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tome 1, Chapitre 8 tome 1, Chapitre 8

Devant leur écran d’ordinateur, les agents Parker et Miller repassaient en boucle un certain passage de la vidéo de surveillance. On y voyait la jeune femme disparue traverser le parking, sûrement à la recherche de quelqu’un pour la raccompagner, suivi par ce qui semblait être un homme, chapeau sur la tête et long manteau noir. Il marchait tête baissée, de sorte qu’à aucun moment la vidéo n’avait enregistré son visage. À croire qu’il savait qu’il y avait une caméra. Et peut-être que c’était le cas, ce qui prouverait que le coupable était bien un gars du coin. À aucun moment on ne le voyait lui parler, mais ils étaient sûrs que c’était le kidnappeur. C’était peut-être sa façon de marcher, précautionneuse, comme s’il ne voulait pas être entendu, ou la façon dont il gardait ses distances, pas trop près, mais pas trop loin non plus, ou bien encore la façon qu’il avait de regarder autour de lui, comme s’il préparait un méfait. Quoi qu’il en soit, ils en auraient mis leur main à couper. Maintenant qu’ils avaient plus de détail sur l’individu qu’ils recherchaient, ils pouvaient montrer sa photo aux gens et voir si quelqu’un reconnaissait son accoutrement.

***

Le lendemain matin, ils se mirent en route pour le laboratoire. Presque deux heures plus tard, ils arrivèrent devant le laboratoire de science médico-légale de Great Bend. C’était un bâtiment moderne, de plain-pied, avec des panneaux solaires sur le toit. Sur la pelouse jouxtant le parking, un mât de plusieurs mètres de haut arborait deux drapeaux : celui des États-Unis, en haut, et celui du Kansas, en dessous. Une pancarte à l’entrée du site indiquait « Bureau d’Investigation du Kansas ». Une rampe d’accès et un escalier permettaient d’entrer dans le bâtiment. Sur la façade, un écriteau portant un pistolet barré indiquait que le port d’armes était interdit ici. Un peu ironique lorsque l’on savait que leur voisin le plus proche était un magasin d’armes à feu. Ils passèrent la porte et remirent leurs armes à l’accueil où ils se présentèrent. La secrétaire leur demanda d’attendre, pendant qu’elle faisait appeler les personnes responsables du dossier. Quelques minutes après, un homme se présenta comme étant le docteur Enrickson.

— Des agents de la maison mère. Je me demandais à quel moment vous alliez vous pointer. C’est pour cette affaire d’ossements n’est-ce pas ? Je vois à vos têtes que vous en savez plus que moi à ce stade.

— Nous ne sommes sûrs de rien pour le moment, le contredit Thomas. Nous menons une enquête sur des disparitions de jeunes filles. Mais elle piétine. Nous n’avons pas encore trouvé de corps et rien ne nous prouve que ces disparitions soient criminelles. Nous devons vérifier certaines choses, voir s’il s’agit vraiment d’une coïncidence ou si ces deux affaires sont liées.

— Avez-vous pu identifier les victimes ? lui demanda Sarah. Peut-être que les ossements retrouvés appartiennent à nos disparues.

— Ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que ce sont les restes de deux squelettes qui se trouvent sur ma table d’autopsie. Malheureusement, l’état dégradé et le nombre limité d’os que nous avons à disposition ne me permettent pas de définir le sexe précisément ni de dégager un profil ADN. En revanche, je peux vous donner leur taille et une approximation de l’âge, du moins pour l’une des victimes. Les fémurs que nous avons proviennent des deux personnes, mais nous n’avons qu’une mâchoire, et encore, elle est incomplète.

— Mais vous pouvez au moins nous dire s’il s’agit d’hommes ou de femmes, n’est-ce pas ? demanda Thomas.

