Alors que les badauds et les bourgeois rugissaient alentour afin que commence le supplice, Aelys entraîna Lubin dans un creux de la muraille. Il dissimulait un passage à l’intérieur de l’ancienne enceinte fortifiée. Le remblai centenaire avait été creusé par les pluies, et certainement quelques âmes roublardes souhaitant esquiver le guet. Ils avancèrent dans l’obscurité, Lubin laissa sa compagne les guider d’un pied sûr, tandis que lui trébuchait à chaque pas. Si le jeune homme avait la vue perçante et l’ouïe fine, son regard était tout à fait incapable de percer les ténèbres. Aelys, au contraire, sembler déambuler sans encombre, malgré l’absence de torche ou de lanterne.
Bientôt, l’étroit tunnel changea de forme, et des odeurs nauséabondes à peine masquées par les embruns salés assaillir l’odorat sensible du jeune homme.
« Quelle est cette odeur pestilentielle, se plaignit Lubin ? »
Aelys se retourna prestement. Elle attira Lubin comme pour le rabrouer, puis plaça sa bouche sur celle du jeune homme en guise de bâillon. Rapidement, cette muselière se transforma en langoureux baiser, plongeant le soupirant dans un état second. Le sang battait à ses tempes, de drôles de sensations le parcourait en tout sens, et son pantalon commença à enfler à l’entrejambe.
Langoureusement, Aelys plaqua Lubin contre la paroi, malgré sa taille menue et son poids ridicule au vu des trois quintaux que pesait son fiancé. Effrontément, la jeune fille caressa le renflement saillant de Lubin, le rendant complètement soumis à sa belle fiancée.
Le baiser dura encore quelque temps, quoique Lubin ne put penser à rien d’autre que les lèvres de sa belle. La disparition de ses frères, l’exécution de son père, la perte de sa situation, tout cela disparut bien loin de son esprit, ne laissant que le plus important : Aelys.
Finalement, Aelys décolla ses lèvres de celles de Lubin, tandis que le garçon restait hébété, l’air benêt.
« J’ai vu bien des hommes devenir des démons après qu’une femme leur ait donné de telles attentions. Toi, mon beau, tu es mon ange… »
De nouveau, elle l’embrassa, cette fois moins tendrement et plus sauvagement, fourrant sa langue dans sa bouche. Le pauvre puceau n’avait plus une pensée cohérente. Il tenta de rendre son baiser à la belle, mais se sentit gourd et lourd en le faisant. Aelys brisa leur étreinte, mais cette fois sa respiration était saccadée. Lubin, dont l’enflement au pantalon n’avait fait que croître, sentait à présent la poitrine de sa douce à travers sa chemise de toile rapiécée.
« Les gaupe1 et houlier2 en parlent beaucoup à la taverne, mais en faite il dénature un présent divin, souffla Aelys du bout des lèvres.
— As-tu déjà embrassé, demanda Lubin penaud, qui se sentit immédiatement mal d’avoir posé cette question.
— J’espère bien que non, gronda la jeune fille en souriant. Tous ces maroufles à la taverne de mon ivrogne de père cherchent à me prendre de force. Mais ils déchantent vite quand mes dagues viennent caresser leur bas-ventre ou leur gorge. Il n’est pas d’innocence pour qui vit et travail dans une taverne du port. C’est pour cela que je t’ai choisi, toi, entre autres. Tu seras innocent pour nous deux. Tu seras mien, et je serais tienne.
— Je suis désolé, j’ai été insultant en te posant cette question. J’oublie trop souvent que je dors dans des draps de lin, sur un sommier de plumes, alors que tu n’as même pas une paillasse au logis…
— Gros nigaud, pourquoi crois-tu que je crochète tes fenêtres toutes les nuits afin de me faufiler sous tes draps ? Je profite du meilleur lit de la ville avec le plus doux et le plus gentil des édredons ! »
Lubin, bientôt suivi d’Aelys, commença à pouffer en cœur, puis à rire sous cape. Toute la tension des dernières semaines s’envola. Le cœur du jeune homme se gonfla de honte d’être libre et heureux, mais bien vite tous ses sombres sentiments le quittèrent au rythme de leurs rires étouffés, emportés par les eaux putrides des égouts.
