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~ This is Halloween ! This is Halloween ! ~

Cette phrase, tirée d’un célèbre film de Tim Burton, était chantée par tout un chacun dans les foyers et les rues, annonçant la joie et l’amusement des gens à bientôt fêter Halloween, le 31 Octobre, comme chaque année. Oui, qu’il était plaisant de se déguiser pour faire peur à ses amis, réclamer des friandises sucrées à ses voisins, et faire la fête toute la nuit.

Sauf pour un certain type de personnes : les monstres.

Existant depuis aussi longtemps que les humains, voire davantage, les monstres s’étaient petit à petit cachés du regard des mortels au fur et à mesure que le monde se modernisait, se faisant discrets et restant à l’abri de toutes les mauvaises choses que les humains étaient capables de leur faire. Ils vivaient dans l’ombre, devenant mythes et légendes. Mais une fois par an, les monstres se mélangeaient à nouveau aux mortels afin de faire le plein d’énergie terrifique afin de rester en vie.

Le Bar de l’Extinction était le lieu de réunion pour organiser cette grande sortie annuelle. Il se situait dans une dimension dont l’entrée pouvait se trouver dans les vieux bâtiments délabrés ou en partie en ruine à travers le monde, et inaccessible aux humains, bien entendu. L’établissement de boissons et d’accompagnements spécialisés était le préféré de la population monstrueuse, de part son service et la qualité de ses produits, ainsi que pour sa sécurité anti-humain. L’intérieur ressemblait à n’importe quel bar, avec une esthétique datant du 19ème siècle, et l’ensemble du lieu était propre. Le bar en lui-même était bien éclairé, mais il y avait des endroits laissés dans la pénombre, voire l’obscurité totale. Cette nuit-là, la clientèle était plus nombreuse que d’habitude, les murmures des conversations un poil plus fort. La réunion de la sortie annuelle allait bientôt commencer.

La porte du bar s’ouvrit, laissant entrer un individu recouvert d’un long manteau sombre à capuche. Une fois la porte bien refermée derrière lui, il s’arrêta quelques secondes, observant la salle en partie remplie, et sembla trouver ce qu’il cherchait. Il fit un pas au moment où le barman l’interpella :

– Bon sang, Henri. Je t’ai déjà dit de faire attention à tes parties. Tu vas encore me salir le plancher.

Le dénommé Henri baissa les yeux sur ses pieds et vit plusieurs bons centimètres d’entrailles gisant par terre, l’autre bout pendouillant par un trou béant depuis son ventre, à moitié caché par son manteau.

– D’solé, Roger. L’bande tient pas c’derniers temps.

Roger fit un vague geste de la main exaspéré, du moins c’est ce que le zombie en déduisit en voyant bouger la manche sans main du barman, qui était aussi le patron de l’établissement. Henri ramassa ses intestins, les fourrant pêle-mêle dans sa cavité de chair à moitié putréfiée, vérifiant qu’il n’avait fait aucune tâche sur le plancher et le tapis. L’homme invisible était très à cheval sur la propreté, voire maniaque, et ça serait dommage de se retrouver exclu, même temporairement, pour un boyaux sale. Tentant d’ajuster de façon plus serré la bande de tissu autour de sa taille, le nouveau venu se dirigea vers le bar et s’assit au comptoir. Trente secondes après qu’il eut passé sa commande, un grand verre glissa jusqu'à lui, s’arrêtant au millimètre près devant ses lèvres. Henri n’eut plus qu’à baisser légèrement la tête pour boire le contenu désiré.

– Ah ! L’smoothie d’bébé frais sanguinolent de c’bar, c’est vraiment l’meilleur de tous.

– Évidemment que c’est le meilleur. C’est le seul endroit où l’on puisse en trouver, fit une voix enrayée à la droite du zombie.

Par les temps qui courraient, obtenir des enfants humains devenait très compliqué. Du moins, quand ils étaient en si bas-âge. Infiltrer les hôpitaux était quasiment impossible avec toute la technologie moderne que les humains avaient développée.

Henri tourna la tête, de façon exagérée, son œil droit complètement retourné dans son orbite, obstruant la vue de ce côté de sa tête.

– Oh, ‘lut Philippe. D’solé, t’avais pas vu.

