Un rayon de soleil réveilla Lubin.
La journée devait être bien entamée. Au dehors, le jeune homme entendait les mouettes hurlaient dans les airs, disputant aux corbeaux et autres volatiles les déchets de poissons laissés par la crié. Les colporteurs louangeaient leurs produits dans les rues. Les charretiers houspillaient les porcs divagants entre les barres tandis que des bouviers louaient la force de leurs bêtes. Boulangers et rôtisseurs vendaient aux bourgeois de bonne pitance tandis qu’aubergiste et hôtelier proposaient leurs brouets. Regrattiers1 et regrattières tentaient de fourguer leurs fromages à la populace. Les bêtes du père Laignel bêlaient en rentrant dans leur enclos voisin des Molinar.
Les cloches allaient donc bientôt sonner sexte pour appeler les religieux à la prière.
La lumière perçait les curtains, éclairant fortement le pied de la baie.
Lubin n’avait jamais dormi si tard de sa vie.
Il ne devait pas non plus s’être couché si tard non plus.
À ses côtés, Aelys respirait doucement, toujours endormi. La seule baie de la pièce diffusait suffisamment de lumière pour que le jeune homme puisse observer l’endroit.
Il était tel qu’ils l’avaient laissé la veille. Le coffre était toujours jonché des restes de leur repas de la veille, son sac était toujours posé près de sa couche, les portes toujours fermées. Tendant l’oreille, Lubin chercha à épier toute présence dans le logis. Malgré l’agitation régnant au-dehors, le jouvenceau n’entendit aucun des bruits habituels de la maison. Seul le moulin, en contrebas, grinçait, sa grande roue à aubes tournant au gré du courant.
Ils n’avaient pas été trouvés…
Lubin expira de soulagement. Ils n’avaient plus qu’à attendre la nuitée pour convoier2 loin de la capitale impériale. La sagacité d’Aelys leur éviterait malaventure3 et la bonhomie de Lubin leur donnerais bon accueille. Il n’y avait qu’à attendre Complies4 pour filer discrètement. Si la jeune femme les avait fait échapper à la menuaille5 venue voir bouillir son père, il ne doutait pas qu’elle puisse leur faire quitter les remparts sans se présenter aux portes.
Avec d’infinies précautions, le jeune homme se tourna pour contempler sa belle endormie. Il ne voulait pas la priver de repos, mais ne pouvait résister à l’envie de la contempler.
La longue tresse de ses beaux cheveux châtain était pleine d’épis. Il sembla au jeune homme qu’il avait dû s’agripper à elle la nuit dernière. Le visage de la belle était serein, et une respiration légère venait soulever sa poitrine. Son nez grac6, droit et fin, barrait son visage triangulaire, sans qu’aucune vilaine ride ne vienne en perturber la quiétude. Ses épaules dénudées, carrées malgré sa petite taille, laissaient entrevoir la musculature tonique d’Aelys. Les bras de sa belle reposaient passivement sur son ventre, resserrant sa poitrine.
Le jeune resta quelques instants à contempler sa belle, tandis que son entrejambe gonflait de nouveau. Il aurait voulu la réveiller pour la fotre de nouveau, mais il aurait été sacrilège de briser ainsi le sommeil de son épouse.
Aelys ouvrit les yeux.
« Bonjour, bredouilla Lubin.
— Bonjour, mon beau, lui répondit la jouvencelle. Quelle heure est-il ?
— Sexte, d’ici quelques instants. »
La belle s’étira, laissant choir la couverture au bas de la couche. Elle détailla un instant le jeune homme avant de pouffer.
« Mon beau sire, vous voilà de nouveau gaillard. N’en avez-vous pas eu assez ?
— De vous, belle dame, jamais ! répondit solennellement Lubin ! »
Tous deux pouffèrent, puis Aelys attira Lubin dans la couche auprès d’elle.
« Mon conet ne saurait subir vos assauts pour l’instant, mon beau sire. Votre lance m’aura fortement transpercé, toute la nuit qui plus est. Il nous faudra attendre quelque temps avant d’accomplir de nouveau le rituel de montée des eaux.
— Point trop longtemps, j’espère, se désespéra Lubin ?
