L’agent Parker sortit quelques minutes, puis revint l’air satisfait. La colocataire de la jeune femme disparue, Avery Lawson, arriva sur les coups de onze heures et demie. Si elle était inquiète pour son amie, elle ne le montrait pas. Souriante, habillée d’une robe rose clair, assortie à ses collants et à son manteau, elle s’approcha d’eux à pas feutrés. Blonde, la vingtaine, son physique élancé était à l’opposé de celui son amie, plutôt rondouillard. Sarah l’avait remarqué sur la vidéo. Un coup d’œil à son collègue lui permit de comprendre que lui aussi se demandait pourquoi l’une plutôt que l’autre. Les deux étaient jolies, mais l’une rassemblait plus de critères que l’autre, en termes de disparition, si on se fiait aux statistiques. Peut-être que l’agresseur n’avait pas eu le choix finalement, qu’il l’avait enlevée en dépit de l’autre, se dit-elle.
— Ou peut-être qu’il veut différents formats, dit Thomas en la regardant, comme s’il lisait dans ses pensées.
— Quoi ? lui demanda-t-elle, en sortant de ses pensées.
— Les filles disparues. Sur les trois premières disparitions, deux étaient grandes et minces. La troisième était de taille moyenne et un peu plus charnue. La quatrième, quant à elle, était grande, mais rondouillarde.
— Tu penses que ce n’est pas une erreur s’il a enlevé Martina plutôt qu’Avery ?
Il n’eut pas le temps de répondre, car leur témoin venait d’arriver à leur table.
— Avery Lawson, se présenta-t-elle. Je peux m’asseoir ?
— Bien sûr, mademoiselle Lawson. Je suis l’agent Miller et voici l’agent Parker. Nous sommes du KBI et nous enquêtons sur la disparition de votre amie, mademoiselle Clemens. C’est bien vous qui avez signalé sa disparition ?
— Oui, une fois que j’ai vu qu’elle n’était pas allée à la fac. Cela ne lui ressemble pas. Il lui est forcément arrivé quelque chose.
— Pouvez-vous nous dire qu’elle est la dernière chose dont vous vous souvenez après cette soirée arrosée ?
— Je suis partie après le concert, vers vingt-deux heures. Je lui ai proposé de me suivre, mais elle s’amusait bien et a préféré rester. Entre nous, je pense qu’elle flashait surtout sur Mickey, le guitariste du groupe.
— Et ce Mickey a un nom de famille ? demanda Thomas.
— Michael, en fait. Mickey est un surnom. Michael Davis.
— Pouvez-vous nous donner également le nom des deux autres musiciens ?
— Alex Dumphy et Howard Brown. Ce sont des étudiants de deuxième année.
— Avez-vous vu quelqu’un roder autour du bar, quand vous êtes partie ? Quelqu’un qui ne ressemblait pas à un étudiant ?
— Non, pas que je m’en souvienne. Des groupes d’étudiants se tenaient sur la place et devant le bar. L’ambiance était bonne enfant. J’ai repris ma voiture et je suis rentrée. Ça aurait pu être moi, reprit-elle en sanglotant, comme si elle venait de réaliser à quoi elle avait échappé.
— Bien, mademoiselle Lawson. Vous pouvez disposer. Nous allons faire venir vos amis pour les interroger. Avez-vous leur numéro de téléphone ?
— Oui, une minute.
Elle sortit son téléphone et nota les numéros sur une serviette qui se trouvait sur la table.
— Tenez, dit-elle en leur tendant. Et heu, retrouvez là s’il vous plaît. Je m’en veux terriblement pour ce qui s’est passé.
— On va faire notre possible, lui répondit Sarah pour la rassurer. Mais vous n’y êtes pour rien. Il aurait pu vous enlever toutes les deux.
Avery se leva, hocha la tête et quitta le bar.
