Ce soir-là, le crépuscule était magnifique. Un véritable camaïeu d’ocre, d’or et d’écarlate s’offrait à moi, peignant le ciel de teintes chatoyantes avant que l’encre de la nuit ne distille son obscurité dans chaque recoin du monde, ne laissant que trois lunes et une poignée d’étoiles pour guider le vagabond sur son chemin.
Bercé par les clapotis de l’eau autour de mes chevilles, je me laissais enfin respirer.
Autour de moi, tout était calme, et seul le vent jouant dans les feuilles venait à briser le silence. Ainsi, même si le Lien ne m’avait pas prévenu de sa venue, le froissement de ses ailes m’en aurait informé aussitôt :
– Salut Faf’…
– Tu te caches ici depuis longtemps ?
Je laissai échapper un sifflement ironique :
– Depuis la fin de la course, oui. Mais ce n’est pas vraiment comme si tu n’avais aucun moyen de le savoir, pas vrai ?
– Je t’ai laissé seul parce que tu le voulais. N’est-ce pas exactement ce que tu m’as laissé entendre après la fin de la course ?
Je levai les yeux au ciel, ne répondant rien : une fois de plus, mon frère d’écailles trouvait le mot juste pour m’obliger à reconsidérer mes actes et mes paroles :
– Ta mère s’inquiète, Liam.
– Tu lui en as parlé ?
– Que voulais tu que je fasse ? J’en ai parlé à mes parents aussi.
– Qu’est qu’ils ont dit ?
– Qu’ils devaient revérifier les environs et te parler pour tenter d’analyser ce qui a pu causer cette vision.
Nerveusement, je me passai une main dans les cheveux, les ébouriffant avec une frénésie que l’on aurait pu qualifier de fanatique :
– C’est si mauvais que ça ?
– Pour que ça te fasse fuir le reste de la journée, tu devrais être bien placé pour le savoir, non ?
J’émis un grognement, grognement auquel il répondit par un autre grondement, quoique le sien soit bien plus menaçant que le mien.
⸺ Qu’est-ce que je vais devenir ? Elle ne va jamais passer une occasion pareille de me rabaisser, me lamentai-je après quelques poignées de sables.
Le dragon m’observa, confus :
⸺ Par elle, tu sous-entends…
⸺ Moi ?
Mon meilleur ami et moi-même nous retournâmes de concert, découvrant la demoiselle en question, flanquée de l’imposante – pour ne pas dire gigantesque – dragonne lilas qu’était sa sœur d’écailles. Je pus difficilement dissimuler ma surprise : que le duo soit assez discret pour échapper à mon ouïe quelque peu primitive en ma condition d’humain et du même coup à ma vigilance amoindrie était une chose, échapper à celle de Fafnir, malgré ses sens acérés et ses instincts de prédateur en était une autre.
Nul besoin d’un quelconque lien de sang ou d’une maîtrise aiguë de la magie pour deviner mes pensées, et mon frère d’écailles eut le bon sens de paraître penaud lorsque je le foudroyai du regard. Cela dit, là n’était pas le plus urgent : avec un adversaire comme Hana, les reproches pouvaient attendre. Je me retournais donc vers la jeune fille, prêt à échanger avec elle les remarques sarcastiques et péjoratives usuelles, jusqu’à ce qu’une tierce personne intervienne afin de nous empêcher d’en venir aux mains.
Bel exemple de maturité, n’est-ce pas ?
Bien décidé à ne pas débuter notre joute – majoritairement – verbale ; en vue d’éviter la charge envers le premier responsable, et donc de pouvoir invoquer la légitime défense, je la détaillai du regard, sans piper mot.
Petite, mince, d’épaisses mèches châtaines encerclées par un bandeau incarnat retombant autour d’un visage gracieux qu’un œil – ou plutôt un individu – non averti du caractère, disons… ardent de la fille en question aurait pu étiqueter de délicat.
Quelle blague…
Ses yeux noisette étincelaient sous la lumière du soleil couchant, se couplant avec la flamme qui y brûlait continuellement pour en réaliser un véritable flambeau.
Mon œil descendit un peu plus bas, opérant une étude plus approfondie du tatouage tribale dévorant partiellement son bras droit. L’encre ébène décrivait de longues arabesques sur sa peau, qui s’arrêtaient peu avant le coude. Que signifiaient ces dessins ? Je n’en avais aucune idée. Et je n’étais certainement pas assez désespéré pour aller lui demander.
Je dérivai sur la dragonne à ses côtés : de ce que j’avais pu observer en dix-sept Möks d’existence, Reyja pouvait aisément être rangée dans la catégorie des futurs grands dragons. Très grands. Ses écailles claires bleues violacées corrélaient parfaitement avec son caractère froid et insensible – quoique leurs couleurs soit encore un peu trop relevée à mon humble avis. Une véritable Dragoën en puissance.
Aussi loin que je me souvienne, je n’avais jamais vu Reyja afficher la moindre émotion négative, encore moins une émotion positive.
Cela dit, je ne faisais pas forcément partie de son cercle d’amis proches… (cercle d’amis tout court, d’ailleurs.)
Il fallait bien l’avouer, ces deux-là formaient un duo assez hétéroclite. D’un côté, Hana ; enjouée, dynamique, insupportable , de l’autre, Reyja ; sévère, glaciale, imperturbable. Et j’étais dans le viseur d’au moins l’une d’entre elle – et sûrement de l’autre aussi.
Personne ne dit rien ?
Ce ne fut qu’après avoir réalisé un récapitulatif complet de leur apparences et personnalités que je me rendis compte du silence ambiant.
C’était une expérience étonnante que de me tenir aux côtés de ma pire rivale – si ce n’est ma pire ennemie – sans qu’aucune insulte ne soit lancée par aucun des deux camps.
À vrai dire, c’était plutôt agréable.
Je pris donc la décision de ne pas briser la trêve encore fragile et, faute de mieux, dessinai avec mon doigt dans le sable humide des silhouettes épurées de dragons, d’humains et de créatures aujourd’hui disparues.
– Tu dessines bien.
Je levai les yeux pour apercevoir Hana penchée sur mon épaule :
– … Je rêve ou c’est bien un compliment que je viens d’entendre ?
– Commence pas, Walk.
Je souris et haussai les épaules.
Le coucher de soleil s’acheva tranquillement, un léger intermède pendant laquelle une étrange complicité s’installa entre les quatre individus présents sur cette rive du lac, une compréhension se passant de mots.
Enfin complètement détendu pour la première fois depuis un certain bout de temps, j’inspirai une grande goulée d’air frais et m’apprêtais à interroger ma voisine sur l’origine de son tatouage, quand tout explosa.
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