— Je l’espère aussi, mon beau, car j’ai très envie de sentir votre viet dans mon ventre et vos pices frapper mon crépion ! »
Lubin rougit en entendant le langage cru d’Aelys, tout autant que le sang lui montait à la tête…
« Mais l’heure n’est point aux sacrements des époux, beau sire, reprit la jeune fille. Profitons de la lumière afin de rassembler nos affaires. »
Sans attendre que Lubin retrouve ses dispositions habituelles, la jeune femme vida son sac sur le parquet. Il y avait de nombreux ustensiles que seuls possédaient monte-en-l’air, fourbe7 et fredain8. Aelys n’avait pas accumulé ces outils à vendre du vin pour son cafetier de père. Le jouvenceau savait les dispositions particulières de sa belle, mais jamais ne l’avait questionné. C’était bien lourd propos, et Lubin ne savait quelles épreuves la jouvencelle avait dû surmonter seule, sur les quais.
De son côté, Lubin déchargea le contenu de son sac à côté de la belle. Lui n’avait prévu qu’affablement, changes, quelques morceaux de draps et des outils de couture.
Voyant la petite bourse du jouvenceau, Aelys la saisit, débarrassa le coffre et la vida sur le couvercle. Farfouillant dans ses propres affaires, la jouvencelle sortit précautionneusement un bout d’étoffe plié. Le contenu roula sur le coffre du jeune homme, se mêlant aux autres pièces.
« Combien avons-nous, fredonna Aelys sur un air guilleret de taverne ?
— Bien assez pour quelque temps, hasarda Lubin.
— Nous ne vivrons pas que d’amour et d’intervention divine, mon beau. »
La jeune femme, d’une main rendue experte par des années de cafetier, triait les sous des deniers ainsi que les autres monnaies. Elle empilait le pécule selon un ordre et un compte que Lubin ne comprenait pas. Tout en séparant les pièces d’une main, Aelys farfouilla dans ses affaires pour en tirer une boîte. Elle en sortit une petite balance, qu’elle installa sur le coffre. Lubin savait la valeur de l’objet, puisque seuls les marchands en possédaient habituellement.
« Voici trois sous d’argent et cinq dirhams archoniens. Ceux-là sont bien raffinés, professait Aelys. Les archoniens sont connus pour la pureté de leur fonte. Ces sous sont récents, et donc proches en pureté des dirhams, grâce au grand monnayeur. Bien, voilà de quoi faire plusieurs lieues.
Passons aux monnaies de cuivre.
Trois piles de dix et cinq font trente-cinq fals9. Pour les deniers, la plupart sont élimés. J’imagine que ma clientèle et ton père fraudaient au gagne-petit. J’en pèse pour deux sous et trois deniers, soit vingt-sept deniers.
— Et donc, demanda Lubin à son épouse experte ?
— Il faudra sûrement te faire brassier durant le voyage.
— C’est peu cher payer pour nous sortir de cette cordelle10.
— Effectivement, préparons sagement nos bagages afin qu’ils ne soient pas trop lourds. Je cache la clicaille11. Toi, vérifie que nous n’oublions rien d’utile. »
Lubin fit le tour de sa chambre. Il l’avait déjà fait, mais à la lueur d’une chandelle. Comme à l’accoutumée, Aelys avait raison de faire les préparatifs à la lumière du jour.
Les placards qui encombraient la pièce regorgeaient de vieilles frusques. Le jouvenceau fouilla parmi les vieux draps. La plupart étaient usés et rapiécés. Ses tantes s’en servaient pour réparer les tissus qu’elles revendaient ensuite dans le quartier. Lubin attrapa bien une aumônière pleine d’aiguilles qui lui avait échappé, avant de remarquer une belle houppelande de laine grise. Elle était de bonne facture, filé serré, de ces laines qui descendent des royaumes du nord. En s’approchant pour prendre l’habit, Lubin remarqua un reflet métallique à l’intérieur.
Un camail d’acier.
« Vous n’aurez nul besoin de tout ceci… »
Une voix caverneuse raisonna dans la pièce.
Aelys, bondissant tel un chat, fit apparaître une dague dans chacune de ses mains prestes. Lubin, horrifié, recula.
