Les voix ne le quittait plus et devenaient de plus en plus compréhensibles, ce qui n’était pas bon signe. Une brûlure sourde se répandait dans tout son corps. Son esprit était un champ de bataille : son Loup se battait contre la créature qui voulait s’emparer de lui. La terreur, le désespoir et la rage virevoltaient dans son cerveau. Des pensées étrangères, faim, fureur et haine mélangées, se mélangeaient aux siennes. L’affrontement l’affaiblissait de plus en plus. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne cède et qu’il ne se transforme. Il espérait juste qu’il ne blesserait pas sa famille.
Adossé au chambranle de la porte qui menait aux archives, il contemplait le lieu à peine illuminé. Il s’y était rendu sans même le vouloir, attiré par ce qui se trouvait à l’intérieur. Il savait par quoi, il l’avait déjà vue. L’appel était bien plus fort que la première fois, signe de l’évolution du parasite en lui.
Une main se posa sur son épaule. Il n’en fut pas surpris : il avait senti son frère.
— Te voilà.
Une évidence, mais Tomàs sentit son soulagement et son cœur se serra. L’avait-il cru transformé, mort, évanoui dans la nature ?
— Comment te sens-tu ?
— Mal, fit-il avec sincérité. Mais je suis toujours là.
Sébastian ne releva pas et laissa son regard errer dans la large pièce qui s’ouvrait devant lui. Dans leur dos, dans la pièce à vivre, ils entendaient les murmures des guérisseurs, de Jonas et de ses frères et sœurs, alors que les membres du Collectif étaient pris en charge :douze jeunes gens, affaiblis et malades, rongés par la drogue surnaturelle qu’ils avaient prise. Mais heureusement pas au stade de la transformation, du moins l’espéraient-ils.
— Ce sont les archives du Collectif, fit Tomàs en entendant la question muette de son frère. Tous les grimoires, codex, mémoires et livres d’histoire qu’ils ont réussi à collecter. C’est leur trésor, la source de leur savoir et de leur malédiction.
— C’est impressionnant. Cela nous sera utile.
Tomàs riva ses yeux dans ceux de son frère.
— Tu ne peux pas leur enlever ça, Sébastian. C’est tout ce qui leur reste.
L’alpha sourit devant la véhémence de son frère, preuve que malgré ses tremblements, sa pâleur, son regard embrumé, il avait gardé toute sa passion.
— Ne t’inquiète pas. Je n’avais pas prévu de leur arracher. Il est temps que la Fondation Gaïa cesse d’ignorer les Sorciers.
Tomàs hocha la tête, puis se redressa.
— Viens, je veux te montrer quelque chose.
Il guida son frère à travers le dédale des étagère, vers le fond de la salle, et la fresque qui l’appelait. Sébastian pousse un sifflement lorsque son regard se posa sur la peinture murale, œuvre de Jonas et de certains de ses compagnons. La citadelle noire, le paysage désertique, les créatures de légendes qui les fixaient de leurs regards de braise, tout était là, bien plus vivace que la première fois que Tomàs les avaient contemplés. Il crispa les paupières quelques secondes pour contenir le vertige qui l’assaillit. Les créatures et le paysage sur le mur semblaient vibrer ; les murmures dans son crâne s’étaient transformés en hurlements.
— C’est …, murmura Sébastian, visiblement secoué lui aussi, bien que dans une moindre mesure. Comment est-ce possible ?
— Il faudra en discuter avec Jonas. Mon hypothèse est que ce sont des visions de cette autre dimension. Comment les ont-ils eues, je n’en ai aucune idée.
— Cela signifie que le Voile est fragilisé depuis longtemps, depuis bien avant le vol du Phylactère.
— C’est à se demander combien de sceaux ont été brisés dans le monde.
— Bon sang, Tomàs, fit Sébastian en se tournant vers son frère.
Nul besoin de mots pour exprimer le désarroi de l’Alpha alors qu’il entrapercevait l’ampleur du désastre.
— Je sais, mon frère.
Tomàs pâlit tout à coup et vacilla. Il s’appuya sur l’étagère la plus proche avec une grimace de souffrance, évitant de peu de s’effondrer. Sébastian le soutint d’un geste rapide et l’examina avec attention.
— C’est de pire en pire, n’est-ce-pas ?
Tomàs hocha la tête. Son frère ainé serrait son bras de toutes ses forces comme s’il avait peur qu’il disparaisse. Soudain il eut envie de se blottir dans ses bras, comme lorsqu’il faisait des cauchemars quand il était enfant, ou comme le jour où leurs parents étaient morts, ou bien celui de sa première transformation. La vague de souffrance passa et il reprit lentement son souffle.
— On doit pouvoir trouver une solution, asséna Sébastian.
Un sourire sans joie déforma les traits de Tomàs mais il ne dit rien.
— On pourrait aller voir la famille de Sheraz.
— Non. Hors de question, fit Tomàs avec un regard dur.
— Ils pourraient trouver une solution : leurs chercheurs …
— … sont des monstres. Cette entreprise est tout ce que la Fondation Gaïa combat. Ce n’est pas pour rien que Sheraz les a abandonnés. Je ne finirai pas ma vie enfermé dans une cage, Sébastian. Promets-moi que tu ne les contacteras pas.
