Un dernier coup. La lame se faufila entre les écailles et pénétra la chair dissimulée. Le sang jaillit, éclaboussant ses joues et ses bras.

À terre, la bête gisait, agonisante.

Presque morte, mais pas tout à fait.

Il appuya son pied sur le flanc de la créature ensanglantée et, d’une torsion du poignet, extirpa son sabre du cou de son ennemi.

Voilà.

Un de plus.

Une offrande pour les siens.

Maigre cadeau…

Il observait l'ichor doré s'écouler lentement mais inexorablement de la plaie béante. Plaie dont il était responsable. Il observait le dernier souffle du dragon s'éteindre doucement, disparaître dans les airs.

Il observait.

Autour de lui, la cendre et la poussière tourbillonnaient, se collaient à sa peau, aux écailles du cadavre à ses pieds que le sang avait rendues poisseuses.

Une main aussi épaisse qu’une planche s'abattit sur son épaule.

Aucune réaction à l’extérieur. Il ne devait pas en montrer. Il devait prouver que l’Arène était derrière lui.

À l’intérieur… mille jurons à son encontre. Pour avoir été trop concentré, ou pas assez, pour s’être laissé surprendre. Pour avoir déçu l’homme dans son dos.

— On dirait qu’not’ jeunot a encore fait des siennes ! s'amusa l'autre.

Lui ne répondit rien, se contenta de hausser les épaules.

— Alors, ça donne quoi ?

— Une révolution de sablier.

Jorgh rejeta la tête en arrière et s’esclaffa, d’un rire grave et tonitruant, à s’en secouer la colonne vertébrale. Une fois calmé, il lança d'une voix moqueuse :

— De quel « plus que correct » tu parles, Jorgh ? Ce drake était déjà à deux doigts de crever. Que j’puisse mettre autant de temps à le tuer... c'est pas normal.

— Il est crevé, non ?

— Et s’en est pas fallu de beaucoup pour que je sois pas à sa place !

Que Jorgh ne pige pas l'agaçait.

— Et quand je finirais éventré par un de ces monstres, il se passera quoi ?

— Bah la vie continuera et j’devrais trouver une aut’ merveille pour t’remplacer, que veux-tu que j’te dise ? Mais bon, comme m’étonnerait qu’un truc pareil arrive de sitôt, je profite et j’te laisse te charger du reste.

— Tu me prends pas au sérieux.

— T'énerve pas, Sóisir, t'énerve pas ! À toi tout seul, t’es capable d'en faire autant qu’un sacré bon paquet d’mes gars alors qu’t’as même pas la moitié d’leur âge ! Être exigeant, c'est une chose. T’auto-tabasser comme tu fais, c'en est une autre. Te ronge pas les sangs pour ça, garçon: les génies ont autre chose à foutre.

Il hocha la tête distraitement, le regard perdu dans le vague. Quelque part dans les confins de son esprit, le souvenir flou d’une femme lui murmurant de paisibles berceuses dans un langage aérien grattait les parois de sa prison pour se faire entendre, lui susurrant sa réprobation d’une désagréable voix enfantine, vestige d’une autre époque.

Il emboîta le pas à son chef.

Le choix lui avait été retiré une éternité de cela. Désormais, il suivrait sa route, peu importe les obstacles qui se placeraient en travers de son chemin.

Au fond de lui, une petite voix se tut.