— Excuse-moi pour le manque de confort. Je n’ai pas l’habitude d’avoir de la visite. Et soyons honnêtes, d’habitude les filles ne sont pas aussi… vivantes ! dit-il à sa captive en souriant.
— Où suis-je ? Pourquoi m’avoir enlevé ? cria la jeune femme en secouant les barreaux de sa cage.
— Chaque chose en son temps, ma chère. Tu vois, je suis un artiste. Et les artistes, c’est bien connu, sont souvent incompris. J’ai eu les yeux plus gros que le ventre avec toi. D’habitude, j’attends que mon travail soit bien avancé avant de choisir un nouveau modèle. Mais pour toi, j’ai fait une exception. Tu devrais te sentir flattée, ajouta-t-il en se rapprochant d’elle.
— Vous êtes un malade si vous pensez que vous allez pouvoir abuser de moi, dit-elle en reculant jusqu’au fond de sa prison. Hé… c’est pour quoi faire ces gants ? demanda-t-elle, horrifiée.
— Oh, ça, ce n’est rien, dit-il en les enlevant. Tu n’as pas à t’en soucier pour le moment. Comme je te le disais, je n’étais pas censé reprendre quelqu’un avant d’avoir fini mon projet en cours. Mais lorsque je t’ai vue dans ce bar, à travers la fenêtre, entourée de tous ces gens, pleine de vie, j’ai su que je ne devais pas passer à côté. Tu es tellement belle. Tu seras la pièce maîtresse de ma collection.
— Votre collection ? demanda-t-elle, blêmissant à vue d’œil.
— Je vais te montrer une partie de mon travail. Mais il va falloir que je te bouge, car c’est dans l’autre pièce. Tu comprendras alors quelle chance tu as, d’avoir été choisi.
— Attendez, lui dit-elle. Je ne connais même pas votre nom. Il est impoli d’inviter quelqu’un chez lui sans se présenter.
— Vous avez raison, dit-il, après quelques secondes de silence, je m’appelle Joseph. Et vous ?
— Heu, Emma ! lui répondit-elle.
— Bien essayé, Martina, dit-il en lui montrant sa carte d’identité. Donc, tu es une menteuse, intéressant. Moi qui te faisais confiance.
— Et après, qu’est-ce que ça peut faire ? Vous allez certainement me tuer, de toute façon, lui dit-elle calmement.
— Là, tu marques un point. Allez, viens, je vais te montrer en quoi consiste mon art.
Il positionna ses mains sur un des côtés de la cage et commença à la faire rouler doucement. Le grincement des roues raisonna dans toute la pièce, rompant le silence ambiant. Il passa la porte et s’arrêta devant la table recouverte d’un drap. On pouvait facilement distinguer une forme humaine dessous. Martina frissonna et manqua de vomir lorsqu’il enleva le tissu pour la laisser regarder. Devant elle gisait une pauvre fille, dont la peau sur le corps était tirée et maintenue par des épingles sur les côtés et aux extrémités. À sa couleur gris cendre, on imaginait sans mal qu’elle était morte depuis un moment.
— Elle est magnifique n’est-ce pas ? C’est ma première création. Tu vois, là, dit-il en soulevant un peu la peau, il s’agit en fait d’un squelette en mousse de polyuréthane expansé. Dans le métier, on appelle ça un « mannequin ». Ce qui est drôle, parce que je me suis servie d’un véritable mannequin de vitrine comme modèle. J’ai donné cette position naturelle au squelette et j’ai posé sa peau par-dessus. J’avoue que les cheveux et la langue m’ont donné pas mal de souci. Il y a quelques imperfections, mais elles se voient à peine. Le scalp n’est jamais évident, dit-il en riant comme s’il venait de faire une bonne blague. Une fois terminée, elle sera debout, comme les mannequins des vitrines. Mais il me faut encore coudre les différentes parties et la peindre, sans quoi elle ne ressemblera à rien.