Philippe fit un petit signe de tête, indiquant qu’il n’y avait pas offense. Le vampire comprenait très bien que le zombie puisse avoir des difficultés à voir avec un œil aveugle. Cela faisait trop de temps que Henri et lui se connaissaient pour lui en vouloir pour ce détail qui n’était pas de sa faute.

Le bar retrouva ses murmures habituels, tout en accueillant ses clients particuliers. Au bout d’une heure, la pièce était bondée, obligeant la moitié des personnes présentes à rester debout avec leurs consommations, entre les diverses tables et le comptoir. La réunion allait bientôt commencer, la nervosité augmentait de minutes en minutes devant l’absence d’un monstre particulier.

Justement, la porte s’ouvrit soudainement de façon brusque, faisant tourner la tête des clients vers la personne qui venait d’entrer. De taille moyenne, les cheveux blonds complètement en pétard, des choses non identifiables incrustées dedans. Le visage fatigué, rempli de pustules et les yeux injectés de sang, la femme qui venait d’entrer s’avança d’un pas décidé et hautain vers le seul siège libre à l’extrémité du bar. Tous les regards étaient posés sur elle (cette dernière étant une référence de beauté extrême parmi les morts-vivants), et surtout sur ses formes flasques et tombantes mises en avant par sa robe noire, incroyablement maculée de diverses tâches de fluides d’origine inconnue.

– Mathilda ! s’exclama le barman avec un sourire poli, bien que personne ne le vit. J’avais peur que vous ne vous joigniez pas à nous pour cette réunion.

La vieille Mathilda renifla d’un air méprisant avant de commander sa boisson, au nom imprononçable pour le commun des non-mortels. Les sorcières - et sorciers - étaient des monstres particuliers car bien qu’ils avaient une origine humaine comme les vampires ou les zombies, ils étaient toujours en vie dans le sens mortel du terme. Diverses potions pouvaient leurs permettre de considérablement allonger leur espérance de vie, mais rares étaient ceux qui avaient réussi à atteindre l’immortalité, la vraie.

Le patron de l’établissement lui versa sa boisson dans un verre en métal, le liquide faisant des bulles étranges, puis lui laissa le temps de prendre quelques gorgées de sa boisson acide et fumante avant de claquer avec force dans ses mains. Toute l’attention fut tournée vers lui.

– C’est l’heure. Et avant de commencer, comme chaque année maintenant, laissez-moi vous souhaiter bon courage.

Des grommellements lui répondirent.

– Bien, lança Roger en sortant un papier de l’une de ses poches. Comme vous le savez tous maintenant depuis plusieurs décennies, Halloween est le moment de l’année où nous côtoyons les humains de près pour récolter l’énergie terrifique dont nous avons besoin pour survivre. Et comme chaque année, nous sommes obligés de nous déguiser pour réussir notre mission.

De nouveaux grognements lui répondirent.

– Alors, cette année… le groupe des zombies : Hello Kitty, et ne lésinez pas sur le rose. Celui des fantômes : Pokémon, privilégiez Pikachu et autres bestioles mignonnes. Les sorcières et sorciers : les chats, avec des oreilles et des queues poilues, sans parler des moustaches. Le groupe des loups-garous : héros et méchants de comics, et pas d’obligation de respecter le sexe d’origine. Les squelettes : même chose, mais pour les personnages de mangas et d’animes. Les vampires…

– Non !!!

Le cri résonna dans la salle en bois lustré, accompagné du bruit de poings s’abattant contre le bar de l’établissement. Le barman s’était tu, et tous les regards convergèrent vers le client bruyant, qui n’était autre que Philippe.

– Quoi ? Qu’est-c’ qui s’passe vieux ? demanda Henri à son voisin, étonné de cette réaction anormale de la part du vampire.

– Ce qu’il se passe ? Je n’en peux plus, voilà ce qu’il se passe !! s’écria Philippe. Je ne peux plus m’obliger à me parer de tels accoutrements, simplement pour avoir la possibilité de pouvoir approcher les humains plus facilement !

– Allons, pas comme si on avait l’choix d’sormais, se désola le zombie. Faut bien s’adapter si on veut survivre.

Des murmures résignés d’approbations se répandirent dans le bar, faisant hocher ici et là les têtes des clients, la mine grave. C’était honteux et humiliant pour eux, les monstres, de devoir se revêtir de tels déguisements pour être sûrs de ne pas se faire chasser par les humains, surtout qu’une simple grenade moderne pouvait les réduire en charpie et les tuer dans le processus.

