Le soleil avait parcouru les trois quarts de sa course quand une botte vint réveiller Lubin. Le Brit dénommé Eadwin, du bout de son pied, remuait le jouvenceau. L’agitation secouait l’Archéron Noir, glissant toujours sur une mer d’huile.
« Pourquoi ces deux-là ne sont-ils pas réveillés comme les autres ? tonna une voix dans les cordages.
— Parce que seul un fou maltraite son barbier !
— Il n’a point le rôle, contredit une troisième voix.
— Et qui iras-tu voir pour te faire recoudre ? »
Lubin émergeait lentement, encore assommé de fatigue. Il reconnut les voix de Bridilia, Bérenger, Brida et du père Maric. Papillonnant des yeux, le jouvenceau essaya de se lever prestement.
« En voilà un qui dort comme un bébé sous les paquets de mer, souligna un des bucellaires !
— Les anges ont tracé son chemin invisible vers la mer, c’est certain, rétorqua un autre…
— En tout cas, aucun ne m’a touché, continua Aelys, parfaitement éveillé. Viens par là, je vais t’affubler. »
Les Brits patibulaires finissaient de réveiller les hommes de corps à grand renfort d’eau de mer. La plupart se levaient en grommelant. Un des hommes libres fit mine de se rebeller, mais un coup de trique sur le crâne l’en dissuada.
Les bucellaires avaient déjà rangé leurs avirons. Agglutiné autour d’une marmite, suspendu au plafond du château avant, il trempait du pain à tour de rôle. Au-dessus, les jambes par-dessus bord, les gabiers vidaient le contenu de leurs écuelles. La seconde cordée s’affairait dans la voilure, tentant d’utiliser le peu de vent berçant les flots.
La côte était toujours par tribord. Les falaises dentelées étaient toujours couronnées par une végétation inquiétante. Des dents rocheuses, s’extirpant des ondes profondes, déchiraient la surface des eaux en contrebas de ce grand mur.
À la poupe, fidèle au poste, le père Maric barrait au gré du vent. Deux des Brits assis en tailleur à ses côtés l’écoutaient avec attention. Lubin reconnut un catéchisme dans les paroles de l’aumônier, angélique bien sûr, mais légèrement différent de celui que les prélats de Lhynn lui avaient enseigné.
Assise sur un tabouret de bois, dans un coin du château arrière, la capitaine Brida la Brit somnolait. Elle écoutait d’une oreille distraite les prônes de son aumônier.
Eadwin descendit jusqu’à la barre. Là, il prit les bols de gruau que préparaient ses acolytes, et commença la distribution. La plupart des hommes de corps prirent avec méfiance la pitance nauséabonde qu’on leur présentait. Aelys et Lubin finirent par avoir les leurs.
Leurs bols contenaient une sorte de pâte grise. Tout autre part, le jouvenceau aurait cru à une sorte de mortier, préparé par les mortelliers1 de la capitale. Les hommes de corps de l’Archéron Noir, habitués à ce vulgaire, l’avalaient sans entrain. Portant la pâte grise à ses lèvres, Lubin en goûta une noisette.
C’était horriblement salé. Le jouvenceau eut l’impression d’avaler une gorgée d’eau de mer.
« Ne fais pas le difficile, lui lança Aelys. Ce n’est pas très bon, mais au moins tu ne risques pas de te casser les dents. »
La jeune fille avalait de grandes bouchées. Elle alla même jusqu’à lécher son bol après l’avoir raclé des doigts.
« Mange ce qu’on te donne, continua la jeune fille. Les petites gens des égouts sont moins bien nourris… »
À ce dernier argument, Lubin avala son triste repas. Il eut bien quelques haut-le-cœur, mais Aelys trouva un moyen de lui faire oublier le goût abject de son repas.
« Finis bien ton assiette, mon petit. Si tu lèches bien ton bol, tu auras autre chose à lécher…
— Les anges savent si j’en ai envie, murmura Lubin en rougissant, mais comment faire ?
— Nous trouverons bien, mon beau. »
À peine eurent-ils fini de nettoyer leurs bols qu’Eadwin commença à battre la mesure. Les hommes de corps se précipitèrent sur leurs avirons. Les Brits récupéraient les bols, frappant les rameurs trop lents.
Aelys dévisagea du regard un de ces hommes du nord, comme pour le provoquer, mais elle se mit prestement à ramer. Lubin mit toute sa force à souquer.