— Et où sont les restes du corps ? demanda-t-elle en retenant un haut-le-cœur.
— Je m’en suis débarrassé. Tu n’imagines pas l’odeur d’un corps en décomposition.
— Au contraire, dit-elle en se bouchant le nez, j’imagine très bien.
— Bien, maintenant que tu as vu de quoi était fait mon art, je vais te montrer une autre facette de mon métier. La conservation des corps.
Il remit la cage en mouvement et s’arrêta au fond de la pièce devant un grand congélateur rectangulaire. Il souleva le couvercle et en sortit en partie un sac mortuaire.
— Tu vois, celle-ci sera ma troisième œuvre. La seconde fait trempette dans le bac là-bas, lui dit-il en partant d’un rire franc. Je suis hilarant aujourd’hui, tu ne trouves pas ?
— Vous êtes un malade ! lui cria-t-elle avant de se radoucir. Laissez-moi sortir, s’il vous plaît, j’ai un besoin urgent d’aller aux toilettes !
— Ah, je n’avais pas pensé à ça. Il est vrai que cette cage n’est pas très pratique. Bien, laisse-moi arranger ça, dit-il en se dirigeant vers une petite table remplie de bouteilles en tout genre.
Horrifiée, elle le regarda prendre une seringue et la remplir d’un quelconque liquide. Il revint ensuite vers elle, l’attrapa par le bras et lui injecta sa mixture. En quelques secondes, elle perdit connaissance. Il alla chercher un fauteuil à roulette, ouvrit la cage, tira sur les bras de la jeune femme pour la faire sortir, et non sans mal, la fit asseoir dessus. Il attrapa une corde qui se trouvait à proximité, et l’attacha bien solidement, afin qu’elle ne tombe pas pendant le transport. Il fit ensuite rouler la chaise à travers la pièce, remonta tant bien que mal les escaliers de la cave, continua dans l’entrée, puis après une courte pause, se remit à gravir les marches menant au premier étage. Il entra dans une pièce, la débarrassa de ses quelques meubles, posa un matelas sur le sol, et retourna chercher son invité. Il amena la chaise près du lit improvisé, la détacha, et la fit tomber sur le matelas en la poussant légèrement. Il tira les rideaux, alla chercher une chaîne avec entrave, lui attacha à la cheville, puis accrocha solidement son extrémité dans le mur. Enfin, il trouva un vieux pot de chambre, qu’il disposa dans un coin accessible. Il la regarda dormir paisiblement et doucement, sans faire de bruit, sortit de la chambre. Il redescendit à la cuisine pour se faire à dîner, puis alla se coucher.
***
Parker alla doucement frapper à la porte de sa collègue vers dix heures du matin. Après la nuit qu’elle avait passé, il ne voulait pas la brusquer en la réveillant trop brutalement ou trop tôt. Il s’attendait à ce qu’elle ne soit pas encore prête, mais lorsqu’elle ouvrit la porte il dut admettre son erreur. Elle était radieuse. Le maquillage est vraiment quelque chose de miraculeux pour les femmes, se dit-il.
— Pas trop mal dormi ? Tu as pu te reposer quand même ? lui demanda-t-il.
— La nuit a été courte, mais ça ira. J’ai connu pire.
— Eh bien, pendant que tu te pomponnais, j’ai reçu un coup de fil du bureau.
— Ha ? Ils voulaient savoir comment on va après la tornade d’hier ?
— Heu, pas exactement. En fait, ils n’avaient même pas calculé qu’il y avait eu une tempête hier.
— Génial ! On se sent important dans ce travail, c’est fou, lâcha-t-elle ironiquement. Ils voulaient quoi alors ?
— Nous signaler une autre disparition.
— Ha ? Ils pensent que ça concerne notre affaire ?
