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tome 1, Chapitre 4 « 2 » tome 1, Chapitre 4

⸺ Tu vas le laisser s’en tirer comme ça ?

⸺ Laisse tomber, Fafnir. On n'y peut rien, c'est comme ça.

⸺ Arrête avec ça ! Il t'a humilié, et il l'a fait intentionnellement ! Un bon coup de croc, et on n’en parle plus ! Pourquoi rechigner ?

⸺ Tu sais très bien pourquoi.

⸺ C’est la raison la plus aberrante que j’ai jamais entendue.

⸺ Et c’est la seule que tu entendras. Fais-toi une raison, Faf’. De toute façon, tu sais très bien que je ne te demande pas de rester : j’en suis presque venu à apprécier la tâche…

⸺ Liam, tu ne peux pas accepter ça !

⸺ Et pourquoi pas ? Ce n’est pas comme c’était la première fois que je la nettoyais, cette école… badinai-je, un demi-sourire aux lèvres.

⸺ Tu sais très bien que ce n’est pas de ça dont je parle.

⸺ Quoi, comment ? Fafnir, mon fidèle et loyal compagnon, n’était-ce pas mon futur dos bossu et mon regard amorphe après trois révolutions de sablier à fixer le parquet qui t’inquiétaient ? Ô rage, ô désespoir ! Pauvre de moi, même mon plus dévoué allié m’abandonne…

⸺ Parlons-en, d’abandon.

Je cessai immédiatement de faire le pitre.

⸺ Non.

⸺ Le fait que tu sois en retard l'autorise à se moquer de ta famille en évoquant le cas de ton père ?

⸺ Fafnir, ne t’avises pas d’aller sur ce terrain-là.

⸺ Il le faut bien.

Je serrai les poings à m'en faire pâlir les jointures mais restai obstinément muet. Gardant les yeux baissés au sol, je me contentai de glisser :

⸺ À quoi bon ?

⸺ À quoi bon ? Liam…

⸺ Tout joue contre moi en ce moment, tu le sais très bien, le coupai-je promptement. C’est un combat perdu d’avance et franchement, je n'ai pas besoin d'autres complications pour l'instant : maman se ronge déjà bien assez les sangs comme ça, déclarai-je en relevant la tête.

Je regrettai aussitôt ce geste : Fafnir me scrutait au travers de ses meurtrières, et l'intensité que je lus dans ses pupilles me fit presque peur. Me laissant hypnotiser par les nuances d’or et de bronze dansant dans ce regard avec lequel j'avais grandi toute ma vie, j'en oubliai presque notre discussion.

J’avais quatre Möks. Je m’étais esquivé avec Fafnir sur mes talons, à la recherche des fées dont maman me parlait sans cesse. Cette fois-ci, je voulais être celui qui lui en ramènerais une.

Hélas, il semblait que j'étais le seul dans ce cas et la voix du dragon se fit bientôt entendre à nouveau dans ma tête, me ramenant à la triste réalité :

⸺ Tu crois que ta mère serait assez égoïste pour préférer ignorer les misères de son fils et se vautrer dans une illusion avinée pour mieux se ''préserver'' ?

⸺ Arrête.

La sécheresse contenue dans ma voix le fit tressaillir. Il recula, emportant avec lui le halo de douce chaleur qui enveloppait ses écailles émeraudes, m'observant comme s'il ne me reconnaissait plus, comme si je n'étais pas le frère d'écailles avec qui il avait vécu pendant des Möks. Ne restait rien d'autre qu'un inconnu, un étranger. Je passai nerveusement une main dans mes cheveux, cherchant mes mots. Aucun ne vint.

En désespoir de cause, je saisis ma sacoche et me relevai prestement avant de me détourner. Je n'attendis pas mon frère d'écailles et accélérais le pas, mu tout autant par le désir de ne pas cumuler un deuxième retard que celui d'éluder les arguments que je sentais poindre dans la gorge du dragonnacé.

*

⸺ Holà, il y a comme une odeur nauséabonde par ici… D'où est-ce que ça peut bien venir ? C'est sans doute la question que tout le monde se pose, tu ne crois pas, Walk ?

⸺ Lâche-moi, Hana.

Perché sur la branche de mon arbre, je foudroyai la jeune fille du regard. Celle-ci m'offrit un rictus moqueur en retour. Susceptible, surexcitée, déchaînée, et tout ça en permanence... la tout-sauf-charmante demoiselle me faisait l'impression d'un feu follet humain. Et si l’on connaissait les feux follets, on savait que ce n'était pas forcément un compliment.