Lentement, la houppelande se tourna vers lui, laissant entrevoir au jouvenceau une visagière12 d’acier noirci. S’extirpant de l’ombre, une cape de laine sombre s’ouvrit sur un haubert lourd, aux fins anneaux resserrés. Comme par enchantement, un bras sortant de la cape apparut, prolongé d’une épée. Celle-ci, suspendue par une poigne gantée de maille, restait immobile dans les aires.
La pointe à quelques pouces de l’œil de Lubin.
Le jouvenceau vit Aelys s’apprêter à plonger sur l’apparition, mais la vision de cette lame, prête à pourfendre son beau, lui arracha un cri affolé et incrédule.
« Lâchez céans vos glavius13, ou votre époux sera occis. Monseigneur Dominique ne veut point interroger vos mânes14.
— Mortecouille ! s’exclama Aelys en lâchant ses armes. Mès15 d’inquisiteur. Depuis quand nous épiez-vous, malsené16 ? »
L’inquisiteur ne répondit pas, apparemment insensible aux provocations insultantes de la jouvencelle. Toujours immobile, son épée suspendue en l’air, flottant devant l’œil de Lubin, l’effrayant tourmenteur sonna une cloche de sa main senestre. Quelques instants plus tard, à peine une dizaine de battements de cœur pour le pauvre Lubin, cinq archers du bailli17 se précipitèrent dans la chambre, enfonçant la porte à coup de pied.
« Nous voilà, messire, hurlèrent-ils en s’engouffrant dans la chambre l’arme au poing.
— Préparez ces valdeniers18, commanda l’inquisiteur. Affublez-les. Qu’ils soient présentables pour monseigneur Dominique… »
Sans détourner sa lame du visage de Lubin, le terrifiant tourmenteur jeta un regard sévère qui fit défaillir Aelys. Lubin voulut se précipiter au secours de sa fiancée, mais un sac de jute lui enserra bientôt la tête. Une corde vint lui serrer le cou tandis qu’une autre lui collait les bras au corps. Un des argousins19 entrava les poignets du jouvenceau dans son dos, puis il fut poussé sans ménagement hors de sa chambre.
Quelqu’un prit le temps de ramasser la clicaille alors que les archers l’emmenaient. Lubin fut guidé dans les escaliers, poussé jusque dans le moulin où la roue à aubes tournait sans entraîner la meule puis plaqué contre le mur le temps qu’un archer ouvre la porte. Le jouvenceau entendit le grincement des gonds, puis la rumeur de la ville emplir le moulin. Sexte sonnait aux clochers de Notre-Ange-des-Ondes et Notre-Ange-des-Rescapés. La populace, habituellement attablée en ce milieu de journée, s’émouvait de la présence du guet. Les piaffements d’un cheval non loin s’accompagnaient les grincements d’un attelage qui reculait.
Deux archers poussèrent Lubin hors du logis jusque dans une carriole jouxtant le porche. Aelys, elle, fut jetée, car elle atterrit sur le jouvenceau. Lubin remercia la miséricorde des anges d’avoir poussé ces butors à jeter sa compagne sur lui. Au moins avait-il pu amortir sa chute avec sa chair. Aelys murmura quelques excuses muselées, et le jeune homme en déduisit qu’elle avait dû subir les mêmes attentions que lui.
Les bruits de la rue furent étouffés tandis qu’un nouveau grincement se refermait sur eux. L’attelage se mit en branle alors qu’un des archers hurlait de laisser le passage. La carriole se lança sur la terre battue, mais rejoignit rapidement les pavés des grandes artères impériales.
« Donne-moi tes mains, l’exhorta Aelys ! »
Lubin s’exécuta, roulant sur lui-même pour se relever. Le jouvenceau se cogna la tête en essayant, entendant ensuite les jambes sans succès. Ils avaient été jetés dans une caisse plutôt qu’une roulotte. Se tortillant de plus belle, en prenant soin de ne point écraser sa compagne, le jeune homme tandis ses poignées entravées à la belle.
Il sentit alors les doigts d’Aelys farfouiller ses cordages. Elle avait toujours les mains liées, mais finit par libérer Lubin. Celui-ci, à son tour, tenta de décrocher son épouse, sans succès.
