Sébastian, le regard noir, les bras croisés, était l’incarnation de la fureur. Son visage, légèrement altéré, devenait de plus en plus bestial, de plus en plus lupin de seconde en seconde. Sheraz, juste à côté de lui, avait pâli. Ils venaient de de découvrir que leur précieux sceau séjournait dans le corps de l’une de leurs ennemies millénaires. Et ils ne le prenaient pas très bien.
Tomàs s’avança d’un pas et s’interposa, le regarda déterminé. Son crâne menaçait d’exploser sous la migraine qui le taraudait et les murmures ne cessaient de chercher à attirer son attention. Il les ignora.
— Sébastian, calme-toi.
— Tu étais au courant, siffla son frère. Et tu n’as pas jugé bon de m’en avertir.
— J’aurais dû. J’en suis désolé. Mais la situation est compliquée. Abbie n’est pour rien dans ce qui s’est passé.
— Et j’imagine que tu la crois sur parole ?
La vampire frissonna sous la tension qui émanait des loups-garous, ses sens surnaturels assaillis par leur rage. Sa Bête commença à s’agiter ; elle sentait son corps qui réagissait. Au fond d’elle, le fragment de Gaïa, épuisé, n’était d’aucun secours. Elle prit une profonde inspiration et repoussa sa propre haine tout au fond d’elle. Elle n’allait pas se laisser contrôler par ces rancœurs que sa mémoire génétique cherchait à lui imposer.
— Alpha, commença-t-elle, en se plaçant à côté de Tomàs. J’aurais du vous en parler ; mais je peine moi-même à comprendre ce qui m’est arrivé.
Sébastian haussa les sourcils devant la déférence qu’il entendait dans les paroles d’Abbie. Mais cela sembla l’apaiser un peu.
— J’ai croisé mon père au moment où il s’en prenait à Tamaryn. Il portait l’artefact dans sa sacoche, mais je n’en avais aucune idée. Nous nous sommes affrontés ; il est tombé au sol et s’est brisé. La brume verte s’est introduite en moi ; je n’ai pas cherché ce qui est arrivé.
— Pourquoi vous croirais-je ?
— Ai-je jamais fait quoi que ce soit contre vous, votre frère ou votre meute ? M’en suis-je pris aux humains ou à votre Sanctuaire ?
Sébastian échangea un regard avec Sheraz, puis planta ses yeux d’un bleu électrique dans ceux de son frère. Son apparence reprenait peu à peu ses traits humains.
— Et tu confirmes ce qu’elle raconte ?
— Oui.
De longues secondes s’écoulèrent, puis l’Alpha se détendit entièrement. Sheraz se plaça devant Abbie, la fixant d’un air pensif. La vampire resta immobile, bien qu’elle fût gênée par cette attention. Les yeux d’ambre de Sheraz avait une profondeur qui démentait son jeune âge apparent. On y lisait une sagesse et une connaissance immenses, accompagnés d’une profonde tristesse.
— Comment est-ce possible ? murmura-t-elle, une fois son inspection terminée. Comment un fragment de Gaïa peut-il survivre en une vampire ?
— Aucune idée, fit Abbie. Elle vous l’expliquerait surement si elle daignait se manifester.
— Elle vous parle ?
— De temps en temps.
Le regard de Sheraz était maintenant rempli d’émerveillement.
— Je ne pensais pas qu’elle était consciente.
Abbie haussa un sourcil.
— Oh si ! Croyez-moi, elle est consciente et …
Elle se mordit les lèvres. Sheraz portait en elle une lumière qui l’attirait irrésistiblement. Pouvait-elle lui faire confiance, ainsi qu’à sa meute ? En dehors de sa petite communauté et des musiciens de son groupe, qu’elle s’était choisis avec prudence, elle ne faisait confiance à personne, et certainement pas à son propre clan.
— Je sens tout son amour pour vous, finit-elle par dire.
Sheraz écarquilla les yeux. Puis elle sourit.
— Puisqu’elle est en vous, il faudra trouver un moyen pour la replacer dans un phylactère.
A ces mots, un bouillonnement se fit dans l’esprit d’Abbie. Elle vacilla sous l’assaut de la conscience qui revenait en force et prenait violemment le contrôle de son corps. Impuissante et hébétée, elle se retrouva repoussée tout au fond de son esprit. Elle était prise dans un tourbillon de peur, de solitude et de regrets qui n’étaient pas les siens.
— Non.
Sa voix distordue, rauque, s’échappa de ses dents serrées. Ses yeux avaient pris un éclat émeraude qu’ils reconnurent aussitôt. Le visage de la vampire, contractée et déformée, semblait osciller entre ses traits humains et vampiriques. Sheraz sentit la puissance effleurer son esprit et elle se retint de s’agenouiller. Tomàs, qui sentait la douleur se son amie à travers leur lien psychique, se tendit.
— Je ne retournerai pas dans cette prison de métal et de verre. C’est inutile. Dans le Sanctuaire se trouve déjà un réceptacle bien plus efficace.
— Gaïa …, souffla Sheraz.
— Non. Pas Gaïa, juste l’un de ses fragments, ma fille. Nous pourrons parler bientôt, mais je m’affaiblis et je ne peux faire souffrir ainsi Abbie plus longtemps.
— Comment ? fit soudain Sébastian. Comment pouvez-vous subsister dans une vampire ?
Les lèvres d’Abbie s’étirèrent.
— Elle porte l’étincelle de Gaïa, comme toi, ton frère, ta bien aimée et ta meute.
— Mais …, fit Sébastian, stupéfait. Cela signifie … ?
La vampire ferma les yeux alors et se serait effondrée si Tomàs ne l’avait pas retenue. Lorsqu’elle les rouvrit, ses pupilles avaient repris leur couleur sombre.
