Défis du chaudron: sucre – rancune – crème
«Je me souviens de cette nuit. Parfois, j’ai même l’impression de ne me remémorer que cet instant, que tout autre souvenir n’est que le fruit de mon imagination ; mon esprit vide s’inventant un passé à défaut de revivre notre étreinte, à défaut d’un avenir près de toi.
Peut-être que mon être refuse obstinément de passer à autre chose, mes lèvres n’ayant pu goûter au sucre des tiennes, telle une abeille tombée amoureuse d’une fleur qui se fait cueillir sous son nez, avant qu’elle n’ait pu l’atteindre. Plein de rancune, je me retrouve depuis à butiner d’autres baisers, d’autres souvenirs, déçu par leur parfum, mais incapable d’imaginer vivre sans continuer cette quête. Je ne suis plus qu’une bête abandonnée, incurablement à la recherche de la trace de son maître.
Cela ne devrait pourtant pas être si difficile ! Comment ne pas voir un lys dans une champ de rose ? Si dans ce monde d’une écarlate passionnée je ne puis apercevoir ta pureté immaculée, n’est-ce pas la preuve que tu t’es évaporée ? Que jamais plus la palette de ce monde ne comptera la teinte de ton pigment ? Pourquoi voudrais-je peindre une mer sans bleu, un feu sans rouge ou une forêt sans vert ? Cette réalité n’a pas lieu d’être, seul je n’ai pas lieu d’exister, sans nous il n’y a rien.
Combien de forêts ai-je traversées ? Déracinant les arbres de colère, brûlant leur feuillage de frustration, arrachant leur racine de rancœur ? Combien de montagne encore devront s’effondrer devant ma tristesse avant que d’espérer que le soleil de ton sourire illumine à nouveau mon horizon ? Devrais-je donc devenir un tyran écrasant l’humanité de mes mains pour, qu’enfin, les autres dieux m’écoutent et m’accordent mon vœu ? Ainsi soit-il. Qu’ils se préparent tous, voici la fin des temps.
Oh, je me souviens de la douceur de tes mains dans les miennes. Et je n’hésiterai pas une seconde à couper toutes celles qui ne sont pas les tiennes, si cela me permet de te retrouver, de t’embrasser, de te sentir contre moi. La douceur crème de ta peau sera le seul remède à ma fureur, si bien que je carboniserai toutes les autres. Si ta soie n’a pas droit à l’existence, il n’y a aucune raison de tolérer du coton mal tissé. Si le monde ne veut pas le soleil, alors je n’accepterai pas la lune !
Oui, je tuerai ! Sans le moindre doute, sans le moindre remords. Mon glaive s’abattra, sûr et strict. Oui, je serai injuste aux yeux des innocents. Mais cela m’est bien égal, car à ceux de mon âme, je serai dans mon droit. Personne n’ayant eu la chance de sentir la chaleur de ton corps ne devrait connaître les engelures d’un univers vide de sens, vide de toi. Ma légitimité vient de ta tendresse et de ta perte, les deux plus incroyables forces de cet univers. Je suis monarque couronné de ta tragique absence, de ma folie qui, elle, est terriblement présente. Ils ont voulu me faire gouter à leurs émotions, soit, ils gouteront à mes passions. Ici et maintenant meurt la compassion et tombe le jugement.
Humains, entendez mon verdict. Car par amour, vous mourrez ! »
Le Seigneur, les bras levés en direction du soleil, ponctua son monologue d’un claquement de mains. Les deux paumes tranchèrent l’astre écarlate… et l’âme de tous ceux qui encore vivaient. Ses ailes heurtèrent les cieux, les nuages s’effondrèrent. Son cri brûla les plantes par leurs racines, son souffle les civilisations et son regard l’espoir. Un incendie de paille, à peine boutées que les flammes emportèrent l’histoire.
Ainsi prit fin la vie, mais non pas la douleur du Seigneur. Après tout, pourquoi disparaîtrait-elle ? Alors qu’Elle n’était pas revenue. Dans la suppression des autres, celle qui le hantait n’était pas réapparue. Ce ne fut aucune surprise ni déception. Et la désolation autour de lui ne le rendit guère plus triste. Il n’en avait cure. Avant, elle était absente, maintenant elle l’était toujours. Que les cités soient d’or ou le ciel de pourpre, tant que cela ne la concernait pas, il ne se sentait pas touché non plus.
Le Seigneur marcha. Ses pieds écrasèrent les crânes, ses mains écartèrent les ruines. Derrière lui, des sillons se creusaient sous la griffe de ses ailes fatiguées. Ces fossés se remplir du sang des vivants et des pleurs du dieu, rivières d’un chagrin divin. Il avança ainsi, jusqu’au bout du monde, et, enfin, il s’assit.
Le soleil brisé s’effondrait petit à petit, déchirant la voûte céleste. Les larmes de flammes mélangées à l’avalanche de nuages recouvrirent l’univers d’un voile de brume opaque. Le Seigneur admira l’espace et le temps disparaître, sans émotion. Il ne restait plus qu’un meurtre à commettre, et son œuvre serait terminée. Du brouillard et de la rivière qu’il avait créés, il forgea une lame transparente et la planta dans son torse. Ainsi fut le premier déicide.
Son corps s’écroula, traversant la brume, plongeant dans les flots ensanglantés. En un lieu se conjuguèrent, les essences des cieux, de la vie et du divin. Le monde disparut. L'existence s’éteignit.
Un soleil se leva. Des bras l’enlacèrent. Un baiser de miel se déposa sur ses lèvres. Il la retrouva.
De ce terrible verdict, de ce destin tragique, de cette folle étreinte apparut un nouveau monde. D’un amour impossible, un cycle se brisa. D’une retrouvaille, la vie se releva. Le Seigneur devint continent et sa belle océan. Du mélange de leur être germa une nouvelle race aussi apaisée qu’un incendie, aussi enragée qu’un ciel étoilé. Nés du paradoxe ? À quoi pouvions-nous bien nous attendre, sachant que nous sommes issus de l’amour d’un homme et d’une femme ?
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