« Vient mon beau, il faut continuer par ce passage. Mais plus un bruit. Les tunnels et couloirs que nous allons suivre ne sont pas empruntés que par les semi-hommes ou les ratiers. Je sais que les forbans y circulent pour esquiver le guet. À cette heure, nous ne devrions croiser personne. Marche dans mes pas et surtout, reste coi. »
Aelys ouvrit la marche, aidant Lubin à progresser dans l’obscurité. Bientôt la pénombre vint remplacer les ténèbres. Ils avançaient dans un large tunnel, traversé en son milieu par les eaux usées de plusieurs quartiers, coulant nonchalamment jusqu’à la mer. L’odeur était infecte, et l’odorat aiguisé de Lubin en souffrit, au point que son nez se mit à saigner. Plaquant un tissu élimé lui servant de mouchoir sur sa figure, le jeune commença à observer la maçonnerie millénaire.
Le tunnel qu’ils parcouraient était très vieux. De grandes pierres taillées s’ajustaient parfaitement au-dessus de leur tête. Lubin ne perçut aucun mortier, mais l’eau et la moisissure avait fini par en cacher toute trace. Aucune voûte claire n’était perceptible au plafond du tunnel, et le jeune homme s’émerveilla qu’un tel ouvrage, plus vieux que tous les murs de la ville, convoie si aisément les immondices de la cité.
Déambulant dans cet ouvrage des temps jadis, ils laissèrent plusieurs embranchements, tournèrent et retournèrent encore, si bien que Lubin finit par être totalement perdu. Aelys, elle, savait apparemment exactement où aller. Par moment, un embranchement était bouché par une accumulation de lisiers et d’ordure, parfois, c’est la maçonnerie qui s’était effondrée. Tournant et retournant en tout sens, le jeune homme finit par comprendre qu’il suivait un chemin connu de sa compagne. Il espérait qu’elle leur éviterait les écueils d’un éboulement ou d’une mauvaise rencontre.
Après un long temps passé dans ces égouts, avançant prudemment, Lubin prit conscience de l’étendue de ce réseau souterrain. Il devait s’étendre sous la majeure partie du quartier du phare, et certainement jusqu’au quartier marchand et des guildes. Plusieurs fois, la clameur de la rue leur parvenait depuis des puits les reliant à la surface. Ainsi, voilà pourquoi la prévôté insistait pour que tout soit jeté dans ces vieux puits désaffectés.
Aelys se figea brusquement, et Lubin se coula sans bruit derrière elle. Sa fiancée avait du percevoir quelque chose, aussi tendit-il oreille. Il reconnut un faible clapotis régulier, aussi en avertit-il sa compagne.
« Des traînes ruisseaux, sûrement des semi-hommes. Cachons-nous, siffla-t-elle à Lubin ! »
Ni une ni deux, les deux jeunes gens se faufilèrent dans une des alcôves attenantes au tunnel. Aelys plongea la première, attirant son fiancé à sa suite. Le jeune homme fut surpris de la place qu’il trouva dans ce minuscule trou. La maçonnerie disparaissait sous le lisier, comme si d’anciennes constructions se cachaient dans les profondeurs de la terre.
À peine eurent-ils le temps de retenir leur souffle, que les clapotis se firent plus clairs, et plus nombreux. Lubin, trop grand pour être entièrement dissimulé, tenta de se cacher dans la pénombre en retenant son souffle.
