Un foulard terminerait de rehausser sa beauté et cacherait les imperfections. Il se félicita pour ce choix vestimentaire. Ne restait plus qu’à trouver ces vêtements. Il monta dans le grenier, situé au-dessus de la chambre de sa captive, et se dirigea vers une malle. Elle était poussiéreuse et n’avait pas été ouverte depuis plusieurs années. Il souffla sur le couvercle et un épais nuage de poussière s’éleva dans les airs, ce qui le fit éternuer. Il l’ouvrit et commença à fouiller à l’intérieur. C’était là que se trouvaient les affaires de sa défunte mère. Il avait tenu à garder ses affaires après sa mort, et la famille d’accueil qui l’avait recueilli n’y avait pas vu d’inconvénients. Il se félicitait maintenant. Si au départ, ce sont les souvenirs qu’ils représentaient qui l’avaient motivé, aujourd’hui c’étaient les vêtements qui s’y trouvaient qui l’intéressait. Il trouva une longue robe bleue dépourvue de motifs, aux manches courtes, parfaites pour un pique-nique ensoleillé dans le parc. En fouillant davantage, il réussit à dénicher un foulard en soie de la même couleur. Mais pas de béret. Pour ça, il allait devoir sortir. Et il en avait une sainte horreur. Mais bon, il le ferait quand même. Il devait bien ça à sa victime. Il referma la malle, ses trouvailles sous le bras, et redescendit dans la cave. Il entreprit de l’habiller, non sans difficulté (il n’était pas aussi grand qu’elle), et recula lorsqu’il eut fini, afin de l’admirer. Elle était vraiment magnifique. La couleur de la robe faisait ressortir ses yeux de verre de couleur bleue, et le foulard lui donnait cette petite touche de chic, qui allait si bien aux célébrités. À bien y réfléchir, ce n’était pas un béret qu’il lui fallait, mais bien un chapeau à larges bords et des lunettes de soleil. « Tu vois, lui dit-il en souriant, je ne t’ai pas empêché de devenir mannequin. Et tu le seras pour l’éternité. Ne me remercie pas, ça m’a fait plaisir, dit-il d’un air faussement modeste. » Il avait modelé le squelette de façon à ce qu’on ait l’impression qu’il était en train de siroter un verre. Il avait d’ailleurs galéré à donner cette forme à la main. Il ne lui manquait plus que ce détail pour finaliser son mannequin. Une fois le décor posé et les autres filles à ses côtés, on aurait vraiment l’impression d’assister à un cocktail ou quelque chose comme ça. Il avait hâte. Il retourna à la table et recommença à coudre.

Lorsqu’il leva la tête pour regarder sa pendule, il vit qu’il était presque midi et demi. Il était temps de remonter faire à manger. Il mourrait de faim. Arrivé dans la cuisine, il alluma la petite télé qui était fixée au mur, et mit la chaîne des informations.

***

Le maire se tenait sur une estrade, un pupitre rehaussé d’un micro posé devant lui, devant la mairie. Deux hommes en noir se tenaient de part et d’autre de lui, prêts à agir immédiatement en cas de problèmes. Sur le sol, un parterre de journalistes, avec derrière eux des habitants inquiets, attendait patiemment qu’il prenne la parole. La foule était silencieuse. On entendait que les flashs des appareils photo et la toux de quelques badauds. Au bout de quelques minutes, il se racla la gorge et prit la parole.

— Mes chers concitoyens. Si je vous ai réuni aujourd’hui, c’est pour vous faire part d’une terrible information. Les rumeurs sont vraies. Des restes humains ont été retrouvés dans Henry Park.

Des exclamations se firent entendre, l’obligeant à se taire, afin de laisser le temps à tout le monde de digérer cette information. Une fois le calme revenu, il continua :

— Le laboratoire nous a confirmé que les victimes, au nombre de deux, avaient été assassinées. Ce n’est pas la première fois que notre ville est confrontée à un tueur en série. Et ce ne sera peut-être pas la dernière, même si je l’espère réellement. Au même titre que nous avons réussi à arrêter Dennis Rader en 2005, nous réussirons aussi pour celui-ci. Nous ne connaissons pas encore à l’heure actuelle, l’identité des deux victimes, mais cela ne saurait tarder. Nos meilleurs spécialistes sont sur le coup, et, croyez-moi, on le saura bientôt. En attendant, je vais devoir décréter un couvre-feu.