— Il y a des points communs, semble-t-il. La jeune femme est grecque et a disparu lors d’une soirée donnée par l’université de Wichita. Dans notre secteur, donc.
— Depuis combien de temps ?
— Plus de trente heures. Assez pour émettre un signalement.
— Qui l’a signalée ? On est sûr qu’elle n’est pas chez un copain ?
— Oui. C’est l’amie avec qui elle est sortie qui a signalé sa disparition. Elle n’est pas rentrée après la fête et n’est pas venue à la fac le lendemain. Et personne ne la revue depuis.
— Des témoins ? Elle a peut-être juste suivi un mec chez lui et oublié d’appeler sa copine.
— Il y avait beaucoup d’alcool à cette soirée. Et personne ne se rappelle de rien.
— Et les caméras de surveillance ? Il doit bien y en avoir, non ?
— Justement, le bureau nous demande de nous rendre sur place pour parler au gérant du bar. Il faudra aussi interroger son amie. Il nous envoie sa photo.
— Bon, très bien. On passera à la boulangerie prendre des cafés et de quoi manger.
— Pas besoin, lui dit-il en lui mettant un sachet sous le nez. Je m’en suis déjà chargé. Et avant que tu ne demandes pour la voiture, le bureau nous en a loué une. Le chef enverra une dépanneuse pour celle qui est dans l’arbre.
— Bon, et bien qu’est-ce qu’on attend alors ? Allons-y !
Ils dirent au revoir au gérant de l’hôtel et montèrent dans la voiture qui avait été livrée pour eux quelques minutes plus tôt.
— Il y a combien de temps jusqu’au restaurant ? demanda-t-elle.
— Sept minutes, si ça roule bien.
Le trajet se déroula en silence, à l’exception du bruit de mastication qu’ils faisaient en mangeant les beignets que Parker avait achetés. C’était une belle journée, un peu fraîche, peut-être, mais très ensoleillée. Et à cette heure de la journée, il n’y avait pas grand monde sur les routes. Les gens étaient déjà à leur travail et ce n’était pas encore l’heure de déjeuner. Ils seraient donc bientôt arrivés sur place. La tornade n’avait pas fait de dégâts sur cette partie de la ville. Elle était passée sur le quartier où se trouvait leur hôtel et avait continué sa route vers le centre de Linwood.
— Tiens, regarde ! s’exclama l’agent Miller. La pancarte pour aller à l’université. On doit plus être très loin. Comment s’appelle le bar déjà ?
— Le Vagabond Cafe. C’est un café très en vogue chez les étudiants.
— Espérons que le gérant pourra nous en dire plus. On devrait convoquer la fille qui a signalé sa disparition au passage.
— Oui, c’est prévu, mais j’aimerais d’abord interroger le patron. Voir ce qu’il a à dire.
— Ok, ça marche pour moi.
Le parking n’était pas propre au bar. Il servait pour tous les commerces de la rue et ils durent faire deux fois le tour pour trouver une place. En sortant de la voiture, Sarah remarqua une petite caméra placée sur un lampadaire. Elle n’était pas spécialement tournée vers le café, mais devait quand même enregistrer ce qui se passait sur une partie de ce parking. Intéressant, se dit-elle, espérons qu’elle ait filmé quelque chose d’exploitable.
La devanture du bar était toute simple, sans décoration extravagante. Son nom était inscrit sur la vitre de droite et un V majuscule apparaissait sur celle de gauche. Une petite terrasse de quelques tables finissait de rendre cet endroit accueillant. Bien qu’il soit encore très tôt, quelques clients affluaient déjà. Ils passèrent la porte et se dirigèrent vers le comptoir où se trouvait la barmaid. De taille moyenne, rondouillarde, blonde, le cheveu gras, elle n’avait rien à voir avec les clichés que l’on pouvait trouver dans les films. Derrière elle, sur une gigantesque étagère fixée au mur, se trouvaient alignées des dizaines de bouteilles d’alcools. Mais elle eut beau regarder partout, Sarah ne vit pas de caméra. Le reste de l’endroit était somme toute assez classique, avec des tabourets devant le comptoir, et des tables et des chaises disséminés un peu partout. Une petite scène avec un micro sur pied se trouvait au fond de la salle, au cas où des groupes de musiciens amateurs voudraient venir jouer.
