Au vagabond Cafe, les agents du KBI avaient repris leurs interrogatoires, après une rapide collation, pour ne pas perdre de temps. Après le départ d’Avery, la colocataire de la dernière disparue, c’était maintenant au tour des musiciens de se soumettre à cette entrevue. Thomas les avait convoqués pour quatorze heures, et ils étaient pile à l’heure. Le premier était grand et musclé, blond, la mâchoire carrée, le type même qu’on imagine quarterback. Les deux autres étaient plus petits, et de corpulence moyenne. L’un d’eux était brun, avec des lunettes et l’autre roux, le visage recouvert de taches de rousseur. À vue de nez, eux aussi avaient une vingtaine d’années. Et en se basant sur les vêtements qu’ils portaient, on pouvait en déduire qu’ils sortaient du gymnase. Sarah les accueillit et les invita à s’installer à leur table.
— Bonjour. Agents Parker et Miller, du KBI. Mon collègue vous a expliqué la raison de votre convocation ?
— Heu, oui. Bonjour. Je suis Michael Davis, et voici Alex Dumphy et Howard Brown, dit-il en montrant du doigt ses amis. Nous sommes des amis de Martina.
— Sa colocataire nous a déjà expliqué le début de la soirée, mais nous aimerions en connaître la fin.
— Après le concert, la soirée a continué tranquillement. On a bu plusieurs bières, on a joué aux fléchettes, on a ri. Vers une heure du matin, Martina a dit qu’elle devait rentrer. Elle était fatiguée. Elle a pris ses affaires et est partie, continua Alex.
— Toute seule ? demanda Sarah. Le campus se trouve pourtant à une quinzaine de minutes en voiture.
— Heu oui, répondit Howard d’un air gêné. Mais le coin est sûr d’habitude. Et beaucoup font du covoiturage ou appellent un taxi. On pensait qu’elle trouverait un groupe pour la raccompagner. On était un peu déchiré et on n’a pas percuté qu’elle était toute seule en sortant du bar.
— On a merdé, on sait, s’excusa Michael. On aurait dû être galants et au lieu de ça, on a continué à picoler jusque vers trois heures du matin.
— Hum, tout ça ne nous avance pas plus, rétorqua Thomas. Espérons que la caméra de vidéosurveillance du parking sera plus bavarde que vous. Vous pouvez disposer.
Les musiciens sortirent du café et Sarah les regarda partir.
— Un coup d’épée dans l’eau, souffla-t-elle. Bon, allons à la mairie, voir si on peut extraire des informations utiles de cette vidéosurveillance.
— Ok, vas-y, je te suis !
Ils sortirent du café et se rendirent directement à la mairie. Elle se situait sur Main Street, à trois minutes en voiture. Ils se garèrent sur le parking puis entrèrent dans l’édifice, avant de se diriger vers le guichet de l’accueil. Une jeune femme les accueillit avec un grand sourire. Elle était rousse, les yeux bleus, et portait un tailleur chocolat qui lui allait très bien au teint. Lorsque les agents lui montrèrent leur plaque, son sourire disparut, comme si, avec eux, elle n’avait pas à jouer la comédie.
— Agents Parker et Miller, du KBI, les présenta-t-elle.
— Bonjour, en quoi puis-je vous être utile ?
— C’est bien la mairie qui gère les enregistrements des caméras de surveillance qui se trouvent dans la ville ?
— Heu oui, les enregistrements sont gardés pendant quelques semaines, puis sont effacés.
— Il nous faudrait celui de la caméra qui se trouve sur le parking du Vagabond Cafe, sur Douglas Avenue. C’est possible ? C’est très important. Des vies sont en jeu.
— Une minute, je vous prie. Marty, appela-t-elle depuis son poste, qui s’occupe des enregistrements des caméras de surveillance ?
— Il faut aller au département de la sécurité publique, lui répondit son collègue.
— Ok, donc vous devez aller au cinquième étage, et vous trouverez le service qui pourra répondre à vos questions. Il y a un ascenseur un peu plus loin, sur votre droite.
— Merci, mademoiselle. Tu me suis, c’est par là, dit Sarah en tournant les talons.