Elle et moi partagions une inimitié mutuelle depuis que le soleil se couchait à l’ouest. Quant à savoir pourquoi… De son côté, je subodorais une inclination au panurgisme rehaussé d’un penchant pour la provocation. Du mien… ses commentaires me portaient tout simplement sur les nerfs.

Combinez ces ingrédients insolites avec une volonté de fer et une détermination effrayante, et vous obteniez un cocktail dé-tonant, matérialisé en la personne de Hana Myrddin.

Que de joies en perspective !

Sans prendre en compte un seul instant mon interruption, elle continua sur un air faussement interrogatif :

– Mais peut-être le savent-ils déjà ? Peut-être ont-ils été informés par certains de leurs amis, non ?

Elle me sourit, feignant l'empathie, mais je savais que derrière cette façade son véritable sourire était beaucoup moins compatissant. Je détournai le regard, détaillant tour à tour les autres élèves – humains ou dragons – autour de nous, réunis en petits groupes pour discuter de tout et de rien, ou, au vu des regards furtifs que me lançaient certains, de ma dernière mésaventure.

Je me tournai de nouveau vers elle, las de toutes ces histoires sans profondeur, de ces querelles sans hauteur :

– Hana... Est-ce qu'on ne pourrait pas juste pour une fois, arrêter de se taper dessus ? C'est épuisant, à force.

Elle inclina légèrement sa tête sur le côté, me dévisageant de ses grands yeux noisette pendant plusieurs poignées de sables, sans dire un mot. Finalement, les coins de ses lèvres se relevèrent, faisant ressurgir son rictus moqueur :

– Et te laisser t'en tirer aussi facilement ? Je ne crois pas, non, rétorqua-t-elle d'un ton narquois.

Je fermai les yeux. Apparemment, elle et moi n'étions pas d'accord sur le sujet.

Pour changer...

Je fouillai de nouveau la foule des yeux, à la recherche de mon frère d'écailles : après la douche froide de notre débat, nous nous étions séparés, lui partant retrouver d'autres dragons et moi, seul, cherchant un endroit discret où m'esquiver afin d'ignorer les murmures persistants dès que l'on me croyait inattentif – ou pas.

Bien sûr, il avait fallu que la première à me dénicher porte un bandeau vermeil et nourrisse à mon égard un mépris aussi tenace qu'inconsidéré...

J'ai réellement une veine de folie, aujourd'hui…

De plus, l'intervention de la jeune fille avait attiré l'attention sur ma cachette – et sur moi par la même occasion, – et je devais désormais faire face à une dizaine de curieux avides de pouvoir observer ma réaction face à cette énième provocation.

Ils allaient être déçus. Je sautai du haut de mon perchoir – avec élégance, il faut bien l'avouer. Une fois les pieds au sol, je me redressai et toisai silencieusement mon adversaire de mon regard le plus dédaigneux, lui intimant mentalement de me foutre la... de me lâcher la grappe.

Finalement, je me dérobai à ce duel futile et rebroussai chemin, me frayant un chemin entre les autres adolescents. Sur ma percée, une poignée quolibets et huées fusèrent çà et là ; me traitant tour à tour de lâche, de charlatan ou de marabout dégonflé, sans que cela n'entrave ma progression – il n’y en avait même pas assez pour me faire tiquer, c’est dire.

Étrangement, le timbre de la voix de Hana ne se joignit pas aux sifflets et autres invectives proférés à mon encontre. Elle qui ne se lassait habituellement pas de m’asticoter – en témoignait le départ de cet épisode – semblait avoir recouvert un masque de sérieux incongru sur ses traits, comme si elle avait deviné que le temps n’était pas aux taquineries.

Soudain, une ombre dissimula le soleil. Un frisson galopa ma colonne vertébrale lorsqu’un rayon éclaira les écailles nacarat du dragon. Bien que la logique eût tôt fait de rationaliser mon esprit, mon instinct me hurlait de fuir et je dus faire appel à tout mon bon sens pour ne pas prendre mes jambes à mon coup.

Au lieu donc de suivre mes impulsions primaires, je me forçai à relever les extrémités de mes lèvres en un faux-semblant de bien-être et sérénité avant de me retourner.

Le dragon se posa avec aisance et finesse – de même que sa sœur d’écailles lorsqu'elle descendit de son dos.