Sébastian soupira. Son frère avait raison ; le désespoir l’avait poussé à faire cette proposition, mais au fond de lui il savait qu’il refuserait. Il posa ses deux mains sur ses épaules et appuya son front contre le sien. Tomàs soupira et ferma les yeux. A cet instant, il parvint un peu à oublier la douleur atroce qui circulait dans ces veines.
— Rejoignons les autres. Abbie a dû obtenir les informations qu’on voulait.
Les deux frères quittèrent la pièce, refermant la porte ouvragée derrière eux. Lorsqu’ils rejoignirent la salle principale, les murmures dans son crâne avaient baissé en intensité, au plus grand soulagement de Tomàs. Abbie rejoignait justement l’aire principale, en rangeant son téléphone. A sa mine soucieuse, il devina qu’elle n’avait pas obtenu l’information qu’elle souhaitait. Les guérisseurs de leur meute s’occupaient des pauvres hères allongés sur les lits de camps. Des gémissements, des chuchotements incompréhensibles, des pleurs parfois montaient dans l’atmosphère lourde du sous-sol. Sergueï et trois métamorphes avaient déjà accompagné les plus valides jusqu’au théâtre, où Tamaryn les attendait.
— Alors ? fit Tomàs en rejoignant son amie.
— Mon contact à l’Antre du Jinn m’a dit que Nadine avait quitté le club vers minuit et n’était pas reparue.
— Vers minuit… au moment où l’ombre a attaqué Aldous, fit Sébastian.
— Mais où peut-elle bien être maintenant ?
— Aucune idée. Nous n’en savons pas assez sur elle pour le deviner, continua l’alpha. Le plus urgent maintenant est de rétablir le Sceau.
— Mais… et Tomàs ? fit soudain Abbie, alarmée par la tournure que prenait la conversation.
Elle ne cessait de couver son ami d’un regard inquiet et, grâce à leur lien psychique, il sentait sa terreur à l’idée de le perdre. Cela lui réchauffait le cœur et l’attristait en même temps.
— Je ne suis pas la priorité, Abbie, répondit-il d’un ton ferme. Réparer le Sceau devrait affaiblir la créature et nous faire gagner du temps.
La vampire parut sur le point de répondre, mais elle se mordit les lèvres. Tu es ma priorité, Tomàs, entendit-il dans son esprit. L’apparition de Sheraz, qui sortit de la pièce du fond, ne lui laissa pas le temps de réagir. Elle était suivie d’un jeune homme aux cheveux noirs et courts, vêtu d’un simple jean et d’un t-shirt blanc. Une tâche de naissance, noirâtre, ornait sa tempe droite. Il portait une caisse fermée. Il salua respectueusement son Alpha en passant à côté d’eux et continua sa route.
— Nous avons pris toutes les fioles de drogue stockées ici, fit Sheraz. J’ai demandé à Aron de les transporter à la Fondation. Elles seront enfermés dans la chambre forte, en attendant qu’on sache comment les détruire sans danger. Il faudra aussi purifier cet endroit.
— Purifions-le par les flammes, fit une voix près d’eux.
Ils se tournèrent tous vers le nouveau venu : Jonas les regardait fermement. Il paraissait plus en forme, grâce aux potions fournies par les guérisseurs, mais sa pâleur et ses cernes soulignaient toujours son état d’épuisement.
— C’est un peu extrême, fit Sheraz d’une voix douce. Et cela n’est pas nécessaire. Nous connaissons des rituels très efficaces.
Jonas se passa une main tremblante dans les cheveux.
— Cet endroit était notre foyer, bien plus que les maisons de nos parents. Nous l’avons corrompu. La fresque sur le mur … je vois maintenant à quel point elle est maléfique … C’est trop dangereux de la laisser là …
— Nous réglerons cela, en temps et en heure, intervint Sébastian. Pour l’instant, vous et votre peuple devez guérir. Et nous avons une tâche à accomplir.
— Et après ? fit Jonas, d’une voix tremblante.
Sur son visage se lisait sa culpabilité, sa crainte. Il paraissait si jeune et perdu. Tous comprirent ce qu’il voulait dire : et après ? Que deviendrons-nous ? A quoi servirons-nous ? Devrons-nous reprendre notre existence humaine et banale, après avoir posé les yeux sur les merveilles de la magie ? Devrons-nous tout oublier ?
Abbie se souvint des paroles du fragment de Gaïa. Elle sourit. Mais c’est à Sébastian qu’elle adressa ces paroles :
— Un pacte a été engagé entre vous et nous. Il sera honoré.
Sébastian hocha la tête lentement, puis son regard azur se posa sur le jeune sorcier.
— Vous trouverez votre place au sein de nos communautés. Vous êtes précieux, et il est malheureux qu’il ait fallu presque vous perdre pour que nous nous en rendions compte.
Jonas écarquilla les yeux, puis abaissa lentement le buste en un geste archaïque de déférence.
— Occupez-vous de vos frères et sœurs, continua Abbie. Mon sanctuaire est tout à vous. Vous verrez que vous y trouverez ce qu’il vous faut, aussi longtemps que vous en aurez besoin.
— Merci, murmura-t-il avant de rejoindre le dernier groupe qui s’apprêtait à partir
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