Abbie referma le dossier et le tapota de ses ongles peints en noir. Le coursier qui le lui avait déposé était parti aussi discrètement qu’il était arrivé. Dans l’enveloppe, un mot très bref, écrit de la main du Haut Consul, avait suffi pour qu’elle réalise qu’elle contenait quelque chose d’important. La Comtesse n’avait pas pris les choses à la légère et, malgré son animosité atavique envers la Fondation Gaïa, avait fait un geste des plus favorable envers eux.
Pourtant Sébastian n’allait pas apprécier ce qu’il allait lire. Elle alluma son portable pour regarder l’heure. Il allait bientôt arriver. Elle examina le salon d’un regard circulaire et fut satisfaite : du chaos qui l’avait mis sans dessus dessous depuis une semaine, il ne restait que quelques cartons disposés sur le sol et des vêtements drapés sur l’un des fauteuils.
Jonas et le reste du Collectif s’étaient bien installés dans le théâtre. Certains, traumatisés par leur récente maladie, avaient décidé de retourner dans leur famille, mais ils étaient peu nombreux. Elle leur avait permis d’utiliser la salle de spectacle pour en faire leur bibliothèque, récupérant leurs étagères qu’ils avaient magnifiquement réparées et sublimées. De nombreux artistes et artisans se trouvaient parmi eux, dont certains avaient beaucoup de talent. Ils avaient aménagé les lieux de vie du premier étage pour que tout le monde puisse y loger confortablement. Seule la chambre de Tomàs était interdite d’accès. Abbie n’avait pas pu se résoudre à la céder, même si elle considérait sa réaction comme puérile.
La porte d’entrée s’ouvrit, laissant passer le soleil de fin d’après-midi et le brouhaha de la rue. Sébastian entra et ôta ses lunettes de soleil. Vêtu d’un costume trois pièces qui seyait bien à sa haute et fine stature, il donnait vraiment l’impression d’être un jeune homme d’affaire ou un banquier. Ses prunelles azurs brillèrent un instant, le temps qu’il s’habitue à la pénombre. Il observa la pièce, puis son regard se posa sur Abbie et il la rejoignit.
— Bonjour, Sébastian, l’accueillit-elle.
Elle se fit soudain la réflexion que sa grand-mère s’étoufferait de rage si elle était témoin de leur cordialité, ce qui provoqua un sourire.
— Tu as l’air d’aller mieux.
Abbie haussa un sourcil sans répondre.
— Merci d’être venu.
Le jeune homme enleva sa veste et la déposa sur le dossier du siège, puis il s’y installa avec souplesse.
— Il fallait que je te voie, de toute manière.
C’était la première fois qu’ils se revoyaient depuis l’attaque du Sanctuaire. Une semaine s’était passée, pendant laquelle elle avait été fréquemment en contact avec lui ou Sheraz. Le voir raviva la souffrance d’avoir perdu Tomàs. Pour se donner une contenance, elle poussa le dossier vers lui.
— J’ai eu la surprise de recevoir ça aujourd’hui. Cela vient de la Comtesse.
— Surprenant, en effet, fit-il.
— Le clan a fait quelques recherches de son côté, comme elle l’avait promis. Et ce que ses enquêteurs ont trouvé concerne la Fondation.
Sébastian fronça les sourcils et commença à ouvrir le dossier. Toute trace de sourire avait disparu du visage d’Abbie. Il interrompit son geste.
— Vais-je apprécier ce que je vais lire ?
— Sans doute pas.
L’Alpha termina son geste et se plongea dans les documents : des rapports, des clichés, des articles de journaux. Plus il lisait, plus il pâlissait. A la fin, alors qu’il refermait la pochette, ses mains tremblaient.
— Comment est-ce possible ?
— Ce Nexus était perdu au fond de la jungle. C’est ce qu’on pensait : que certains d’entre eux avaient été perdus.
— Non. La Fondation en avait connaissance.
Sébastian rouvrit le dossier et en sortit un article de presse. Il le fit glisser vers Abbie.
— Cet homme, sur la photo, était l’un des nôtres.
Abbie se pencha et observa attentivement le cliché. Il représentait un homme d’âge mur, aux cheveux noirs épais, aux yeux marron et en amande, un homme mort enseveli sous des tonnes de roches, alors qu’il explorait des ruines dangereuse. La vampire releva les yeux et regarda son interlocuteur d’un air interrogateur.
— Son tatouage, sur le cou. C’est le symbole d’une tribu garou d’Amérique du Sud.
— Ce qui signifie ?
Sébastian soupira et se passa une main dans ses cheveux courts.
— Je n’en sais rien. Quand nous avons évoqué la possibilité d’un Nexus compromis, nous avons demandé des informations à nos Sages. Ils nous ont répondu n’avoir aucune information à ce sujet. Mais maintenant, j’ai un doute.
— A propos de quoi ?
— A propos de la Fondation. S’ils étaient au courant, et qu’ils ne nous ont rien dévoilé, qu’est-ce que cela signifie ?
— Alors il faut enquêter. Nous allons vérifier tout ça.