Nos professeurs pivotèrent vers nous, et sans avoir à prononcer un seul mot, un seul son, imposèrent le silence parmi les étudiants. Quoi de plus normal ? En un claquement de mâchoire, l’écailleux pouvait avaler l’entièreté des élèves, dragons compris.

– Ravie de vous voir, jeunes gens ! déclara la dragonnière, Leïla, une trentenaire dynamique à la peau mate et au crâne entièrement rasé, sa peau lisse réverbérant la lumière du soleil. J'espère que vous vous portez bien, que ceux qui sont humains ont pris une collation assez légère avant de partir et que ceux qui sont dragons se sont un peu préparés pour ce qui va venir, car aujourd'hui est un jour assez particulier : vous allez avoir la chance de pouvoir voler – en duo bien sûr – en dehors de la ville !

Un concert d'exclamations s'éleva d'entre nos rangs : si des Mages (ainsi qu'une poignée de sorciers – avaient bien pris soin d'entourer la ville de puissants enchantements qui étaient – en tout cas nous l'affirmait-on – régulièrement renouvelés, ce n'était pas le cas des forêts alentours, et les quelques sorts lancés à la construction d'Arkën Soa pour éviter certains dommages qu'auraient pu occasionner des dragons ou humains récalcitrants à la paix s'étaient effrités, évaporés avec le temps.

Alors pourquoi nous laisser nous aventurer là-bas ?

Ce fut Dewi – l'immense dragon incarnat – qui répondit à cette interrogation muette émanant sans doute de toutes les fibres de nos êtres, humains comme drakes :

– Nous connaissons vos craintes et hésitations, mais sachez que le risque est parfaitement contrôlé. Aucune présence potentiellement hostile n'a été signalé depuis le lever du soleil. Les vigiles nous l'ont confirmé il y a une poignée de sables, comme ils le font à chaque révolution de sablier depuis que l'aube s'est déclarée.

Une chape de soulagement recouvrit l'assistance. Pour ma part, j'étais partagé entre plusieurs sentiments contradictoires. Plus que jamais je ressentais la présence oppressante de son souvenir, et j'étais parfaitement conscient que la fine couche de poussière dont je l'avais recouvert pour le dérober à ma vue et mes pensées ne suffirait pas à l'enchaîner éternellement, une infime partie de lui ne cesserait jamais de s'agiter, me rappelant qu'il était toujours là, ce boulet que je traînerais toute ma vie derrière moi.

En même temps, les hauteurs avaient été gravées dans ma mémoire, et ce, dès mon plus jeune âge, comme un lieu où – enfin ! – j'étais libéré de toutes ces contraintes spirituelles qui m'accablaient autrement.

Et aujourd’hui, j’avais décidément bien besoin de respirer ce souffle grisant de liberté.

– Liam !

Je pivotai, cherchant du regard celui qui m'avait interpelé, et occasionnellement celui avait qui j'allais affronter les cieux d'ici peu :

– Faf' ! Je suis là !

Le dragon émeraude me fonça dessus :

– Ça va ? On m'a raconté que tu t'étais encore fait remarquer, qu'est ce qui s’est passé ? Tu veux que je m'en charge ?

En quelques mots, je résumai l'affaire à mon frère d'écailles, usant d'un soupçon d'euphémisme pour ne pas l'inquiéter inutilement... Peine perdue : il semblait encore plus soucieux que lorsqu'il ne connaissait pas le fin mot de l'histoire.

– Je n'aurais pas dû te laisser seul, c'était stupide. J'ai agi de façon indigne, je ne–...

– Hé, hé, Faf', tout doux ! Te lamente par pour ça, ce qui est fait est fait, et ce n'est pas de ta faute si Hana est... Hana, lui affirmai-je en tapotant son bras, lui transmettant par le biais de notre lien tous les effets curatifs que sa considération avait suscités. Je croyais les dragons plus pragmatiques, lui lançai-je pour le taquiner avant de le dépasser pour aller chercher mon équipement.

Alors que je revenais avec mon barda, je croisai Hana sur le chemin. Et au vu du regard assassin qu'elle me décocha, je compris qu'elle avait entendu la manière dont je l'avais décrite – esquisse pourtant très neutre à la base, qu'on se le dise, – et que j'allai très probablement devoir me préparer à déguster d'un moment à l'autre.

Une fois de plus une fois de moins, qu’est-ce que c'est, au fond ? pensai-je, sarcastique.


Texte publié par lacossarde, 20 août 2022 à 11h03
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