« Enlève ton sac, mon beau. Il faut que tu y voies. »
Lubin s’exécuta, penaud. Dans sa hâte, il n’avait pas réfléchi. La belle, elle, avait d’autres réflexes, plus sages. Portant ses mains à son cou, Lubin desserra la cordelette qui lui nouait la gorge. Haletant, il ôta le sac qui l’étouffait.
Le jouvenceau découvrit une caisse de bois brute, de moins d’une brasse de côté, fermé par un panneau barré de l’extérieur. Aelys gisait à ses côtés, les poignées en sang, étranglé par une corde. Avec autant de délicatesse que l’urgence lui commandait, Lubin défit le garrot au cou de sa belle, l’entendant alors inspirer fortement. Sans prendre le temps de lui ôter la jute sur sa tête, il tenta de libérer les bras de sa douce.
Le cahot de l’attelage, lancé vivement sur les pavés, déstabilisait Lubin. Les bruits de la ville avaient changé, mais le jouvenceau n’en avait cure. À l’instant, seul lui importait le sort d’Aelys.
Il finit par rompre, plus qu’il ne dénoua, la corde entravant la belle. Aelys se précipita alors pour enlever la jute qui l’étouffait.
En haletant, Lubin serra sa belle contre lui.
« Tu dois fuir, lui murmura-t-il à l’oreille. C’est moi qu’ils cherchaient. Si les anges le veulent, ils ne se lanceront pas à tes trousses.
— Vois-tu ceci ? hoqueta Aelys en tapotant le collier de mariage offert par le jeune homme. Je suis ta femme, et puisque les anges en ont décidé ainsi, nous traverserons ces épreuves ensemble. Ton sort ne sera pas différent du mien.
— Qu’ai-je fait pour mériter une épouse si forte et si fidèle ? répondit le jouvenceau, une larme à l’œil.
— Rien, car c’est moi qui t’ai choisi, lui répondit la belle en l’embrassant. Maintenant que je t’ai, après toutes ces années, je ne te lâche plus. »
Les deux jeunes époux s’enlacèrent malgré les cahots de la route.
Les bruits alentour changèrent radicalement.
Les tumultes de la rue et l’agitation des fabriques disparurent, laissant place à un profond silence, uniquement brisé par la caracole des fers des chevaux.
Il flottait dans l’air une ambiance mystique, soutenue par une odeur d’encens.
Aussi brusquement qu’elle s’était lancée, la carriole s’arrêta, écrasant les deux amants contre les parois de leur prison.
Le panneau fut presque aussi tôt ôté, déversant un flot de lumière aveuglante sur Lubin.
« Pourquoi sont-ils détachés, gronda une voix caverneuse ?
— Mais ils étaient attachés, sire, se récria une autre.
— Il n’est nul besoin de ces entraves, clama une troisième horrifiée. Ils sont bons croyants et n’ont point la jouvence rebelle. »
Lubin reconnut la voix du père Adalbert, le vicaire général de Notre-Ange-des-Rescapés.
« La jouvencelle est une vraie furie, reprit la voix caverneuse.
— Je me porte garant de la jeune Aelys, intervint le vicaire. »
La clarté aveuglante qui avait frappé Lubin se dissipait à mesure qu’il s’y habituait. Une main tendue vers lui apparut dans son champ de vision, celle du père Adalbert.
« Ce jeune homme est fils prodigue de notre sainte Église. Il se pliera à ses commandements, n’est-ce pas mon fils ?
— Bien sûr, mon père, bredouilla Lubin en s’extrayant de sa prison.
— Qu’est-ce que ceci ? questionna le vicaire en saisissant lentement le pentacol20 ornant la poitrine de Lubin.
— Mon collier de mariage, répondit benoîtement le jeune homme qui aidait sa belle à descendre à son tour. »
De moins en moins indisposé par la lumière éclatante de début d’après-midi, le jouvenceau commençait à entrapercevoir son environnement.