De nouvelles protestations se firent entendre, l’obligeant à se taire de nouveau. Puis, il continua en haussant le ton, lorsque la foule refusa de se calmer :

— Je sais que ce n’est pas amusant, mais je prends cet arrêté pour votre sécurité. De neuf heures du soir à six heures du matin, il sera interdit, sauf exception, de sortir de chez vous. Je vous tiendrai informé au fur et à mesure où les informations tomberont. Des questions ? Je répondrai à deux ou trois d’entre elles. Oui, vous monsieur, au premier rang.

— Marcel Aimé, pour le Wichita Eagle. Le tueur cible-t-il un type en particulier ? Homme, femme, personnes de couleurs, étudiants…

— Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous ne savons rien des victimes. Les restes n’ont pas permis de dresser un profil en particulier.

— Morris Richardson, pour le Wichita Business Journal. Si on a retrouvé des ossements, c’est que des gens ont disparu. Pourquoi ne pas en avoir parlé plus tôt ?

— Parce que nous ne sommes pas au courant. Aucune disparition n’a été signalée au bureau du shérif.

— Menteur ! cria une jeune femme dans la foule. Mon amie a disparu ! Vous êtes forcément au courant.

— Je vous assure, mademoiselle, que nous ne sommes pas au courant. Mais nous le serons bientôt. Je vous remercie de votre attention. Ce point presse est terminé. Bonne journée.

***

Dissimulés au milieu de la foule, Sarah et Thomas s’interrogeaient. Cette conférence de presse mettait à mal leur enquête. Maintenant, des gens paranoïaques allaient déambuler en ville, en se demandant qui pouvait être le tueur. Cela ne manquerait pas de poser problème. Sans compter sur ceux qui voudraient faire justice eux-mêmes. Le maire ne s’en rendait pas compte, mais il avait libéré quelque chose de malsain. La chasse aux sorcières venait de reprendre, trois-cent-vingt-neuf ans plus tard.

***

Joseph éteignit la télé et débarrassa la table, légèrement contrarié. « Alors, comme ça, ils ont retrouvé les ossements, se dit-il. J’aurais dû mieux les dissimuler. La bonne nouvelle, c’est qu’ils n’ont pas assez d’éléments pour mettre un nom sur les restes. L’honneur est sauf. Mais ce n’est qu’une question de temps. Ou alors, ils font croire qu’ils ne savent pas qui c’est, pour que je me dévoile. Je dois me dépêcher et faire en sorte que ça ne se reproduise plus. »

***

Une fois la foule dispersée, Sarah et Thomas se rendirent à la mairie, pour discuter avec le maire. Il était encore dans le hall, entouré de ses deux gardes du corps. Lorsqu’il les vit approcher, il demanda à ses hommes de reculer.

— Monsieur le Maire Sullivan, commença Thomas. Agents Parker et Miller du KBI. Vous avez une minute ?

— Eh bien, vous n’avez pas traîné. Les ossements ont été découverts hier, et vous êtes déjà sur le coup.

— En fait, Monsieur le Maire, continua Sarah, nous étions déjà en ville. Nous enquêtons depuis quelques jours sur une série de disparitions qui ont eu lieu dans le secteur de Linwood. Nous pensons que ces deux affaires sont liées. Et nous pensons également savoir qui sont les deux victimes.

— Et qui sont-elles ? Je peux savoir ?

— Désolé, monsieur, mais cette information doit rester confidentielle. Votre petit discours a suffisamment mis le feu aux poudres, lui répondit-elle.

— Le bureau du shérif n’est plus sur l’affaire, ajouta Thomas. L’enquête ne fait plus partie de votre juridiction. Nous prenons le relais. Nous vous tiendrons informé de l’avancée de cette affaire.

— Pourquoi ne m’en a-t-on pas fait part avant ? Il s’agit de ma ville quand même.

— Notre directeur ne voulait pas ébruiter l’affaire, lui expliqua Sarah calmement, comme on parle à un enfant. On a demandé aux familles des victimes de garder le secret tant qu’on ne saurait pas exactement ce qui était arrivé à leurs proches. Le but était de ne pas faire paniquer la population.

— Oui, hé bien, maintenant, vous savez. Et les citoyens aussi ont le droit de savoir.

— Et ils savent. Grâce à vous, lui dit Thomas. Le tueur aussi, probablement. Il risque de se montrer encore plus discret et sur ses gardes. On n’avait pas besoin de ça.

— Vous n’aviez qu’à venir me voir avant. Maintenant c’est trop tard. À vous de jouer. Et essayait de ne pas traîner, leur dit-il avant de retourner dans son bureau.

— Pauvre type, murmura Thomas. Allez, viens, on va déjeuner.


Texte publié par Amélie B, 20 février 2023 à 18h48
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