Devant la porte métallique, Abbie fixait l’écran de son portable avec impatience. Ses yeux brillaient d’un éclat parme dans les ténèbres du tunnel. Elle savait que Tamaryn était avec le Collectif. Pourquoi ne lui répondait-elle pas ? L’angoisse pour son amie commençait à l’envahir.
Soudain dans le silence du couloir retentit un grincement métallique. La porte fut tirée en arrière Le visage pâle et inondé de larmes de la jeune fille apparut. Elle eut un hoquet de soulagement en apercevant la vampire et Tomàs qui se tenaient dans l’entrebâillement de la porte.
Elle recula d’un pas pour les laisser passer. Ses yeux s’agrandirent quand elle vit leurs compagnons. Elle fit un pas en arrière, soudain effrayée.
— Ne t’inquiète pas, murmura Tomàs en posant une main apaisante sur son bras. Ce sont des amis.
Tamaryn les regarda tour à tour et se détendit légèrement.
— Je te présente mon frère Sébastian, et sa compagne Sheraz. Derrière, c’est un ami de la famille, Sergueï.
— Enchanté, Tamaryn, énonça soudain Sébastian en souriant. Mon frère m’a beaucoup parlé de vous ; je suis heureux de vous rencontrer enfin.
Sa voix chaleureuse eut raison de la méfiance de la jeune fille qui eut un sourire timide. Sheraz finit de la conquérir grâce à son grand sourire communicatif. Il émanait de ces trois personnes une aura de sécurité et de puissance qui la rassura.
— Vous arrivez à point nommé, Abbie, commença-t-elle, après avoir jeté un coup d’œil en arrière.
Ils se trouvaient à l’une des extrémités de la vaste pièce qui servait de refuge au Collectif. Une lumière diffuse émanait des ampoules installées à intervalles réguliers.
— Jonas et les autres … Ils sont de moins en moins cohérents. Je ne comprends pas ce qui leur arrive.
Sébastian échangea un regard soucieux avec les autres. La vampire prit le coude de son amie et l’entraina. Ils traversèrent la salle dans sa longueur. Dans les alcôves grossièrement aménagées, ils aperçurent plusieurs hommes et femmes, allongés, les yeux perdus dans le vague, murmurant des paroles incompréhensibles, qui ne parvenaient pas à briser le silence pesant qui régnait dans la pièce.
Tomàs frissonna en croisant leurs regards. Dans son esprit, il entendait des murmures étranges, depuis qu’ils avaient quitté la Fondation, et il avait l’impression que ces gens prononçaient les mêmes mots que la voix dans sa tête. La terreur commença à l’envahir, mais il la contint de toutes ses forces. Sheraz lui avait donné un breuvage pour combattre sa fièvre et sa faiblesse ; il était assez en forme physiquement, grâce à elle et grâce à sa constitution de loup-garou. Il n’allait pas laisser la créature qui tentait de le contrôler gagner le pouvoir sur son esprit aussi facilement.
— Jonas est dans la pièce, là-bas. J’ai essayé de lui parler comme tu me l’as demandé, mais il est prostré dans une sorte d’état catatonique.
— Est-ce qu’ils ont pris de la drogue ? questionna Sébastian.
Sa voix était toujours aussi douce et patiente, mais on sentait à son expression que l’atmosphère de la pièce lui pesait. Il n’est pas le seul, songea Abbie. Ses sens surnaturels étaient assaillis par cette magie avilissante et nauséabonde.
— Oui, oui, balbutia Tamaryn.
— Où est Séraphin ? fit Abbie.
— Dans l’une des alcôves. Juste là.
— Écoute-moi bien. Tu vas chercher Séraphin ; tu l’emmènes à la maison et tu nous attends là-bas.
— Mais… Je veux vous aider.
— Tu nous aideras bien mieux en mettant ton frère en sécurité, intervint Tomàs.
Tamaryn les regarda tour à tour. Elle finit par hocher la tête et s’éloigna.
— Sergueï, raccompagne-les, fit Sébastian.
Son frère de meute hocha la tête et rejoignit la jeune fille. Abbie remercia Sébastian d’un regard et fit quelques pas vers le bureau : lorsque ses yeux se posèrent sur Jonas, assis sur un canapé défoncé, le visage blafard, les yeux vitreux, elle frissonna. Elle chercha des traces d’écorce et fut soulagée de ne pas en voir.