Sébastian haussa un sourcil.
— « Nous » ?
Le visage d’Abbie se ferma soudain et elle recula légèrement, soudain sur la défensive. Elle se rappela soudain qu’elle était une vampire, l’ennemi atavique de son espèce, qu’ils avaient été littéralement créés pour combattre. Elle savait au plus profond d’elle qu’elle appartenait à leur lignée. Pourtant sa transformation l’avait-elle définitivement coupée de sa famille ?
— Je pensais que …, hésita-t-elle. Je pensais que nous pourrions faire équipe.
Sébastian sourit avec tristesse. Il tendit le bras et posa sa main entre eux, paume tournée vers le haut. Abbie la fixa d’un regard d’incompréhension.
— Tu es la dernière descendante d’une famille de garous, Abbie. Le destin a voulu que tu nous sois ravie d’une certaine manière, mais tu nous es retournée. Il n’y a aucun doute dans mon esprit, ou celui de Sheraz, de Sergueï, après ce que nous avons vu et vécu. Tu fais partie de la meute.
— Et les autres ?
— Ils devront s’y habituer. Cela prendra du temps, mais ils y arriveront. Tu es unique, Abbie.
Abbie inspira profondément, soudain soulagée. Elle glissa sa main dans celle de Sébastian et leurs doigts s’entrelacèrent. Le silence s’étendit entre eux. Il laissa son regard errer sur l’immense salon.
— Les membres du Collectif se sont bien installés.
— Ils ont envahi le théâtre, fit Abbie en souriant. Il va falloir que je m’habitue à avoir autant de monde autour de moi. Mais je leur avais promis. Et je pense sincèrement qu’ils ont un rôle important à jouer. La créature les a capturés parce qu’ils étaient seuls et hors la loi, en quelque sorte. Nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner les descendants des Sorciers.
— Alors tu penses que la menace d’Hékatia n’est pas écartée ?
— Et toi ? Qu’en penses-tu ?
— Nous avons vaincu une créature. Mais avec un Nexus détruit, qui sait combien de ses semblables ont pu traverser le Voile et se cachent parmi les humains ? Les millénaires nous ont affaiblis, Abbie. Nous avons perdu tant de connaissances, tant de savoirs. Nous gardons des artefacts dont nous ne connaissons plus l’utilité ou le sens. Gaïa et ses fragments ne sont plus que des contes, des légendes pour nous. Nous sommes devenus des cibles faciles pour cette déesse et ses engeances.
— Les Sorciers pourront nous aider dans ce domaine.
Sébastian hocha la tête.
— Comment vont vos invités ? reprit alors Abbie.
— Ils s’acclimatent bien. Leurs blessures ont guéri étonnamment rapidement. Nous arrivons à communiquer avec eux en utilisant le langage des signes ; ils sont intelligents et plutôt inoffensifs. Nous allons les transporter dans une réserve que nous contrôlons, à Yellowstone. Ils y seront à l’abri des regards et en sécurité. Leurs créateurs ne les y trouveront pas.
— Leurs créateurs ?
— Nous avons trouvé une marque sur eux, un tatouage, fit Sébastian, les sourcils froncés. Ils ont été créés par Genetech.
— Genetech ? La multinationale spécialisée en haute technologie ?
— Et en ingénierie génétique. La Fondation Gaïa n’est pas dans les meilleurs termes avec eux. Mais s’ils sont alliés avec Hékatia et qu’ils ont aidé la créature, alors c’est plus grave que ce que nous pensions.
— A ajouter sur la liste des choses à faire alors.
L’alpha accueillit cette remarque avec un petit rire. Puis il reprit son sérieux et serra un peu plus fort la main qu’il tenait toujours.
— Veux-tu vraiment faire partie de la meute, Abbie ?
La vampire pencha la tête sur le côté et observa attentivement le jeune homme. Le voulait-elle ? Évidemment. Elle avait toujours été seule, tellement différente des autres vampires, qu’elle s’était volontairement isolée. Son groupe, Tamaryn et Séraphin, étaient parvenus à la sortir des ténèbres, mais ils étaient humains – enfin presque. Appartenir à une communauté de gens comme elle, qui connaissait les mêmes aptitudes et les mêmes tourments étaient une nouveauté.
— Oui.
— Alors tu dois venir avec moi au Sanctuaire.
Abbie se tendit, sa main se crispa et elle l’aurait retirée si le garou ne la maintenait pas. Revoir le monstre emprisonné, horrible et hideuse réplique déformée de Tomàs, était trop difficile. Sébastian porta alors sa main à ses lèvres et y déposa un léger baiser, tendre et fraternel.
— Il est temps, Abbie. Si tu veux vraiment faire partie de ma meute, tu dois accomplir le rituel. Et puis le Sceau veut te parler.
Elle prit une profonde inspiration et ferma les yeux. Tu es forte, tu ne peux pas abandonner, tu te le dois, tu le dois à Tomàs. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la panique avait disparu.
— Très bien. Cette nuit ?
— Oui. Cette nuit.
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