— En fait, anatomiquement parlant, les squelettes de l’homme et de la femme ne présentent pas de grandes différences. Seul l’os du bassin permet de faire clairement la différence entre les deux, parce que, voyez-vous, il est plus large chez la femme. Mais il n’y en a pas. Après, les os féminins sont généralement plus fins que ceux des hommes. Mais cette information est à prendre avec des pincettes, parce qu’une femme peut aussi avoir des os robustes. Mais si une femme est fine, elle aura probablement des os plus fins.

— Bon, qu’est-ce que vous pouvez nous dire qui pourrait nous aider dans notre enquête ?

— Justement, je suis content que vous posiez la question. Venez avec moi, je vais vous montrer.

Sarah et Thomas suivirent le docteur Enrickson dans son bureau, jusqu’à son microscope. Il leur demanda de regarder l’os qu’il avait déposé la veille.

— Bon, c’est un os, commenta Thomas. Il a quelque chose de spécial ?

— Ah oui, très, lui répondit Enrickson avec excitation, comme s’il venait de faire la découverte du siècle. Vous ne voyez donc pas ?

— Heu, non, désolé. Qu’est-ce que je suis censé voir ?

— La méthode du tueur. Il a utilisé de l’acide ! Il ne voulait pas que l’on retrouve les victimes. Donc, pour lui, c’est un échec, mais pour nous, c’est un indice de taille.

— Ok, et c’est censé nous aider ?

— Bien sûr ! Les os ont été rongés avec de l’acide sulfurique. Mais cela n’a pas suffi à dissoudre complètement les corps. Breaking Bad a encore frappé !

— Breaking bad ? demanda Sarah.

— Mais oui, la série, avec le père de famille qui crée de la drogue dans un vieux camping-car. Non ? Ça ne vous dit rien ? demanda-t-il en voyant son air toujours aussi étonné. Bon, c’est pas grave. Le tueur a voulu dissoudre les corps avec de l’acide, mais il a commis une grossière erreur, deux, en fait. La première : visiblement, il n’a pas laissé les corps assez longtemps dans la solution. Le minimum est de quarante-huit heures. Pourquoi ? Ce sera à vous de résoudre ce mystère. La deuxième : l’acide utilisé seul ne permet pas de tout faire disparaître. Il aurait dû utiliser ce qu’on appelle dans le jargon, une « solution piranha ». C’est un mélange composé d’acide sulfurique et de peroxyde d’hydrogène. Là, il lui aurait fallu moins de vingt minutes pour qu’il n’y ait plus aucune trace. C’est pour ça que j’aime les criminels. Ils commettent toujours des erreurs. Je peux vous certifier que celui-ci est un amateur.

— Qui a déjà deux morts à son actif, lui rappela Sarah. Il n’est peut-être pas doué comme criminel, mais ce n’est sûrement pas un amateur.

— Comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai pu déterminer la taille grâce aux fémurs des victimes. La première mesurait au moins un mètre soixante-dix et la seconde, un mètre soixante-quinze. Cela pourrait-il correspondre aux personnes que vous recherchez ?

— Oui. On recherche quatre jeunes filles. Deux d’entre elles mesuraient plus d’un mètre soixante-dix. Cela pourrait correspondre, surtout si l’on prend en compte l’endroit où elles ont été retrouvées. Et pour l’âge ? Vous avez dit que vous aviez retrouvé une mâchoire.

— Une partie seulement. Mais après vérification de l’usure des dents et la présence de dents de sagesse, je dirais que la personne avait plus de dix-huit ans. Vingt-cinq, tout au plus. Après, si vous avez des radiographies dentaires, je pourrais les comparer à la partie de la mâchoire que nous avons.

— Les victimes étaient toutes étrangères à notre pays. Demander ces renseignements prendrait trop de temps. Bon, la taille et l’âge correspondent à peu près. Vous avez parlé de la robustesse des os. Nos deux premières victimes étaient minces et élancées. Ça pourrait correspondre avec la taille des os que vous avez analysés. Non ?

— Oui, peut-être. Mon collègue, le docteur Hamilton, va aussi vous faire son rapport. Andrew, lui cria-t-il. Les agents du bureau de Topeka sont là et ils voudraient te parler.