— Je pense …, commença-t-elle d’une voix hésitante. Je pense que ce serait mieux si j’allais lui parler.
Sébastian la considéra un long moment. Son regard balaya la salle à l’ambiance lourde. Il ne savait pas ce qui était arrivé, mais de toute évidence, leur ennemi devait en être la cause. Abbie attendit patiemment, bien consciente qu’elle devait suivre ses décisions.
— Très bien, décida-t-il. Sheraz et moi allons voir comment vont ces pauvres hères. Je n’aimerais pas qu’une horde de Leschein nous prenne par surprise. Tomàs, reste avec elle … et fais attention.
Son frère hocha la tête, alors que la vampire s’avançait déjà dans la petite pièce, sale et encombrée. Depuis la dernière fois qu’ils étaient venus, on sentait une dégradation dans le soin apporté à leur habitat. Elle s’agenouilla devant le jeune homme, qui ne réagit pas. Il restait immobile. Lui au moins ne chuchotait pas ces drôles de mots. Tomàs sentait qu’une migraine s’emparait de son cerveau sous l’assaut de cette voix étrangère.
— Jonas, fit Abbie d’une voix douce.
Elle y mit une petite pincée de son pouvoir et ses yeux prirent à nouveau un éclat parme. Alors qu’elle tendait ses sens surnaturels jusqu’à son esprit, elle sentit une résistance. La conscience du chef du Collectif était embrumée, enfermée derrière une sorte de voile, qui l’empêchait d’entrer en contact avec lui.
— Jonas, reprit-elle. On a besoin de toi. Quelque chose de grave se passe , quelque chose qui met en danger la ville et tous les gens que tu connais.
Ses mots ne semblèrent pas l’atteindre. Aucun mouvement de ses yeux, de son visage ou de ses mains ne montrèrent qu’il avait même entendu.
— Regarde, chuchota Tomàs près d’elle.
Elle suivit des yeux la direction de sa main tendue et découvrir une seringue, tout juste utilisée. Il était imbibée de cette drogue étrange, dont elle sentait le pouvoir résiduel. Voilà qui expliquait son état alarmant. Elle sentait que la substance raffermissait son emprise sur lui et qu’il allait bientôt commencer la transformation. Il n’avait pas de temps à perdre.
Frustrée, elle le secoua, mais il se laissa faire, sans réagir. Elle finit par le lâcher et se redressa, échangeant un regard impuissant avec son ami. Puis, elle sentit une puissance monter en elle. Sa passagère clandestine se manifesta soudain plus fortement que jamais.
— Laisse-moi lui parler.
— Comment ?
— Laisse-moi le contrôle, ma fille. Juste un moment. Je peux l’atteindre.
« Ma fille » Ces mots se répétèrent en écho dans son esprit. Elle y sentait une réelle tendresse, un amour maternel qu’elle n’avait pas ressenti depuis qu’elle avait été transformée.
— Je ne suis pas vraiment votre fille, vous savez, ne put-elle s’empêcher de penser.
Tomàs, juste à côté d’elle, pencha soudain la tête et la fixa d’un regard abasourdi, comme s’il entendait la conversation.
— Oh si ! Tu l’es. Laisse-moi parler à Jonas. Tu ne l’atteindras pas sans mon aide.
— Et si … et si je ne revenais pas … après ?
Une douce caresse mentale apaisa son esprit hésitant et quelque peu terrifié.
— Tu reviendras.
Tomàs était tout près. Il avait tout compris, aussi étrange que cela puisse paraitre. Sa main calleuse enveloppa la sienne.
— Très bien.
Elle ferma les yeux et se sentit sombrer dans sa propre conscience, dans un cocon d’énergie émeraude. Elle continuait à percevoir son environnement, mais de manière floue et assourdie. A l’expression émerveillée de Tomàs, elle sut qu’un changement s’opérait en elle. Si elle avait vu sa forme vampirique en surimpression sur sa forme humaine, sans doute aurait-elle ressenti de la honte, alors que Tomàs la trouva belle et puissante. L’éclat de ses yeux noirs (ou parme) était devenu une brillance émeraude. Sa silhouette, légèrement floue, encadrée d’une lueur de la même couleur, semblait presque flotter. Elle s’approcha du jeune homme, s’agenouilla devant lui et lui prit le visage de ses deux mains, le soulevant d’un geste doux pour qu’il la regarde.
