Les clapotis de l’eau finirent par se changer en lent va-et-vient. Comme tout habitant du quartier du phare, Lubin savait reconnaître la houle du port ainsi que le sens de la marée. Les ondes repartaient au loin dans l’océan. Avec elles, elles emportaient les immondices charriées par les égouts. L’air devenait plus respirable, au grand soulagement de Lubin. Le varech, le sel et le bois flotté remplaçaient peu à peu l’odeur de la pourriture, des excréments et autres ordures.
Finalement, le dédale des égouts déboucha depuis une haute arcade directement sous les pontons. Lubin voyait les poteaux massifs et innombrables, plantés profondément dans le fond de la baie, supportant les quais du port du commerce de haute mer. Arrimée aux appontements, la fine fleur de la marine de Lhynn se balançait nonchalamment au gré de la marée descendante. Les puissantes Galhynnes, aboutissement des Knarr Bikivyk et des Dromons tarque, fierté de la marine impériale, attendaient la marée haute pour prendre la mer.
Aelys arracha Lubin à sa rêverie. Un sourire espiègle aux lèvres, elle désigna une des coques à son fiancé.
« C’est là que nous allons, le temps que la nuit tombe, dit la jeune fille.
— Quel puissant protecteur nous y attend, s’enquit Lubin ?
— Mon confesseur, souffla Aelys penaude.
— Quoi, s’exclama Lubin, tu as choisi un confesseur ! Pourtant, tu ne cessais de dénigrer mon bon vicaire Adalbert, toi qui disais ne jamais franchir la porte d’un confessionnal.
— Il fallait juste trouver le bon… »
Aelys rougissait visiblement.
Lubin, toujours sceptique face au revirement soudain de sa compagne ne fut que plus curieux de rencontrer le prêtre qu’elle avait choisi. Quel drôle de curé pouvait recevoir sa très effrontée et très insolente fiancée ?
La svelte jeune fille fit nager son compagnon de tronc en tronc. Les eaux du port n’étaient pas aussi immondes que celles des égouts, mais elles n’étaient pour autant pas modèle de propreté. Toutes sortes d’objets flottaient dans ses eaux. La vase, remuée par la marée descendante, surnageait au milieu d’eux. Lubin se fit la réflexion qu’il ne faudrait pas que les remous ne viennent les aspirer par le fond, car alors ils mouraient très certainement englués dans le limon accumulé sous les quais.
La traversée fut plus ardue que ce à quoi s’attendait le jeune homme. Sa compagne montra quelques signes de faiblesse à un moment, aussi décida-t-il de la porter. Vu son poids, même couverte de boue, elle ne surchargeait pas le solide jeune homme.
Nageant de tronc en tronc, dépassant les quais attenants au rivage pour s’éloigner de la rive, Lubin s’extirpa de la vase en atteignant des eaux plus profondes. Le sel lui piquait les yeux, mais ces eaux sombres lui arrachèrent petit à petit toute trace de limon. Le courant forcissait passé la première encablure1. Lubin, vigilant à ne pas être happé par le courant, mesurait ses efforts en prenant de courtes pauses à chaque tronc.
« Soit prudent mon amour, lui murmura Aelys. Courage, nous y sommes presque, plus que cinq brasse2. Ne te presse pas, je n’ai aucune envie de finir dans les griffes du Dieu Poisson. »
Dosant son souffle, mesurant son effort, Lubin nageait malgré le courant forcissant. Ses muscles commençaient à le faire souffrir tandis que le sel irritait sa peau.
À trois brasses de la coque, le jeune homme commença à dévier de sa trajectoire.
Le courant les emportait.
Lubin, concentré, mais désarmé, redoublait d’efforts
Inexorablement, la marée descendante et le courant du fleuve les poussaient vers le grand large.
Accroché à son fiancé, Aelys continuait de lui murmurer des encouragements à l’oreille.
« Continu mon amour, tu es une force de la nature, comme aucun de tes frères. Tu es fort comme un bœuf. C’est pour cela que ta stupide famille te laisser les corvées de charge. La coque n’est pas loin, elle nous protégera des courants. Tu peux y arriver, jamais Anataël Angeleus ne laisserait un de ses fidèles tomber dans les griffes du Dieu Poisson. »
Ce faisant, la jeune fille semblait fouiller les ondes alentour
Plus que deux brasses.
Aelys continuait ses encouragements, ses mains fouillaient toujours les eaux alentour. Ses encouragements finirent par se changer en prière.
« Ô, Anataël, toi qui veilles sur les rescapés, ne laisse pas ton fidèle aux mains du Dieu Poisson. Ne laisse pas non plus sa promise finir comme ça. Je brûlerais un cierge et viendrais en aide aux démunis que tu as sauvés des ondes, je te le promets. Par pitié, mon bon Ange, ne nous laisse pas mourir si près du but ».
Comme si l’Ange répondit à son appel, les mains de la jeune fille se refermèrent sur quelque chose.
« Je l’ai ! Il l’a laissé depuis la dernière fois ! »
Lubin, toujours concentré, nageant désespérément à contre-courant, espérant que sa compagne avait réellement mis la main sur leur salut. Un instant, il crut que le courant avait raison d’eux. Ils venaient d’atteindre la râcle3. Le puissant courant du fleuve Rhynn, en plus de l’aspiration de la marée, les happait vers le large.
« Ô Bestaphor Angeleus, cracha Lubin avec ses dernières forces, toi le passeur, celui qui veille les fleuves, aide ton serviteur à surmonter le courroux de la Rhynn. Prête-moi ta force… »
Les vagues et le courant envoyaient des paquets d’eau de mer dans la gorge du pauvre jeune homme. Pieux, il usait de son dernier souffle pour quémander la miséricorde des anges.
Lubin fit alors du sur place.
Incrédule, au comble de la joie, le jeune homme remercia l’ange de l’avoir secouru. Aelys, toujours accroché sur son dos, luttait et bataillait.
Une corde passa devant les yeux du garçon.
Aelys, d’une main experte, enroula la corde autour des épaules et de la taille de son fiancé. Ensuite, elle commença à les tracter.
Lubin, mort de fatigue, tendit la main pour l’aider, mais sa promise l’en dissuada.
« Réserve tes forces, mon beau. Tu nous as amenés jusqu’ici, laisse-moi les deux dernières brasses. »
Je jeune homme aurais voulu s’insurger, mais il n’avait plus la force de le faire. Il devait déjà surnager pour qu’Aelys puisse jouer de la corde. Elle se débrouillait très bien toute seule, aussi le jeune homme ravala-t-il sa fierté mal placée.
En quelques avalages de corde, Aelys les tracta jusqu’à la coque. Plusieurs cordes à nœuds étaient attachées au liston4, flottant au gré des courants. Arrivé en bout de corde, Aelys assura Lubin dans le cordage tressé et le jeune homme se laissa alors flotter. Il était exténué, le sel irritait sa peau et ses yeux. Quelques hoquets lui firent vomir les paquets de mer avalés durant les dernières brassées. Toussant crachant, il finit par sentir le corps svelte, mais tremblant d’Aelys se serrer contre lui.
« Montons, mon beau, lui murmura-t-elle tout en crachant elle aussi quelques paquets d’eau de mer. Le père Maric nous trouvera de quoi nous sécher… »
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