— J’arrive, lui répondit son collègue en retour.

Du fond de la salle, Sarah vit arriver un petit homme maigrichon, qui semblait flotter dans sa blouse. Il avait dans les mains un bloc-notes avec tout un tas de feuilles.

— Bonjour. Docteur Hamilton, se présenta-t-il. Vous venez pour les échantillons de terre et les ossements, je suppose ?

— En effet, lui répondit Sarah. Avez-vous trouvé des infos intéressantes qui pourraient nous être utiles ?

— Pas vraiment. La terre est typique de celle qu’on trouve dans cette partie du Kansas. En revanche, il y a des traces d’acide sulfurique. Probablement déposées là par les ossements eux-mêmes. Ils ont été rongés.

— Oui, votre collègue nous l’a dit, rétorqua Thomas. Rien d’autre ?

— Non, désolé, dit-il avant de repartir vers sa paillasse.

— Donc, si je résume, commença Sarah, les deux victimes avaient entre dix-huit et vingt-cinq ans, mesuraient en moyenne plus d’un mètre soixante-dix et l’étroitesse des os pourraient faire penser à ceux d’une femme. Merci, docteur, termina-t-elle en lui serrant la main. Si nous trouvons d’autres indices à analyser, vous serez les premiers au courant.

— Bien évidemment. J’espère que vous trouverez l’assassin et que vous confirmerez leur identité. Il n’y a rien de pire pour un parent que de ne pas savoir, dit-il d’un air peiné.

Sur ce, ils quittèrent Great Bend pour retourner à Wichita, où le maire devait tenir une conférence de presse à midi et demi.

***

Joseph s’était couché tard. Il avait voulu changer de méthode, pour accélérer le mouvement. La première fille lui avait pris trop de temps, et il se rendait compte que s’il n’avançait pas plus vite, il finirait par se faire pincer. Qu’est-ce qui lui avait pris de kidnapper cette fille avant d’en avoir terminé avec les autres ? Il pourrait bien la tuer tout de suite, mais alors, il lui faudrait un second congélateur, et il n’avait pas les moyens. Les produits de tannage, les matériaux nécessaires à la fabrication des supports et des mannequins, et les outils nécessaires à la taxidermie, tout ça coûtait très cher. Et même s’il se servait d’un ami naturaliste pour commander ce dont il avait besoin, le coût restait important. Il ne travaillait pas et réussissait tout juste à payer ses factures. Sa part de l’héritage lui avait permis d’acheter cette maison et il avait mis le reste de côté pour ne pas avoir à travailler. Mais cela remontait à plus de trente ans et ses économies fondaient comme neige au soleil, d’année en année. À ce rythme-là, il ne pourrait plus rien payer dans un an ou deux. Mais pour l’heure, il lui restait de quoi vivre encore pour quelque temps.

Il avait voulu essayer la méthode traditionnelle, celle « d’enfiler » la peau sur le mannequin, mais ce n’était pas si simple. Il fallait d’abord allonger la peau intacte sur la table, puis essayer de faire rentrer le moulage à l’intérieur par l’ouverture qu’il avait réalisée à l’entrejambe (comme on le ferait pour une couette ou pour farcir une dinde), et continuer ainsi jusqu’à ce que le mannequin soit entièrement recouvert. Sauf que ce n’était pas si simple, et qu’il avait fini par abandonner deux heures plus tard, trempé de sueur. Il avait alors décidé de revenir à sa méthode. Et le temps de séparer soigneusement l’avant de l’arrière, il était minuit passé.

Il s’était levé vers neuf heures du matin, frais et dispo, prêt à entamer une nouvelle journée de travail. Mais avant de descendre dans la cave, il devait encore s’occuper de nourrir sa captive. Décidément, qu’est-ce qui lui avait pris de la kidnapper maintenant ?


Texte publié par Amélie B, 20 février 2023 à 18h47
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