— Écoute-moi, Jonas.
La voix de l’entité, revêtant celle d’Abbie, se répercuta en écho dans la petite pièce et dans son esprit. Ses yeux ne la regardaient pas, mais le fragment de Gaïa sentit son attention irrésistiblement attirée vers elle.
— Jeune Sorcier, écoute-moi. Ce que t’a promis la créature est un mensonge. La magie ne peut être obtenue par cette voie ; ce que tu as expérimenté n’est qu’une illusion conçue pour te tromper.
Ses paupières rougies clignèrent légèrement ; il frissonna alors que la puissance contrecarrait l’emprise de la drogue. Une réponse vint alors, légère comme une plume :
— Je ne suis rien sans elle.
Abbie tressaillit. Elle sentit la profonde tristesse de l’entité.
— Mon fils, reprit-elle, la voie que tu as choisie mène à la destruction, la tienne et celle de ton monde.
Un éclair de culpabilité traversa sa conscience, alors que son esprit se clarifiait.
— Je peux te montrer une autre voie, celle de la rédemption, la tienne et la mienne. Un pacte, entre toi et tes semblables et moi. Vous avez été trop longtemps abandonnés ; il est temps de reprendre votre place parmi les enfants de Gaïa.
— Magyar est ma déesse, murmura l’esprit enfiévré de Jonas.
Mais la prière était faible, un écho. La brume se dissipa complètement. Le regard épuisé, mais ferme de Jonas se fixa dans les iris émeraude. L’entité dans le corps d’Abbie sourit.
— Tu n’as pas besoin de dieux, Jonas.
— La magie, murmura-t-il, nos pouvoirs…
— Je ne peux pas te promettre que vous les retrouverez. Pas comme ceux que vous avez connu. Mais le savoir que vous avez accumulé est précieux. Et par cette voie, vous aurez la meilleure chance de trouver ce que vous cherchez.
— Un pacte ?
Sa voix se faisait plus forte de seconde en seconde. Son corps restait faible ; les tremblements n’avaient pas cessé, mais sa volonté était plus forte.
— Tu as ma promesse. Nous devons détruire la créature qui a cherché à vous asservir.
Jonas ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Ses tremblements s’intensifièrent ; une grimace de douleur déforma son beau visage.
— Je ne peux pas, geignit-il entre ses dents serrés.
— Alors, montre-nous.
Jonas hocha la tête et ferma les yeux. Abbie, entrainée par l’entité, fut prise dans un tourbillon noir et blanc. Lorsqu’elle se stabilisa, elle se trouvait dans l’Antre du Jinn, plus précisément dans le bureau de Nadine Everland. La vieille dame, souriante et pomponnée, tendait une boite métallique à un homme qu’Abbie reconnut : Jason Trax. Soudain, la porte s’ouvrit et Jonas apparut. Le sourire de la femme se figea. D’un geste, elle congédia son homme de main. La scène se brouilla ; Abbie revint dans son corps brutalement. Le fragment de Gaïa était retourné au fond de son esprit, affaiblie. Abbie vacilla et fut retenue par Tomàs. Devant elle, Jonas rouvrait les yeux. Ses iris avaient repris leur clarté, il paraissait enfin redevenu maitre de lui-même.
Soudain, la vampire eut conscience de ce qu’elle venait de découvrir. Nadine Everland. La charmante propriétaire de l’Antre du Jinn était la créature ! Comment était-ce possible ? Comment ne l’avait-elle pas senti ?
Le chef du Collectif se leva lentement. Il regarda autour de lui comme s’il venait de se réveiller d’un long rêve, et qu’il peinait à reprendre pied dans la réalité, ce qui était vrai. Il regarda tour à tout Tomàs et Abbie.
— Est-ce que j’ai rêvé ?
— Non.
Tout à coup, il porta son regard derrière eux, dans l’entrée et pâlit. Tomàs et Abbie se retournèrent et découvrirent Sébastian et Sheraz qui, au vu de leur expression, avait été témoin de toute la scène.
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