— Bon sang ! souffla-t-elle, en se redressant. Ce n’était vraiment pas drôle !
— Ça va ? s’inquiéta son ami.
— Ouais. Ca va mieux. Mais évitez de parler à nouveau du phylactère.
— Je ne comprends pas, murmura Sheraz, visiblement perdue.
— Elle est restée enfermée pendant des millénaires dans son phylactère et elle ne l’a pas bien vécu, voilà ce que cela veut dire, fit Abbie, légèrement agacée.
Sébastian lui jeta un regard noir, ne semblant pas apprécier sa réplique, mais il paraissait visiblement choqué, comme sa compagne. Tomàs lui-même était secoué. Jonas, prostré sur le canapé, témoin oublié de tous, ne paraissait pas se rendre compte de ce qui venait de se passer. Abbie se rassit près de lui et posa une main sur son front.
— Il est mal en point, fit-elle, en échangeant un regard inquiet avec Tomàs.
— Les autres ne vont guère mieux, fit Sergueï en les rejoignant.
Il posa un regard interloqué sur chacun des visages de ses compagnons, mais ne posa aucune question. Il savait qu’il obtiendrait des explications tôt ou tard. Il regarda Abbie.
— Tamaryn et son frère sont en sécurité chez vous.
— Merci, souffla la vampire, soulagée.
— Que fait-on pour eux ? continua-t-il en se tournant vers son alpha.
Celui-ci avait le regard perdu dans le vide, visiblement secoué par ce qui venait de se passer. La voix de son ami pénétra avec difficulté dans son esprit empli de question, mais parvint à le ramener à la réalité.
— On ne peut pas les laisser ainsi. Abbie avait raison : ce sont des humains que nous devons protéger. Amenons-les à la Fondation, nos guérisseurs pourront peut-être les aider.
— Non, murmura Jonas, qui semblait reprendre pied dans la réalité. Nous pouvons nous débrouiller tous seuls.
— Vous ne comptez pas rentrer dans vos familles dans cet état ? continua Sébastian.
— Nous resterons ici, jusqu’à ce que nous allions mieux. Nous …
— Ce n’est pas une bonne idée, Jonas. Vous serez vulnérable ici. Vous avez besoin de soin et la Fondation Gaïa peut vous aider, insista Abbie.
— Je ne les connais pas, répondit le jeune homme en se redressant de son mieux. Mais toi, oui.
Abbie, surprise, le fixa un long moment. Que voulait-il dire ?
— Nous nous mettons sous ta protection, conclut-il, en la regardant droit dans les yeux.
Avec stupéfaction, Tomàs regarda Abbie, puis son frère. Cette formule n’était pas anodine dans le monde des Vampires et des Loups-Garous. Elle équivalait à un serment de confiance. Le simple fait qu’il la connaisse montrait l’étendue de son savoir. Tomàs comprenait pourquoi il la choisissait : Abbie était connue dans Bushwick pour être la protectrice acharnée des gens qui vivaient dans le quartier. Buswick était son Domaine, dans le sens le plus fort du terme, et c’était de plus en plus flagrant pour ses habitants, et pour les petits criminels qui tentaient de profiter d’eux.
La vampire poussa un profond soupir et se leva, se plaçant devant Sébastian.
— C’est pour le mieux, fit-elle, calmement. Mon sanctuaire est tout proche et suffisamment vaste pour accueillir tout le monde. Mais j’aurais besoin de votre expertise. Je n’ai pas les compétences pour les soigner et il est hors de question que je demande de l’aide à ma grand-mère.
Sébastian eut un léger rictus à la mention de la Consul. Mais il ne se permit aucun commentaire. Abbie lui proposait une alliance, ce qui devait lui coûter. Si on en croyait Tomàs, ces jeunes gens étaient précieux et méritaient d’être sauvés. Et il ne pouvait pas perdre trop de temps de toute façon : ils devaient traquer leur ennemi. Les paroles du fragment de Gaïa retentirent alors à nouveau : « Elle porte l’étincelle de Gaïa ». Si c’était le cas, alors elle était des leurs.
— Très bien, vampire, fit-il en lui tendant la main.
Abbie sourit et la serra, scellant ainsi leur accord. Il lui sembla que le fragment de Gaïa approuvait. En elle aussi, ses paroles retentissaient. Elle n’en comprenait pas le sens, mais les entendre lui avait procuré un soulagement intense, une satisfaction, dont elle ignorait la raison. Mais cela devait attendre ; il y avait plus urgent.
— Sheraz, fit alors l’alpha. Appelle Théodore ; qu’il vienne ici avec ses guérisseurs et aide Jonas à transporter ses hommes jusqu’au théâtre. Ils devront les soigner au mieux.
La shaman hocha la tête et s’éloigna en sortant son téléphone portable. Jonas, plus alerte malgré son épuisement et ses tremblements, étaient debout parmi eux. Il remercia le loup-garou d’un hochement de tête. Le regard de celui-ci se porta en direction de la pièce du fond : une lueur verdâtre et hypnotique en émanait encore. Il grimaça.
— Nous allons devoir détruire cette drogue, fit-il, en reportant son attention sur le jeune sorcier.
Jonas sursauta et, pendant une seconde, il parut terrifié. Il faillit se rebeller, tenter de protéger la substance qui lui donnait tant de puissance, mais il repoussa cette pulsion, car il savait maintenant que c’était la voix de la créature qui avait tenté de les contrôler, à cause de qui Séraphin était dans cet état et tous ses amis proches de se transformer aussi. Comment en était-il arrivé là ? Comment avait-il pu se laisser entrainer ainsi ? La honte et la culpabilité le rongeaient. Aussi baissa-t-il la tête, vaincu.
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