***
Joseph s’épongea le front une nouvelle fois, posa ses outils et alla se laver les mains. Il était presque midi et s’il voulait garder sa captive en vie encore quelque temps, il fallait lui donner à manger. Il ne faudrait surtout pas qu’elle perde du poids, au risque de voir la peau perdre de son élasticité. Il se dirigea vers la cuisine, ouvrit la porte de son frigo, et en sortit des œufs. Tout le monde aime les omelettes, se disait-il, et la fille ne devait pas faire exception. Il cassa les œufs sur le bord d’un bol, ajouta quelques herbes aromatiques, des petits morceaux de lard, et mélangea le tout à la fourchette. Enfin, il versa sa préparation dans une poêle. C’est fou, pensa-t-il, s’il n’avait pas autant aimé la taxidermie, il aurait pu être cuisinier. Sur le fonds, le principe était le même : sublimer quelque chose de mort, pour le rendre beau et bon. Quelques instants plus tard, il versa l’omelette dans une assiette, l’agrémenta de tomates coupées en morceaux, arrosé d’un léger filet d’huile d’olive, et ajouta quelques chips, pour le fun. Il mit les couverts et l’assiette sur un plateau, une canette de soda, pour montrer qu’il n’était pas le monstre qu’elle s’imaginait, et se dirigea vers la chambre de son invité. Il monta les quelques marches qui menaient à l’étage, tourna à droite sur le palier et s’arrêta devant la porte de sa chambre, où il toqua trois petits coups à la porte. Un bruit de chaîne lui répondit.
***
Assise sur le matelas, Martina réfléchissait à une échappatoire. Comme elle ne pouvait atteindre ni la porte ni la fenêtre, il fallait qu’elle trouve une autre solution. Elle ne pouvait pas juste crier et taper au carreau, comme elle avait pensé le faire au début. La chaîne à sa cheville était en métal, donc, inutile de chercher à la détacher. Sa fixation était dans le mur, près d’elle, mais semblait vraiment bien enfoncée. Elle avait essayé de tirer dessus de toutes ses forces, mais la fixation n’avait pas bougé d’un pouce. L’amputation n’était pas non plus envisageable, aucun outil tranchant ne se trouvant à proximité, et puis, avouons-le, elle n’avait pas envie d’en arriver là. Se disloquer la cheville, pour ensuite pouvoir la faire passer dans l’entrave, serait éventuellement une solution désespérée, mais également très douloureuse. Pas sûre qu’elle puisse le faire sans se faire entendre par son geôlier. Simuler un suicide serait aussi un bon plan. Il lui suffirait de le prendre par surprise au moment où il s’approcherait d’elle pour voir si elle respirait encore. Son ventre se mit à gargouiller, ce qui la sortit de ses pensées. Depuis quand n’avait-elle pas mangé ? se demanda-t-elle. Et surtout, depuis quand était-elle là ? Avec toutes ces drogues dont il l’avait gavée, elle avait perdu le sens du temps. Elle avait dîné, la veille, avant d’aller au bar, ou du moins, c’est ce qu’elle pensait, mais peut-être que cela remontait à plusieurs jours, aller savoir, puis s’était réveillée ici, dans cette maison de l’horreur. Son kidnappeur n’avait même pas daigné lui donner un petit truc à grignoter. Son ventre grogna de plus belle. Elle se leva, essaya de nouveau d’aller jusqu’à la fenêtre, sans succès, et commença à faire les cent pas. C’est alors qu’elle entendit du bruit dans le couloir. Elle s’arrêta net, retint sa respiration, par réflexe, puis souffla lorsqu’elle réalisa que ça ne servait à rien, étant donné qu’il savait déjà où elle était. Elle entendit trois petits coups contre la porte, s’avança vers elle machinalement pour aller ouvrir, avant d’être arrêtée net par la chaîne, qui émit un bruit strident. Elle attendit, la porte s’ouvrit et son agresseur entra avec un plateau de nourriture, qu’il posa à même le sol, à quelques mètres d’elle, de sorte qu’elle ne puisse pas lui sauter dessus, si l’envie lui en prenait.
— Bonjour. Tu dois avoir faim, dit-il en poussant le plateau du pied, vers elle. C’est une omelette, agrémentée de tomates. Je t’ai mis un soda, aussi.
— Vous pensez vraiment que je vais vous faire ce plaisir ? cracha-t-elle. Qui me dit que vous ne l’avez pas empoisonnée ?
— Je t’assure qu’elle ne l’est pas. J’ai besoin de toi, intacte, en pleine forme, si je puis dire, lui lança-t-il en la reluquant.
— Vous me dégoûtez. N’imaginez même pas une seule seconde pouvoir abuser de moi, cria-t-elle, en reculant légèrement.
— Alors là, je te rassure tout de suite. Tu n’es pas mon genre de femme. Seule ta plastique m’intéresse. Le côté artistique, tout ça. Maintenant, je dois te laisser. J’ai du travail. Mange ! Qui sait quand tu pourras de nouveau le faire !
Il tourna les talons, et referma la porte derrière lui. Affamée, Martina regardait le plateau avec envie, et sans en attendre davantage, s’assit par terre, et dégusta son omelette. Bizarrement, elle n’en avait jamais mangé d’aussi bonne.
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