À cette heure de la journée, il n’y avait pas foule dans le grand hall. Les employés qui y travaillaient s’étaient déjà remis à la tâche, et les badauds venaient généralement plus tard dans l’après-midi. La presse n’avait pas encore été informée de ces disparitions, et à part eux et le siège, personne n’était au courant. On avait demandé aux familles des victimes de garder le silence, afin d’éviter des scènes de panique et de psychose. Tout du moins, jusqu’à ce que les agents apportent des preuves de l’existence d’un tueur en série. Et pour le moment, ils avaient fait chou blanc. Rien ne prouvait que ces filles avaient été enlevées. Ils espéraient vraiment que la caméra pourrait leur fournir la preuve qu’ils recherchaient depuis leur arrivée dans cette ville. Le voyage dans l’ascenseur se passa en silence. Il leur fallut quelques minutes pour arriver au cinquième étage et lorsque les portes s’ouvrirent, ils se dirigèrent vers le bureau où était inscrit en gros « Département de la sécurité publique ». Ils frappèrent, attendirent quelques minutes, puis une petite voix leur dit d’entrer. Derrière le bureau, sur lequel des documents s’empilaient, se trouvait une petite vieille dame, avachie dans son fauteuil. Elle faisait peine à voir. Ils s’attendaient à une pièce aux murs recouverts d’écrans, remplie d’ordinateurs, gérée par des geeks en t-shirt et survêt, pas à un endroit comme celui-ci. Les murs étaient blancs, avec quelques tableaux ici et là. Une horloge se trouvait au-dessus de la porte, pile en face du champ de vision de l’employée. Devant l’air étonné de ses visiteurs, elle sourit et se leva de sa chaise pour les accueillir.
— Le bureau de surveillance se trouve à l’autre bout du couloir. C’est là-bas qu’ils surveillent ce qui se passe en ville. Ici, on ne fait que de la paperasse, comme vous le pouvez le voir, dit-elle en montrant de la main son bureau encombré.
— Pardon, nous avons été surpris, c’est vrai, mais nous ne nous sommes pas trompés de bureau, lui répondit Sarah. Agents Parker et Miller, du KBI. Dans le cadre d’une mission, nous aurions besoin des enregistrements de la caméra qui se trouve sur le parking du Vagabond Cafe, sur Douglas Avenue.
— Je vois. En effet, vous ne vous êtes pas trompé d’adresse. Il faut que vous remplissiez un formulaire, avec vos noms, prénoms, adresse et grade. Il faudra bien évidemment ajouter la date, le lieu et l’heure de l’enregistrement que vous voulez visionner. Une fois remplie, vous me le rendez pour vérification et signature, et vous pourrez ensuite vous rendre au service surveillance, où ils vous remettront l’enregistrement, leur expliqua-t-elle en leur tendant une feuille de papier.
— Allez, Thomas, à toi de t’y coller. Tiens, j’ai un stylo, lui dit Sarah en plaisantant.
Quelques minutes plus tard, ils tendirent le formulaire à la dame, qui le tamponna avant de leur faire quitter son bureau.
— Et n’oubliez pas de refermer derrière vous, leur dit-elle avant de retourner s’asseoir.
— Merci, madame. Bonne journée.
Ils avancèrent dans le couloir, à la recherche de ce service de surveillance. Ils ne tardèrent pas à le trouver. Des employés se tenaient derrière des écrans, disposés devant eux, en hauteur. Concentrés sur les images, ils ne les entendirent pas arriver et sursautèrent lorsqu’ils frappèrent à la porte. L’un d’entre eux se leva, et alla prendre le formulaire que Thomas lui tendait.
— Une minute, je reviens.
— Ce sera long ? lui demanda Sarah. Cela concerne une affaire urgente de disparition.
— Je reviens, lui dit-il en se retournant. Attendez-moi là. Merci.
— Dis donc, cette ville regorge de personnes charmantes, dit-elle à voix basse à son collègue.
Quelques minutes plus tard, l’homme revint et leur tendit un DVD, en leur souhaitant un bon visionnage. Ils quittèrent la pièce, reprirent l’ascenseur et retournèrent dans le hall. La pendule indiquait trois heures, ce qui leur laissait du temps pour retourner à l’hôtel, visionner les images.
***
La séquence qui les intéressait se situait entre dix-neuf heures et deux heures du matin. Ils l’avaient visionnée une première fois dans son ensemble, en accéléré, et prenaient le temps maintenant de regarder plus en détail. Vers dix-neuf heures, une voiture se gara sur le parking et deux filles en descendirent. Le Soleil n’étant pas encore couché, Sarah distingua parfaitement Avery Lawson et son amie, Martina Clemens. Elles traversèrent le parking et disparurent du champ de vision de la caméra. Quelques instants plus tard, les trois jeunes hommes qu’ils avaient interrogés arrivèrent à leur tour. Bientôt, le parking fut plein à craquer. Le café n’était pas visible avec cet angle et il était difficile de savoir si quelqu’un épiait les jeunes étudiants depuis la rue. Thomas appuya sur avance rapide, puis mit sur pause au moment où Avery réapparut dans le champ de vision. La caméra indiquait vingt-deux heures et dix minutes. Elle était seule et retournait tranquillement à sa voiture. Thomas remit la vidéo en marche et le parking commença à se vider. Il était presque minuit. Martina n’allait plus tarder à apparaître sur l’écran. Les deux agents avaient les yeux rivés sur lui, lorsqu’une sonnerie les fit sursauter. La vidéo fut de nouveau mise en pause et Sarah décrocha.
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