Il se tenait au centre d’une place majestueuse, orné de saintes statues de marbre. Au centre trônait un grand bloc massif, sur lequel un personnage était assis. Il tenait dans sa main dextre une épée et une plume dans la senestre. Lubin n’avait jamais vu cette statue, dont la lumière cachait encore des détails à ses yeux. Pourtant, il savait parfaitement au pied de qui il trouvait.
Karolus Sancto Imperator.
Frappé par cette apparition, Lubin tomba à genoux.
Le jouvenceau se trouvait au centre de la cité impériale de Lhynn, sur la place palatiale, dans le quartier palatial, entouré des augustes bâtisses où tant d’illustres personnages avaient déambulé. Le jouvenceau reconnu le palais impérial, l’antique coupole de la révélation de l’Unique, la cathédrale reliquaire, le tombeau des saints.
Écrasé par tant de grandeur, le jeune homme se jeta face contre terre, aux pieds de la statue de Karolus Sancto Imperator.
Le vicaire général, qui tentait de rassurer Aelys à voix basse, reprit la parole.
« Voyez ce jeune homme messire, mortifié devant son seul et unique empereur.
— Et comme l’a commandé son empereur, reprit la voix caverneuse du tourmenteur, la vacance du trône donne toute autorité aux trois primats de Lhynn. L’un d’entre eux exige sa présence.
— Alors j’irais, déclara Lubin, terrifié, mais ému. »
Se redressant, toujours à genoux, le jouvenceau se tourna vers l’inquisiteur. La tête basse, pénitent, il demanda humblement à son geôlier.
« Pourriez-vous faire la grâce, à un pauvre pécheur, de le lui indiquer son chemin ?
— Le primat ne va pas t’attendre toute la journée, vaurien. Lève-toi ! »
Contrit, Lubin se crispa comme pour recevoir le fouet. Toujours à genou, le jouvenceau répondit, d’une voix aussi repentante que possible.
« Comment pourrais-je me tenir debout, là où tant d’illustres m’ont précédé ?
— Le jeune Lubin a raison, le soutint le vicaire, sautant sur l’occasion. D’ailleurs, reprit-il d’une voix autoritaire, vous autres, archers du bailli, qu’attendez-vous pour faire de même ! »
Avec précipitation, les argousins se jetèrent à genoux. L’inquisiteur, toujours debout, les toisait. Nulle émotion ne transparaissait derrière sa visagière d’acier noirci. Le vicaire, tourné vers lui, semblait le mettre au défi. Mais le tourmenteur reprit :
« L’inquisition se tient toujours alerte, au service du trône, toujours… »
Le vicaire, qui avait tenté un instant de défier son autorité, fini par baisser la tête en signe de soumission. Offrant son bras à Aelys, afin de la soutenir, le père Adalbert prêcha à Lubin.
« Tu te tiens comme tout bon laïc, mon fils, à genou devant ton empereur et ses représentants. Les anges testeront ta foi, soit fort. Puisses-tu toujours suivre le chemin invisible qu’ils t’ont tracé. »
Le père Adalbert guida les jeunes gens vers le palais impérial. Le tourmenteur les suivait, quelques pas en arrière. Lubin, toujours à genou, s’écorchait les jambes sur les pavés de la place, transporté par l’adoration malgré les circonstances. Ils croisèrent sur leur court chemin plusieurs ecclésiastiques, qui bénirent le chemin de croix du jeune homme. Un évêque s’arrêta même afin de signer le jouvenceau, prélevant d’une gourde quelques huiles sanctifiées.
Ce faisant, le vicaire général conversait avec Aelys.
« Quand et comment avez-vous reçu ce cadeau des anges, mon enfant ? demanda le père Adalbert à la jouvencelle, en tapotant le médaillon d’argent autour de son cou.
— Lubin me l’a accroché après que nos épousailles soient prononcées, répondit pieusement la jeune fille.
— Mais qui prononça ce sacrement ?
— Mon confesseur, l’aumônier Maric. Il nous a mariés par Anataël et Bestaphor Angeleus.
— Raconte-moi, l’en pria le vicaire. »
Aelys raconta à gros trait — non sans quelques omissions — comment ils avaient dû fuir une populace déchaînée, comment ils avaient dû nager jusqu’au navire et comment les ondes avaient failli les occire. Elle raconta enfin comment la divine providence les avait amenés à bord.