— Je peux vous aider ? demanda la femme derrière le comptoir. Vous ne ressemblez pas à ma clientèle habituelle.
— Agents Parker et Miller, dit Sarah en lui montrant sa carte. Nous devons voir votre patron. C’est pour une histoire de disparition.
— Le problème est qu’il n’est pas encore là, à cette heure. Il ne vient jamais avant dix-huit heures.
— Alors, appelez-le. Et en l’attendant, vous pourrez peut-être répondre à nos questions.
— Je vais voir si je peux le faire venir, dit-elle, avant de se diriger vers le bureau du fond où une plaque sur la porte indiquait « manager ».
— Qu’est-ce que tu penses de cet endroit Tom ? Tu crois qu’on peut en tirer quelque chose ?
— Vu la configuration des lieux, si l’enlèvement a eu lieu ici, quelqu’un a forcément vu quelque chose. Il n’y a aucun renfoncement où se cacher. Que ce soit du bar ou de la scène, la vue est bien dégagée jusqu’à la porte.
— Il va arriver, leur dit la barmaid en revenant vers eux. Il sera là d’ici dix minutes.
— Vous étiez de service, avant-hier soir, lors de la soirée étudiante ? demanda l’agent Parker.
— Oui. Nous étions deux en fait. Il y avait pas mal de monde et nous ne savions plus où donner de la tête.
— Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ? Un client un peu trop insistant sur les filles ou qui sortait de l’ordinaire ?
— Heu non, dit-elle. C’était une soirée étudiante classique, où l’alcool coulait à flots.
— Vous servez les boissons aux verres ou à la bouteille ?
— Eh bien, ça dépend de ce que l’on me commande. Les bières généralement se servent à la bouteille. Les cocktails en revanche, se font plutôt aux verres.
— Donc, si j’ai bien compris, continua l’agent Parker, si quelqu’un voulait mettre de la drogue dans un verre, avant de l’apporter à quelqu’un, il pourrait le faire sans problème ?
— Je sers juste les verres, moi. Ce que les clients en font après, ce n’est pas mon problème, se défendit-elle.
— Bien sûr, on ne voulait pas vous brusquer, lui dit l’agent Miller gentiment. On cherche juste des réponses. Avez-vous vu cette jeune femme lors de la soirée ? lui demanda-t-elle en lui montrant la photo que le bureau lui avait envoyée sur son téléphone.
— Non, ça ne me dit rien. Mais comme je vous l’ai dit, nous étions deux ce soir-là et le bar était plein à craquer.
— Votre patron pourra peut-être nous en dire plus.
La barmaid leur tourna le dos et retourna à son service. Sarah regarda plus longuement la photo que le bureau leur avait envoyée. Elle correspondait bien aux critères de disparition, tels qu’ils les avaient établis. Une jeune femme brune de vingt-quatre ans, originaire d’Athènes, qui était venue faire ses études en Amérique. Martina Clemens, avait-elle lu dans le message qui accompagnait la photo. Elle la trouvait belle avec ses longues boucles brunes qui entouraient harmonieusement son visage. Ses yeux étaient maquillés avec soin, son eye-liner faisant ressortir la couleur de ses yeux bleu-vert. Un petit sourire discret et un nez aquilin terminaient de la rendre magnifique. Le fait qu’elle ait été enlevée la dernière lui laissait plus de chance que les autres d’être encore en vie quand on la retrouverait, si, bien sûr, on la retrouvait. Dans les cas de disparitions, les quarante-huit premières heures étaient décisives.
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