– Non ! Je ne peux plus continuer. Je préfère encore me promener nu en plein soleil !

Un silence choqué accueillit cette déclaration. Le vampire était connu pour sa grande pudeur, dû à son ancienne ascendance noble et à sa stricte et bonne éducation. Rien que de remonter ses manches lui donnait de l’urticaire face à ce comportement irrespectueux envers sa propre personne.

– Al… Allons, allons. Calme-toi, Philippe. Le déguisement de cette année couvre l’intégralité du corps, tu sais, rassura Roger, tout en déposant un verre de sang frais devant l’immortel excédé.

Ce dernier lui jeta un coup d’œil nerveux. L’année dernière, les vampires avaient dû se déguiser en danseuses et danseurs étoile, avec le tutu et les collants, ce qui avait été un moment à la limite du traumatisme pour le pauvre Philippe.

– Vr… vraiment ?

En tant qu’homme invisible, Roger ne pouvait pas montrer un sourire rassurant, alors à la place il hocha doucement la tête, mouvement détectable par les lunettes de soleil posées sur son nez.

– Oui. Cette année pour vous, c’est les licornes arc-en-ciel, annonça-t-il aussi doucement que possible.

Le mort plusieurs fois centenaire regarda pendant quelques secondes le barman, tentant de comprendre la réponse qu’il venait de recevoir. Puis…

– NNNOOOOOOOOOOOOOOOOONNNNNNN !!!

Sans prévenir, à la vitesse de l’éclair, le vampire passa par-dessus le comptoir et attrapa une grande bouteille de jus d’ail concentré extra fort, qu’il déboucha, pour la porter à ses lèvres. Ou du moins, il aurait bien voulu. Un bout d’intestin nauséabond putréfié s’enroula autour de la bouteille, la stoppant à quelques millimètres de la bouche du vampire.

– Fais pas l’con Philippe !!!

Henri tenait avec force l’autre bout de ses intestins, ses mains ayant bien du mal à écarter le goulot de la bouteille de la bouche de son ami à cause de leur chair en décomposition. Roger n’attendit pas plus longtemps pour agripper le poignet de Philippe, l’écartant avec fermeté de son visage. L’ail ordinaire ne tuait pas instantanément les vampires s’ils en avalaient, mais le jus de cette bouteille était suffisamment puissant pour être une arme létale. Évidemment, Philippe essaya de les empêcher, gardant une prise ferme sur la bouteille au contenu mortel, objet de ses désirs immédiats, mais le barman avait une sacrée force. Vaincu, le vampire fut ramené doucement sur son tabouret par les plus proches clients de la scène, tandis que Henri récupérait ses boyaux et Roger enfermait à double tour la bouteille de jus d’ail concentré extra fort dans le coffre situé sous le comptoir. Sa tentative de suicide ayant été interrompue, Philippe, complètement déprimé, s’affala sur le bar immaculé et pleura toutes les larmes de son vieux corps centenaire.

L’action désespérée du vampire venait de réveiller la colère des monstres. Une colère qu’ils avaient dû, par la force des choses, enfouir afin de survivre, car leurs besoins alimentaires reposaient uniquement sur les composants humains, dont le principal élément était la peur. Ils n’avaient pas eu le choix de vivre cachés des humains pour ne pas finir massacrer sous le coup de leurs armes, toutes plus dangereuses les unes que les autres au fur et à mesure que les années passaient. Eux aussi avaient été choqués et effrayés devant la destruction que les humains avaient provoquée avec les bombes atomiques qu’ils avaient lancé sur Hiroshima et Nagasaki, tuant également de nombreux monstres.

Mais aujourd’hui, c’était trop ! Tout ça devait cesser !

– S’il te plait Philippe, ne te mets pas dans des états pareils, dit Roger dans une tentative d’apaisement. Bois ton verre de sang, ça te fera du bien.

Il poussa vers le vampire le verre, intouché, donné précédemment, mais ce dernier ne fit pas un geste pour le prendre. Il était toujours prostré sur le comptoir, marmonnant ses souffrances et ses humiliations subies à chaque Halloween depuis le début de la première mission de récupération d’énergie terrifique, et en particulier depuis les cinquante dernières années. Internet n’avait vraiment pas fait de bien à leur communauté.