« Je suis d’accord avec le père Maric, acquiesçait le vicaire, votre union était bénie par les anges. J’en prendrais note à mon retour. Aelys et Lubin ont été unis en l’an de grâce mille cent quatre-vingt-huit, par la volonté des Aqua Angeleus. Je m’occuperais de faire modifier vos états civils auprès de la sénéchaussée. »
Lubin continua son chemin de croix jusqu’à l’entrée du palais impérial. Les gardes du trône, dans leur tabard pourpre jeté sur leurs lourds hauberts, ouvrirent la porte aux signes de l’inquisiteur. À l’intérieur régnaient la fraîcheur et la pénombre. Les yeux perçants du jeune homme s’attachèrent à la perfection architecturale de l’endroit. Pourtant, il ne vit ni dorures ni argenterie. Richement peint, le palais apparaissait solennel, mais pas pompeux.
Une silhouette assise non loin, affublée d’une robe de bure de laine simple, se leva à leur encontre.
« Nul n’est besoin de se prosterner ainsi dans ce palais, lança la voix claire et charmante de l’individu. Par la volonté de Karolus Sancto Imperator, chacun ici est un Homo Novus. Même de basse extraction, chacun se déplace ici debout, sur ses jambes. De même, il n’est permis aucune chaise à porteurs.
— Monseigneur Conrad, se confondit le vicaire !
— Merci, père Adalbert, d’avoir répondit à l’appel de monseigneur Dominique. Puisque vous êtes le confesseur d’un supposé hérétique, vos paroles seront précieuses pour disculper notre fils ici présent. »
La voix chaleureuse de l’abbé du Val-aux-Loups était pleine de sollicitude. Pourtant, Lubin crut y percevoir quelques menaces.
« Monseigneur me fait trop d’honneur, balbutia le vicaire.
— Et qui es cette jeune dame, demanda l’abbé à l’inquisiteur, sans pour autant la quitter des yeux.
— Elle était avec lui, s’excusa le tourmenteur. Ils ont échangé leurs colliers durant la nuit…
— Et nous ne saurions briser ce que les anges ont uni, répondit avec chaleur l’abbé. Le sacrement du mariage est indivisible, et la volonté des anges sans appelle… »
Escortés par quatre gardiens du trône, toujours suivi de l’inquisiteur, Lubin, son épouse et son confesseur suivirent l’abbé du Val-aux-Loups. Leurs pas résonnaient sur le marbre des grands couloirs palatiaux. Ils croisèrent bien quelques groupes de clerc, mais jamais ceux-ci ne les regardaient. Affairé à quelques études pour le compte du primat, chacun ici s’activait en silence.
Il fallut monter dans les étages pour arriver à destination. Une épaisse porte de bois, renforcé de fer, barrait un étroit passage dans les murs de marbre. Très simple, seule la présence de deux gardiens du trône en révélait l’importance. À la vue de monseigneur l’abbé Conrad du Val-aux-Loups, un des factionnaires ouvrit la porte, révélant une étroite antichambre.
« Attendez ici, commanda l’abbé, tandis qu’il continuait son chemin. »
Le père Adalbert pénétra le premier, suivi de près par Lubin puis Aelys. Ils s’assirent sur les bancs de pierre installés de chaque côté de l’antichambre. La porte se referma derrière eux, et un bruit mécanique apprit au jouvenceau qu’ils étaient de nouveau enfermés. Sans bougie, ils étaient plongés dans l’obscurité.
« Ton père vous a fourré dans une bien grave situation, commença précipitamment le père Adalbert. Les plus folles rumeurs courent dans les monastères et les abbayes depuis la disparition de monseigneur l’évêque Bayle. L’inquisition aurait reconnu coupable le sénéchal en complicité avec ton père. Tes frères, tout comme ton père, auraient été donnés. Tous croupissent, selon les rumeurs, dans les oubliettes secrètes de l’inquisition.
Face au primat, Lubin, l’avertit le vicaire général, tu dois confesser tout ce que tu sais, sans rien omettre. La justice du primat est dure, espérons qu’il se montre magnanime avec les innocents.
— Espérons en effet, grogna Aelys. »
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