« Je guide le mouvement, lui murmura Aelys. Toi, tu tires, et tu tires seulement. Inspire quand j’expire, et inversement. Ne donnons pas l’occasion à ces butors de nous brutaliser. J’occirais avec plaisir un de ces barbares, mais alors la capitaine nous tomberait dessus. Nous sommes nouveaux, écoutons et apprenons. Nous saisirons notre chance le moment venu. »
Aelys et Lubin ramèrent donc de concert. Le jouvenceau eut quelques difficultés à se synchroniser sur sa compagne dans un premier temps. La respiration aidant, les deux époux se synchronisèrent. Lubin songeait aux autres instants, qu’il avait passés ainsi avec sa belle : leur nuit de noces, où il était allé et venue en Aelys, inspirant quand elle gémissait, expirant quand elle respirait.
Lubin se laissa aller à la rêverie. Bercé par les respirations d’Aelys, il ramait comme un forçat. Il revoyait sa belle épouse à cheval sur son bas ventre, laissant son guilleri se gonfler dans son conet. Tirant fort sur la rame, alors qu’Aelys inspirait, il soufflait, imaginant que c’était sa belle qu’il amenait ainsi vers lui.
Le soleil lança ses derniers rayons sur l’océan intérieur, tandis que les ondes sombres avalaient les derniers éclats du disque. Les bucellaires s’étaient retirés sous leur toile, les gabiers dans leurs voiles, mais les Brits, malgré l’obscurité, continuaient de tyranniser les rameurs trop lents.
Les douleurs reprirent Lubin. Ses épaules le brûlèrent de nouveau. Il sentait Aelys faiblir à côté de lui.
« Quand je rame, c’est toi que je prends.
— Comment ? murmura Aelys décontenancé.
— Quand je ramène la rame, je rêve que c’est toi. Je te saisis par la taille, et je te presse sur mon bas ventre.
— Vil coquin. Comment oses-tu me torturer ainsi ? Si proche de moi, et pourtant, inaccessible.
— Cela m’aide à tenir, cela me donne de la force.
— Il est vrai que ton viet est large comme l’aviron. Je le sers fort, comme mon ventre serrait ton pendeloche. »
Toutes sortes de pensées lubriques déferlèrent dans l’esprit de Lubin.
Un des Brits avança rapidement vers eux, levant la trique pour les frapper, mais Aelys fut plus rapide.
« Rêwet ! cria-t-elle.
— Rêwet ! cria Lubin à son tour.
— Rêwet ! continua la jouvencelle. »
Le Brit suspendit son geste. Lubin ne pouvait déchiffrer les traits de son visage dans l’obscurité, mais il hésitait visiblement. Alors qu’il rabaissait son bras, les deux jeunes gens ramaient de plus belle, animés d’une nouvelle vigueur.
« Rêwet, murmura Aelys, voilà ce que je hurlerais. Quand tu me perforeras le conet. Avec ton aviron. Je le hurlerais, encore et encore. »
Les deux époux se murmurèrent ainsi des mots doux, des mots sagaces, des mots lubriques, tout en ramant. Leur souffle ne put tenir le rythme bien longtemps, et ils se turent. Vigoureusement, Lubin ramenait la rame à lui, tandis qu’à son tour, Aelys la repositionnait.
Lubin tirait, Aelys poussait, Lubin tirait, Aelys poussait.
Une sorte de litanie s’empara du jouvenceau. Ils ramèrent ainsi durant la nuit, synchronisés, coordonnés, reliés, rêvant de leur nuit de noces.
Un cri retentit, brisant la transe des deux époux.
Les Brits paraissaient s’être assoupis.
Pourtant, l’un d’eux venait d’allumer une lampe sourde. Rapidement, il avait fait jaillir la flamme de ses doigts et enflammé la poix. Il braquait à présent sa lampe sur un des bancs, révélant un homme de corps endormis.
Lubin en avait soigné la plupart. Il s’agissait d’un boulanger désargenté, qui payait ses dettes en ramant sur l’Archéron Noir.
Le Brit, qui alarmait ses camarades, dégaina sa trique et en frappa le dormeur.
Tout l’équipage fut bientôt sur le pied de guerre.
Les Brits avaient saisi le dormeur et son compagnon de banc — une mauvaise tête sortie de geôle —, les attachant au mât arrière. Les bucellaires s’étaient extirpés de leur toile, l’arme à la main, exhortant la vigie à nommer l’ennemi.
« L’ennemi, gronda la capitaine en apparaissant sur le pont, c’est la fainéantise. L’ennemi, c’est un homme de corps qui ne tient pas sa tâche. L’ennemi, c’est la moindre erreur, qui perd corps et âme un équipage.