– Sa réaction est pourtant très compréhensible ! s’emporta Mathilda avec colère. Plus les années passent, plus on doit se ridiculiser pour juste avoir la chance de survivre !

– C’est vrai, y en a marre ! éclata un loup-garou à une table non loin.

– Ça a trop duré !

– Il faut montrer à ces sales humains qui nous sommes ! exhorta un yéti dans le fond de la salle.

– Pauvres mortels dégénérés !

– Sacs à viandes !

Les insultes fusèrent de toutes parts, créant un brouhaha qui, de seconde en seconde, augmenta, enfla en intensité, remplissant l’entièreté du bar d’une ambiance hostile et pleine de rancœur envers la cause de leurs malheurs : les êtres humains. Roger tenta bien de tempérer les choses, mais ce fut impossible. Cela faisait trop longtemps qu’ils subissaient cette humiliation pour que de simples mots les calment. La clameur dura près de dix minutes, quand un squelette avec une dent en or mit le feu aux poudres en hurlant :

– Tuons-les tous !

Un silence béni d’une seconde entière tomba sur l’assemblée monstrueuse, pour ensuite voler en éclat sous les grondements exaltés par l’injonction de leur camarade. Le vacarme s’amplifia à un point inimaginable, se répercutant sur les murs et faisant trembler les meubles et les verres de l’établissement.

– Tuons-les !

– Il faut les tuer !

– Les étriper !

– Les démembrer !

– Les désosser !

– Les faire bouillir !

– Les charcuter !

– Les bouffer vivants !

– Les écorcher vifs !

– Les tuer !

Ces deux mots furent repris en boucle par presque chaque monstre présent dans le bar, résonnant tel le roulement d’un tambour de guerre motivant les troupes en vue de la bataille qui s’annonçait.

– On attend quoi ?! beugla un ogre en se levant, le poing en l’air. C’est maintenant ou jamais de se venger !

Ce fut le signal qu’ils attendaient tous.

– On y va !!! hurla la foule démente.

Et ils sortirent du bar, comme un seul homme, à scander leur colère et leur haine du genre humain. Le sol vibrait sous l’assaut de leur pas. La soumission était finie. C’était l’heure de la révolte. De la guerre. Du massacre sanglant et gratuit.

Lorsque le silence eut de nouveau sa place dans le bar, Roger poussa un long soupir en sortant une grande bouteille de bourbon, qu’il but directement au goulot. Il regarda avec lassitude la porte encore ouverte de son établissement, donnant sur le vestibule ténébreux, donnant lui-même accès au monde humain.

– Désolé. C’est ma faute. Je n’aurais pas dû craquer de la sorte.

Le chuchotement rauque provenait de Philippe, qui avait relevé la tête, et lançait un regard coupable à l’homme invisible.

– Non, c’est pas d’ta faute, fit gentiment Henri, qui était resté par égard pour son ami. Ça faisait longtemps qu’ça couvait. Si ç'avait pas été toi, ç’aurait été quelqu’un d’autre.

– Il a raison, ne t’en veux pas, ajouta Roger en leur servant un verre d’alcool à chacun.

– Que fait-on maintenant ? demanda le vampire après avoir vidé ses deux verres.

Le barman soupira avant de reprendre une gorgée de bourbon et de répondre.

– Faire comme les autres représentants : annoncer la révolte au reste des nôtres.

Les monstres qui s’étaient rassemblés au Bar de l’Extinction étaient les représentants de chaque espèce de monstre existant, ou presque. Les yokais, ou démons japonais, préféraient faire la récolte d’énergie terrifique à leur manière selon les cultures de leurs pays, et ne venaient que rarement aux réunions annuelles. Mais Roger pensait bien en avoir vu un ou deux présents ce soir, et il était sûr que l’information allait se répandre comme une trainée de poudre dans toute la sphère des monstres asiatiques.

Les trois derniers monstres du bar sortirent plus lentement et tranquillement que leurs congénères, Roger fermant à clé derrière lui. Moins d’une semaine plus tard, lors de la nuit de Halloween, l’humanité connu le plus grand massacre de son histoire, la terreur s’infiltrant dans chaque mortel, et la mort planant au-dessus d’eux dans une odeur fétide.

Les monstres étaient de nouveau aux commandes du monde.

FIN


Texte publié par Yuedra, 11 août 2022 à 17h16
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