Une troupe d’une dizaine d’enfants faméliques, habillés de haillons déchirés et boueux, remontait le courant sur des embarcations de fortune. Les pauvres bougres étaient émaciés. Quatre d’entre eux ramaient avec des morceaux de bois, trois autres semblaient flotter bizarrement dans l’eau tandis qu’un dernier barrait à l’arrière de l’embarcation de fortune.
En y regardant de plus, prêt, Lubin s’aperçut que ces enfants avaient tous des visages très adultes, marqués par les privations et la maladie.
Le jeune homme, bouche bée, contempla ces êtres faméliques qui luttaient de leurs maigres forces pour remonter le courant, pourtant paresseux.
Ainsi, sous ses pieds, des moins que rien luttaient pour survivre. Jamais encore il n’avait vu de semi-hommes. Bien sûr, c’était un fait notoirement connu que cette populace païenne infestait les sous-sols de la ville, et l’on portait à leur crédit les actes les plus vils et les plus fourbes. Lubin, fidèle à sa nature, ne pouvait croire que les anges permettent à de si viles créatures de vivre aux pieds de bon croyants. Mais ici, dans cet égout, face à ces malheureux, toutes les histoires qu’il avait entendues sonnèrent comme de vilains mensonges.
Toujours épiant, le jeune homme croisa le regard d’un des semi-hommes flottant sur les eaux croupies. Ce dernier, indéchiffrable, lui adressa un clin d’œil. Ne sachant que faire, horrifié d’être découvert et ne voulant pas révéler la présence d’Aelys, le jeune homme leva lentement la main en signe de salue, alors que la troupe famélique s’enfonçait hors de vue, dans les ténèbres.
« Il faut se méfier d’eux, murmura Aelys quand les clapotis des rames eurent tout à fait disparût.
— Mais ce ne sont que de pauvres mendiants, lui rétorqua Lubin.
— C’est vrai. Et qui sait ce qu’une créature acculée, affamée et meurtrie peut faire ? De plus, ces esclaves ont des maîtres, fort peu recommandable.
— Quelle pitié, ne peut-on rien faire pour les aider ? »
Aelys prit la tête de Lubin dans ses mains, lui sourit, puis lui murmura.
« Personne ne s’intéresse à ces pauvres gens. Les églises et l’aumône leur sont interdites, les prévôts les charges sans rétribution à dératiser les égouts et leurs horribles maîtres leur prennent tout ce qu’ils ont. Mon bon ami, ta vie de fils de panetier fut un dur labeur sans amour, mais tu n’as connu ni les privations, ni la maladie, ni la pauvreté.
— Que je sois perdu, fait-il que je ne comprenne cela que le jour où mon père est exécuté ?
— C’est au contraire une épreuve que les anges t’envoient. Tu pourrais bien connaître les privations, la maladie et la pauvreté, mais cela sera en partageant mon sort.
— Tu as raison, mon aimé. Il nous faut trouver un prêtre pour être unis dans la lumière de l’Unique. Au plus vite, avant que la disgrâce de mon père ne nous ferme les portes des églises ou que ton père ne rompe nos fiançailles.
— J’aime mieux ça, revoilà mon Lubin, celui qui avance sans crainte sur le chemin invisible que lui ont tracé les anges. Quitte donc cette défroque de pisse-froid, elle ne te sied pas ! »
Le jeune homme encaissa l’insulte en souriant. Comme toujours Aelys avait raison. Il n’était d’aucuns secours de se lamenter sur sa situation. Il avait survécu à la dernière grande peste et à la disette de l’année passée. Le monde était plein de danger. Comme tout a chacun, Lubin n’avait qu’à se soumettre à la fatalité, sans pour autant avancer passivement sur son chemin invisible. Les anges y avaient prévu des embûches, mais aussi des richesses que les pieux et les sages savaient saisir.
Malgré son jeune âge, Lubin avait fort bien écouté les prêches, aussi se promit-il de ne pas se laisser abattre. Celui qui ne regarde que ses pieds ne voit pas la main que les anges lui tendent.
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