— Quelle est la faute ? demanda le sergent Bérenger.
— Endormi à poste, expliqua le Brit dans un Lhynnien approximatif.
— C’est une faute grave, souligna la capitaine.
— En effet, commenta le sergent.
— Qui doit être puni, tonna le père Maric depuis la barre. Jamais marin ne quitte son poste ou cache quelque chose à ses officiers.
— Mais ce n’est pas moi, cria l’ancien prisonnier. C’est ce pisse-froid qui n’a pas tenu.
— Si le banc défaille, le banc est puni, condamna Brida la Brit.
— Quelle est la punition, s’enquit le sergent Bérenger ?
— Quelles punitions appliquez-vous, Lides de Bikivyk, persifla la capitaine ?
— Dix coups de bâton, cinq par cuisse, répondit le bucellaire. Comme ça, ils peuvent toujours ramer.
— Très bien, donnez-les alors. »
Le sergent eut un mouvement de recul. La capitaine arracha la trique à son aide de camp Brit, et la tendit au sergent.
« Je suis seul maître à bord, selon l’Ordre de notre communauté Angélique. Je décide donc des sanctions et de qui les applique. Vous avez un bras fort, bucellaire Bérenger, j’y veille avec mon meilleur pain, non ? Alors, frappez ! Ce doit être une leçon pour tout le monde… »
Le sergent saisit la trique, la soupesa, puis s’avança vers le boulanger fautif.
« Tu as manqué à tes devoirs envers notre communauté, gronda le bucellaire. Tu sais que ce châtiment est juste, n’est-ce pas ? »
Le pauvre bougre pleurait, attaché au grand mât.
Sans attendre, le sergent Bérenger égraina le coup de trique à haute voix. Frappant une cuisse, puis l’autre, il arrachait un cri étranglé à chaque coup.
Au dixième, un des Brits détacha le malheureux, qui s’effondra sur le pont.
« Tu as manqué à tes devoirs envers notre communauté, commença le bucellaire à l’adresse de l’ancien prisonnier.
— Tais-toi, maudit soudard, cracha celui-ci. Fais ta sale besogne.
— Pour toi, j’y prendrais plaisir, gronda le sergent. »
Les claquements de trique furent plus sourds.
Une fois la besogne achevée, la capitaine Brida s’adressa à l’équipage.
« Que chacun prenne ceci pour acquis. À mon bord, il n’y a pas de traitements de faveur. Sur mer, il n’y a pas de place pour l’erreur. Que l’un de nous faillisse, et tout l’équipage est en péril. Aucun relâchement, aucunes négligence ne restera impuni.
Remettez-moi ces deux-là au banc. La prochaine fois, ce sera les fers… »
Chacun reprit son poste.
Douchés, Aelys et Lubin reprirent leurs postes.
Ils ramèrent en silence, le reste de la nuit, sachant que la moindre bévue pouvait leur coûter cher. Pourtant, Lubin était bizarrement soulagé.
Au moins partageait-il son banc avec Aelys.
Le lendemain matin, des cris d’horreurs s’élevèrent en même temps que les premières lueurs du jour.
Aelys et Lubin, qui avaient souqué la nuit durant, étaient exténués lorsque l’aube pointa à l’horizon.
Le remue-ménage ne tarda pas à ameuter tout le monde. Pourtant, les hommes de corps restèrent sur leurs bancs, craignant la bastonnade.
« Il y a du sang au font du navire ! »
Un des gabiers venait de hurler.
« Le boulanger est livide, cria un des hommes de corps.
— Laissez-passer, hurla la capitaine à son tour. »
Les Brits ouvrirent le pont à leur capitaine, qui se porta auprès du rameur.
« Allez me chercher le barbier, cria Brida.
— Il n’y en a pas, rétorqua le père Maric ! Aurais-tu oublié d’en engager un, ironisa l’aumônier ?
— N’es-tu pas prêtre, lui rétorqua la capitaine, acerbe ?
— Prêtre du Thalassicus Dominus, gronda le prélat. J’ai abandonné le pouvoir du soin et tu le sais ! Qui veillerait sinon, jour et nuit, sur les ondes ? J’ai abandonné ma bure au dispensaire et surveille maintenant les océans.
— Alors, amenez l’oblat ! »
Lubin amena son aviron. Quittant son poste avec circonspection, il traversa le pont central pour rejoindre la capitaine.
« Alors, lui demanda-t-elle d’un ton péremptoire en secouant le jouvenceau, que se passe-t-il ? »
Le jouvenceau inspecta le boulanger livide un instant, avant de se prononcer.
« Je ne suis point barbier, capitaine, vous n’aurez avec moi qu’un avis de profane. Je pense qu’il a perdu beaucoup de sang. Il est pétrifié de terreur. »
Le boulanger était effectivement très faible. Ankylosés, durcis, ses muscles commençaient à se raidir, donnant un aspect plus végétal qu’humain au malheureux.
« Que s’est-il passé, lança la capitaine à son compagnon de banc ?
— Votre sergent aura tapé trop fort, sûrement, gronda l’ancien prisonnier.
— Toi, gronda Brida en secouant à nouveau Lubin, d’où provient le sang ?
— Je ne saurais dire. Il faudrait l’allonger, répondit Lubin. Mon épouse saurait éclaircir ce mystère.
— Explique-toi, cracha la capitaine de plus en plus exaspérée par la situation !
— Elle tenait une taverne dans le quartier du phare, balbutia rapidement Lubin. Elle a souvent dû donner des explications aux guets. Rapport aux rixes sur le port, les coups de couteau…
— Une indique alors, accusa Brida la Brit en se retournant vers la jouvencelle.
— Non point, ma capitaine, rétorqua Aelys non sans toiser Brida. Quand le guet fouine, mieux vaut donner rapidement des explications. Les arches font fuir les clients.
— Alors, viens assister ton coquin de mari ! »
Aelys se glissa le long du banc, sauta par-dessus le pont central et atterri auprès de Lubin. Inspectant la victime, elle en fit le tour avant de dévisager l’ancien prisonnier.
« Petit fredain2, murmura Aelys. Tu t’y connais en vilonies3… De quel herpaille4 nous viens-tu, des envoyeurs5 de sous les quais ?
— Sale baveuse ! éructa l’ancien prisonnier. Donneuse ! »
Mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Alors qu’il mettait la main à sa ceinture pour saisir son coutelas, une de glaive d’Aelys apparut sous sa gorge.
« Et pourquoi aurais-je de la pitié pour vous autres ? gronda la jouvencelle tout en appliquant sa lame sur le cou du vilain. Il est aisé de sortir sa lame pour occire blanc sire et corniaud ivre… Que feras-tu d’une jouvencelle armée, moins facile à forcer pour le coup ? »
L’ancien prisonnier lançait un regard noir à Aelys, tandis que la jouvencelle le dévisageait d’un œil meurtrier.
« Explique-toi, demanda calmement la capitaine.
— Je connais bien ce genre de forban, raconta Aelys d’une voix rauque. Mon père leur louait l’arrière sale, pour emberlucoquer6 ses clients trop fortunés. Ils poignardaient leurs victimes dans quelques vieilles blessures. Avec suffisamment d’eau de mer, on camoufle les entailles, et le guet ne fouille pas trop.
Regardez sa cuisse, vous verrez que les bleus cachent une blessure fine, mais profonde… »
La capitaine examina le malheureux boulanger tandis que le prisonnier devint blême.
Lubin, qui soutenait toujours la pauvre victime, entraperçut l’entaille, nettoyé par le sel. Aussitôt, il entreprit de la panser, avec le peu de bandage restant.
« Les eaux salées boivent le sang aussi avidement que le Seigneur Démon qui rôde dans les profondeurs, expliqua le père Maric depuis la barre. Avec l’effort, le malheureux en aura perdu plus qu’il ne peut en supporter.
— D’autant que la maroufle l’aura copieusement menacé tandis qu’ils ramaient, compléta Aelys.
— Nieras-tu, demanda la capitaine à l’ancien prisonnier ?
— Il ne pourra nier cela, reprit Aelys, en découvrant le cou du meurtrier. »
La lame glissa, ouvrant la chemise, dénudant l’épaule. Aelys fit ainsi apparaître une cicatrice circulaire, barrée.
« Comment sais-tu, bredouilla le meurtrier, livide ?
— Effectivement, comment ? murmura la capitaine Brida, soucieuse.
— Parce qu’ils voulaient me marquer aussi, répondit Aelys, les dents serrées. Mais je ne leur en ai pas laissé le loisir.
— Montre-nous ton cou, exigea Brida la Brit ! »
Ce fut Lubin qui s’exécuta. Son épouse tenait le maraud en respect et, en de pareilles circonstances, c’était à lui d’agir. Ouvrant la tunique, en faisant bien attention à ne pas dévoiler un sein, le jouvenceau exposa le cou de la jeune femme. Il était vierge, comme lui-même le savait, pour l’avoir miré, caressé, embrassé si souvent.
« La jouvencelle se confesse auprès de moi depuis une année, tonna le père Maric. Elle bravait les eaux du port, du fleuve et de la marée pour venir me confesser ses péchés. Je me porte garant d’elle. Je sais d’où lui vient un tel savoir, mais ne puis le révéler ! Il me fut confié sous le sceau de la confession.
— Alors c’est entendu, conclut la capitaine Brida. Le sieur Reinier, ici présent, a été condamné aux galères pour racheter ses fautes. Son salaire devait payer les trois cents sous de réparation pour meurtre. La récidive me pousse à croire que l’esprit malin s’est infiltré en lui.
Conformément à la loi, seule maîtresse à bord, il me revient le droit de réduire cet homme de corps à l’état d’esclave. Entravez ce chien et placez-le à la poupe. Il va ramer jusqu’à ce que la fantaisie me pousse à le revendre dans quelques ports lointains… »
Le prisonnier essaya bien de se débattre, mais les Brits lui serrèrent la gorge à l’aide d’un lasso. Rapidement, tout en le rouant de coups, ils lui entravèrent les mains et les pieds à l’aide de cordes. Lubin les vit faire des nœuds complexes. Le malheureux fut déshabillé, frappé de nouveau, puis conduit sous le château arrière, dans la tanière des Brits.
Tandis que le meurtrier, réduit à l’esclavage, grondait à chaque coup reçu, la capitaine repoussa d’un coup de botte les habits de ce dernier vers Lubin.
« Ne reste pas cul nu ! Tu vas donner des idées aux uns et aux autres. Il ne faudrait pas que l’on déflore ton croupion… »
Aelys passa un bras protecteur autour du bras de Lubin, son glavius toujours en main.
« Le primat m’a fait un beau cadeau, en vous donnant à moi, roucoula Brida la Brit. Vous avez de bons atouts, et je vais les mettre à profit. Que les hommes de corps mangent et dorment. Ces deux-là vont d’abord nettoyer le pont. Tout ce sang va attirer les bêtes des profondeurs…
Amenez le boulanger aux pieds du père Maric. S’il doit vivre, il vivra, sinon, autant que l’aumônier puisse entendre sa dernière confession. »
La capitaine se détourna tandis qu’un des Brits tendit des seaux avec des brosses aux deux époux. Ils s’en saisirent, commençant à rincer le sang. Quatre hommes de corps saisirent le boulanger avec précaution, le portant auprès du timonier. Ce dernier indiqua la manœuvre aux quatre hommes libres, afin qu’ils installent le moribond du mieux possible.
Aelys et Lubin entreprirent de nettoyer le pont. Le sang s’était mêlé à la houle basculant par-dessus le bastingage. Il y avait plus à éponger et écoper qu’à brosser. Ils s’y employèrent en silence.
L’attention générale quitta le lieu du crime.
Les gabiers se remirent à la manœuvre, redonnant de la voile. Les bucellaires se regroupèrent autour de leur chaudron afin d’avaler leur premier repas de la journée. Les hommes de corps avalaient leur second. Chacun avait repris ses occupations, mais tous jetaient quelques regards dérobés vers la tanière des Brits. Deux avirons étaient sortis de sous le château arrière, et des bruits indéfinissables s’en échappaient.
« Un jour, murmura Lubin à Aelys, il faudra que tu m’expliques.
— Quoi donc, mon beau, répondit la jouvencelle avec candeur ?
— D’où te vient cette intelligence si peu recommandable ?
— Plus tard, mon beau, plus tard. Je ne suis pas encore prête à te montrer ces blessures-là.
— Soit, mon aimée. Sache juste que je t’aimerais toujours. »
Un silence s’installa. Lubin tenta de casser le mur de glace que ses paroles venaient d’invoquer.
« Penses-tu que nous ayons saisi notre chance cette fois ?
— Avec notre numéro à l’aube ? Je ne saurais le dire, commenta Aelys. Ces choses-là peuvent prendre du temps. »
Le silence se refit entre eux. Lubin espérait ne pas avoir blessé la belle en rouvrant de vieilles plaies.
La matinée avait bien entamé lorsqu’ils finirent leur besogne.
Une fois de plus, Lubin était fourbu au-delà de ce qu’il imaginait, et Aelys tombait de sommeil. La serrant fort contre lui sur leur couche de fortune, s’interposant entre son épouse et les éclats de mer félons, il sombra rapidement dans le sommeil.
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